Vu du Droit
Aéroport de Toulouse : arrangements
entre amis
Régis de Castelnau
Lundi 29 avril 2019
J’ai publié il y
a quelques jours
une interview de mon confrère Christophe
Lèguevaques qui a obtenu
devant la cour administrative d’appel de
Paris, l’annulation de la procédure de
privatisation de la société
d’exploitation de l’aéroport de Toulouse–Blagnac. Atlantico m’a
demandé un certain nombre d’explications
supplémentaires notamment en ce qui
concerne le problème de compétence pour
annuler le contrat lui-même puisque le
contrôle de la cour administrative
d’appel ne pouvait porter que sur la
procédure de choix du consortium chinois
par Emmanuel Macron. Ils ont également
souhaité connaître les éventuelles
conséquences en termes de responsabilité
pour l’ancien ministre de l’économie.
Direction le juge pénal ?
On retrouvera mes réponses
ci-dessous.
Régis de
Castelnau
LA VILLE EN ROSE ?
Privatisation de l’aéroport de Toulouse
Blagnac : petits arrangements avec la
loi entre amis macroniens
La cour
administrative d’appel de Paris a annulé
le 16 avril dernier la privatisation de
l’aéroport de Toulouse. Mais la
juridiction administrative ne peut pas
prononcer la nullité du contrat, même si
celui-ci a été signé dans d’étranges
conditions…
Atlantico : La
cour administrative d’appel de Paris a
annulé le 16 avril dernier la
privatisation de l’aéroport de Toulouse.
Concrètement quelle est la suite des
événements considérant que la cour a
décidé de se limiter à la seule question
du cahier des charges ?
Régis de
Castelnau : Il convient tout d’abord
de rappeler pourquoi la cour
administrative d’appel de Paris a décidé
d’annuler la procédure ayant abouti au
choix du consortium chinois CASIL pour
la vente des actions de l’État dans la
société qui gérait l’aéroport de
Toulouse–Blagnac.
Initiée au départ
par Arnaud Montebourg alors ministre de
l’économie, cette procédure devait
permettre de privatiser cet équipement
important. Reprise ensuite par Emmanuel
Macron elle a été organisée par un appel
à la concurrence et sur la base d’un
cahier des charges tout à fait précis
qui fixait les règles concernant la
soumission de leur candidature par les
opérateurs privés intéressés. Sous cette
forme cette procédure était une
première, Bercy chargé du pilotage a
rédigé un cahier des charges par lequel
le maître d’ouvrage (en l’occurrence
l’État) déterminait les critères et le
déroulement devant aboutir au choix. Les
deux critères de sélection les plus
importants exigés des candidats étaient
la surface financière, et la capacité
technique de gérer un aéroport de cette
taille. Rappelons qu’il s’agit du 4e
aéroport français avec 7 millions de
passagers en 2014. Par conséquent ce que
l’on appelle l’intuitu personnae du
lauréat est l’un des éléments
déterminants du dossier. La société
choisie devait donc proposer une offre
financière profitable, avoir les
capacités d’y faire face et être capable
professionnellement de gérer un tel
équipement. C’est la raison pour
laquelle pour ce genre d’opération, ce
sont des groupements d’entreprises qui
soumissionnent. Les services de Bercy
avaient mis en place un mécanisme en
plusieurs étapes. À chacune de l’une
d’entre elles, des candidats étaient
retenus pour la suite alors que d’autres
étaient exclus. Il était bien évidemment
interdit aux candidats de changer leur
équipe en cours de procédure. Et c’est
pourtant ce qui s’est passé !
En septembre 2014,
l’offre d’un consortium sino-canadien
est déclarée recevable. Des sociétés
chinoises SHANDONG HIGH SPEED et FREEMAN
PACIFIC apportant la surface financière.
Et la multinationale canadienne SNC
LAVALLIN, à la compétence aéroportuaire
incontestable puisque cette société gère
déjà une quinzaine d’aéroport régionaux
en France. Sur le papier, l’offre
apparaissait sérieuse. Catastrophe en
octobre, la BANQUE MONDIALE décide de
placer la SNC LAVALLIN sur sa liste
noire pour des faits avérés de
corruption, notamment en Libye.
