MADANIYA
De la question kurde
Mamdouh Habashi
Vendredi 12 avril 2019
Par Mamdouh
Habashi, contributeur www.madaniya.info
A l’attention du locuteur arabophone,
la version arabe se trouve dans le
prolongement du texte français
Adaptation en version française René
Naba directeur www.madaniya.info
Préambule
Le mouvement de
décolonisation s’est mobilisé, dès le
départ, sous le mot d’ordre du «Droit
des Peuples à l’Autodétermination». Un
mot d’ordre non négociable, point
d’impulsion de tous les mouvements de
libération à travers le Monde.
La fin de la II me
Guerre mondiale (1939-1945) en donnant
naissance à un nouvel ordre mondial,
déblaie la voie à l’édification d’une
mondialisation capitaliste, qui
s’appliquera méthodiquement à
neutraliser ce mot d’ordre libératoire
de l’oppression politique et économique.
Le capitalisme mondialisé veillera ainsi
à provoquer la balkanisation des grands
ensembles en vue de fragiliser toute
opposition à son expansion et à son
hégémonie et de favoriser leur adhésion
au nouvel ordre du capitalisme
mondialisé.
L’impérialisme a
ainsi ciblé l’URSS, la Chine, de même,
après l’implosion du bloc soviétique en
1990, la Fédération de Russie, la
Yougoslavie, la Tchécoslovaquie, voire
même l’Inde. Sans compter le Monde
arabe: partition du Soudan au mépris du
sacro-saint principe de l’intangibilité
des frontières issues de la
décolonisation; destruction de l’Irak et
tentative de création d’un état du
Kurdistan dans le Nord de l’Irak;
destruction du Yémen et tentative de la
constitution d’une zone autonome
portuaire autour du port d’Aden;
destruction de la Syrie et tentative de
constitution d’une enclave autonome
Kurde dans le nord de la Syrie.
L’impérialisme a
cherché à retourner en sa faveur le
principe du «Droit à
l’autodétermination», en en faisant un
usage dévoyé.
Le procédé est identique: mettre en
relief les spécificités culturelles,
linguistiques et religieuses d’un pays
donné, exacerber les antagonismes
internes en vue de provoquer sa
dislocation, en application du « Droit à
l’autodétermination»….((NDL L’exemple le
plus patent de la duplicité du
comportement occidental se retrouve dans
le cas des Kurdes de Syrie, où l’Union
européenne s’est opposée à la
proclamation de l’Indépendance de la
Catalogne (Espagne) et de la Corse
(France), au prétexte de ne pas
transformer l’Europe en confettis de
micro-états, mais a favorisé
l’indépendance du Kurdistan, cf ce lien
Le Mic Mac de la France dans son projet
de création d'un État sous contrôle
kurde à Raqqa en Syrie.
A terme, nous
aurons ainsi un pôle impérialiste
homogène, exerçant son hégémonie absolu
sur une infinité d’états faibles, sans
ressources, sans capacité de résistance.
La Chine et l’Inde, dans cette
perspective, seraient ainsi subdivisés
en une dizaine de micro-états à base
religieuse ou linguistique.
Cf à ce propos
l’instrumentalisation de l’irrédentisme
ouïghour contre la Chine.
La mission première
des forces progressistes de l’époque
contemporaine est de faire front à un
tel projet de balkanisation globale de
la planète en constituant des
groupements disposant d’une masse
critique en mesure de s’opposer à ce
projet. «Le Groupe de Shanghai» (Chine,
Inde, Russie) avec Iran en associé,
répond à ce dessein de même que le BRICS
(Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du
Sud) et le projet bolivarien de marché
unique latino-américain proposé par le
Venezuela et la Bolivie en concertation
avec Cuba.
I – De la
Nationalité
L’impérialisme a
tiré profit de la confusion régnant
autour de la notion de NATIONALISME et
de l’oppression que subissaient les
minorités de la part de la majorité dans
les sociétés qui ne sont pas
nécessairement démocratiques.
