MADANIYA
Hispaniland, un rôle galvanisateur dans
la dynamique contestataire de l’ordre
mondial
René Naba
Mardi 1er septembre 2015
Ernesto Che Guevara de La Serna, 48 ans
après… In Memoriam.
Principal pourvoyeur des figures
mythiques de la mystique révolutionnaire
du monde contemporain
De Sitting Bull, à Pancho Villa, à
Emiliano Zapata, à Simon Bolivar, au
commandante Ernesto Che Guevara de La
Serna, au sous commandante Marcos
(Mexique), au président Arbenz Guzmann
(Guatemala), premier président de
l’après 2me Guerre mondiale à être
destitué par l’armée américaine en 1954,
à son lointain successeur Salvador
Allende (Chili), qui connaîtra une fin
tragique vingt ans plus tard, en 1973, à
Fidel Castro (Cuba), Lula (Brésil), Hugo
Chavez (Venezuela) et Evo Morales
(Bolivie), le continent latino-américain
est l’un des principaux pourvoyeurs des
figures mythiques de la mystique
révolutionnaire du monde contemporain.
La mythologie révolutionnaire ne
constitue pas son legs exclusif à
l’humanité. Ses combats contre les «
conquistadors » espagnols d’abord,
contre les « gringo s» nord américains
ensuite, son rôle traditionnel de
principal foyer de contestation dans la
sphère de la civilisation occidentale,
confèrent à l’hémisphère sud du
continent américain une place de choix
dans l’imaginaire collectif des peuples
et un rôle galvanisateur dans la
dynamique contestataire de l’ordre
mondial.
Ce rôle est d’ailleurs amplifié par
un incomparable positionnement
géostratégique constitué par un bloc
cimenté par une continuité territoriale
et une homogénéité culturelle et
linguistique de près de 500 millions de
personnes répartis sur 20 pays, rarement
égalé sur les autres continents, à la
jonction de deux voies majeures des
communications maritimes internationales
(Océan Atlantique et Océan Pacifique),
ainsi que par une langue de
communication planétaire, la langue
espagnole qui se classe en 4eme position
au classement mondial linguistique, avec
600 millions de locuteurs, juste
derrière le chinois, le hindi et
l’anglais, devant l’arabe 300 millions
(6me position) et loin devant le
français (12me position) avec 200
millions de francophones.
Sa projection démographique aux
États-Unis c’est-à-dire au cœur du
principal centre de production des
richesses et des valeurs de l’époque
contemporaine, avec la présence d’une
population hispanophone de près de 40
millions de personnes, équivalent à 12,5
pour cent de la population des
États-Unis, accentue l’importance de ce
déploiement dont l’importance va
s’amplifier tout au long du XXI me
siècle.
Dans cet hémisphère sud, point n’est
question de guerre entre l’Islam et
l’Occident ou de « choc des
civilisations ». Les « Latinos »
appartiennent à la sphère de la
civilisation occidentale, mais, à
contre-courant de leurs congénères, le
12 octobre 1492, ne marque pas pour eux,
ou tout au moins pour leur écrasante
majorité, la découverte du nouveau
monde, tant célébré partout ailleurs en
Europe et en Amérique du Nord, mais le
début de près de six siècles de
dépossession et d’asservissement. De
combat aussi pour une réappropriation de
la personnalité autochtone, fondement
authentique de la personnalité
américaine.
La théorie de la Libération
Au plus fort de la guerre froide
soviéto-américaine (1945-1990), alors
que la religion était instrumentalisée
par les États-Unis comme arme de combat
contre l’athéisme marxiste, notamment
dans les pays arabes et musulmans,
l’Amérique latine forgera un concept
novateur « la théorie de libération »
pour justifier au nom de cette même
religion le combat contre l’hégémonie
nord américaine.
Nullement anodine, l’expression
renvoyait au christianisme des cavernes
des premiers temps de la chrétienté, à
l’époque où les disciples du Christ
prônaient l’insurrection contre
l’idolâtrie, le paganisme, la veulerie
et la vilenie.
