Opinion
Arabie saoudite-Qatar : Le sort du
téléprédicateur Youssef Al Qaradawi en
jeu
René Naba
Photo:
D.R.
Jeudi 15 mai 2014
I- La médiation de
Rached Ghannouchi (Tunisie) et d’Hassan
Al-Touraby (Soudan)
Paris – Le Qatar a
souscrit, le 19 Avril 2014, à Ryad un
arrangement qui s’apparente par ces
termes et conditions à une capitulation
en rase campagne, équivalant, en cas de
sa complète mise en œuvre, au placement
sous tutelle de cet émirat turbulent
dont la mesure la plus fortement
symbolique devrait être le dégagement du
prédicateur octogénaire Youssef Al
Qaradawi de sa plateforme médiatique.
Deux dirigeants néo
islamistes Rached Ghannouchi, chef du
parti An Nahda (Tunisie) et le soudanais
Hassan Al-Touraby ont offert leurs bons
offices, proposant le transfèrement -la
déportation ?- des dirigeants des Frères
musulmans basés à Doha vers l’Afrique du
sud et la Suisse, ainsi qu’une sourdine
à la guerre médiatique menée par le
Qatar, via Al Jazira, contre le tombeur
de Morsi, le Maréchal Abdel Fattah
Sissi, candidat à l’élection
présidentielle égyptienne et
bénéficiaire du soutien des
pétromonarchies.
Un premier geste de
bonne volonté avait été amorcé en ce
sens par le Qatar: L’ancien chef des
Frères Musulmans, Youssef Al Nida, est
intervenu à la mi-avril sur la chaine Al
Jazira préconisant une prise de distance
de la confrérie des affaires politiques,
lui recommandant de se consacrer
exclusivement aux affaires spirituelles
et religieuses, ainsi qu’à la
bienfaisance sociale. Cela n’a pas été
jugé suffisant de la part des voisins du
Qatar.
II – L’Algérie,
possible point de chute de Youssef al
Qaradawi ?
Le détonateur de la
déflagration, le téléprédicateur Youssef
Al Qaradawi devrait prendre le chemin du
Soudan, première étape de son
transfèrement ultérieur à Tunis vers son
confrère néo islamiste Rached Ghannouchi.
Mais l’installation à demeure en Tunisie
du très controversé prédicateur égypto-qatariote
fait grincer les dents du président
tunisien Moncef Marzouki.
Voulant conjurer le
mauvais sort, le cheikh octogénaire
s’est livré à une mélopée sirupeuse, au
rythme d’un contorsionnement d’une danse
de ventre, professant son amour pour
l’Arabie saoudite et les Emirats arabes
unis, qu’il a constamment brocardé au
point de ranger sa hache de guerre,
formulant son vœu secret d’être enterré
au Qatar en signe de reconnaissance à
l’hospitalité de ses commanditaires.
L’Algérie, qui
a reçu en avril l’émir du Qatar, le
prince Tamim, avec lequel elle
entretient de bonnes relations, a été
sollicitée par le Koweït pour un rôle de
médiation dans le conflit Arabie
saoudite Qatar. Selon des informations
de presse, sondée quant à la possibilité
qu’elle accorde l’asile au Cheikh
Qaradawi, l’Algérie pourrait faire droit
à la requête des pétromonarchies en
dernier ressort. Aucune confirmation ode
cette information n’a été donnée de
source officielle algérienne
III – L’arrangement
de Ryad.
Scellé sur une base
militaire, en présence des ministres des
Affaires étrangères des six pays membres
du Conseil de Coopération du Golfe, à
titre de témoins et de caution, l’accord
concède un délai de deux mois au Qatar
pour remplir ses engagements, notamment
le reprofilage de sa diplomatie dans un
sens conforme au consensus régnant au
sein du syndicat pétro-monarchique.
Près d’un an après
la destitution déguisée de l’ancien
«Deux es Machina de la révolution
arabe», Hamad Ben Khalifa Al Thani, deux
mois après le dégagement de son compère
saoudien Bandar Ben Sultan, cette clause
augure mal de l’indépendance stratégique
future de la principauté en ce qu’elle
constituerait un soft protectorat imposé
au petit wahhabite, dans une conjoncture
calamiteuse pour le camp islamo
atlantiste, matérialisée par le double
camouflet, le revers militaire de
Yabroud en Syrie, la place forte des néo
islamistes, et le camouflet diplomatique
en Crimée.
Un double revers
accentué de surcroît par le
rétablissement spectaculaire des
relations russo-égyptiennes et la
consolidation de la position de la
Russie en Syrie, propulsant l’ancien
Empire des tsars au rang d’interlocuteur
fiable au niveau du Monde arabe, après
avoir été longtemps diabolisé du fait de
l’athéisme marxiste soviétique.
