Vu du Droit
Grand débat : le « Macron tour » est
illégal
Régis de Castelnau
Mardi 22 janvier 2019
Après avoir fait
organiser à sa main le fameux grand
débat qu’il avait promis, Emmanuel
Macron vient de se lancer dans une
tournée de représentation que Johnny
Hallyday n’aurait pas reniée. Devant les
caméras qui relaient à satiété ses
meetings, accompagné par l’adoration
enthousiaste des éditorialistes, des
chroniqueurs, et des intellectuels
stipendiés, dans des villes mises en
coupe réglée avec forces de l’ordre et
blindés, il s’enferme dans une salle
préalablement remplie des petits maires
du coin, et Monsieur se livre à son
show. La voix tremblante d’émotion et de
ravissement des présentateurs télé vous
annoncent, qu’exploit digne du Guinness
des records, il a parlé plus de six
heures. Mais tout à leur logorrhée
d’admiration, journalistes et
commentateurs commettent une grave
erreur. Les phrases qui reviennent le
plus souvent sont les suivantes : «
il a retrouvé la verve de sa campagne
électorale présidentielle. Il déroule
brillamment son programme ». Un président bat
la campagne…
Eh bien c’est
justement là que le bât blesse, et
gravement. Monsieur Emmanuel Macron,
comme il l’avait fait pour ses vœux du
nouvel an, en désignant une partie du
peuple français comme ennemi, ne se
comporte pas en Président de la
république, pour tous les Français. Il
essaie de rassembler et d’élargir son
camp, dans la perspective des élections
européennes. Il est donc en campagne, à
quatre mois de l’échéance. Problème
c’est strictement illégal, et
caractérise un comportement pénal. Et il
faut le dire clairement, les élections
européennes sont d’ores et déjà
faussées. Si les organes de contrôle
recommençaient à contrôler cela devrait
déboucher sur l’annulation du scrutin et
des poursuites pénales.
Pour faire
campagne…
Que dit le code
électoral ?
Rappelons tout d’abord que la loi du 25
juin 2018 relative à l’élection des
représentants au Parlement européen
rétablit une circonscription électorale
unique sur l’ensemble du territoire. Ce
sera donc un scrutin de liste, le nombre
de postes à pourvoir étant de 79. Le
plafond des dépenses électorales est de
9 200 000 €.
Rappelons ensuite
que les lois de 1988 de 1990 qui ont
organisé le financement public de la vie
politique, suivies par d’autres textes
et une jurisprudence abondante, ont posé
trois principes. Une dotation financière
par l’État en fonction des résultats
électoraux, la limitation des dépenses
en période électorale, et le contrôle
par une Commission Nationale. Concernant
les sommes données aux partis ou aux
candidats à des élections, il est
possible d’ajouter à la dotation d’État.
Mais ces dons sont réglementés et
limités de façon stricte. Les dons
des personnes morales sont interdits, et
autorisés les apports en numéraire, où
services directs ou indirects dont la
valeur doit être calculée et intégrée
aux comptes de campagne. La
jurisprudence recèle quantité
d’histoires de ce genre, et dans une
année d’élections municipales, les
services de communication des communes
se gardent bien de mettre le maire
sortant en avant, que ce soit en
utilisant son nom ou en affichant une
photo… gare au couperet. Le juge est
donc vigilant sur ces apports extérieurs
qui se rattachent manifestement à de la
propagande électorale surtout que le
législateur a fixé
une période de six mois pendant laquelle
la surveillance est renforcée.
Nous sommes à
quatre mois de l’échéance européenne, la
mise en scène et les propos tenus le
démontrent, les shows Macron sont
incontestablement des meetings
électoraux.
Un « Macron
tour », deux gros problèmes
Nous sommes par
conséquent confrontés à deux problèmes.
Le premier est le coût de ces 12
meetings qui devra inéluctablement être
réintégré aux comptes de campagne de la
liste LREM. Compte tenu des moyens mis
en œuvre par l’État, déplacement des
personnalités, mise des villes accueil
en état de siège, mobilisation de forces
de sécurité considérables, les sommes
sont probablement exorbitantes. On
rappellera brièvement la mésaventure de
Nicolas Sarkozy en 2012. Profitant d’un
déplacement officiel à Toulon du
président sortant, il avait tenu le soir
un meeting. Le coût de l’ensemble avait
été réparti à 30 % pour le compte de
campagne et 70 % pour l’État. La
Commission Nationale suivie par le
Conseil Constitutionnel de Jean-Louis
Debré inversa d’autorité les proportions
ce qui permit ainsi de dépasser le
plafond légal et de rejeter le compte.
