MADANIYA
Syrie
Bombardement: Une opération de diversion
de l’Otan qui retentit comme une
manifestation d’impuissance
René Naba
Dimanche 15 avril 2018
Une opération
démagogique de diversion
Trois pays de
l’Otan, membres permanents du Conseil de
Sécurité, se sont livrés, hors mandat
des Nations Unies, à un bombardement
conjoint de la Syrie, le 13 avril 2018,
dans une opération de diversion à
quadruple objectif:
-Mettre un terme à
la série de victoires ininterrompues
enregistrées depuis décembre 2015 par
les forces anti occidentales en Syrie,
matérialisée notamment par Alep Est,
Palmyre, Ersal (frontière libano
syrienne) et Al Ghouta.
-Masquer en le
vengeant le revers des poulains
saoudiens d’Al Ghouta, dans la banlieue
de Damas et des poulains kurdes de la
France à Afrin (nord de la Syrie) en ce
que la menace atlantiste a été brandie,
-sous le fallacieux prétexte de l’usage
d’armes chimiques par le pourvoir
syrien-, le jour même du dégagement de
Mohamed Allouche, le chef d’Ahrar al
Cham de la périphérie de Damas, laissant
la totalité de l’agglomération de la
capitale syrienne sous le contrôle
exclusif du pouvoir.
-Occulter du débat
public sur le carnage israélien de Gaza,
le 30 mars 2018, et le refus d’Israël
d’autoriser une enquête de l’ONU en ce
que la «frappe», -de même que le tapage
médiatique convoyant ses préparatifs-,
est, opportunément, intervenue deux
semaines après ce fait d’armes
glorieux
de l‘«unique démocratie du Moyen Orient»
réputée pour la «pùreté de ses armes»,
le reléguant au second plan de
l’actualité.
-Restaurer la
prééminence américaine dans la gestion
des affaires du Monde, dans un message à
la Chine, alliée mutique mais active de
la Russie en Syrie, deux semaines après
l’ouverture à Shanghaï, le 25 mars 2018,
de la première bourse de transactions
pétrolières en Yuan.
Se superposant à la
persistance d’un excédent financier de
la Chine dans ses échanges commerciaux
avec les américaines, de l’ordre de 275
milliards de dollars en 2017,
l’officialisation des transactions en
Yuan constitue une sérieuse brèche dans
la primauté du dollars dans l‘économie
mondiale. Un mouvement vraisemblablement
irreversible.
Des
considérations de politique interne
A cela s’ajoute des
considérations de politique interne
propre à chacun des belligérants
occidentaux.
Donald Trump, en
difficulté sur le plan interne après la
série de démission-désertions?- de ses
principaux collaborateurs notamment Rex
Tillerson, secrétaire d’état, et les
effets ravageurs du livre de James
Comey, l’ancien directeur du FBI, ce
coup de menton, dans l’esprit des
communicants de la Maison Blanche
devrait freiner l’érosion de la
popularité présidentielle à huit mois
des elections à mi mandat américaines,
en novembre prochain.
Theresa May,
(Royaume Uni): En butte avec les affres
du Brexit, sans visibilité notoire sur
le plan international, redoutant de se
retrouver «out of picture», elle s’est
associée au bombardement américain pour
préserver la relation privilégiée du
Royaume Uni avec les Etats Unis et
rompre le tête à tête jusqu’ici exclusif
entre le président américain et son
homologue français.
Emmanuel Macron, en
butte à une contestation sociale, la
première de sa mandature, le plus jeune
président de France a révélé son
archaïsme. Recourant aux vieilles
ficelles du métier, il a pratiqué la
fuite en avant… à l’instar de Bill
Clinton bombardant le Soudan pour
détourner les regards de la tâche
blanche de la robe bleue de sa stagiaire
Monica Lewinsky ; à l’instar également
de Margaret Thatcher qui a saisi
l’occasion de l’occupation des Iles
Malouines par l’Argentine, en 1982, pour
lancer l’opération Falkland et se
couvrir de gloire, tuant dans l’oeuf une
sévère grève des cheminots britanniques.
