MADANIYA
Rifa’at Al Assad devant la justice
française :
Un procès biaisé. Un procès
de diversion
à usage exclusif de
l’opinion interne française
René Naba
Vendredi 3 avril 2020
Sauf contretemps,
la justice française devrait rendre en
avril 2020 son verdict concernant M.
Rif’aat Al Assad, ancien vice-président
de la République syrienne, qui a comparu
le 9 décembre devant le tribunal
correctionnel de Paris pour blanchiment
et détournement de fonds publics, à la
suite d’une plainte initiée par
l’association Sherpa (1). Au delà du verdict,
quel qu’il soit, la comparution de
Rif’aat Al Assad, oncle de l’actuel chef
de l’état, le président Bachar Al Assad,
apparaît à bon nombre d’observateurs
comme un procès biaisé; Un procès de
diversion à triple niveau:
- Un procès de
diversion à usage exclusif de
l’opinion interne française.
- Un procès de
diversion sur la trahison des élites
syriennes des idéaux baasistes au
profit des pétrodollars du Golfe,
particulièrement trois caciques du
régime: Rif’aat Al Assad et Abdel
Halim Khaddam, ainsi que Firas
Tlass, fils aîné de l’ancien
ministre de la défense, Moustapha
Tlass.
- Un procès de
diversion sur la trahison des élites
françaises des idéaux de la
République par le rôle calamiteux
assumé par la caste
politico-médiatique dans le désastre
de Syrie.
Démonstration
La première
question, fondamentale, est de savoir
pourquoi un tel procès a lieu en 2020,
alors que l’ancien vice président syrien
séjourne en Europe depuis près de
quarante ans, dont une quinzaine
d’années à Paris et qu’il a déjà défrayé
la chronique. Longtemps résident
parisien, Rif’aat a émigré en Espagne
avant d’opter pour Londres.
La deuxième
question, non moins fondamentale, est la
différence de traitement entre deux
caciques du régime baasiste, désormais
opposants transfuges Rifa’at Al Assad et
Abdel Halim Khaddam, tous deux vice
présidents de la République syrienne
sous la mandature de Hafez Al Assad,
tous deux réfugiés à Paris.
Abdel Halim Khaddam
(88 ans) est décédé, le 31 Mars 2020, à
Paris des suites d’une crise cardiaque.
Mais sa mort ne modifie en rien la
problématique juridique du cas de M.
Rifa’at Al Assad en ce que le procès de
l’oncle du président syrien a eu lieu du
vivant de l’ancien vice président
Khaddam.
Éloigné de Syrie,
évincé de la vie politique, Rifa’at est
zappé depuis belle lurette du paysage
politique syrien, d’autant plus aisément
que lors des dix ans de guerre contre
son propre pays, -dont la Syrie est le
théâtre depuis 2011-, l’oncle du chef de
l’état syrien n’a pas volé au secours de
son neveu Bachar, en pleine tourmente.
Au mépris des règles de la solidarité
clanique, il a même caressé le rêve de
servir de solution de compromis.
Rifa’at Al Assad
traîne certes une sulfureuse réputation
tant par sa sévère répression de la
révolte de Hama, en 1982, que par ses
frasques, que par ses méfaits à la tête
des «Brigades de la défense», les
«Saraya ad Difa’a» ces fameuses
panthères roses identifiables à leur
tenue qui constituaient les troupes de
choc de l’armée syrienne.
Pour aller plus
loin sur la révolte de Hama, cf ce lien:
Hafez Al Assad,
redoutable autocrate, mais à la vie
frugale quasi monacale, était indigné
par la réputation scandaleuse que
traînait Rif’aat, au point de l’exclure
du cercle décisionnaire du pouvoir et de
l’éloigner du pays à la suite d’une
tentative de coup d’état du cadet contre
son aîné.
1 – Le Procès
Rifa’at est un procès biaisé; un procès
de diversion à usage exclusif de
l’opinion interne française.
Un procès par
hologramme du régime baasiste.
