Vu du Droit
Mourir dans la dignité ?
Les leçons de
l’affaire Lambert
Régis de Castelnau
Vendredi 24 mai 2019
L’affaire Vincent
Lambert qui agite l’opinion publique
française depuis maintenant six ans
raconte beaucoup de choses sur notre
société. Divisée en des camps
irréconciliables, on découvre sa
difficulté à accepter le tragique de
l’existence humaine et à regarder la
mort en face. Et se tournant une fois de
plus vers l’État pensant qu’il suffisait
de s’en remettre à lui, de promulguer
des lois et de se défausser de la
responsabilité du choix sur les juges. Une famille
déchirée
Car que voit-on à
l’occasion de cette tragédie familiale
dont la société du spectacle s’est
emparée pour nous en proposer, disons-le
une séquence assez obscène ? Depuis plus
de 10 ans Vincent Lambert est dans un
coma irréversible dont les médecins du
CHU qui l’ont en charge considèrent
qu’il est inutile de faire preuve
d’acharnement thérapeutique et son état
n’étant pas susceptible de s’améliorer,
ils ont décidé de mettre en œuvre la
procédure instaurée par la loi dite
Léonetti. Ce texte permet au corps
médical de mettre fin à des traitements
qui ne font que reculer une échéance
mortelle inéluctable et prochaine. Comme
le prévoit la loi, ils l’ont fait en
concertation avec une partie de la
famille, en choisissant comme
interlocuteur principal l’épouse de
Vincent Lambert. En désaccord avec
celle-ci, ses parents ont décidé de
saisir la justice. Démêler clairement
l’écheveau des péripéties judiciaires
est très difficile. On commencera en
essayant simplement d’expliciter le
cadre juridique dans lequel toute cette
affaire se déroule. En 2005 une loi sur
la fin de vie a été adoptée par le
Parlement. Et la question de son
application au cas Lambert s’est donc
posée
Acharnement
thérapeutique ?
Était-il nécessaire
de poursuivre les soins hospitaliers
prodigués à Vincent Lambert ? En
concertation avec la famille du malade
considéré comme en fin de vie, les
médecins devaient décider si les soins
apportés pour la prolonger relevaient
d’un « acharnement
thérapeutique » et d’une « obstination
déraisonnable« . Et s’il fallait par
conséquent les arrêter. Encadrée par la
loi, ce choix prend donc la forme d’une
décision administrative, qui comme
toutes les autres peut être soumise aux
juridictions du même nom, qui ont le
pouvoir souverain d’en apprécier la
légalité et l’opportunité. Celle
d’arrêter les soins prodigués à Vincent
Lambert prise par les médecins du CHU de
Reims, fut contestée par cet partie de
sa famille, qui n’ayant pas été associée
à la procédure prévue par la loi en
refusait le principe. C’est ainsi que
les Tribunaux administratifs, Cours
d’appel, et Conseil d’État ont eu à se
prononcer. Aux voies de droit prévues
par le Code de justice administrative
les parents de Vincent Lambert ont
ajouté à plusieurs reprises des recours
devant la Cour Européenne des Droits de
l’Homme. Et ce dans le but de faire
déclarer par cette juridiction, le
dispositif normatif français (la loi
Léonetti) et les décisions judiciaires
rendues comme étant contraires à
l’article 2 de la Convention Européenne
des Droits de l’Homme qui protège le
droit à la vie. Leurs demandes ont été
rejetées à plusieurs reprises, mais il
faut savoir que ce fut par des arrêts
rendus par des collégialités divisées
(12 voix contre 5).
Des procédures
interminables
Après
d’interminables procédures, nombre
d’arrêts, de jugements, d’ordonnances,
foultitude d’expertises médicales plus
ou moins contradictoires, la dernière
décision judiciaire exécutoire a été
rendue par le Conseil d’État le 24 avril
dernier. La haute juridiction a validé
la procédure décidant l’arrêt des soins
en application de la loi Léonetti, et a
donc validé le principe de cet arrêt. Sa
mise en œuvre a été décidée par le CHU
de Reims pour commencer le 20 mai
dernier. Mais fort normalement toujours
cette décision avait elle aussi le
caractère d’une décision administrative
susceptible de recours….