L’impérialisme tend
généralement à exploiter cette faille
pour s’engouffrer dans la brèche et
proclamer non seulement sa solidarité
mais aussi son soutien à ces minorités
persécutées, en proclamant que l’unique
solution du problème que rencontre un
pays donné est dans l’indépendance
politique de la minorité persécutée et
non dans la démocratisation de cette
société en question.
Le nationalisme doit se comprendre dans
son acception progressiste pour
constituer une force mobilisatrice face
à l’impérialisme.
Les forces progressistes se doivent
d’étudier au cas par cas les luttes
nationales dans des pays déterminés pour
ne pas tomber dans le piège du «droit à
l’autodétermination».
II- La discorde
des Empires
L’émergence du
capitalisme à la faveur de la révolution
industrielle du 19 me siècle a entrainé
une modification du concept
d’impérialisme. Confondre la séquence de
l’impérialisme précapitaliste et
l’impérialisme contemporain, c’est faire
preuve d’une méconnaissance de la
réalité historique.
Il n’est pas
concevable, en effet, de comparer
l’Empire ottoman, la Russie des Tsars,
l’Empire austro-hongrois des Habsbourg,
d’une part, l’Empire britannique et
l’Empire français, d’autre part, en ce
que les empires précapitalistes se
fondaient sur le principe de la
centralité du pouvoir politique sur une
vaste superficie géographique dont la
population dans sa très grande majorité
était d’origine rurale, en provenance du
monde agricole. Le conflit sur la
plus-value se faisait alors par
l’intermédiaire du pouvoir politique qui
déterminait les prix des transactions et
non la loi du marché.
Les empires qui se sont édifiés à
l’époque médiévale avaient leur
spécificité propre en fonction de la
diversité de leur histoire et de leur
géographie, de la diversité de leurs
origines et de leurs religions, de la
diversité de leurs cultures et leur
langues, de leurs us et coutumes, mais
reposaient sur un dénominateur commun,
le socle de leur pouvoir.
Dans L’Empire
ottoman, le Sultan était certes
impérativement d’origine turque, mais
ses épouses, ses serviteurs, ses
esclaves provenaient des 4 coins de
l’empire. Il était d’usage que des non
turcs, -des Arabes, des personnes
originaires des Balkans- occupent
d’importants postes au sein du
gouvernement central en vue de
consolider le socle du pouvoir central.
Ainsi à titre d’exemple, l’Egypte était
administrée par Noubar Bacha, arménien,
chrétien. Au sein de l’empire éthiopien,
les responsables d’origine érythréenne
étaient plus nombreux que ceux d’origine
amharique.
Cette mixité,
-l’interconnexion des diverses
composantes de l’empire à l’exercice du
pouvoir au sein de la classe dirigeante
dans les empires précapitalistes- a
constitué le moyen le plus efficace et
le plus rentable à l’exploitation du
monde paysan en même temps qu’à assurer
le pérennité du régime impérial et sa
reproduction.
En revanche, la
structure des empires modernes, post
révolution industrielle, diffèrent
totalement des structures des empires
précapitalistes. Il n’y avait aucune
interconnexion entre la classe
dirigeante britannique et la caste des
dirigeants indiens, mais une claire
démarcation entre le pouvoir central
britannique dominant et les autres
composantes dominées en Inde ou ailleurs
dans les autres territoires de l’Empire
britannique.
Le pouvoir central britannique dominant
a octroyé aux castes dominantes locales,
colonisées, un rôle économique,
politique, social, totalement différent
du rôle assumé par le pouvoir central,
inégal, mais complémentaire, dans le
cadre de l’exploitation et de la
reproduction du système de
l’exploitation coloniale. Un schéma
identique s’applique à l’empire
français, à l’empire belge ou
hollandais.
III- De
l’émergence de la question nationale.