Que des prêtres aient pu prôner une «
Théologie de la Libération » vingt
siècles après l’avènement du
Christianisme, sur l’une des terres
d’élection de la chrétienté, l’Amérique
Latine, donne la mesure des frustrations
accumulées et des injustices infligées à
travers le temps par les ravages d’un
capitalisme effréné.
Mais ce mot d’ordre révolutionnaire, qui
ne manque d’ambition ni pour ses
auteurs, ni pour leur projet, va
retentir dans le contexte exacerbé de la
guerre froide soviéto-américaine, comme
un mot d’ordre subversif pour les
tenants de l’ordre établi, que cela soit
au sein de la hiérarchie cléricale ou
parmi les latifundiaires et leurs alliés
les dirigeants des conglomérats
américains de l’industrie
agro-alimentaire « United Fruit », de
l’industrie minière « Anaconda » ou des
télécommunications IIT (International
Telephone and Telegraph), qu’ils
combattront comme tel.
L’affrontement tout au long de la
deuxième moitié du XXme siècle sera sans
répit, ni merci. Tous les grands pays
seront en proie à la déstabilisation.
Les dictatures militaires, souvent
installées en sous-main par la CIA, la
centrale américaine du renseignement,
noieront dans le sang toute velléité
revendicatrice.
Du Guatemala (1954), au Nicaragua
(1980), en passant par le Brésil (1964),
la Bolivie (1967), le Chili (1973), et
l’Argentine, toutes passeront à la
postérité pour leur macabre bilan.
Le plan Condor
Le plus élaboré des plans concertés
de répression collective, Le plan Condor
de sinistre mémoire, offre l’édifiant
bilan suivant : De 1975 à 1983, de la
chute de Saigon, bastion de la présence
militaire américaine en Asie, au
démantèlement du sanctuaire palestinien
à Beyrouth, la vaste et impitoyable
chasse aux opposants aux dictatures
latino-américaines lancée sur l’ensemble
du Cône sud à l’instigation du
secrétaire d’état Henry Kissinger, avec
la collaboration des dictateurs du
Paraguay, Alfredo Stroessner, et du
Chili, Augusto Pinochet., fera plusieurs
dizaines de milliers de victimes dans
six pays d’Amérique latine : Argentine
(30.000), Bolivie (350), Brésil (288),
Chili (3.000), Paraguay (2.000) et
Uruguay (178).
La répression n’épargnera pas non
plus le clergé catholique : à l’image de
leurs émules politiques dont les figures
emblématiques peuplent encore de nos
jours l’imaginaire collectif universel,
l’Amérique latine a aussi produit des
figures mythiques dans l’ordre
religieux, de véritables icônes modernes
du continent, tels Camillo Torres, le
prêtre colombien, -l’ami de l’Abbé
Pierre, parrain des déshérités
français-, l’animateur du « Frente Unido
», qui demandera sa réduction à l’état
laïc en 1964 pour s’engager dans la
lutte armée et qui mourra les armes à la
main, en 1966, à quarante ans, un âge
sensiblement voisin de celui du Christ.
Une autre figure mythique du clergé
militant a été Don Helder Camara,
Archevêque de Recife, « l’évêque rouge »
des bidonvilles et de la Banque de la
Providence, animateur du mouvement «
action justice et paix » et pourfendeur
de la course aux armements ou encore le
père Rutilo Grande, tué le 12 mars 1977
par un mystérieux escadron de la mort
l’année de l’intronisation de son ami,
Mgr Oscar Roméro, l’archevêque de San
Salvador, qu’ils assassineront trois ans
plus tard.
La chasse aux prêtres-guerilleros
débordera même de dix ans la période du
plan Condor tant la religion peut
paraître corrosive aux yeux d’une
population croyante.