Aux termes de cet
accord, le Qatar doit cesser son soutien
à la confrérie des Frères Musulmans, ce
qui implique de réduire de facto son
partenariat stratégique avec la Turquie,
son allié du printemps arabe en Libye et
en Syrie, et de se focaliser sur la
Syrie plutôt que sur les critiques à
l’égard du régime post Morsi.
De Renoncer en
outre à soutenir les Think Tank
américains, accusés d’attiser les
critiques envers les dynasties
monarchiques du Golfe, notamment ceux
qui ont choisi Doha comme base
régionale- «The Brookings Institution»
et «The Rand Corporation». La Rand est
l’auteur du fameux rapport «From
confrontation to Containement»,
préconisant de confier le pouvoir aux
Frères Musulmans pour mieux contenir la
vague néo islamiste dans le Monde arabe.
http://www.renenaba.com/libye-an-iii-post-kadhafi-le-projet-c-c-de-la-rand-corporation/
Enfin dernière et
non la moindre des conditions:
Interrompre le processus de
naturalisation des opposants islamistes
arabes refugiés au Qatar, à l’instar du
prédicateur d’origine égyptienne Youssef
Al Qaradawi, et retirer son soutien
financier au réseau néo-islamiste en
Europe, particulièrement les
islamophilistes qatarologues.
Le Qatar a financé
dernièrement une campagne photo sur les
tortures des prisonniers en Syrie,
comprenant, par extension, aussi bien le
pouvoir baasiste que ses opposants
djihadistes. Intervenue le jour de la
tenue de la conférence de Genève sur
l’Ukraine, le 17 avril, sa diffusion est
apparue comme une opération de diversion
visant à masquer l’échec occidental dans
son bras de fer avec la Russie, dans
l’affaire de Crimée, rattachée depuis
lors à Moscou.
Le Qatar devra
remplir ses conditions sans garantie de
rétablissement des relations
diplomatiques avec les trois pays avec
lesquels il est en contentieux. A
défaut, le Qatar est menacé d’un blocus
de ses liaisons aériennes et terrestres
avec l’ensemble de la péninsule
arabique, et, selon des indiscrétions de
la presse arabe, d’une grande opération
de déstabilisation du clan Al Thani, qui
sera matérialisée par le soutien des
pétromonarchies voisines à la branche
rivale de la dynastie et à l‘importante
tribu «Bani Mari», le socle du pouvoir
monarchique au Qatar.
IV -Le Qatar,
casse-tête des pétromonarchies,
l’annexion du Qatar, une épée de
Damoclès.
La décision du
Conseil de coopération du Golfe de
mettre au pas le Qatar a été prise d’un
commun accord entre l’Arabie saoudite,
le Bahreïn, et les Emirats arabes unis,
fortement incommodés par ce qu’ils
considèrent être les dérives du gnome de
Doha et qui valurent au précédent Emir
une destitution déguisée, sur injonction
américaine.
http://www.renenaba.com/la-fin-sans-gloire-du-deus-ex-machina-de-la-revolution-arabe/
Outre le manque de
confiance dans les dirigeants qatariotes,
la raison sous-jacente à
l’intransigeance saoudienne réside dans
le fait que la dynastie Al Thani du
Qatar peut servir de dynastie de
substitution aux wahhabites en cas de
démembrement du royaume saoudien, comme
la menace en est régulièrement brandie
par les Américains.
Le Qatar est devenu
le casse-tête des pétromonarchies,
certains jours un véritable «bâton
merdeux» que chacun cherche à refiler à
son voisin pour résoudre les problèmes
qu’il pose.
Certes le Koweït
avait été officiellement chargé de mener
une médiation entre l’Arabie saoudite et
le Qatar pour mettre un terme à la
guerre fratricide entre les deux frères
ennemis wahhabites. Mais cela ne parait
pas suffisant pour calmer le courroux de
ses pairs. Au point qu’Abou Dhabi qui
avait accusé les Frères Musulmans
d’avoir ourdi un complot contre la
dynastie, a avancé une bien curieuse
proposition pour réduire la tumeur. Dans
ce qui parait comme une manœuvre
d’intimidation à l’égard du
récalcitrant, le directeur adjoint de la
police de l’Emirat, Dhafi Al Khalfane, a
en effet proposé l’annexion pure et
simple du Qatar à la Fédération des sept
Emirats Arabes Unis (Abou Dhabi, Doubaï,
Ajman, Sharjah, Oum el Gowein, Ras El
Kheyma) et son placement sous l’autorité
d’Abou Dhabi avec octroi de passeports
émiratis aux anciens ressortissants du
Qatar.
