Actualité
Schiappa et Leetchi : violer la loi
c’est open bar
Régis de Castelnau
Mercredi 9 janvier 2019
Marlène Schiappa
ci-devant secrétaire d’État est un
personnage assez surprenant. Sortie d’on
ne sait où, auteur de livres érotiques
de gare et d’articles de presse ineptes,
elle était un des éléments les plus
singuliers parmi les passagers
hétéroclites du train conduit par
Emmanuel Macron à son arrivée à
l’Élysée. Mélange étrange de niaiserie,
d’ingénuité et de méchanceté, elle s’est
spécialisée dans le jet quasi quotidien
dans le champ politique de grenades
dégoupillées. De préférence, sur des
sujets qui ne la concernent pas et où
elle affiche toujours une ignorance
dévastatrice. On ne reviendra pas
sur les éléments de ce qui constitue
désormais un florilège pour ne retenir
qu’une des dernières sorties, celle
relative à la fameuse cagnotte mise en
place pour Christophe Dettinger le «
gitan de Massy » après qu’il se fut
livré aux autorités. Tout le monde
connaît maintenant
la vidéo qui a fait le tour du monde
où l’on voit un jeune homme, dans une
bousculade opposants gilets jaune et
policiers, marcher déterminé vers
ceux-ci carpaçonnés et derrière leurs
boucliers pour les faire reculer à coups
de droites et de crochets. On ne va pas
ici lancer le débat à coups d’anathèmes
moraux contre un côté ou l’autre, la
séquence du
commandant Andrieux à Toulon
montrant suffisamment qu’il faut
l’éviter. Sur un plan juridique il
semble que Christophe Dettinger ait
commis des infractions, et il est normal
d’en être choqué. Il appartiendra au
juge d’en décider la réalité et la
gravité. À condition bien sûr qu’il
bénéficie d’un procès équitable,
l’actualité judiciaire récente
concernant les gilets jaunes permettant
de craindre que cette perspective ne
soit pas assurée. Mais nous verrons.
Toujours est-il
qu’il ne fallait que quelques secondes
pour comprendre qu’avec le gitan de
Massy, le peuple des gilets jaunes avait
trouvé son héros. En France, le rapport
aux forces de l’ordre est
contradictoire, et on fredonne
« hécatombe au marché de
Brive-la-Gaillarde » pour ensuite
applaudir les forces de l’ordre quand
elles protègent. Et là, après des
semaines de répression brutale, c’est le
réflexe décrit par Brassens qui a joué :
« dès qu’il s’agit d’rosser les
cognes, tout l’monde se réconcilie.
» Et dans le contexte de cette étonnante
insurrection du peuple français, cette
irruption, viriliste renvoie à des
figures de la mémoire populaire comme
celle du « grand Ferré » le premier
héros paysan de l’histoire de France qui
avait abattu à coup de hache 85 gardes
anglais pendant la guerre de 100 ans, ou
«
frère Jean des Entommeures »
l’ami de Gargantua à l’efficacité
redoutable contre les soldats qui
profanaient sa vigne.
C’est peut-être
pour cela que les petits aboyeurs de la
Macronie auraient dû s’abstenir de
hurler à la mort contre le boxeur.
Après que celui-ci eut diffusé une vidéo
d’excuses, ses amis ont ouvert
auprès de la société Leetchi une
cagnotte destinée à rassembler des fonds
pour assurer la défense de Dettinger et
aider sa famille dans cette période
difficile. Pratique courante, normale,
parfaitement légale et qui comporte de
nombreux précédents. Il ne s’agissait
absolument pas de prendre en charge les
éventuelles condamnations pécuniaires
mais de pourvoir à sa défense. Le succès
foudroyant de cette cagnotte a mis les
petits marquis en fureur. Chacun au sein
de la petite caste y est allé de son
couplet, masquant par des cours de
morale hypocrite sa rage devant cette
solidarité exprimée par ce peuple qu’ils
détestent. La polémique enflant, et
après une intervention de Marlène
Schiappa on apprit par la société
Leetchi que la cagnotte était « close »,
les sommes bloquées, et que les dépenses
effectuées pour la défense de Christophe
Dettinger seraient réalisées directement
par la société. Et réglées aux avocats
sur présentation de factures et de devis
! Ainsi, cette société très liée à
Xavier Niel et filiale du Crédit Mutuel
Arkea a donc cédé aux pressions
gouvernementales et à l’ordre donné par
Marlène Schiappa. Situation absolument
stupéfiante ou le droit est simplement
foulé aux pieds.