Des deux vice
présidents de la République syrienne qui
ont choisi Paris comme lieu d’exil,
l’un, Rif’aat Al Assad, a été la cible
de la justice, alors que l’autre,
pourtant 1er vice président de la
République syrienne en titre, Abdel
Halim Khaddam, a fait l’objet d’une
prodigieuse amnésie, quand bien même il
a été un grand prédateur de l’économie
libanaise du temps de la tutelle
syrienne sur le Liban (1976-2005).
Le procès de
Rif’aat Al Assad (82 ans) est ainsi
apparu comme le procès d’un cadavre
politique destiné à bonifier le palmarès
de la France dans son combat contre la
corruption étatique, en y associant le
nom patronymique du président de la
Syrie, alors qu’elle abrite un transfuge
baasiste, allié des Frères Musulmans de
Syrie, partenaire affairiste du
milliardaire saoudo libanaise Rafic
Hariri, mais curieusement épargné par
les foudres de la justice.
Le fait de sortir
de la naphtaline un personnage en état
de putréfaction politique avancée pour
faire le procès par hologramme du régime
baasiste relève d’une grossière manœuvre
de diversion, démagogique. Les biens
saisis serviront-ils à dédommager la
Syrie des dégâts infligés par la France
ou au contraire à dédommager la France
des dépenses inconsidérées engagées dans
la destruction de la Syrie, à l’exemple
du schéma emprunté par les Occidentaux
en ce qui concerne la Libye?.
Parent par alliance
avec le Roi Abdallah d’Arabie, Rifa’at
doit une part de sa fortune au monarque
saoudien. Il passe en outre pour avoir
arrondi ses fins de mois par des
transactions en tous genres.
François Mitterrand
lui avait accordé l’asile politique dans
l’espoir de calmer le président Hafez Al
Assad , ulcéré par le soutien accordé
par la France à son rival baasiste
irakien Saddam Hussein dans sa guerre
contre l’Iran, de même qu’à son soutien
au Liban, au président phalangiste Amine
Gemayel, allié d’Israël.
2 – Un procès de
diversion sur la trahison des élites
syriennes des idéaux baasistes au profit
des pétrodollars du golfe
particulièrement Rif’aat Al Assad, Abdel
Halim Khaddam, Firas Tlass.
A -Abdel Halim
Khaddam
Que l’un de ces
accusateurs soit Abdel Halim Khaddam
paraît quelque peu pathétique.
Pro consul de la
Syrie au Liban, durant la guerre
incivile libanaise (1975-1990), celui
qui présentait un courant nationaliste
et laïc du Monde arabe s’appliquera,
durant son mandat libanais, non à
promouvoir les idéaux du progressisme,
du socialisme et de la laïcité dans un
pays gangréné par le confessionnalisme,
mais à consacrer l’affairisme sunnite
tant en Syrie qu’au Liban, via son
alliance avec le chef du clan saoudo
américain au Liban, le milliardaire
saoudo libanais Rafic Hariri, et son
féal féodal, Walid Joumblatt, le chef
druze du Parti Socialiste progressiste
(PSP).
Grand dignitaire du
régime baasiste sous la mandature
présidentielle de Hafez Al Assad
(1970-2000), Abdel Halim Khaddam est,
chronologiquement, un précurseur: le
premier dans l‘ordre de la trahison en
Syrie, anticipant de six ans le grand
basculement vers le mercenariat
pétromonarchique de la cohorte des
pseudo intellectuels syriens supplétifs
avérés des équipées islamo-atlantistes
contre leur patrie d’origine.
Son forfait
accompli, le fossoyeur du «printemps de
Damas» en 2001 qui redoutait une
évolution de la Syrie selon le schéma de
Boris Eltsine en Russie, vit en exil à
Paris depuis près de vingt ans. Dans ce
qui apparaît comme une juste rétribution
de ses prestations, il réside depuis
2011 à l’avenue Foch dans l’ancienne
résidence du richissime armateur grec,
Aristote Onassis, sans être nullement
inquiété, sur ce bien…. bien ou mal
acquis?
Pis, Abdel Halim
Khaddam a même été soupçonné d’avoir
trempé dans la conjuration visant à
liquider son bienfaiteur, tant sont
légendaires sa fourberie et sa cupidité.
