Madaniya
Le message subliminal de l’Iran
au Monde arabo-musulman
René Naba
Lundi 13 juillet 2015
L’Iran, un cas
d’école ou une menace pour le Monde
arabe ?
L’Iran, un cas d’école.
L’Iran a d’ores et déjà accédé au
rang de « puissance du seuil nucléaire »
contre la volonté des Occidentaux et
hors leur technologie, indépendamment
des péripéties des négociations
internationales sur le nucléaire
iranien.
Ce fait a constitué, en soi, un
exploit technologique, en ce que cet
objectif hautement stratégique a été
atteint en dépit d’un embargo de trente
ans doublé d’une guerre de près de dix
ans imposée à l’Iran par Irak interposé,
et d’une « guerre de substitution » à la
Syrie, le maillon intermédiaire de l’axe
de résistance à l’hégémonie
israélo-américaine dans la zone.
Il a de ce fait suscité l’admiration
de larges fractions de l’opinion de
l’hémisphère sud en ce qu’il apporte la
preuve éclatante que la technologie de
pointe n’est pas incompatible avec
l’Islam dès lors qu’elle est soutenue
par une volonté d’indépendance,
débouchant, de surcroît, sur la
possibilité pour l’Iran de se doter
d’une dissuasion militaire tout en
préservant son rôle de fer de lance de
la révolution islamique
Dans une zone de soumission à l’ordre
israélo américain, le cas iranien est
devenu de ce fait un cas d’école, une
référence en la matière, et, l’Iran,
depuis lors, est devenu le point de mire
d’Israël, sa bête noire, dans la foulée
de la destruction de l’Irak, en 2003 et
du quasi démantèlement de la Syrie du
fait d’une connivence souterraine tacite
entre Israël et les pétromonarchies
arabes avec la caution du bloc
atlantiste.
John Kerry, secrétaire d’État
américain, désireux de mettre la
pression sur son homologue iranien
Mohamad Javad Zarif, dans la dernière
phase des négociations sur le nucléaire
iranien, a fait mine de se lever,
menaçant de quitter la salle de
conférence pour retraverser l’Océan
Atlantique et retourner aux États-Unis.
Un geste doublé d’une démonstration
de force sur le terrain, avec le test
d’une version « sûre » de la bombe
nucléaire B61-12 sans ogive, sur le site
de Tonopah au Nevada ; Un test ordonné
délibérément par les États-Unis, en
toile de fond des négociations de
Vienne, comme pour forcer la main des
Iraniens.
Mohamad Javad Zarif, qui signifie le
cavalier magnifique, diplômé des
universités de San Francisco
(Californie) et de Denver (Colorado) se
leva, alors, lentement et fixant son
interlocuteur américain, lui dit : « Nul
ne saurait contraindre l’Iran ».
Sergueï Lavrof, ministre russe des
Affaires étrangères, opina dans le même
sens que son allié iranien : « Nul ne
saurait contraindre la Russie non plus
», a-t-il surenchéri, songeant notamment
aux sanctions occidentales dont la
Russie en est l’objet du fait de
l’Ukraine.
Répliquant à la démonstration de force
américaine, la Russie et l’Iran ont
alors avancé depuis Moscou une
proposition pour contrer l’expansion de
l’Otan à l’EST : Un contre projet de
bouclier anti-missile de l’Otan, commun
à la Chine, l’Inde, la Russie et l’Iran.
John Kerry, dont la fille a épousé un
iranien, aurait dû se souvenir que
l’Iran, qui a inventé le jeu d’échec,
-un jeu de patience, de calcul et de
riposte oblique- ne se laisse pas
facilement impressionner.
Au delà des études comparatives sur
les avantages et les inconvénients de
l’accord sur le nucléaire iranien, un
délice du jeu habituel des experts,
l’Iran a voulu adresser un message
subliminal au reste du Monde,
particulièrement le Monde
arabo-musulman, en plein ébullition
sectaire en ce que l’Iran a voulu se
poser en cas d’école et non en menace du
Monde arabe, majoritairement sunnite.
