Vu du Droit
Affaire Balkany : Justice ou billard à
trois bandes ?
Régis de Castelnau
Lundi 14 octobre 2019
Ainsi, Monsieur
Patrick Strzoda directeur de cabinet du
président de la république vient-il de
bénéficier lui aussi d’un classement
sans suite de l’enquête préliminaire
ouverte à son sujet à la suite de la
saisine du procureur de Paris par le
bureau du Sénat pour faux témoignage
lors de son audition sous serment devant
la commission d’enquête sénatoriale sur
l’affaire Benalla. Même motif, même
absence de punition, Alexis Kholer et
Lionel Lavergne avaient déjà été
gratifiés d’une telle mansuétude avant
d’aller intégrer de confortables
sinécures. Sans oublier Ismaël Émelien,
curieusement épargné par la justice
qui vient lui aussi d’enfiler
une pantoufle douillette offerte par
Bernard Arnault. Ceci était non
seulement prévisible mais inéluctable,
non qu’il n’y ait pas eu de charges
suffisantes, mais parce que l’immunité
judiciaire des amis d’Emmanuel Macron
est désormais devenue une routine.
Le petit rappel de
cette partialité judiciaire
systématique, permet un retour en forme
d’autocritique sur l’affaire Balkany.
Faute d’avoir été suffisamment attentif,
un certain nombre de choses m’ont
échappé. Ne mesurant pas à quel point le
maire de Levallois Perret avait fait
l’objet d’un traitement particulier,
je considérais que la sanction à lui
infligée était certes sévère, mais
qu’au regard des infractions jugées et
de son comportement bravache, elle était
prévisible. En revanche je tenais le
mandat de dépôt à la barre prononcé sur
réquisitions conformes du PNF, pour une
mesure vexatoire et inutile.
Affaire Balkany
: comprendre le feuilleton
Le 18 octobre
prochain, Patrick Balkany va être
extrait de sa cellule pour être présent
à l’audience où sera prononcée la
deuxième sanction qui l’attend,
conséquence du deuxième procès qui s’est
déroulé dans la foulée du premier,
devant le même tribunal et en présence
du même procureur. Et c’est bien cette
particularité qui jette un éclairage
déplaisant sur le traitement dont a «
bénéficié » Patrick Balkany. Pour
comprendre la manœuvre, il faut revenir
sur le déroulement de la procédure
depuis l’information judiciaire. Deux
magistrats du Pôle d’Instruction
Financier ont instruit un dossier
mettant en cause les époux Balkany et
relatifs à plusieurs infractions qui
entretenaient à l’évidence des liens
entre elles. Dans la pratique, quelles
que soient les particularités
procédurales, notamment en ce qui
concerne la fraude fiscale, il
s’agissait aux yeux de tous d’un dossier
unique. Qui aurait dû faire l’objet d’un
seul renvoi devant le tribunal
correctionnel, celui-ci joignant les
différentes affaires, comme cela se
pratique quasi systématiquement.
L’ensemble examiné en une audience
unique, aurait débouché sur le prononcé
d’une seule sanction globale quel qu’en
soit le quantum. Au lieu de cela, on a
assisté à un drôle et interminable
feuilleton médiatico-judiciaire avec un
dossier artificiellement saucissonné. La
saison 1 (la fraude fiscale) s’est
terminée un vendredi, et le lundi
suivant démarrait la saison 2 (la
corruption) avec exactement la même
distribution, même président, même
collégialité, même procureur et bien
évidemment même prévenu. Avant
d’examiner les conséquences juridiques
et judiciaires de ce curieux découpage,
jetons au préalable un petit coup d’œil
sur cette distribution justement. La 32e
chambre du tribunal correctionnel de
Paris était présidée par un magistrat
que l’on avait pu voir sur les plateaux
d’une chaîne d’information donner des
interviews sur les affaires Sarkozy ou
Fillon, dirigeants du parti politique
dont Patrick Balkany était un
parlementaire. Ce n’était pas
nécessairement la meilleure façon de se
garantir pour l’avenir contre les
soupçons de partialité. Car il convient
une fois plus de le rappeler, le risque
réside dans le soupçon sans qu’il y ait
besoin d’établir une partialité avérée.
Ce soupçon, comme on l’a bien vu avec
la déplorable affaire du « mur des cons
» altère la confiance dans
l’institution.