Des siècles durant,
l’Empire ottoman n’a jamais été inquiété
par le problème des nationalités pour
deux raisons principalement:
- D’une part, en
raison de la participation des
diverses composantes ethniques,
religieuses, linguistiques dans
l’ossature de la classe dirigeante
de l’Empire
- D’autre part,
en raison de «l’égalité de
traitement» infligée à tous les
peuples de l’empire en matière de
persécution et d’oppression, y
compris aux paysans d’Anatolie,
comme ceux des pays arabes ou des
Balkans. Pas la moindre
différenciation tenant à la
religion, à l’ethnie, à la couleur
de la peau ou à la langue.
Partant du principe
que «l’égalité de traitement dans
l’injustice est une forme de justice»,
la question nationale n’a jamais été
soulevée par les peuples de l’Empire. La
centralité du pouvoir n’impliquait pas
une uniformité du langage dans la
gestion des affaires publiques en ce que
l’administration limitait ses rapports
avec ses administrés, principalement, à
la perception des impôts, et,
occasionnellement, à l’enrôlement des
paysans dans l’armée selon les besoins
de la cause. En dehors de ces deux
contraintes, le paysan était donc libre
de s’exprimer dans sa propre langue.
En Anatolie, les
Turcs ont parlé la langue turque; les
Kurdes, la langue kurde; les Arméniens,
la langue arménienne; En Egypte, en
Irak, en Syrie, les Arabes ont parlé la
langue arabe dans des accents variés;
Dans les Balkans, les langues en usage
ont été le serbe, le croate, le
bosniaque, et le macédonien….sans le
moindre problème.
Le problème a surgi
avec l’entrée progressive des élites
locales de ces contrées dans le système
capitaliste moderne mondialisé. Des
élites, nullement des classes sociales,
ont ainsi émergé avec l’intention de
s’intégrer au système mondialisé pour la
prospérité de leur entreprise, en se
rattachant aux circuits de décision dans
le domaine du commerce et de
l’industrie, deux des piliers du
capitalisme, indispensables au
raccordement aux nouvelles sociétés
capitalistes.
L’émergence de
cette élite des sociétés colonisées et
son besoin de rattachement au système
capitaliste mondiale a provoqué un
bouleversement radical du mode de
gouvernance au sein de l’empire.
Ce fait a conféré à
la langue une importance capitale dans
cette nouvelle administration.
Ainsi a surgi le problème de la langue.
L’usage d’une langue scripturale (langue
écrite) et non plus exclusivement orale,
s’est imposé, suscitant la fureur de
l’ensemble de la population,
majoritairement sous instruite, de
tradition orale, contrainte désormais à
faire usage d’une langue scripturale. Il
n’était plus possible d’échapper à cette
contrainte, à choisir entre deux
langues, l’une pour les formalités
officielles (la langue scripturale
turque), une langue vernaculaire (langue
locale) arménienne, kurde, arabe, pour
la vie courante.
Le fait de renoncer à la langue locale a
favorisé une prise de conscience d’une
oppression nationale en ce que la langue
du pouvoir central s’est imposée comme
obligatoire pour toutes les démarches
administratives officielles.
L’exemple le plus
patent de cette transformation a surgi
dans l’empire austro-hongrois. Situé au
cœur de l’Europe, l’empire
austro-hongrois, l’un des plus anciens
d’Europe à l’époque, a été l’un des
premiers à se raccorder puis à fusionner
au système capitaliste mondialisé.
Les peuples périphériques (Tchèques,
Croates) se sont insurgés contre
l’imposition de l’usage de la langue
allemande comme langue officielle de
leurs démarches administratives. Sous la
pression, le pouvoir central a cédé
concédant l’usage du bilinguisme: langue
allemande pour l’Autriche et la
Dalmatie; langue hongroise pour les
Slovaques et les Croates etc…
Le conflit
linguistique a servi de carburant à la
revendication nationaliste en ce que
l’usage d’une langue spécifique a
accentué la prise de conscience d’une
identité nationale spécifique. L’édifice
impériale s’est alors lézardé.
