Vu du Droit
François Fillon : sans caractère,
pas de destin
Régis de Castelnau
Lundi 29 avril 2019
Eh bien nous y
voilà enfin ! Les époux Fillon sont renvoyés
en correctionnelle, nouvelle
péripétie procédurale dans un dossier
qui dormait pourtant paisiblement, en
l’absence de toute échéance électorale.
C’est le moment de lire l’ouvrage publié
par Véronique Jacquier et fort justement
intitulé : François
Fillon, l’homme qui ne voulait pas être
président. Fillon, l’homme
des élections
Tout le monde se
souvient du
raid judiciaire contre François Fillon
lancé à quelques semaines du premier
tour de la présidentielle 2017, dont le
déroulement était apparemment destiné à
disqualifier le candidat. Voilà
aujourd’hui que ça recommence, la
justice continuant à appliquer un agenda
qui, à un mois des européennes, n’a
évidemment rien de politique.
Rappelons-nous,
l’affaire avait démarré sur les chapeaux
de roue, à une vitesse sans précédent en
pleine campagne présidentielle –
célérité dont on nous avait dit contre
l’évidence qu’elle était normale et
habituelle. Candidat de la droite
républicaine éliminé, mission accomplie,
Macron élu, l’urgence à instruire et à
alimenter les médias avait disparu. La
justice avait pu ainsi reprendre son
cours paisible.
L’ennui c’est
qu’Emmanuel Macron est aujourd’hui
politiquement en grande difficulté. Il
faut donc tout recommencer. Initiative
accompagnée comme d’habitude par une
violation grossière du secret de
l’instruction, la presse disposant,
avant même les prévenus concernés, de
l’ordonnance de renvoi devant le
tribunal correctionnel. La routine quoi,
sans que cela ne contrarie grand monde.
Un homme « sans
qualité »
La lecture du livre
de Véronique Jacquier, journaliste qui
l’a suivi de 2012 à 2016, est donc à
recommander. Au-delà de la description
de ces péripéties, elle nous permet
d’appréhender la personnalité d’un
homme « sans qualité » mais qui a
pu mener une longue carrière politique.
Qui le verra multiplier les mandats, les
postes de ministre et en particulier
celui du premier d’entre eux, pendant
cinq ans, durée seulement dépassée par
Georges Pompidou sous la Ve République.
Une longue carrière politique qui le
verra remporter triomphalement, et à la
surprise générale, la primaire de la
droite pour voir s’ouvrir devant lui un
boulevard menant à la magistrature
suprême. Posément, Véronique Jacquier,
décrivant le personnage, sa personnalité
que son enquête a permis de saisir, sa
réussite et sa trajectoire formellement
brillante mais terne dans son contenu,
nous démontre trois choses.
D’abord que
François Fillon n’était pas l’animal
politique que sa carrière pouvait
laisser penser. Ensuite qu’il n’était
pas non plus équipé pour le combat
présidentiel comme sa défense
calamiteuse face à l’agression médiatico-judiciaire
du printemps 2017 l’a prouvé. Et enfin
que le système de production des élites
politiques réduit à un affrontement des
egos par la communication ne peut
qu’aboutir à de pareilles erreurs de
casting.
François Macron
et Emmanuel Fillon
Je suis de ceux qui
considèrent que la sincérité du dernier
scrutin présidentiel a été altérée. Et
que deux ans après, on peut mesurer que
le parfait inconnu qui en a bénéficié à
l’époque et accédé à l’Élysée n’avait
pas grand-chose à y faire. Mais, d’une
certaine façon, la lecture du livre de
Véronique Jacquier est troublante en ce
qu’elle nous amène à considérer que
François Fillon, cela n’aurait pas été
terrible non plus.
L’auteur se
reconnaît comme une filloniste initiale,
surprise par le naufrage et qui a
cherché à le comprendre. D’une lecture
agréable, l’ouvrage dresse en fait
plusieurs portraits et en particulier
celui du monde politique dans lequel
s’est déroulée cette forme de tragédie
qui a vu un homme que tout le monde
pensait déjà à l’Élysée exploser,
purement et simplement, en plein vol.
Voilà quelqu’un qui ne se destinait pas
initialement à la politique mais qui a
bénéficié, avec Joël
le Theule – notable à l’ancienne -,
d’un parrain, qui lui a laissé en
héritage l’apanage qu’il avait
constitué.
La pointe basse
du triangle
François Fillon
apparaît comme un homme très orgueilleux
souhaitant vivre dans le luxe, mais ne
disposant pas du caractère qui fait les
grands fauves, celui qui permet de mener
les batailles politiques pour arriver au
sommet. François Fillon n’aime pas se
battre, et c’est la seconde leçon du
livre qui décrit un monde politique
complètement corrodé, où n’existe plus
l’idée d’intérêt national, un monde
réduit à une arène où s’affrontent des
egos finalement très médiocres.
On y voit à l’œuvre
les trois angles du triangle infernal :
Sarkozy, Juppé, Fillon qui a jeté la
droite républicaine dans le précipice.
Car quelle que soit l’origine de
l’avènement d’Emmanuel Macron,
l’effondrement du vieux système, droite
et gauche confondues, n’était pas dans
les prévisions initiales. Et Véronique
Jacquier pose la bonne question : ce qui
est important, ce n’est pas de dire «
qui a tué François Fillon ? » mais «
qu’est-ce qui a tué François Fillon » ?
Introuvable
destin
Véronique Jacquier
n’esquive pas cette question et y répond
clairement. Cependant, François Fillon
était de ce point de vue une cible
facile. Les faits qu’on lui reprochait
révélaient un personnage ayant un
rapport déplaisant à l’argent et sa
défense, qu’elle soit judiciaire,
médiatique ou politique fut calamiteuse.
Le livre en narre les péripéties et le
portrait qui en ressort n’est pas très
reluisant. Et selon la bonne vieille
habitude de la vie politique française,
les médias et ses adversaires, qu’ils
soient des concurrents ou qu’ils émanent
de son camp, ne se sont pas gênés pour
en profiter. Faire de la politique par
juge interposé, c’est chacun son tour,
n’est-ce pas Jean-Luc Mélenchon…
Pour l’auteur, ces
insuffisances étaient le résultat d’un
choix : celui de nourrir son orgueil en
se fixant l’ambition du sommet sans s’en
donner les moyens. Ce qui explique et
justifie parfaitement le titre de son
livre. De Gaulle disait qu’un destin
c’est la rencontre des circonstances et
d’un grand caractère. Minutieuse, voire
implacable, Véronique Jacquier nous
décrit les circonstances et dresse le
portrait d’un François Fillon sans
véritable caractère pour les affronter.
Difficile dans ces
conditions de se construire un destin.
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