Les parents de
Vincent Lambert se sont alors tournés
vers le tribunal administratif de Paris
pour introduire une procédure de référé
demandant la suspension de cet décision
particulière d’arrêter les soins le 20
mai, prise en exécution de l’arrêt du
conseil d’État qui en autorisait le
principe. Rappelons que le juge des
référés quant à lui, ne peut prendre que
des mesures provisoires sans pouvoir
statuer sur le fond. La motivation des
demandeurs était la saisine par
eux-mêmes du Comité des droits des
personnes handicapées de l’ONU. Créer à
la suite de traités internationaux que
la France a ratifiés, il rend des avis
et dans l’attente peut demander que
soient observées des mesures provisoires
pour éviter des préjudices irréparables.
En attendant de pouvoir rendre son avis
sur le cas Vincent Lambert, il a demandé
l’arrêt des mesures irréversibles
qu’étaient l’arrêt des soins devant
débuter le 20 mai.
Saisi en référé, le Tribunal
administratif a refusé de suspendre la
décision de cessation des soins à partir
du 20 mai en considérant que les
demandes et les souhaits du Comité de
l’ONU n’avaient pas de valeur normative
obligatoire dans l’ordre juridique
français. Utilisant la théorie de « la
voie de fait » qui permet de saisir le
juge judiciaire au détriment du juge
administratif, et plutôt que de porter
l’affaire devant la cour ADMINISTRATIVE
d’appel de Paris, les conseils des époux
Lambert ont saisi le juge judiciaire.
Après une ordonnance d’incompétence du
juge (judiciaire) des référés, a cour
d’appel (judiciaire) de Paris a rendu
une décision contraire en considérant
que la demande de suspension de l’arrêt
des soins par le comité de l’ONU devait
être accueillie. Elle a donc décidé que
les demandes du Comité constituaient un
élément suffisant pour prononcer la
suspension du processus d’arrêt des
soins à partir du 20 mai. Cette prise de
compétence par le juge judiciaire au
détriment du juge administratif est non
seulement
passablement tirée par les cheveux au
plan juridique, mais crée un nouveau
désordre qui nourrit la défiance que
l’on peut avoir vis-à-vis de cette
volonté de s’en remettre à la loi pour
des choses qui n’en relèvent pas.
Cette description
est loin de rendre compte de toutes les
péripéties juridiques et judiciaires,
mais il est important de ne pas se
tromper. Celles-ci sont parfaitement
normales et légitimes, la justice prend
son temps, des précautions, applique un
formalisme rigoureux, soucieuse qu’elle
est de la portée de ses décisions et de
leur caractère exécutoire. Et il s’agit
en l’occurrence de décider ou non de la
mort d’un homme. Personne n’a intérêt à
une justice expéditive, et en aucune
matière.
Le problème dans
cette affaire, est qu’est venu se
rajouter au drame d’une famille déchirée
celui d’une société française qui l’est
tout autant. Et qui s’est emparée de
cette question de la fin de vie avec une
violence surprenante, affichant des
divisions et des positions
inconciliables sur des questions qui
devraient pourtant inciter au calme à la
mesure. Illustrant le propos
d’Anne-Sophie Chazaud à propos de ce
débat : « La dignité, ce sont ceux
qui en parlent le plus qui la pratiquent
le moins. »
Des deux côtés,
des fanatiques
Quelles sont donc
les forces en présence ? Tout d’abord
les sectes des deux extrêmes. Il y a les
catholiques traditionalistes exaltés qui
en bons émules de l’abbé Cottard
pratiquent le respect des préceptes des
Évangiles de façon très sélective. Ils
ont pris en charge les parents de
Vincent Lambert et ont réussi à dévoyer
leur combat, l’épisode le plus
lamentable étant l’ovation et les
slogans footballistiques hurlés par une
foule inquiétante à l’annonce de la
décision de la Cour de suspendre l’arrêt
des soins. Juste en face, les jumeaux
symétriques qui de façon tout aussi
détestable se comportent en militants de
la mort. Tous ces gens qui sans état
d’âme veulent que l’État définisse des
règles qui permettront de se débarrasser
sans barguigner de cette humanité
considérée comme surnuméraire. On citera
leurs deux emblèmes, le parlementaire
Jean-Louis Touraine qui lui sait ce
qu’est une vie digne, et qui souhaite
l’adoption une loi sur l’euthanasie qui
permettrait de le débarrasser de ceux
dont il considère la vie indigne. Il y a
aussi Jean-Luc Romero dont on se demande
quelle est sa légitimité à être présent
sur tous les plateaux pour y afficher sa
fausse compassion et cette fascination
morbide pour la mort des autres. Soyons
clair, de part et d’autre nous avons
affaire à des fanatiques. Quant à Madame
Lambert, elle a l’excuse absolutoire
d’être la mère de Vincent.