Le journaliste
Richard Labévière, à l’expertise
reconnue sur le Moyen Orient, soutient
que Rafic Hariri, «l’ami de Jacques
Chirac avait été vraisemblablement tué
par des Syriens, certes, mais pas par
ceux que l’on croit».
«A la mort d’Hafez
al-Assad, Abdel Halim Khadam est devenu
président par intérim du 10 juin au 17
juillet 2000, puis vice-président avant
de faire brusquement défection et de
s’installer avec sa famille à Paris.
Plusieurs sources
autorisées soupçonnent ce grand
dignitaire sunnite d’avoir préparé un
coup d’État contre Bachar avec l’aide de
Ghazi Kanaan et de plusieurs généraux de
l’armée syrienne…«Avec l’appui de
plusieurs services étrangers, ce cercle
pro-saoudien aurait monté l’assassinat
de Rafic Hariri, persuadé qu’un tel
événement permettrait le renversement de
Bachar al-Assad et leur prise de
pouvoir», écrit Richard Labévière.
B - Firas Tlass
Quant à Firas
Tlass, le fils aîné de l’ancien ministre
inamovible de la Défense de Syrie
pendant quarante ans, est passé à la
postérité pour son rôle d’intermédiaire
dans l’affaire dite du financement de
Daech par la firme Holcim Lafarge. Le
récit de cette ténébreuse affaire est
sur ce lien.
3 – Diversion
sur la trahison des élites françaises
des idéaux de la République par le rôle
calamiteux de la caste politico
médiatique française dans le désastre de
Syrie.
Chef de file de la
coalition islamo-atlantiste au début de
la guerre de Syrie, en 2011, à la tête
d’un groupe des amis de la Syrie qui
regroupait plus de 120 pays, la France
se retrouve réduite, neuf ans, après au
au rang de «pays affinitaire», aphone,
marginalisée du fait du rôle
particulièrement pernicieux de ses
islamophilistes, des idiots utiles du
terrorisme islamique.
Comble du paradoxe,
la France qui a été la principale usine
occidentale à produire des terroristes,
aura été la principal victime du
terrorisme islamiste, selon l’expression
du selon du politologue américain
William Mc Cants.
Non moins
paradoxale –c’est là une singularité
française-, les deux fossoyeurs de la
France en Syrie, les deux plus capés de
la méritocratie française, ayant eu
néanmoins maille à partir avec la
justice de leur pays, -le post gaulliste
Alain Juppé pour son rôle dans les
marchés d’Ile de France, le
néo-socialiste Laurent Fabius, dans
l’affaire du sang contaminé-, trônent
désormais au Conseil Constitutionnel, le
temple de la vertu républicaine,
vraisemblablement sans doute en signe de
reconnaissance pour leur éminente
contribution au naufrage français en
Syrie.
Engagée dans une
sarabande mortifère -Toulouse-Montauban
(2012), Charlie Hebdo, Isère et
Paris-Bataclan en 2015, puis Nice et
Saint-Etienne du Rouvray, banlieue de
Rouen, en 2016, la France aura été
l’unique pays au Monde, paradoxalement,
à avoir donné quitus à l’organisation
terroriste «Jabhat an Nosra», qui «fait
du bon travail en Syrie».
Pour aller plus
loin sur ce sujet,
La France qui a
déjà perdu durablement la Syrie, est
entrain de perdre le Liban. A-t-elle
voulu donner des gages au président
Bachar Al Assad en condamnant une ancien
brebis galeuse du régime baasiste, qui
plus est membre de sa coterie familiale?
Cf à ce propos
Un tel geste
suffirait-il à calmer les aigreurs du
pouvoir baasiste, alors qu’il parachève
la reconquête de la quasi totalité du
territoire national, animé d’un
sentiment de victoire face à un pays
désormais déconsidéré par son désastre
syrien, la France, doublement
responsable tant de l’amputation de la
Syrie au XX ème siècle, par rattachement
du district d’Alexandrette à la Turquie,
que de la destruction de ce pays
anciennement sous son mandat par la
curée djihadiste qu’il a encouragée au
XXI me siècle ?.