L’affaire continue encore aujourd’hui et
éclabousse le premier ministre canadien,
Justin Trudeau, qui serait intervenu
pour éviter des poursuites. Bref, la SNC
LAVALLIN devenant infréquentable dû se
retirer en cours de procédure. L’offre
initiale devenait donc irrecevable, et
la lecture du cahier des charges
démontre, que le maintien du consortium
chinois dans la procédure n’était pas
possible. Plus de capacité technique
avérée, la proposition devenait une
simple offre financière portée par des
spéculateurs n’ayant aucun projet
industriel. Malgré cela, Emmanuel Macron
a non seulement accepté cette
participation irrégulière mais c’est ce
candidat pourtant juridiquement
disqualifié qui a été choisi ! Dans
cette affaire, avec la rédaction du
cahier des charges la puissance publique
a défini des règles pour ensuite
tranquillement les violer.
Toute une série de
requérants, élus, riverains,
associations, parti politiques et
surtout syndicats ont chargé mon
confrère Christophe Leguevaques de
saisir la juridiction administrative. De
ce que l’on appelle un recours pour
excès de pouvoir contre la décision du
ministre. Dans le cadre de ses
compétences qu’elle a constatées qu’en
raison de cette grossière violation, la
décision d’Emmanuel Macron de choisir le
consortium CASIL était illégale. Du fait
de cette annulation, la décision de
choisir la société chinoise par le
ministre de l’économie de l’époque est
censée n’avoir jamais existé. Par
conséquent le contrat de cession et le
pacte d’actionnaires ont été signés du
côté de l’État français par une autorité
incompétente.
Le problème est que
les pouvoirs de la juridiction
administrative s’arrêtent au contrôle de
la légalité du choix de l’opérateur
privé. Elle ne peut pas prononcer la
nullité du contrat car celui-ci est un
contrat de droit privé dont
l’appréciation relève des juridictions
judiciaires, en l’occurrence du tribunal
de commerce. C’est celui-ci qui devra
tirer les conséquences de l’incompétence
d’Emmanuel Macron au moment de la
signature de l’acte de cession des
actions avec le consortium. S’il s’était
agi d’un contrat public comme par
exemple une délégation de service public
de distribution d’eau potable, la
juridiction administrative aurait été
compétente pour prononcer la nullité du
contrat. Mais la cession d’actions qui a
matérialisé la privatisation est un
contrat privé.
Il faut être clair,
sur le plan tant du respect du droit que
celui de la simple morale, cette
privatisation illégale devrait être
annulée dans tous ses aspects par la
juridiction commerciale.
Atlantico : Le
fait que les Chinois ont décidé de
reverser 100% des résultats de
l’aéroport aux actionnaires et ont
annoncé leur volonté de vendre leur part
ne risque pas de ressurgir sur Emmanuel
Macron considérant qu’il avait validé le
pacte d’actionnaires au moment où il
était ministre de l’Economie ?
Régis de
Castelnau : Le comportement
d’Emmanuel Macron dans toute cette
affaire est quand même assez étrange. On
commencera par rappeler les difficultés
à obtenir les documents essentiels dont
il refusait la communication, les
prétendants frappés de secret ! Il y
avait notamment un incroyable pacte
d’actionnaires révélé par le journaliste
Laurent Mauduit par lequel l’Etat
acceptait de se lier les mains avec
l’opérateur privé, pour une durée de 12
ans sans contrepartie ! Ensuite, avec le
retrait de SNC-LAVALLIN, la proposition
chinoise était une simple offre
financière portée par des spéculateurs
n’ayant aucun projet industriel. Comme
la suite l’a parfaitement démontré,
aucun des investissements prévus n’a été
engagé, et le conseil d’administration
de la société exploitante de l’aéroport
a systématiquement distribué sous forme
de dividendes les profits réalisés, une
délibération récente allant jusqu’à
décider que tous les bénéfices réalisés
seront distribués sous forme de
dividendes et ce pendant cinq ans ! Et
l’on apprend que quatre ans après son
acquisition et les promesses de
développement, le consortium vient de
mettre en vente son acquisition toute
récente en réclamant une plus-value de
200 millions d’euros. Tout ceci commence
à ressembler à du brigandage.