De la France et
des Arabes
Rétrospectivement,
de «l’expédition punitive de Suez» (Guy
Mollet 1956), aux «mesures coercitives»
de Jacques Chirac 2006 contre le
Hezbollah libanais, la France paraît
animée d’un prurit belligène à l‘égard
des Arabes, éprouvant comme une sorte de
jouissance incompressible à «casser de
l‘Arabe», «à faire suer le burnous»,
selon l’expression consacrée. De Sétif
(Algérie 1945), à Suez (Egypte 1956), à
Sakiet Sidi Youssef (Maroc-1958), à
Bizerte (Tunisie 1961), puis, après une
parenthèse d’ouverture gaulliste de 44
ans, avec le retour des philosionistes
assumés au pouvoir Nicolas Sarkozy, la
Libye en 2011, François Hollande,
Syrie-2012, enfin Emmanuel Macron Syrie
2018. Les réflexes coloniaux sont
tenaces et vivaces.
Dans cette
perspective, «la politique arabe de la
France» que le «sang mêlé» Nicolas
Sarkozy a cherché à déconstruire avec le
soutien actif des transfuges
atlantistes, -notamment Dominique
Strauss Khan, le nouveau socialiste
Directeur du Fonds Monétaire
International, et, Bernard Kouchner, le
belliciste ministre des Affaires
étrangères, ancien urgentiste des zones
pétrolifères (Biafra, Kurdistan,
Darfour, Gabon et Birmanie) -, a surtout
consisté pour les pays arabes à voler au
secours de la France, à deux reprises,
au cours du XX me siècle, pour l’aider à
vaincre ses ennemis, notamment en
1939-1945, en l’aidant à se débarrasser
du joug nazi dont une fraction
importante de la communauté nationale de
confession juive en a lourdement pâti.
En contrepoint et
pour prix de la contribution arabe à la
libération de l’Alsace-Lorraine, la
France a amputé la Syrie du district
d’Alexandrette pour le céder à la
Turquie, son ennemi de la Première
Guerre Mondiale (1914-1918), et
carbonisé au napalm les habitants de
Sétif, en Algérie, (1945), après la
deuxième Guerre Mondiale (1939-1945)
fournissant dans la foulée à Israël la
technologie nucléaire du centre de
Dimona (Neguev).
Sous l’apparence de
grands sentiments, des desseins
sournois, inavouables : Sceller une
Union transméditerranéenne sur la base
d’une division raciale du travail,
«l’intelligence française et la main
d’œuvre arabe», selon le schéma esquissé
par Nicolas Sarkozy dans son discours de
Tunis le 28 avril 2008, augurait mal de
la viabilité d’un projet qui signait la
permanence d’une posture raciste au sein
de l’élite politico-médiatique
française, une posture manifeste à
travers les variations séculaires sur ce
même thème opposant tantôt «la chair à
canon» au «génie du commandement»
forcément français lors de la première
guerre Mondiale (1914-1918), tantôt «les
idées» du génie français face au pétrole
arabe» pour reprendre le slogan de la
première crise pétrolière (1973): «Des
idées, mais pas du pétrole».
Substituer de
surcroît l’Iran à Israël comme le nouvel
ennemi héréditaire des Arabes viserait à
exonérer les Occidentaux de leur propre
responsabilité dans la tragédie
palestinienne, en banalisant la présence
israélienne dans la zone au détriment du
voisin millénaire des Arabes, l’Iran,
dont le potentiel nucléaire est
postérieur de soixante ans à la menace
nucléaire israélienne et à la
dépossession palestinienne. Dans cette
perspective, la diplomatie nucléaire de
Nicolas Sarkozy apparaît comme un
leurre. Elle se présente comme une offre
pour mineurs frappés d’incapacité, dont
la capacité nucléaire sera maintenue ad
vitam sous tutelle, dont l’objectif
caché est d’éponger le surplus monétaire
généré par les pétrodollars, de la même
manière que les gros contrats
d’armements des décennies 1980-1990
avaient ponctionné les trésoreries des
pétromonarchies.