Le jeu de la France
Dès l’enlisement américain en Irak,
en 2003, M. Dominique Strauss-Kahn,
futur directeur du Fonds Monétaire
International et pro israélien avéré,
sonnait l’alarme en invitant les pays
occidentaux à rectifier le tir et à
cibler non plus l’Irak mais l’Iran. Il a
été aussitôt relayé par le transfuge
socialiste Bernard Kouchner, à sa
nomination à la tête du ministère
français des affaires étrangères, dans
la foulée de son ralliement atlantiste,
ainsi que par leur parrain conjoint,
Nicolas Sarkozy.
Le président français de « sang mêlé
» de l’époque avait résumé la nouvelle
position française par une formule qui
se voulait lapidaire mais qui s’est
révélée être d’une démagogie
rudimentaire : « la bombe iranienne ou
le bombardement de l’Iran ».
Dans ce contexte, la « fermeté
constructive » de Laurent Fabius
apparaît comme une fanfaronnade digne de
Tartarin de Tarascon en ce que le «
somnolent des forums internationaux »
est de surcroît amnésique : Un des
grands pollueurs nucléaire de la
planète, l’équipementier du régime
d’apartheid d’Afrique du Sud et
d’Israël, l’associé de l’Iran impérial
dans le consortium Eurodif, la France a
été constamment en pointe dans le combat
pour la dénucléarisation de l’Iran.
En sa qualité d’état musulman ? De
pays révolutionnaire ? De pays chiite ?
Ou plus simplement de mercenaires des
pétromonarchies du Golfe dans la
contre-révolution arabe, qui a abouti,
paradoxalement, à maintenir les
roitelets du Golfe en état de sujétion
technologique vis à vis de l’Occident
dans la pure tradition du paternalisme
post colonial résultant du « fardeau de
l’homme blanc » et la France, par
contrecoup, dépendante des marchés de
monarchies obscurantistes.
La duplicité française explique sa
passivité face aux raids destructeurs
israéliens contre les installations
nucléaires arabes d’Osirak (Irak), en
1981, un réacteur fourni par la France,
d’Al Kibar, en Syrie, en 2008, en
passant par les réacteurs de Cadarache,
également fournis par la France, avec
l’aide des Sayanim dans le sud de la
France.
S’éclaire ainsi la méfiance nourrie à
l’égard des Français par les Américains,
du fait, semble-t-il, de la présence
d’une taupe israélienne au Quai d’Orsay,
qui explique les négociations secrètes
irano-américaines à Mascate (Sultanat
d’Oman), hors des oreilles françaises,
et le partage des informations glanées
par le réseau ECHELON via NSA,
exclusivement entre les Five Eyes
(États-Unis, Royaume-Uni, Canada,
Australie, Nouvelle Zélande), c’est à
dire les pays WASP (White Anglo Saxon
protestant), la seule civilisation qui
vaille pour les tenants de l’Anglo-sphère.
Si la « fermeté constructive » de
Laurent Fabius a permis à la France de
glaner près de 16 milliards d’euros de
contrat civils et militaires, elle a,
par contrecoup, provoqué la perte du
vaste marché iranien de 80 millions de
consommateurs aux besoins considérables
(400 avions de transports) et la
fermeture subséquente de l’Usine
d’Aulnay du Groupe PSA (8.000 emplois),
l’un des grands fournisseurs mondiaux du
parc automobile iranien, entraînant son
remplacement par des produits américains
en sous traitance de firmes asiatiques.
De la même manière que la crise
d’Ukraine a permis aux Américains de
supplanter les Européens sur le marché
russe.
(À la suite des sanctions anti-russes,
l’Europe a perdu 33% de son volume
d’échange avec la Russie, quand les
États-Unis n’en perdaient que 6%. À
Moscou travaillent 1200 ingénieurs pour
la construction du Boeing 777X, un
appareil concurrent de l’Airbus A 350,
avec, en complément, la signature d’un
contrat entre la société russe
Energomash et les Américains d’Orbital
pour 60 moteurs de fusée Atares).
Sur le plan interne américain, les
pourparlers irano-américains marquent,
en effet, la victoire de la «
Rockefeller Foundation », favorable à
une ouverture envers l’Iran, sur le très
néoconservateur lobby « American
Entreprise Institute », partisan, lui,
d’un changement du régime iranien par la
force.
