Vu du Droit
Delevoye et la HATVP, contrôle, vous
avez dit contrôle ?
Régis de Castelnau
Mercredi 18 décembre 2019
Atlantico m’a demandé mon avis sur la
défaillance de la haute autorité de la
transparence de la vie publique dans
l’affaire Delevoye. On trouvera mes
réponses ci-dessous.
On peut également
consulter l’article
directement sur le site d’Atlantico.
Après les
révélations sur les « omissions » de
Jean-Paul Delevoye, comment expliquer
que la haute autorité pour la
transparence de la vie publique (HATVP),
en charge du contrôle de la déclaration
des intérêts des hommes politiques,
n’ait pas relevé ces oublis ?
Atlantico.fr :
Un, deux, et trois, et treize, puis
finalement quatorze mandats non déclarés
pour Jean-Paul Delevoye apprend-t-on
depuis quelques jours. La haute autorité
à la transparence n’a semble-t-il rien
vu de ces mandats omis, qui pour
certains, comme son poste de président
au Conseil économique, social, et
environnement (CESE), étaient pourtant
connus…
Comment
expliquer que la haute autorité pour la
transparence de la vie publique (HATVP),
en charge du contrôle de la déclaration
des intérêts des hommes politiques,
n’ait pas d’elle-même relevé les
« omissions » de Jean-Paul Delevoye ?
A-t-elle une quelconque efficacité dans
sa mission ?
Régis de
Castelnau : Je pourrais répondre de
façon provocante à votre question
relative à la défaillance de la HATVP :
« parce qu’elle n’est pas là pour ça !
». Il faut quand même rappeler que cette
« autorité administrative indépendante »
qui est venue rejoindre la cohorte
impressionnante de ces structures créées
à tort et à travers depuis 20 ans, a vu
le jour après l’affaire Cahuzac. Comme à
chaque fois qu’éclate un scandale
mettant en cause la corruption du monde
politique, on a fait adopter une loi au
Parlement destiné à laver plus blanc, et
on a créé des structures soi-disant
chargées de contrôler dont on a confié
la direction le fonctionnement à de
vieux amis politiques. Qui a suivi la
création et ensuite l’activité de la
HATVP ne peut pas être surpris de ce qui
est quand même le scandale dans le
scandale. Puisque ceux, dont c’est la
mission de contrôler à la fois le
patrimoine des hommes politiques et
leurs liens avec la sphère privée, ont
été tout bonnement défaillants. Ce qui
est quand même extraordinaire dans cette
affaire, c’est que dès sa nomination le
17 septembre 2017 par le président de la
république par un décret pris en conseil
des ministres en application de
l’article 13 de la Constitution,
Jean-Paul Delevoye devait déposer une
déclaration complète auprès de la HATVP.
L’invraisemblable discordance entre ce
que le haut-commissaire aux retraites a
produit et une réalité que tout le monde
aurait dû connaître ne serait apparu à
personne ? Ce n’est pas très sérieux.
Cela s’aggrave encore après l’entrée de
Jean-Paul Delevoye au gouvernement le 3
septembre 2019 avec la violation
grossière de l’article 23 de la
Constitution sur les incompatibilités
professionnelles qui frappent un membre
du gouvernement. Il a fallu que ce soit
la presse qui soulève le « lièvre »,
l’autorité administrative indépendante
ayant adopté depuis le début le rythme
de la tortue. Le scandale Cahuzac dont
tout le monde savait au parti socialiste
ses rapports avec l’argent, a fourni à
François Hollande toujours tacticien
l’opportunité de créer deux structures
visant à protéger ses amis et lutter
contre ses adversaires. Le PNF tout
d’abord dont on a pu vérifier
l’étonnante partialité politique à
plusieurs reprises, et notamment avec la
disqualification judiciaire du candidat
de la droite à l’élection présidentielle
de 2017. La HATVP ensuite dont la
direction a été confiée à un ami
politique de toujours, le magistrat en
retraite Jean-Louis Nadal. Jusqu’à
présent le bilan de l’activité de cette
haute autorité est quand même assez
maigre, son tableau de chasse n’étant
garni que de petit gibier. Emmanuel
Macron, issu de la matrice
social-libérale et ayant bénéficié d’un
soutien massif d’une grande partie du
parti socialiste a récupéré à son profit
ces deux outils.
Au fond la seule
question face à cette incontestable
défaillance est de savoir si l’on est en
présence d’une négligence ou d’un oubli
volontaire, probablement une synthèse
des deux.