Premier à saisir cette dynamique a été
Otto Bauer, marxiste austro hongrois,
qui a établi le constat que la modernité
est la résultante de l’adhésion au
capitalisme européen des peuples de
l’empire austro-hongrois.
Pour surmonter les contradictions
inhérentes à la transformation des
sociétés locales en sociétés en
adéquation avec les structures de type
capitaliste, Otto Bauer n’a pas
préconisé le «Droit à
l’autodétermination», conscient qu’il
était que la mise en œuvre de ce
principe allait provoquer la
balkanisation de l’Empire.
Soucieux de
préserver le centre du pouvoir au sein
de l’Empire, il a plaidé pour une
«solidarité prolétarienne» au sein de
l’Empire de manière un conflit social et
non un conflit racial.
Les marxistes
autrichiens étaient conscients du fait
que la préservation de l’entité
géographique constituée par l’Empire,
englobant les populations vivant à
l’intérieur de ses frontières, venait en
appui au capitalisme en ce qu’il lui
servait de champ d’expansion. Mais, dans
le même temps, ils étaient conscients de
l’utilité de l’ossature impériale pour
les luttes sociales des couches
populaires dans leur combat contre le
capitalisme, tant sur le plan local
qu’international.
Pour ce faire, une
telle attitude impliquait la
reconnaissance de la diversité au sein
de l’Empire, une diversité culturelle,
en fait une diversité linguistique et
non une diversité religieuse, car
l’ensemble des peuples de l’Empire
relevait de la religion chrétienne.
Catholiques,
Protestants, Orthodoxes appartiennent au
même moule chrétien. Ce qui fait que la
diversité religieuse n’a pas joué un
rôle dans la revendication d »une
spécificité culturelle. La différence
était d’origine linguistique.
La tendance
générale de l’époque était de préserver
l’Empire dans ses frontières reconnues,
une reconnaissance assortie de la
diversité des nationalités de même que
la reconnaissance des libertés
individuelles et du capital.
Le démantèlement de
l’Etat Central est devenu inéluctable
avec le déclenchement de la 1ère Guerre
mondiale (1914-1918), avec l’alliance de
deux grands empires, l’empire austro
hongrois et l’empire ottoman, avec
l’Allemagne, dans le camp des vaincus.
Les forces
impérialistes influentes de l’époque, le
Royaume Uni et la France, visaient au
démantèlement de ces deux empires en vue
de procéder à leur découpage et une
répartition de nouvelles zones
d’influence, en leur faveur, tant vis à
vis de l’empire austro-hongrois que vis
à vis de l’empire ottoman.
IV – Des
répercussions sur l’Etat ottoman.
Trois grandes
nationalités se dégageaient de l’Empire
ottoman, aux côtés d’autres nationalités
qui faisaient de l’empire une mosaïque
humaine:
A- Les Balkans: Les
mouvements nationaux dans toutes leurs
déclinaisons (grec, serbe, croate,
bulgare), réclamaient, tous à l’unisson,
leur séparation de l’empire et leur
rattachement à l’Europe en ce qu’ils
étaient dans leur totalité des
mouvements relevant de la religion
chrétienne. La religion a constitué un
puissant facteur, impulsant une
dynamique au sein de ces mouvements
relevant de la chrétienté, plus proches
de l’Europe que du califat musulman.
B- La révolution
bolchévique en 1917, la chute du Tsar et
les révélations des clauses de l’accord
Sykes-Picot mise à jour par Lénine en
s’emparant des archives du ministère
russe des affaires étrangères, a révélé
l’ampleur de ce complot colonialiste.
Sykes-Picot: Un siècle calamiteux pour
la France
Centenaire des accords Sykes-Picot: Du
renouvellement de la question d'Orient
C- Les Arabes
constituaient la 2me composante
nationale par ordre d’importance de
l’Empire ottoman: Irak, Syrie.