La fable du nucléaire israélien
Passons sur cette fable : « Israël
unique démocratie du Moyen orient,
sentinelle du Monde libre face à la
barbarie arabo musulmane » ne saurait,
en premier, introduire l’arme atomique
dans la zone, qui tient lieu de viatique
en dépit des supplices de Mordechai
Vanunu, qui a eu l’audace de briser le
tabou, en dépit des fuites répétées dans
la presse spécialisée occidentale. Le
motus est complet. Jalousement gardé par
les cornacs d’Israël en Europe,
particulièrement la France.
Le primat d’Israël conditionne le
récit médiatique occidental et obère la
crédibilité de sa démarche, en ce
qu’elle révèle une distorsion de
comportement des pays occidentaux face
aux puissances nucléaires. Les
États-Unis et l´Union européenne
contrôlent 90% de l´information de la
planète et sur les 300 principales
agences de presse, 144 ont leur siège
aux États-Unis, 80 en Europe et 49 au
Japon. Les pays pauvres, où vit 75% de
l´humanité, possèdent 30% des médias du
monde.
Israël, unique puissance nucléaire du
Moyen-Orient, a ainsi constamment
bénéficié de la coopération active des
États occidentaux membres permanents du
Conseil de sécurité (États-Unis, France,
Grande-Bretagne) pour se doter de l‘arme
atomique, bien que non adhérent au
Traité de non-prolifération. Il en est
de même de l’Inde et du Pakistan, deux
puissances nucléaires asiatiques
antagonistes, qui bénéficient néanmoins
d’une forte coopération nucléaire de la
part des États-Unis et de la France en
dépit de leur non ratification du traité
de non-prolifération nucléaire.
L’argumentaire occidental gagnerait
donc en crédit si la même rigueur
juridique était observée à l’égard de
tous les autres protagonistes du dossier
nucléaire, au point que la Chine et la
Russie, les principaux alliés de l’Iran,
se sont dotées d’une structure de
contestation du leadership occidental à
travers l’organisation de coopération
dite « le groupe de Shanghai », pour en
faire une OPEP nucléaire regroupant les
anciens chefs de file du camp marxiste
(Chine et Russie), ainsi que les
Républiques musulmanes d’Asie centrale,
avec l’Iran en tant qu’observateur.
Le différentiel de comportement
entre l’Iran et le Monde arabe
Au delà du conflit politique entre
l’Iran, chef de file de l’Islam chiite
et l’Arabie saoudite, chef de file
l’Islam sunnite, pour le leadership
régional, et, au delà vers le Monde
musulman, au delà des résultats des
négociations sur le nucléaire iranien,
se pose d’une manière sous-jacente le
problème du différentiel de comportement
face aux Occidentaux entre l’Iran et les
pays arabes, principalement les
pétromonarchies et les pays gravitant
dans leur orbite.
Face au bloc atlantiste, l’Iran s’est
présentée à la table des négociations
accoudée sur deux alliés solides, la
Chine et la Russie, le chefs de file du
BRICS, l’un des vecteurs du nouveau
monde en gestation, quand l’Arabie
saoudite, engage une guerre contre le
Yémen à l’aide d’une coalition de 7 pays
et à l’aide de mercenaires pilotes
américains et français à 7.500 dollars
la sortie aérienne sans le moindre
résultat quatre mois après offensive
contre le pays le plus pauvre du Monde
arabe et que les pétromonarchies arabes,
majoritaires au sein de la Ligue Arabe,
se prosternent devant les Occidentaux
pour solliciter leur intervention
militaire contre des pays arabes, dans
la pure tradition du néo colonialisme,
accentuant durablement la sujétion
arabe.
Les suppliques de Youssef Qaradawi
implorant l’Otan de bombarder un pays,
la Syrie, qui a livré quatre guerres
contre Israël, la connivence de Jabhat
An Nosra, la franchise d’Al Qaida en
Syrie, avec Israël sur le Golan, un
territoire syrien occupé, -non pour le
libérer, mais pour faire tomber le
régime de Damas-, la défection Mous’ab
Youssef, fils d’un fondateur du Hamas,
la branche palestinienne de la confrérie
des Frères Musulmans, au profit d’Israël
et sa délation de Marwane Barghouti, un
des chefs du combat national palestinien
en Cisjordanie, constituent autant
d’illustrations pathologiques de la
défragmentation mentale arabe et les
ravages du sectarisme wahhabite impulsé
par la dynastie saoudienne.