Balkany/Ferrand,
ne pas confondre
Mais il y avait un
autre problème, relatif à la
constitution de partie civile de
l’association Anticor. Structure privée
à laquelle, par un agrément le ministère
de la justice a confié des pouvoirs de
poursuite et dont un certain nombre de
dirigeants sont eux-mêmes des
magistrats, voire carrément Garde des
Sceaux
comme ce fut le cas avec Christiane
Taubira ! Il se trouve
qu’actuellement un
des vice-présidents du TGI de Paris,
est aussi vice-président de ladite
association, curieuse espèce de parquet
privé, qui était donc partie à la
procédure et représentée à l’audience. À
la défense qui s’en étonnait, il fut
fermement répondu que cela ne posait pas
de problème. Ah bon ? C’est amusant,
parce que dans une autre affaire cela
s’est passé différemment. Dans un
dossier, sur plainte avec constitution
partie civile d’Anticor le Pôle
d’Instruction Financier avait ouvert une
information judiciaire. Ce motif a été
précisément retenu comme raison
impérative pour que la Cour de cassation
retire en plein mois de juillet le
dossier au juge d’instruction de Paris
pour l’envoyer à Lille. Deux poids deux
mesures alors ? Ah oui mais non, vous
mélangez tout. Le dépaysement
c’était pour Richard Ferrand, ce
n’est pas pareil. Si on commence à
appliquer à Patrick Balkany les mêmes
règles qu’à Richard Ferrand, on ne va
pas s’en sortir. On va vous expliquer
comment ça marche, vous allez voir c’est
très simple : si Anticor est partie
civile dans une affaire concernant
Richard Ferrand, examinée par le
tribunal de grande instance de Paris
auquel appartient avec le statut de
vice-président un des dirigeants de
l’association, cela entraîne un risque
de soupçon de partialité du tribunal il
faut vite la dépayser. En revanche, si
Anticor est partie civile dans une
affaire concernant Patrick Balkany
examinée par le tribunal de grande
instance de Paris auquel appartient avec
le statut de vice-président un des
dirigeants de l’association, il n’y a
pas de risque de soupçon de partialité
du tribunal, et il n’est pas nécessaire
de la dépayser. La procédure pénale
c’est parfois simple comme un coup de
fil…
Les conséquences
du saucissonnage
Revenons maintenant
sur la deuxième étrangeté : le dossier
concernant Patrick Balkany a donc été
coupé en deux et donné lieu à deux
audiences qui se sont déroulées l’une
derrière l’autre. Dans le premier, celui
de la fraude fiscale, le procureur
représentant le PNF a requis à son
encontre quatre ans de prison ferme, dix
ans d’inéligibilité avec mandat de dépôt
à l’audience. Dans le second, celui de
la corruption,
le même procureur représentant le PNF a
requis sept ans de prison ferme dix
ans d’inéligibilité avec mandat de dépôt
à l’audience. Après la clôture des
débats, le tribunal a mis ses deux
décisions en délibéré, mais
contrairement à ce que tout le monde
attendait, il a fixé le prononcé des
jugements à deux dates différentes, les
13 septembre et 18 octobre. Et c’est ce
petit détail là, où comme d’habitude le
diable va se loger, qui aurait dû
attirer l’attention. Permettant ainsi de
voir se dessiner la mécanique qui allait
happer Patrick Balkany.
Décision rendue par
le tribunal le 13 septembre dernier sur
l’affaire de fraude fiscale :
quatre ans de prison ferme, dix ans
d’inéligibilité avec mandat de dépôt à
l’audience. Répétons que la peine
pour être sévère est finalement assez
proche de celle de trois ans fermes
prononcée elle aussi en première
instance contre Jérôme Cahuzac et pour
des faits moins graves. Et répétons
également que le mandat de dépôt n’est
pas une sanction mais une mesure de
sûreté. Patrick Balkany a donc été
incarcéré le soir même, et il lui
appartenait de relever appel de la
décision rendue à son encontre, et de
former devant la Cour une requête
portant uniquement sur la réformation du
mandat de dépôt. Ses conseils ont
immédiatement accompli ces démarches et
sollicité sa mise en liberté. Le
problème est que la Cour d’appel dispose
d’un délai de deux mois pour fixer la
date d’audience. Et il était fort peu
probable qu’elle puisse le faire avant
le 18 octobre date à laquelle Patrick
Balkany sera à nouveau devant la 32e
chambre correctionnelle du tribunal de
Paris pour entendre la deuxième décision
rendue à son encontre. Et il comparaîtra
par conséquent, dans la situation
humiliante d’un détenu enfermé dans le
box entouré de deux gendarmes. Quant aux
nouvelles condamnations, et compte tenu
des réquisitions, on peut les évaluer à
quelque chose qui serait de l’ordre de
six ans de prison ferme avec un nouveau
mandat de dépôt. Le maire de Levallois
sera donc gratifié de deux mandats de
dépôt et confronté à deux procédures
successives pour essayer d’obtenir sa
remise en liberté devant la Cour
d’appel, devant laquelle il comparaîtra
lesté d’une addition de condamnations à
10 (6+4) ans de prison ferme. Eh oui,
parce que cerise sur le gâteau et petite
humiliation supplémentaire, il ne sera
pas possible le 18 octobre de
prononcer la confusion des peines
puisque celles du 13 septembre frappées
d’appel ne sont pas définitive…
Peu probable dans
ce cas que le maire sortant de
Levallois-Perret soit disponible pour la
campagne municipale de mars 2020…
L’étrange saucissonnage du dossier, les
mandats de dépôt et l’agenda adopté
ont-ils pour origine la volonté de
prévenir ce risque d’une réélection en
forme de bras d’honneur à la justice de
la part des citoyens de Levallois-Perret
? Ou bien sommes-nous en présence du
désir d’une répression brutale contre un
personnage exaspérant en contournant le
caractère suspensif de l’appel en
matière pénale ? Ou encore de l’envie de
faire un exemple en rappelant aux
politiques qu’à la fin c’est toujours la
Justice qui tient le manche ?
Sans trancher entre
ces différentes hypothèses, rappelons
quand même que tout ceci n’est pas très
reluisant et qu’il n’est pas souhaitable
que le fonctionnement de la justice,
quel que soit le justiciable, puisse
ainsi s’apparenter à une partie de
billard à plusieurs bandes.
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