Dhafi Al Khalfane
s’est défendu toute visée annexionniste.
Il a justifié sa requête par le fait que
le Qatar était placé sous l’autorité de
l’Emir d’Abou Dhabi avant son
détachement en zone autonome par le
colonialisme britannique du temps où la
zone se dénommait la Côte des pirates.
«L’accessoire doit suivre le principal»
a-t-il déclaré selon les propos
rapportés mardi 1 er avril par le site
en ligne «Ar rai al Yom».
Connu pour son
franc-parler, le responsable émirati est
la bête noire des Frères Musulmans
depuis qu’il a ordonné l’incarcération
de 75 membres de la confrérie sous
l’accusation de tentative de coup
d’état. Il a d’ailleurs estimé que le
succès électoral du premier ministre néo
islamiste turc Teyyeb Reccep Erdogan
«est la pire catastrophe politique pour
l’avenir de la Turquie en ce que le
mandat d’Erdogan pour la Turquie sera
comparable à celui du néo islamiste
Morsi en Egypte».
Le Qatar ne veut,
visiblement pas, s’en laisser compter.
Les Frères Musulmans, unique
organisation arabe transnationale avec
ses ramifications tant au Machreq qu’au
Maghreb, constitue un véritable bouclier
défensif de l’Emirat face au géant
saoudien. Après avoir mobilisé le ban et
l’arrière ban de ses alliés pour
destituer le pouvoir baasiste syrien,
obtenant même l’expulsion de la Syrie de
la Ligue arabe, dont elle était pourtant
un membre fondateur, le voilà qu’il
cherche à se faire pardonner de ses
anciens ennemis.
Dans son épreuve de
force avec l’Arabie saoudite, Tamim a
cherché à s’adosser sur ses ennemis
d’hier, notamment l’Iran, la Syrie et le
Hezbollah libanais. Il a ainsi dépêché à
Téhéran un diplomate de haut rang, le
jour même où Barack Obama atterrissait à
Ryad, doublant cette démarche par
l’envoi d’un émissaire à Beyrouth pour y
rencontrer des responsables du
Hezbollah……. Et, fait singulier, donner
un coup de fil à Damas depuis Beyrouth,
par application de la théorie du
voisinage immédiat selon laquelle
«l’ennemi de mon ennemi est mon ami».
Le Qatar a lancé,
en outre, un nouveau quotidien arabe «Al
Arab Al Joudod (Les néo arabes), piloté
par Azmi Béchara, l’ancien député
communiste arabe du parlement israélien,
et désormais homme lige du Prince Tamim,
pour pallier la chute d’audience «Al
Qods al Arabi», consécutif à l’éviction
par la principauté de son fondateur,
l’influent éditorialiste Abdel Bari
Atwane. M. Atwane a fondé un journal en
ligne « Ar Rai Al Yom» (L’opinion
aujourd’hui), qui revendique, six mois
après son lancement le chiffre record de
20 millions de visiteurs par jour.
Une véritable
course à l’échalote s’est engagée entre
les pétro-monarques: Pour neutraliser
l’Iran, l ’Arabie saoudite, a, elle,
sorti le grand jeu. Elle a doublé le
nombre de visas accordé aux Iraniens
désireux d’effectuer le pèlerinage de la
Mecque… La preuve que La Mecque n’est
pas un sanctuaire bénéficiant de
l’extraterritorialité, mais la propriété
privée de la maison des Saoud, qui
délivre à son gré le précieux visa
d’entrée au paradis.
Le Qatar se voit
donc condamné à boire la coupe jusqu’à
la lie, lui qui avait puissamment œuvré
avec la Turquie à la propulsion des
Frères Musulmans au pouvoir dans «les
pays du printemps arabes» (Tunisie,
Libye, Egypte) avec le ciblage de la
Syrie et de la Palestine (Hamas), une
triplette dont les premières mesures
auront été d’ériger les interdits en
tant que principe de gouvernement.
Erreur fatale à leur rayonnement.
Trop d’interdit tue
l’interdit. Pour avoir négligé cette
règle élémentaire de gouvernement, les
néo islamistes en paient le prix; aussi
bien les wahhabites, que les salafistes,
les djihadistes comme les takfiristes.
Le jour où la confrérie produira en son
sein un clown, un acrobate, voire même
un humoriste, un grand pas vers la
détente sociale arabe aura été accompli
et les Frères Musulmans cesseront d’être
alors perçus comme des
croquemitaines….Des barbus barbants. Des
barbants barbus.
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