Face à une cohorte de
supplétifs :
- Ahmad Chalabi, office boy
irakien de l’administration
américaine lors de l’invasion de
l’Irak ; -Moussa’b Youssef, fils
d’un des fondateurs du Hamas,
indicateurs pour le compte des
services israéliens et délateur du
dirigeant palestinien Marwane
Barghouti ;
- Khaled Mecha’al, le chef
politique de ce mouvement, branche
palestinienne de la confrérie des
Frères Musulmans, à l’abri dans sa
luxueuse résidence climatisée au
Qatar alors que la bande de Gaza
demeure à l’état de ruine, un an
après sa destruction par Israël,
l’allié souterrain des
pétromonarchies du Golfe ;
- Lokmane Slim, le chiite de
service anti-Hezbollah pour le
compte de l’ambassade américaine de
Beyrouth ;
- Bourhane Ghalioune et les
Kodmani’s Sisters, Basma et Hala
Kodmani, supplétifs syriens de
l’administration française lors de
la guerre islamo-atltantiste contre
la Syrie ;
- Mounzer Safadi, agent de liaison
syro-druze d’Israël auprès des
groupements djihadistes de Syrie -Jabhat
An Nosra, Da’ech et l’Armée Syrienne
Libre ;
- Nadia Fani, fille d’un grand
syndicaliste tunisien dont la
cinéaste a dilapidé le capital de
sympathie par sa quête d’un rebond
professionnel auprès des élites
mondialisées représentées par
l’ultra féministe islamophobe
française Caroline Fourest, actant
sa soumission à la pensée dominante
par son voyage à Canossa-Israël,
tout comme son compatriote tunisien
Hassan Chalghoumi (guide de la
Mosquée de Drancy France);
- Walid Farès, un des plus grands
sanguinaires parmi les dirigeants
des milices chrétiennes de la guerre
du Liban reconverti dans l’expertise
contre-terroriste à Washington…
L’Iran offre, en contrepoint de cette
engeance, une brochette de dirigeants de
premier plan tous formés dans les
universités occidentales mais sans la
moindre ambiguïté quant à leur
allégeance nationale iranienne. À
l’exemple de l’équipe des négociateurs
du contentieux nucléaire avec le groupe
des pays occidentaux, dont voici la
liste à titre d’illustration :
- Mohammad Nahavandian. Chef du
cabinet du président Hassan Rouhani,
(Ph.D. Economie- George Washington
University).
- Mohamad Javad Zarif, ministre
des Affaires étrangères et
négociateur en chef aux négociations
nucléaires. Diplômé de l’Université
de San Francisco (Californie) et
titulaire d’un doctorat de
l’Université de Denver (Colorado).
- Ali Akbar Salehi, chef de la
délégation iranienne à la Commission
de l’Énergie Atomique de Vienne (Ph.D.
– Nuclear engineering Massachusetts
Institute of Technlogy-MIT).
- Mahmoud Vaezi, ministre des
télécommunications, titulaire d’un
diplôme d’ingénieur électrique de
Sacramento et de San Jose State
University (Californie), d’un
doctorat de l’Université de
Louisiane ainsi que d’un diplôme de
relations internationales de
l’Université de Varsovie.
- Abbas Ahmad Akhoundi, ministre
des transports, titulaire d’un
doctorat (Ph.D. de l’Université de
Londres.
La mise en concurrence de la France
et de la Russie pour la construction de
16 centrales atomiques en Arabie
saoudite pour la gestion énergétique de
l’ère post pétrolière, ne saurait
remédier au handicap congénital
fondamental de la dynastie wahhabite à
son accession au savoir scientifique et
à la maîtrise de la technologie en ce
que la pyscho-rigidité dogmatique
saoudienne en constitue son plus
puissant frein.
L’Iran apparaît ainsi comme contre un
parfait contre-exemple de l’Arabe
saoudite et constitue à ce titre une
menace existentielle pour la dynastie
wahhabite et de tous les cloportes
gravitant dans son orbite. Le clivage
n’est pas donc pas entre sunnites et
chiites, mais entre reptiles et
vertébrés.
Pour aller plus loin
Illustration
AP : Iranian Foreign Minister Javad
Zarif, left, talks with the head of the
Iranian Atomic Energy Organization, Ali
Akbar Salehi, after an afternoon meeting
with U.S. officials in Lausanne,
Switzerland, March 27, 2015.
Reçu de
René Naba pour publication
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