L’Egypte
bénéficiait d’un traitement à part
depuis l’arrivée de Mohamad Ali au
pouvoir, en 1805. Mohamad Ali avait mis
en œuvre en effet une stratégie visant à
assurer la renaissance de l’Egypte et
son indépendance. Au-delà des
apparences, son projet secret était de
s’emparer de la totalité de l’Empire
ottoman si les circonstances
internationales le lui avaient permis.
L’Egypte était
rattaché à l’Empire ottoman sur un plan
purement formel, alors qu’elle
s’appliquait à étendre progressivement
son emprise sur de vastes superficies de
l’Empire. En 1838, l’Egypte était
quasiment indépendante; un état de fait
qui s’est prolongé en 1840 avec la
conclusion d’un traité anglo-égyptien,
et au-delà, en fait jusqu’en 1852,
lorsque le Royaume Uni a destitué le
Khédive Ismail pour se substituer à lui,
marquant ainsi le début la colonisation
directe de l’Egypte par l’empire
britannique.
Le reste du Monde arabe (le Maghreb, la
Péninsule arabique, le Soudan) ne
disposait d’aucun poids politique et
culturel substantiel.
Le nationalisme arabe a pris son envol
principal en Irak et en Syrie. Les
nationalistes arabes ne réclamaient pas
leur indépendance de l’Empire ottoman,
comme cela a été le cas au sein des
composantes nationales de l’Empire
austro-hongrois.
Mieux, la
revendication à l’indépendance ne
s’inspirait pas des principes marxistes,
– c’est à dire en vue d’accentuer et
d’amplifier les luttes de classes- mais
visait à se dégager des contraintes
découlant de l’institution du Califat.
Plus précisément, les nationalistes
arabes revendiquaient l’instauration de
la langue arabe comme la langue
officielle et unique dans leurs pays
respectifs. L’Empire ottoman s’y
opposait fermement.
La 1 ère Guerre
mondiale a modifié les rapports de
force. La Turquie, alliée de
l’Allemagne, se retrouvait dans le camp
des vaincus. A la faveur de la guerre,
les deux grandes puissances coloniales
européennes, -Royaume Uni et France- ont
réussi à convaincre les Arabes qu’ils
étaient leurs alliés, faisant semblant
de prendre fait et cause pour leur
revendication, dans la perspective de
démembrer l’Empire ottoman et de traiter
séparément avec les micro-états ainsi
constitués, selon le principe bien connu
«diviser pour régner».
D- Les Arméniens
Habitant le quart
de la superficie de l’Anatolie, dans
l’est de la Turquie jusqu’à la ville
d’Erzerun, qui signifie en turc la
«Terre des Roums» (la terre des
chrétiens), l’expansion de l’Empire des
Tsars a entrainé une inclusion de fait
au terre d’une partie de l’Arménie avec
pour capitale Erevan.
Le fait que les Arméniens soient de rite
orthodoxe, tout comme les Russes, a
servi de prétexte à la Russie pour
s’ingérer continuellement auprès de
l’Empire ottoman pour la protection de
leurs coreligionnaires arméniens de
Turquie.
Les Arméniens de Turquie et de Russie
n’étaient pas uniquement liés par la
langue. Ils constituaient en fait une
véritable nation dotée d’un état et
d’une histoire.
Dans l’effort de modernisation de l’état
turc, les Arméniens constituaient une
minorité de 10 pour cent de la
population, concentrés dans les grandes
villes Istanbul (anciennement
Constantinople), Izmir et Adana
(Adrianapolis). Dix pour cent de la
population, mais 90 pour cent de
l’intelligentsia et de la nouvelle
classe moyenne de l’état ottoman, sur
laquelle reposait le mouvement de
modernisation de l’état.