Quel fieffé service
a pu rendre à la France M. Abdel Halim
Khaddam pour bénéficier d’une telle
mansuétude? Est-ce son partenariat
affairiste avec Rafic Hariri le
milliardaire libano-saoudien, l’ancien
premier ministre libanais et grand
pourvoyeur de bienfaits à la France? Ou
son alliance avec les Frères Musulmans,
le paravent à l’intervention de l’Otan
contre la Syrie?
Sur le
partenariat entre Jacques Chirac et
Rafic Hariri, cf ce lien
Le salaire d’un
ministre syrien dans le dernier quart du
XX me siècle, même bonifié de primes et
autres indemnités de fonction n’excédait
pas les 10.000 livres syriennes, soit
l’équivalent de 2.000 euros. Une telle
somme, modique, ne saurait justifier la
location de l’Opéra Garnier pour le
mariage de sa petite fille, une soirée
qui a coûté la somme de 5 millions de
dollars, ni permettre l’acquisition de
la résidence Onassis sur la prestigieuse
avenue Foch à Paris, d’une valeur de
plusieurs dizaines de millions d’euros.
Cf; le lien du
fastueux et surréaliste mariage de la
petite fille d’Abdel Halim Khaddam à
l’0péra de Paris (Palais Garnier), en
novembre 2017, aux frais des
contribuables libanais et syriens qu’il
a outrageusement ponctionné; indice des
graves préoccupations sociales de ce
grand humaniste protégé de la France.
De telles
extravagances devraient inciter le
parquet financier à témoigner de
l’intérêt pour ce nouveau rentier
syrien, dont l’étalage paraît quelque
peu impudique face aux malheurs de son
pays.
Une justice
sélective favorise-t-elle la cause de la
lutte contre la corruption étatique? De
la transparence financière
internationale? De la moralité publique?
De l’exemplarité de la justice?
Le fait de
condamner un membre de la famille Assad,
quand bien même désavoué par le clan, et
d’épargner, dans le même temps, un des
grands conspirateurs de la guerre contre
le président de son pays d’origine,
favorisera-t-elle un rapprochement entre
Paris et Damas ou au contraire
accentuera la suspicion de la Syrie vis
à vis la France en ce qu’une telle
disparité de traitement entre deux
anciens caciques du régime baasiste
nourrirait le procès de la duplicité
française?.
Il est à craindre
que le désastre de Syrie n’ait des
effets comparables que la désastreuse
expédition de Suez, en 1956, contre le
président égyptien Gamal Abdel Nasser:
Une rupture complète et totale des
relations entre la France et l’Égypte
pendant une décennie, offrant à l’Union
soviétique l’occasion de combler le
vide.
Dans le cas de la
Syrie, la Russie, la Chine et l’Iran
trois bêtes noires de l’Occident, déjà
sur place, seront difficilement
déracinables d’un pays qui fut un des
points d’ancrage de l’influence
française au Levant.
Dans cette
perspective, le procès Rifa’at Al Assad
par la France aura été finalement
l’ultime baroud d’honneur d’un pays
signant symptomatiquement la fin d’une
époque… la fin d’une certaine forme de
présence française en Orient.
Notes
1 – L’ordonnance de
renvoi répertorie notamment deux hôtels
particuliers dans les beaux quartiers de
Paris et un château trônant dans un
domaine de 45 hectares dans le
Val-d’Oise, le tout pour une valeur
estimée à 90 millions d’euros.
L’ancien chef des
forces d’élite de la sécurité intérieure
syrienne ne détient pas ces biens
directement, pour la plupart, mais via
des sociétés offshore siégeant à
Curaçao, dans les Caraïbes, ou au
Luxembourg.
Toujours selon les
enquêteurs, la famille al Assad s’est
taillé un empire immobilier plus
impressionnant encore en Espagne, où ses
centaines de propriétés sont évaluées à
691 millions d’euros, et fut
propriétaire de la deuxième plus vaste
résidence privée de Londres, derrière
Buckingham Palace.
Illustration
Rifaat al-Assad fut
contraint à l’exil en 1984 après un coup
d’état manqué contre son frère Hafez al-Assad,
père de l’actuel président Bachar al-Assad
– ici, à Paris. Michel Euler / AP
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