Pour la période 1966-1992, le
martyrologe chrétien est impressionnant
: quatre évêques, 85 prêtres, 19
religieuses catholiques, 10 religieuses
non prêtres, 9 pasteurs et 150 laïcs
membres en vue du mouvement catholique
et coopérants étrangers dans un cadre
diocésain ont été tués en Amérique
latine pour motif politique. A cette
liste s’ajoute le guatémaltèque Juan
Gerardi, tué en 1998. Ce bilan ne
comptabilise toutefois pas les prêtres
guérilleros tués au combat CamilloTorres
(1966), Domingo Lain (1974) en Colombie
et Gaspar Garcia Laviana (1978) au
Nicaragua.
Plusieurs théologiens de renom ont
été, par ailleurs, réduits au silence :
Hans Kung (Suisse) Curran (États-Unis),
Schillebeeck (Pays bas) et Pohier
(France). Le destin singulier d’un de
ses théologiens illustre de manière
tragique le drame de l’Église
latino-américaine : promis à une belle
carrière Leonardo Boff, ce prêtre
brésilien franciscain, professeur
d’Université, élève du Cardinal Joseph
Ratzinger, ancien préfet de la
congrégation de la doctrine et de la
foi, qui succédera au Pape Jean Paul II
sous le nom de Benoît XVI, sera condamné
à un « silence déférent » le 26 avril
1985, interdit de parole et d’écriture,
une condamnation qui équivaut pour un
théologien à une mort civile.
Stoïques dans l’adversité, mais en
cohérence avec leur éthique de vie, ces
théologiens et guérilleros auront fait
la démonstration que la foi n’est pas
incompatible avec la justice. Par leur
exemple, ils auront aussi préservé le
message chrétien d‘une « église des
pauvres », déblayant le passage à leurs
successeurs laïcs.
La génération de la relève : Hugo
Chavez, Lula, Evo Morales
Alors que la mondialisation et la
privatisation gangrène les esprits de
ses bienfaits, la génération de la
relève politique, notamment le bolivien
Evo Morales, procéderont à leur
tour,vingt ans plus tard, à une
révolution dans l’ordre sémantique,
remettant en vigueur la nationalisation
des richesses nationales, un terme rayé
du lexique politique depuis la fin de la
guerre froide et le triomphe de la libre
entreprise du capitalisme financier.
À la faveur des élections qui se sont
déroulées à l’amorce du XXIme siècle,
l’Amérique latine offre désormais une
alternative démocratique à l’ordre
américain dans ses deux variantes :
- la variante réformiste
représentée par le brésilien Lulla
soutenu par une survivante du régime
dictatorial de Pinochet, la
chilienne Michele Bachelet, la
propre fille d’un des principaux
collaborateurs de Salvador Allende.
- la variante radicale, animée par
les héritiers présomptifs du
patriarche cubain Fidel Castro, Hugo
Chavez (Venezuela) et Evo Morales
(Bolivie).
La rivalité est vive entre les deux
ailes du renouveau : Le Brésil, le
plus important pays d’Amérique
latine avec une population de près
de 250 millions d’habitants, soit
autant que tous les pays arabes
réunis, se veut le moteur du
renouveau humaniste et démocratique
du sous-continent.
Outre qu’il abrite le forum de
Porto-Allegre, lieu de concertation
annuel du mouvement altermondialiste qui
se tient parallèlement au colloque de
Davos, -qui réunit en février en Suisse
des grands patrons des grandes
entreprises occidentales-, le Brésil
s’emploie avec l’aide de l’Inde et
l’Afrique du sud (BIAS) à mettre sur
pied une structure parallèle au forum
des puissances industrielles de monde
occidental (G7) en vue de peser au nom
du tiers monde sur la scène
internationale.