Les Arméniens sont
parvenus à ce niveau d’influence car
l’état ottoman ne pratiquait pas le
fanatisme dans le choix de ses
serviteurs. Des non-musulmans, dont des
Arméniens, ont exercé de grandes
responsabilités au sein de l’Etat
ottoman,-des gouverneurs arméniens en
Egypte et au Liban-, jusqu’à l’avènement
du règne du Sultan Abdel Hamid II.
Sanguinaire, cet «un islamiste turc»
était réputé pour sa xénophobie, hostile
aussi bien contre tout ce qui n’est pas
turc (les Arabes) et tout ce qui n’est
pas musulman (les Arméniens), même s’ils
étaient des ressortissants de l’Empire.
Sous son règne, le premier génocide
anti-arménien s’est produit en 1894-1897
dans la région de Sassoun, mettant un
terme à des siècles de tolérance et de
cohabitation entre les diverses
composantes de l’Empire.
E- Les Kurdes
Les Kurdes n’ont
jamais constitué une nationalité au sein
de l’état ottoman, déployés dans les
zones rurales et agricoles, les moins
développés du pays, dans le sud-est de
l’Anatolie et le nord du futur Irak avec
des minorités sans grande visibilité en
Iran et en Syrie.
La vague de modernisation a déferlé sur
la Turquie depuis l’Occident, atteignant
de plein fouet l’Asie mineure, le
versant occidental de la Turquie, sans
atteindre la zone kurde demeurée une
zone agricole et pastorale.
Le pouvoir central
ottoman a renoncé à sa politique de
tolérance lorsque les minorités
nationales ont commencé à prendre de la
vigueur au point de constituer une
menace. Pour parer aux dangers, le
pouvoir a joué la carte de la zizanie,
exacerbant les antagonismes
communautaires, dans une tentative de
faire assumer l’échec de sa politique à
une minorité parmi les plus minoritaires
de l’Empire, de surcroît non musulmane.
Le pouvoir central
ottoman a ainsi instrumentalisé les
Kurdes dans les massacres anti arméniens
de 1894 déclenchés à Sassoun, dans l’Est
de l’Anatolie. Les Kurdes ont été
récompensés par leur attribution des
propriétés des arméniens décimés.
Peuplée de paysans arméniens et kurdes,
Sassoun était une zone rurale.
Le 2me génocide anti-arménien est
intervenu en 1915 dans les villes de
l’ouest de la Turquie, lors de la
Première Guerre mondiale (1914-1918).
Dans ce contexte a surgi Mustafa Kamal
Pacha dit Atatürk (le père de la nation
turque), fondateur et premier président
de la République turque (1881-1938).
L’effondrement de
l’Empire ottoman et son dépeçage par le
Royaume Uni et la France ont suscité, en
retour, une forte réaction nationaliste
turque incarnée par Atatürk dont
l’objectif prioritaire était
l’édification d’un état turc et non
ottoman.
Les paysans kurdes ont rejoint l’armée
nationale turque fondée par Atatürk pour
défendre le pays contre les puissances
coloniales. Les Kurdes se considéraient
alors comme des nationaux de l’état
turc, alors qu’Atatürk projetait
l’édification d’un état turc homogène,
sans la moindre distinction
ethnico-religieuse. Pour ce faire, il a
nié l’identité kurde au point
d’interdire l’usage du terme kurde,
allant même jusqu’à désigner les Kurdes
de «Turcs des montagnes», en interdisant
de surcroît l’usage de la langue kurde.
L’exode rural des
Kurdes vers les villes s’est,
entretemps, amplifié donnant naissance à
de nouvelles villes kurdes à la faveur
de la II me Guerre mondiale (1939-1945).
F- La
problématique du PKK
Une vision
nationaliste étriquée conduit à des
prises de position erronées aux graves
conséquences sur l’évolution du conflit
dans l’histoire des peuples. Il est
indiscutable que le PKK (Partiya
Karkerên Krurdistan) a commis une faute
historique dont les graves répercussions
se font sentir encore de nous jours sur
la question kurde.