Le problème est que
la décision prise par Emmanuel Macron
était illégale pour n’avoir pas respecté
les règles du cahier des charges. Et que
c’est précisément cette violation qui a
permis de remettre les actions de l’État
dans la société aéroport de
Toulouse-Blagnac au consortium chinois
qui n’aurait jamais dû les recevoir.
C’est ce que vient de décider le juge
administratif. Donc si l’on comprend
bien, es-qualité de ministre de
l’économie Emmanuel Macron s’est vu
remettre des biens de l’État, à savoir
des actions pour qu’il les cède à un
acheteur choisi après une procédure
régulière. Ce qu’à l’évidence, il n’a
pas fait, pour les avoir cédées à
quelqu’un qui ne devait et ne pouvait
pas en devenir propriétaire. En bon
français, cela s’appelle un détournement
de biens publics. Très lourdement
sanctionné par le Code pénal.
Car que nous dit
son article 432–15: «Le fait, par une
personne dépositaire de l’autorité
publique ou chargée d’une mission de
service public, un comptable public, un
dépositaire public ou l’un de ses
subordonnés, de détruire, détourner ou
soustraire un acte ou un titre, ou des
fonds publics ou privés, ou effets,
pièces ou titres en tenant lieu, ou tout
autre objet qui lui a été remis en
raison de ses fonctions ou de sa
mission, est puni de dix ans
d’emprisonnement et d’une amende de 1
000 000 €, dont le montant peut être
porté au double du produit de
l’infraction. »
Le ministre de
l’économie Emmanuel Macron était une
personne dépositaire de l’autorité
publique, et il semble bien quecédant
illégalement des actions au consortium
Casil, il encourt le reproche d’avoir
détourné des titres qui lui avaient été
remis en raison de ses fonctions.
Pour l’instant,
président de la république, Emmanuel
Macron est protégé par l’immunité
présidentielle. Personne ne pourra aller
le chercher…
Atlantico :
Quelle conséquence cette décision
administrative pourrait avoir pour
d’autres aéroports comme le cas d’ADP ?
Régis de
Castelnau : Il y a d’abord la
question politique, cette privatisation
ayant provoqué une levée de boucliers et
diverses initiatives juridiques. Le
précédent d’aéroport de Toulouse jette
un éclairage particulièrement trouble
sur certaines pratiques et amène à être
légitimement inquiet sur ce qui va se
produire. La procédure décidée est
particulièrement opaque et l’expérience
toulousaine a montré de la part des
services de Bercy, une singulière
absence de scrupules.
Si la loi PACTE est
validée par le conseil constitutionnel
et qu’il est procédé à la privatisation
d’ADP, il y aura fort probablement des
procédures judiciaires postérieures
comme cela a été le cas pour Toulouse.
La singularité est qu’ici il y a la
procédure de Référendum d’Initiative
Partagée, initiée par l’opposition cette
fois-ci réunie, mais ce serait une
grande première et on peut avoir
quelques appréhensions concernant ses
chances de succès. En revanche le
Conseil constitutionnel pourrait, en
annulant certaines dispositions de la
loi PACTE, récupérer un peu de dignité
en appliquant le préambule de la
Constitution qui fait d’un équipement
comme ADP un bien public inaliénable.
Les gens qui se sont battus pour obtenir
l’annulation de la procédure concernant
l’aéroport de Toulouse sont également à
l’initiative d’une procédure citoyenne
devant le Conseil constitutionnel afin
de venir au soutien de la procédure
lancée par les parlementaires.
Brader les biens de
l’État ne sera pas peut-être pas si
simple.
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