En effet les règles générales de la
société Leetchi acceptées par
l’organisateur de la cagnotte prévoient
explicitement que les sommes lui seront
remises à charge pour lui de les
répartir en fonction de l’objet et du
mandat qu’il a reçu des donateurs. La
responsabilité dans l’utilisation des
fonds relève des rapports entre
l’organisateur et les donateurs. La
responsabilité de Leetchi ne peut être
engagée en cas de problème survenant
dans cette utilisation.
Au-delà des
conclusions que chacun en tirera sur
l’impossibilité désormais de s’adresser
à cette société pour la constitution de
cagnottes, il y a quand même un très
sérieux problème juridique.
Résumons-nous : la
cagnotte a été lancée pour venir en aide
à Christophe Dettinger dans la procédure
intentée contre lui (frais de défense)
et à sa famille mise en difficulté par
l’incarcération. C’est bien sur cette
base que les sommes ont été versées par
les donateurs et sont désormais entre
les mains de Leetchi. Et c’est la raison
pour laquelle elles doivent être remises
à l’organisateur qui les utilisera sous
sa responsabilité. En violant ses
propres règles, et en disposant à sa
guise à l’encontre de la volonté des
donateurs, ce qui constitue un
détournement, Leetchi semble bien avoir
commis le délit d’ABUS DE CONFIANCE
prévu et réprimé par
l’article 314-1 du code pénal.
L’organisateur et les donateurs
devraient immédiatement saisir le
procureur de la république pour déposer
plainte entre ses mains.
Au-delà de l’impact
commercial que l’on espère désastreux
pour Leetchi on peut s’interroger sur ce
zèle à exécuter des ordres aussi
manifestement illégaux émis par Marlène
Schiappa lors d’une émission de
télévision.
Après avoir considéré que la cagnotte
était indécente, cette dernière a
dit : « Il est souhaitable
effectivement de savoir qui a donné à
cette cagnotte, parce que je crois que
c’est une forme de complicité ».
Attitude invraisemblable, qui au-delà de
mettre de l’huile sur le feu en un
moment où il vaudrait mieux éviter, qui
témoigne d’une ignorance abyssale de
règles de droit élémentaires et démontre
que Madame Schiappa, n’a rien à faire à
un poste de ministre, qu’elle déshonore
tous les jours. La société civile, c’est
très bien mais un gouvernement de la
république ce n’est pas un plateau de
télé réalité. Non mais allô quoi ?
La complicité en droit c’est très
simple, c’est faciliter la
commission de l’infraction par
fourniture de moyens. Donc bien
évidemment tous les actes, pour être
incriminés doivent avoir été commis
avant ou pendant l’infraction. Cette
invocation ignare de la complicité de la
part d’un responsable public dans ces
circonstances est inacceptable. Elle
l’est d’autant plus que les indignations
de Madame Schiappa sont particulièrement
sélectives, qui n’a vu aucun
inconvénient et n’a pas bougé un sourcil
lorsqu’une
initiative totalement identique a été
réalisée pour Tariq Ramadan. Elle
n’a pas accusé ceux qui avait souscrit
pour la défense d’une personne
poursuivie pour viol d’en avoir été le
complice. On notera les hiérarchies
d’indignation de la secrétaire d’État à
l’égalité entre les femmes et les
hommes…
Mais la demande de
communication montre bien au-delà de
l’analphabétisme juridique, qu’il y a
bien une volonté répressive qui se moque
des règles de droit d’un pays
démocratique. Cette demande témoigne
d’une attitude
open bar quant à la violation de l’État
de droit. Pour elle, des gens qui
ont manifesté de la compassion et de la
fraternité pour une personne poursuivie
sont des complices, doivent être fichés
et poursuivis.
Comment être étonné
que les couches populaires ne puissent
plus supporter jusqu’à la rage de voir à
des postes de responsabilité importants,
des gens capables d’un tel comportement.
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