Peut-on espérer
réformer la HATVP pour enfin obtenir un
véritable contrôle des élites politiques
françaises ?
Régis de
Castelnau : Non, la voie de
l’autorité administrative indépendante
est une impasse. Car ce qui est grave
dans cette affaire, c’est une fois de
plus la démonstration de l’absence dans
une partie de la haute fonction
publique, de la neutralité et de
l’impartialité républicaine. La fusion
opérée par Emmanuel Macron de ce que
Jérôme Sainte-Marie appelle « le bloc
élitaire » a eu pour conséquence le
ralliement au pouvoir de ceux dont la
mission est précisément de le contrôler
et de l’équilibrer. Pour des raisons
politiques, idéologiques, sociologiques
et économiques, les quatre grands ordres
juridictionnels, chapeautés par nos
quatre cours suprêmes n’exercent plus
véritablement leurs missions. Le Conseil
constitutionnel, la Cour de cassation,
le Conseil d’État, la Cour des Comptes
sont les grands fournisseurs des cadres
qui occupent des fonctions, en général
confortablement rémunérées, au sein de
ces « autorités administratives
indépendantes ». Indépendantes
statutairement peut-être, mais
impartiales c’est une autre histoire.
L’affaire Delevoye et le silence obstiné
de la HATVP pendant plus de deux ans
démontre le contraire. Le plus grave
étant quand même que ce dossier recèle
une jolie collection d’infractions
pénales, de la prise illégale d’intérêts
à la concussion en passant par le faux
et usage de faux, et l’abus de bien
social. Et que jusqu’à présent cela
n’ait pas ému grand monde, surtout que
les plus hauts personnages de l’État ont
prestement donné leur absolution. Du
président lui-même qui regrette le
départ de l’étourdi au premier ministre
qui évoque sa bonne foi, en passant par
Darmanin qui dit qu’il n’y a pas mort
d’homme (!), et Nicole Belloubet Garde
des Sceaux venue à la radio donner ses
consignes au parquet : « Jean-Paul
Delevoye n’a pas triché, il n’est pas un
tricheur ». Dossier clos, classement
sans suite, affaire suivante…
Si les autorités
administratives indépendantes sont
incapables d’exercer ces contrôles,
peut-on espérer du Parlement qu’il
exerce son rôle de contrôle du
gouvernement et puisse se voir confier
la vérification des conflits d’intérêt
?
Régis de
Castelnau : Ce serait effectivement
la voie la plus normale dans une
démocratie représentative. Encore
faudrait-il que la France dispose d’un
véritable Parlement et que la Justice
une fois saisie en cas de découvertes de
manquements fasse son travail avec
impartialité. On rappellera ce sujet
tous les classements sans suite à la
suite des signalements du Sénat à propos
des dépositions devant la commission
d’enquête Benalla.
Le couplage du
mandat présidentiel et de celui de
l’Assemblée nationale a complètement
faussé le fonctionnement des
institutions. Depuis 2002, les choses se
sont encore aggravées, les élections
législatives ne sont plus qu’une
opération technique visant à donner au
président élu les outils lui permettant
d’exercer son mandat comme il l’entend.
La catastrophe démocratique des
élections législatives de juin 2017 qui
grâce à une abstention sans précédent, a
envoyé des gens recrutés n’importe
comment (par Jean-Paul Delevoye
précisément…) garnir les bancs du Palais
Bourbon a transformé le principal organe
législatif, non pas en assemblés de
godillots mais en simple bureau
d’enregistrement des desideratas de
l’Élysée. Cette situation a permis à
Emmanuel Macron de fusionner pouvoir
législatif et pouvoir exécutif. Et le
ralliement à ce dernier de la Justice
démontré par la répression du mouvement
social des gilets jaunes, fait que
prétendre que le régime actuel de notre
pays repose sur la séparation des
pouvoirs et une plaisanterie.
Alors, si le
Parlement français était rénové et
l’Assemblée nationale restaurée dans sa
mission et ses fonctions, il est assez
clair que des commissions parlementaires
conjointes Assemblée nationale/Sénat
serait probablement la voie à explorer.
Malheureusement,
Emmanuel Macron n’en a aucune envie.
Comme l’établit l’épisode de la
proposition de Sylvie Goulard au poste
de commissaire européen, où le président
de la république a dit ne pas comprendre
le refus du Parlement européen d’une
candidature d’une personne encombrée de
casseroles notoires. Et avait déjà dû
quitter son poste de ministre de la
défense pour cela…
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