Le Venezuela vise, lui, à constituer
un noyau militant au sein de l’OPEP,
l’organisation des pays exportateurs de
pétrole, par une alliance stratégique
avec l’Iran Téhéran et Caracas ont
d’ores et déjà conclu en juin 2006 une
dizaine d’accord de partenariat d’une
valeur de 9 milliards de dollars pour le
financement de 125 projets et Washington
soupçonne l’Iran de vouloir faire du
Venezuela sa tête de pont commerciale en
Amérique du sud. Le Venezuela devrait
occuper en octobre 2006 le siège
tournant attribué à l’Amérique latine au
Conseil de sécurité, une période marquée
par les élections à mi-mandat aux
États-Unis et les échéances
diplomatiques relatives au nucléaire
nord-coréen et iranien. Pour contourner
le veto américain, Hugo Chavez a veillé
ses derniers temps a ménagé le géant
brésilien. Il vient ainsi de rallier le
Mercosur, se démarquant ainsi
spectaculairement de son allié bolivien
Evo Morales.
Le marché commun de l’Amérique du
Sud, le MERCOSUR, regroupe l’Argentine,
le Brésil, le Paraguay et l’Uruguay.
L’adhésion du Venezuela, huitième
producteur et cinquième exportateur
mondial de pétrole, fait du Mercosur un
bloc commercial représentant désormais
75 % du produit intérieur brut
sud-américain d’un marché de 250
millions de personnes.
Bête noire des États-Unis dont il
veut contrecarrer le projet d’une zone
de libre-échange à l’échelle
continentale, Hugo Chavez a cherché à «
politiser » ce groupement économique.
Dans cette perspective, il a claqué la
porte de la Communauté Andine des
Nations (CAN), bloc commercial
regroupant en outre la Bolivie, la
Colombie, l’Équateur et le Pérou.
Le président Chavez reprochait à
Bogota et Lima d’avoir conclu un accord
de libre-échange avec Washington. Son
ralliement au Mercosur portait le risque
de fragiliser son allié idéologique Evo
Morales, qu’il laissait ainsi isolé face
aux états droitiers de Pérou et de la
Colombie.
Au-delà des rivalités, des manœuvres
diplomatiques et des luttes pour le
leadership régional, force est de
constater que l’Amérique latine, dans
ses deux variantes réformiste et
radicale, est partie pleinement prenante
au débat pour la reconfiguration
géo-économique de la planète à l’ombre
de la mondialisation impulsée par la
puissance américaine.
Portée par le virage à gauche de
l’Amérique latine, Cuba est sortie ainsi
progressivement de son isolement malgré
un blocus américain de cinquante ans, le
plus long de l’époque moderne, et la
présence militaire américaine sur le sol
de l’île à la base de Guantánamo, de
sinistre réputation.
Sauf accident, qui a interrompu
brutalement son mandat, le Lider Maximo,
à 86 ans, le même âge que la Reine
d’Angleterre mais au parcours
sensiblement différent, l’un des plus
célèbres rescapés politique de
l’histoire contemporaine, a ainsi cédé
sereinement le pouvoir en 2009 à
l’occasion du cinquantenaire de la
révolution cubaine.
Par un spectaculaire rétablissement,
le doyen absolu des contestataires de
l’ordre américain est désormais assuré
d’avoir marqué l’histoire de son pays
par une capacité de survie politique
sans pareille, malgré toutes les
opérations de déstabilisation de son
puissant voisin. L’arrivée au pouvoir de
la génération de la relève politique
apparaît ainsi comme l’ultime camouflet
infligé à l’hégémonie américaine par
l’ancien barbudos de la Sierra Maestra,
en dépit des erreurs et des excès de son
régime.
La revanche de tous les suppliciés de
la répression américaine de Che Guevara
à Salvadore Allende à Camillo Torres.
Clin d’oeil de l’histoire, Cuba et
l’Iran, tous deux absents de la
Conférence de Bandoeng fondatrice du
Mouvement des Non Alignés en 1955, le
latino du fait du dictateur Fulgencio
Batista, le chiite du fait de la
dynastie impériale Pahlévi, ont signé en
2015 le retour par la grande porte sur
la scène internationale du fait d’une
cour assidu américaine ; indice
irréfutable de leur volonté inoxydable
dans leur combat contre l’impérialisme.
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