Fondé en 1978 par
Abdallah Oçalan, le Parti des
Travailleurs du Kurdistan est un parti
communiste marxiste qui se pose en
défenseur des droits de la classe
ouvrière kurde présente majoritairement
dans les grandes villes turques. Jusqu’à
présent, le PKK n’a pas apporté une
réponse claire quant à son objectif
ultime. La question est de savoir s’il
mène un conflit ethnique des Kurdes
contre les Turcs ou d’un conflit pour la
défense des droits de la classe ouvrière
de la Turquie dans son ensemble,
autrement dit, un combat
internationaliste.
S’il opte pour un
combat internationaliste, c’est à dire
la défense des travailleurs dans leur
ensemble sans distinction de race et de
religion, -là réside en fait la vraie
réponse-, le PKK inscrira sa lutte dans
un combat pour l’édification du
socialisme en Turquie, sur la base d’un
état binational.
Il gagnera à sa
cause la classe ouvrière tant turque que
kurde et bénéficiera alors du soutien
international des forces luttant contre
le capitalisme mondialisé et
l’impérialisme.
Si au contraire, il
combat pour une autonomie voire une
séparation du Kurdistan de la Turquie,
son entité sera privée des travailleurs
kurdes des villes turques qui
demeureront à l’écart du Kurdistan
préférant se maintenir sur leurs lieux
de travail, le lieu de leur gagne pain.
Dans l’attente d’une définition d’une
claire stratégie, le PKK continue de
mener une guerre ethnique sanglante,
sans la moindre perspective d’avenir.
G –Les Kurdes
d’Irak
Concentrés dans le
Nord du pays, les Kurdes d’Irak ont été
longtemps négligés par le pouvoir
central jusqu’à l’apparition du pétrole
qui modifiera les rapports des forces
dans la zone.
Le flux migratoire
kurde vers les zones pétrolifères de
Kirkouk et de Mossoul pour servir de
main d’oeuvre de l’industrie pétrolière,
modifiera la physionomie de ces deux
villes pétrolières.
Sur les débris de
l’empire ottoman, le Royaume Uni a
instauré un royaume féodal confié à un
souverain sunnite hachémite, le fils de
l’ancien chérif de La Mecque vaincu par
les Wahhabites dans leur conquête de
l’Arabie saoudite. Le Roi, Faysal, sera
flanqué d’un premier ministre Noury
Said, d’origine kurde, mais féal des
britanniques, lorsque les Kurdes ont
commencé à réclamer la reconnaissance de
leurs droits culturels nationaux: «Nous
ne sommes pas Arabes et nous avons une
langue spécifique. Nous voulons faire
usage de notre langue», clamaient-ils à
l’époque.
Le Parti Communiste
Irakien, guidé par des principes
internationalistes, a d’emblée saisi la
légitimité de la revendication des
Kurdes d’Irak, plaidant pour ue
véritable autonomie des zones
kurdophones d’Irak et la reconnaissance
de leurs droits culturels.
Les relations entre
les Kurdes d’Irak et le pouvoir central
étaient satisfaisantes tant que le parti
Baas et le parti communiste irakien
faisaient bon ménage au sein du
gouvernement. Les choses ont commencé à
se dégrader lorsque le Baas a infléchi
brutalement sa politique, versant dans
un nationalisme exacerbé. Un tel
infléchissement s’est répercuté
négativement sur les relations avec les
Kurdes d’Irak, sous la conduite du
Mollah Moustapha Barzani, qui cherchera
alors appui auprès des ennemis de
l’Irak, l’Iran impériale du Chah d’Iran
et Israël.
La connivence israélo-kurde, un secret
de polichinelle
Les relations entre
les Kurdes et le parti Baas ont dégénéré
en conflit ouvert avec son lot de
violences et de persécutions, dont le
paroxysme a atteint sous la présidence
de Saddam Hussein qui n’hésitera pas à
faire usage d’armes chimiques contre la
population kurde.