Il y a ensuite une
opinion très divisée où l’on voit se
dessiner plusieurs approches. Du côté
des partisans de cet arrêt des soins, on
est frappé de voir que tout le monde
sait, tout le monde sait absolument. Ce
qu’il y a dans la tête de Vincent
Lambert, quel est son état exact malgré
la division des experts, ce que devrait
penser une mère, que celle de Lambert
est folle, etc. etc. Parmi eux on trouve
une partie finalement assez nombreuse
qui met en avant le critère économique,
position qui est une véritable
épouvante. Pour choisir qui on
débranche, disent-ils il faut faire un
bilan coûts-avantage en termes
économiques et financiers. Vincent
Lambert coûte trop cher, donc à mort.
Sans mesurer bien sûr que c’est
exactement le raisonnement fait par les
autorités nazies pour la mise en œuvre
du programme « Aktion T4 » qui décida et
organisa la mise à mort de 80 000
aliénés et handicapés, bouches inutiles
et onéreuses pour le Reich.
Deux leçons à
tirer
Et il y a en face
ceux, pour l’essentiel croyants, mais
pas seulement qui ne veulent pas qu’on
laisse mourir Vincent Lambert, et qui
pensent que ces questions de fin de vie
si douloureuses auxquelles tant d’entre
eux ont été confrontés, doivent se
régler avec modestie, humilité et
dignité dans le secret des consciences
et la discrétion des rapports avec les
médecins.
Finalement, cette
affaire que la surexposition médiatique
a rendu si lamentable, permet quand même
de tirer deux leçons. Tout d’abord elle
a révélé l’existence d’un lobby assez
puissant dans les couches supérieures de
la société. Armé des dogmes de la
société néolibérale, il professe que
toutes les décisions concernant l’homme
doivent relever de la logique marchande.
Les femmes pauvres doivent pouvoir louer
leur ventre pour faire des enfants pour
les femmes riches.
Comme le disent de savants économistes,
les pauvres, plutôt que d’enfiler des
gilets jaunes, devraient pouvoir vendre
leurs organes pour payer leur gazole, et
bien sûr les handicapés doivent être
éliminés parce qu’ils coûtent trop cher
à la société. Exception faite pour
Michael Schumacher, parce que lui a les
moyens de payer.
Ensuite la preuve
est administrée, que comme le fait la
loi Léonetti, demander à l’État de
rentrer dans les familles et les
chambres des malades pour y régler ce
qui relève de l’intime absolu, ne
constitue pas un progrès mais un
précédent dangereux. Les interprétations
juridiques de concepts nécessairement
flous sont souvent inopérantes. Comme
celle de savoir si Vincent Lambert qui
n’est pas en fin de vie mais nécessite
des soins d’alimentation et non un
traitement médical fait l’objet oui ou
non d’un « acharnement thérapeutique »
et d’une « obstination déraisonnable« .
Personnellement, avec les éléments dont
je dispose j’aurais tendance à répondre
non.
Qui dit
intervention de l’État dit logique
juridique et administrative, décisions
de bureau, et intervention possible du
juge sous le regard des médias et de
l’opinion. Avec toutes les contraintes,
durée, aléas, avatars, et scandales liés
à ce fonctionnement, ce ne peut être la
bonne solution.
L’affaire Vincent Lambert en est
la démonstration.
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