Sans mentionner les
interventions du CRIF auprès des
pouvoirs publics pour s’opposer à la
nomination de figures prestigieuses de
la diplomatie française à des postes de
responsabilités gouvernementales sous la
présidence Sarkozy, en l’occurrence
Hubert Vedrine, jugé, non pas
«pro-arabe», mais carrément «arabe»,
deux sites prestigieux de Paris sont
dédiés à la Mémoire de l’ancien premier
ministre israélien Itzhak Rabin
assassiné par un militant de l’extrême
droite israélienne:
La Place Fontenoy,
face à l’UNESCO et les Jardins de Bercy
et alors que le conseil municipal de
Paris, sous le socialiste Bertrand
Delanoé, a dédié à Théodore Herzl, le
théoricien du sionisme, une place dans
le Marais (3me arrondissement), et qu’en
contrechamps, pas le moindre site est
dédié à un dirigeant du tiers monde
arabe, asiatique ou africain, pas même
le co-Prix Nobel de la Paix de Rabin,
Yasser Arafat, le dirigeant palestinien.
La plaque
commémorative de Mehdi Ben Barka, dans
le VI arrondissement de Paris, de même
que la place dédiée à Mohamad V devant
le parvis de l’Institut du Monde Arabe
constituent au premier chef des actes de
réparation de la France pour ses
forfaits: la disparition du chef de
l’opposition marocaine, en 1965 avec la
complicité des services français et
l’exil du Souverain Marocain durant le
combat pour l’Indépendance du Maroc.
Sans la moindre
protestation contre la colonisation
rampante de Jérusalem et la Cisjordanie
ni contre l’emprisonnement arbitraire de
près dix mille Palestiniens, la France,
fidèle à elle même, est demeurée mutique
lors du carnage de Gaza, le 30 mars
2018, et le refus d’israël d’autoriser
une enqûete indépendante sur ce
massacre.
En contraste, la
France s’est mobilisée pour la
libération de M. Gilad Shalit, un bi
national franco-israélien, capturé par
les Palestiniens alors que ce caporal
israélien servait dans une armée
d’occupation dans un territoire occupé
contre un pays ami de la France, tandis
que, parallèlement, l’armée israélienne
est autorisée, régulièrement, à lever
des fonds dans les grandes villes de
France «pour le bien être de l’armée
israélienne».
Du Calendrier
comme fonction traumatique
Hasard ou
préméditation? Le bombardement conjoint
contre la Syrie des trois pays de
l’Otan, membres permanents du Conseil de
Sécurité, est intervenu, curieusement,
le 13 avril 2018, une date traumatique
dans l’histoire contemporaine arabe.
Date traumatique de
la guerre psychologique anti-arabe menée
par Israël et ses parains occidentaux,
date d’une quintuple commémoration: la
première, celle du raid israélien contre
le centre de Beyrouth, avril 1973, qui a
entraîné l’élimination de trois
importants dirigeants de l’OLP Kamal
Nasser son porte-parole, Abou Youssef
Al-Najjar, son ministre de l’Intérieur
ainsi que Kamal Adwane, le responsable
des organisations de jeunesse; la
deuxième, celle du déclenchement de la
guerre civile inter factionnelle
libanaise deux ans plus tard, le 13
avril 1975; la troisième, celle du raid
aérien américain sur Tripoli (Libye), le
13 avril 1986; la quatrième,
l’imposition du boycottage de la Libye
par les Nations Unies le 13 avril 1992;
la cinquième, enfin, le bombardement
conjoint de la Syrie par les trois
membres atlantistes de Conseil de
sécurité, hors mandat de les Nations
Unies.
L’autre grande date
traumatique est celle de la bretelle du
5-6 juin surchargée d’histoires. Sur
cette date se concentre en effet quatre
événements majeurs: la troisième guerre
israélo-arabe de juin 1967; la
destruction de la centrale nucléaire
irakienne de Tammouz le 5 juin 1981,
ordonnée par Menahem Begin pour tester
les réactions du nouveau président
socialiste français François Mitterrand;
le lancement de l’opération «Paix en
Galilée» contre le Liban, le 6 juin
1982, visant à déblayer la voie à
l’élection à la présidence libanaise du
chef phalangiste libanais Bachir
Gemayel; enfin le 6 juin 2004 la lourde
condamnation de Marwane Barghouti chef
mythique de la resistance palestinienne.
La Guerre de juin
1967, première guerre préemptive de
l’histoire contemporaine, a permis à
Israël, –déjà à l’époque première
puissance militaire nucléaire du
Moyen-Orient et non «le petit David
luttant pour sa survie contre un Goliath
arabe»–, de s’emparer de vastes
superficies de territoires arabes (le
secteur Est de Jérusalem, la
Cisjordanie, la Bande de Gaza, le
plateau syrien du Golan et le désert
égyptien du Sinaï) et de briser l’élan
du nationalisme arabe.
