Vu du Droit
Loiseau : erreur de casting ou choix
délibéré ?
Mathieu Morel
Dimanche 16 juin 2019 C’est quand même
curieux, cette « affaire Loiseau ». Cet
art de hisser la médiocrité au niveau
des plus brillants scandales.
Les « story-tellers »
– c’est leur job, on finira bien par
s’apercevoir qu’ils ne servent
d’ailleurs qu’à cela – savent faire feu
de tout bois, tout le temps. Déjà, avec
ce patronyme, on régalait à la fois les
potaches et les tintinophiles, les
premiers étant des cons notoires et les
seconds d’affreux réactionnaires
réfractaires à toute idée de progrès
(sinon suspects de sympathies pour les
heures pas très claires). De fait, le
rossignol de l’ENA a surtout su montrer,
en dépit des dithyrambes, ses qualités
de volaille de basse-cour. C’est déjà un
comble de devoir astiquer autant une
huile pour espérer qu’elle finisse par
briller.
Mais pourquoi pas…
Non, là où la chose
est très intrigante, c’est lorsqu’on
remonte un peu le cours de cette –
courte – histoire. D’abord en se
rappelant que pour entrer et gravir les
échelons dans le cercle étincelant de la
macronie, les meilleures places étaient
– comme toujours – réservées aux
ambitieux sans scrupule ni conviction,
et les suivantes aux éternels seconds
couteaux besogneux de la haute fonction
publique, ceux-là mêmes qui ne
distinguent toujours pas – et ne
distingueront jamais – l’administration
de la politique, persuadés que la
première est le stade ultime, parfait,
de la seconde. Ca fait longtemps qu’on
voit nommer, aux hasards des
remaniements, des figures aussi
oubliables que stéréotypées dont les
enquêtes les plus rudimentaires nous
apprennent sans surprise qu’ils ont
frayé dans les mêmes eaux, avec les
mêmes gugusses, et qu’ils pointent dans
les mêmes carnets d’adresse. Avec la
macronie, on a franchi un petit palier :
c’est un vivier, un radeau.
Alors quand, parmi
ces hordes de jeunes loups et de vieille
biques, est sorti le nom de « Loiseau »
pour devenir ministre de la République,
la première réaction a été
l’indifférence : « encore une terne
inconnue au charisme de bulot appelée à
faire de la figuration ». Les plus
affûtés savaient éventuellement qu’elle
n’était pas si inconnue que ça,
puisqu’elle avait été appelée par Juppé
à saisir le gouvernail de l’ENA… ce qui
vous pose d’emblée une « femme d’Etat ».
Elle y laissera d’ailleurs peut-être
autant de souvenirs que dans sa
brillante carrière politique.
Bref, on savait.
Mais « ministre »
ne suffisait pas ! Il fallait aller plus
loin. Prendre la tête, par exemple, de
la croisade pour une « renaissance
européenne » contre l’hydre fasciste.
Et il a fallu
qu’elle le fasse comme elle l’a fait,
avec une spontanéité qui, dès le départ,
a provoqué l’hilarité des uns et la
consternation des autres. Déjà, quelques
questions se posent : en avait-elle
vraiment envie ? A-t-elle vraiment fini
par être convaincue de son charisme ?
L’a-t-on propulsée pour le plaisir de se
foutre de sa gueule dans un bidule sans
enjeu ni grand péril ? Pourquoi ?
Comment ? Qu’avons-nous fait pour
mériter ça ?
Sa déclaration de
candidature devrait figurer en bonne
place dans les annales du ridicule, sa
campagne fut un festival de « ni fait ni
à faire » à tel point qu’ils en sont
arrivés à se dire que moins on la
verrait, mieux ça vaudrait… et
d’ailleurs, grâce à son charisme, la
différence s’est assez peu vue.
De toute façon,
dans une élection dont la plupart se
foutent éperdument et à laquelle une
grande part ne participe pas, il n’était
pas difficile de « prédire » (terme
désormais consacré en politique, en
dépit de tout bon sens) qu’elle
sauverait ses fesses d’une façon ou
d’une autre. Quand un système médiatique
est capable de faire croire pendant
trente ans que l’épicerie Le Pen est une
« alternative politique », on comprend
vite qu’il est capable de toutes les
prouesses.
Or donc et nous y
voilà : elle y est. La voici députée
européenne dans un Parlement qui n’en
est pas un (et qui ne sert à rien mais
je me répète) et l’une de ses premières
initiatives aurait été, nous dit-on, de
déblatérer tout un tas de saloperies sur
ceux dont elle comptait faire ses
alliés, voire prendre la tête. Scandale
! « Hou la boulette ! » etc. Et l’on
commence à se demander en haut lieu
(même Quatremer, c’est dire !) si elle
ne serait pas un petit peu nulle sur les
bords.
Il y a quand même
un petit problème : pour être « nul » à
ce point-là, il faut être complètement
stupide (ce que je ne crois pas), ou
alors savoir un peu ce qu’on fait et
pourquoi. L’excuse de la « naïveté » ne
tient pas aussi longtemps.
L’impression que ça
me donne, c’est que Loiseau était le
parfait piaf pour un machin sans enjeu,
sans péril, un bidule d’affichage où la
victoire était quasi-assurée par la
force du matraquage médiatique et de
l’indifférence citoyenne – et, par vases
communicants, la demi-victoire excusée
par la médiocrité de la championne.
L’enjeu était, encore et toujours,
uniquement de politique intérieure :
pérenniser une cartographie politique en
vue des prochaines échéances.
Le job is fait. La
meuf est in ze place.
Mais, et c’est un
aveu de plus, « ze place » ne sert
tellement à rien qu’on peut se payer le
luxe d’y faire, d’y dire n’importe quoi
puisque ça sera de toute façon sans la
moindre incidence sur le cours des
vraies choses. Sauf, à la rigueur, se
payer à peu de frais une image de
rebellitude disruptive. Stérile
évidemment, puisqu’on va à la gamelle
dès qu’elle se pointe, mais
médiatiquement bankable. Et puis un bras
d’honneur, est-ce que ça se refuse ?
Le macronisme est
décidément un délicieux anniversaire, ou
une belle maturation, de 1968… dans ce
qu’on y trouve de pire : de jeunes cons
arrogants qui confondent crise
d’adolescence salutaire et accès de
sénilité. Ce n’est pas étonnant qu’on y
trouve, pêle-mêle (pour ne pas dire
tête-bêche), à la fois les jeunes vieux
qui n’ont jamais été jeunes, les vieux
jeunes qui n’ont jamais admis de devenir
vieux et, par effet « tache d’huile »,
tous ceux qui n’aiment pas trop se
mouiller, qui veulent bien du changement
mais… « dans la continuité ».
Ce n’est pas,
aujourd’hui, l’alliance de Cohn-Bendit
et de Giscard qui est contre-nature. Ce
qui est contre-nature, c’est d’avoir
cru, il y a quarante ou cinquante ans,
que ça n’aboutirait pas à ça, à cette
alliance naturelle des vacuités
arrogantes, à ce culte béat et stérile
de la « modernitude » comme une fin en
soi, un horizon indépassable.
Si combattre ce
nihilisme est du populisme, alors oui,
soyons populistes.
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