Sanction 300 000 € d’amende et non
remboursement par l’État de 11 millions
d’euros de frais de campagne.
Mais ce n’est pas
tout, et c’est le second problème, la
simple lecture de
l’article L 52–8 du code électoral
démontre que les avantages en nature
apportés à la liste LREM sont des dons
interdits de personne morale, et l’État
en est une. À l’évidence le « Macron
tour », tournée électorale en vue des
élections européennes, a ce caractère de
dons interdits et impose le rejet du
compte, son montant fut-il inférieur au
plafond légal.
On peut donc
affirmer que d’ores et déjà, la
régularité juridique des élections
européennes est lourdement obérée.
Les
contrôleurs regardent ailleurs
Le contentieux
électoral des européennes relève de la
compétence du Conseil d’État. Celui-ci
aura à examiner les recours dont il aura
été saisi et répondre à la question de
savoir s’il n’a pas été porté atteinte à
la sincérité du scrutin. Dans le
contentieux électoral classique sont
visées toutes les actions et manœuvres
prohibées par le code. En présence d’un
faible écart de voix le juge vérifiera
si les manœuvres dolosives ont pu
altérer la sincérité du scrutin et
pourra prononcer l’annulation de
l’élection. Mais désormais les lois sur
le financement public de la vie
politique ont apporté une modification
très importante. La simple violation des
règles de financement des campagnes peut
entraîner l’annulation quel que soit
l’écart de voix. Et les juges disposent
en plus de prérogatives importantes pour
prononcer l’inéligibilité des candidats
fautifs. Compte tenu du fait que tout
électeur aura intérêt pour agir et
saisir le juge d’un recours en
annulation, il est à craindre que le
rôle du Conseil d’État soit encombré au
mois de juin prochain.
On ajoutera pour
faire bonne mesure que ces dons
interdits représentés par le « Macron
tour » ne sont pas seulement
susceptibles de plomber le scrutin
lui-même mais ouvre la voie à des
poursuites pénales.
L’article L 113–1 alinéa IV prévoit
pour l’auteur des dons interdits même à
l’insu du candidat une peine de trois
ans d’emprisonnement et de 45 000 €
d’amende… On pourrait aussi penser à la
notion de « détournement de fonds
publics » prévu et réprimé par
l’article 432–15 du code pénal. Et
le fait que le président de la
république est lui-même est protégé par
son immunité, ne change rien pour ceux à
qui il a donné des ordres pour organiser
cette tournée.
L’article 122–4 du code pénal dit
bien que l’on est responsable si l’on a
commis une infraction pénale en
obéissant à un ordre « manifestement
illégal ». Pas besoin donc « d’aller
chercher Emmanuel Macron » pour
poursuivre les fonctionnaires qui auront
organisé des meetings. Ils ont commis
les infractions en toute connaissance de
cause.
Compte tenu de la
mansuétude dont le macronisme bénéficie
de la part des institutions judiciaires,
et du fait que les équipes qui entourent
le chef de l’État et lui-même se
comportent avec une désinvolture «no
limit » assez époustouflante, il est peu
probable que le président de la
Commission Nationale des Comptes de
Campagne s’émeuve de ces opérations
grossières. De la même façon les
parquets, occupés à chasser les gilets
jaunes qui partagent des statuts
Facebook, n’ont pas de temps à perdre
avec ces vétilles.
Et si on
contrôlait les contrôleurs ?
En revanche ce qui
pourrait être amusant, puisque pour les
recours électoraux tout électeur a
intérêt pour agir, et peut saisir le
conseil d’État, que beaucoup s’en
avisent de déposer une requête.…
Concernant l’aspect pénal, l’intérêt
pour agir et lui aussi rattachée
spécifiquement au statut d’électeurs, la
plainte pénale serait elle aussi
recevable.
Après tout l’État
de droit n’est pas à géométrie variable.
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