H- Les Kurdes
d’Iran
Leur situation au
sein de l’empire perse n’était pas
mauvaise du tout, loin s’en faut. A
l’instar des anciens empires, l’empire
perse pratiquait la tolérance à l’égard
des composantes humaines situées sur son
territoire, dans la mesure où elles ne
représentaient aucune menace tant pour
le régime que pour son mode de
reproduction et son mode de
fonctionnement.
Bon nombre de
Kurdes d’Iran se sont convertis au
chiisme, mais les Kurdes iraniens ont
conservé l’usage de leur langue. En
l’absence d’un fanatisme perse, les
choses ont perduré jusqu’à nos jours,
nonobstant le changement de régime
intervenu en 1979 avec la destitution du
Chah et l’avènement de la République
Islamique Iranienne. La question de
l’indépendance d’un Kurdistan iranien ne
s’est ainsi jamais posée.
Epilogue
L’impérialisme
américain a cherché à tirer profit des
contradictions générées par la question
kurde les affectant à la satisfaction de
ses objectifs stratégiques, afin
d’accentuer le démantèlement de la zone
et faire pression sur l’Iran pour
obtenir davantage de concessions de la
part de l’Iran, unique pays de la zone
qqui échappe au contrôle des Etats Unis.
L’Islam politique
est une créature de l’impérialisme
depuis l’empire britannique, du temps où
«le soleil ne se couchait jamais sur
l’empire britannique».
Sur la question kurde, les Etats Unis
ont veillé à accentuer le clivage entre
les Kurdes et les autres nationalités
des pays situés dans leur zone de
déploiement (Turquie, Irak, Iran), en
tirant naturellement profit des erreurs
des gouvernements de la région.
L’impérialisme américain a cherché à
pousser ces contradictions jusqu’à
atteindre un point de non-retour pour
aboutir au constat de l’impossibilité
d’une coexistence des Kurdes et des
autres nationalités sur un pied
d’égalité dans un système démocratique,
plaidant en conséquence pour la
séparation des Kurdes et la constitution
de leur état indépendant.
Syrie-Opposition : Un paravent Kurde à
la tête de l’opposition off-shore 1/2
Irak: L'indépendance du Kurdistan, un
2ème Israël sur le flanc oriental du
Monde arabe
Loin d’être une
théorie du complot, – une accusation
courante pour neutraliser toute critique
à l’égard de la stratégie occidentale-,
il s’agit bel et bien d’une stratégie
élaborée par les forces néo
colonialistes pour rétablir leur
hégémonie sur l’ensemble de la planète.
Le développement du Moyen Orient dans
son ensemble est subordonné à
l’éradication des problèmes nés de
l’Islam politique.
Les forces impérialistes veillent à
maintenir ouvert ce dossier, même après
le soulèvement populaire arabe de 2011,
au prétexte de «préserver l’identité
culturelle et la spécificité des
composantes ethnico-religieuses
persécutées» des pays de la zone.
Pour atteindre cet
objectif, l’impérialisme n’a pas hésité
à planter «l’Etat Islamique en Irak et
en Syrie», dans la zone pétrolifère
kurde dans la région frontalière de
trois pays (Turquie, Irak, Syrie), au
point que sa créature a pu s’échapper du
contrôle de son maître et de dériver
hors de tout contrôle.
Cauda: L’auteur a
rédigé ce texte au terme d’une
discussion approfondie sur ce sujet avec
M. Samir Amine en marge du «Congrès pour
la Paix» organisé à Paris le 1er juin
2016 par le Parti Communiste Français.
Le mérite de ce texte revient donc à
Samir Amine (1938-2018), panafricaniste
et théoricien de l’alter-mondialisme.
Version arabe :
https://docs.google.com/viewerng/viewer?...
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