Mais elle a du même
coup accéléré la maturation de la
question palestinienne et favorisé
l’émergence du combat national
palestinien qui demeure encore de nos
jours, 50 ans après, le principal défi
qui se pose à Israël., particuliètrement
la «rue arabe».
La guerre du Liban
de juin 1982, culminant avec un siège de
56 jours de la capitale libanaise, si
elle a provoqué la perte du sanctuaire
libanais de l’Organisation de Libération
de la Palestine et le départ forcé de
Yasser Arafat de Beyrouth, elle a dans
le même temps donné naissance à une
résistance nationale libanaise armée
symbolisée par le Hezbollah (le Parti de
Dieu) qui forcera dix huit ans plus tard
l’invincible armée israélienne à une
retraite sans gloire du sud-liban, le 25
mai 2000, premier dégagement militaire
israélien d’un territoire arabe non
assorti d’un traité de paix. L’allié des
Israéliens a bien accédé à la
magistrature suprême, mais pour une
présidence éphémère toutefois. Bachir
Gemayel sera tué dans un attentat à la
veille de sa prise de pouvoir et les
Israéliens éclaboussés par les massacres
des camps palestiniens de Sabra-Chatila
qui ont suivi son assassinat.
Le Conseil de
Sécurité, instrument obsolète de
l’intimidaiton et de punition.
Le Conseil de
sécurité, dont la composition reflète
les rapports des forces sur le plan
international à la fin de la II me
Guerre mondiale (1939-1945), avec une
surreprésentation de l’Europe et une
absence totale de l’Afrique, de la
sphère musulmane et de l’Inde, foyer de
l’Hindouisme, avec 1,7 milliards
d’habitants- soit autant que l‘Europe et
les Etats Unis- souffre de déséquilibres
structurels. A l’image de la Ligue arabe
captive des pétromonarchies rétrogrades.
Toujours dirigé du
Nord vers le Sud, à l‘image de la
Justice Internaitonale, le Conseil de
sécurité est désormais un instrument
obsolète. Un instrument d’intimidation,
de punition et d’humiliation.
Selon l’état major
russe, la défense anti aérienne syrienne
a neutralisé 71 des 103 missiles Cruse
américains lancés sur la Syrie, soit les
2/3 des missiles, autant dire un coup
d’épée dans l’eau. «Même pas mal», pour
reprendre l’expression en vogue dans la
jeunesse rebelle française.
Dommage collatéral
de cette équipée atlantiste, le sommet
arabe qui devait se tenir dimanche 15
avril à Dammam (Arabie saoudite) est
mort né, du fait de l’approbation de
trois pétro monarchies arabes (Arabie
saoudite, Bahreïn et Qatar) de cette
«agression caractérisée» au regard du
droit international contre un pays
arabe, quand bien même suspendu
illégalement de l’organisation pan
arabe.
Dans ce contexte,
l’opération de diversion atlantiste
contre la Syrie pourrait bien apparaître
un jour comme une opération
démagogique….pour la satisfaction
d’amours propres nationaux meurtris par
tant de revers successifs des stragèges
occidentaux.
En accentuant le
discrédit des occidentaux et de leurs
supplétifs arabes, l’expédition punitive
occidentale de 2018 contre la Syrie
apparaît comme un remake de l’«agression
tripartite de 1956» contre l’Egypte
nassérienne. Et la démonstration de
force atlantiste contre la Syrie, loin
d’être une manifestation de puissance
retentit comme une manifestation
d’impuissance devant le désastre
stratégique représenté par la percée
sino-russo-iranienne en Méditerranée,
dont la Syrie en constitue la plateforme
opérationnelle majeure. Elle ne
modifiera en rien le cours de la
bataille. Au grand dam de l’Otan.
Notes
Cf. ce propos
«Sarkozy, Le «choc des civilisations’ et
les Musulmans», compte rendu du
correspondant du quotidien français
Libération à Bruxelles où le président
français fait part à ses collègues
européens de sa crainte d’une présence
massive musulmane de l’Europe.
Illustration
© AP Photo / Hassan
Ammar
Reçu de René Naba pour publication
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