Actualité
Système Macron :
violence et État de droit à géométrie
variable
Régis de Castelnau
Mardi 8 janvier 2019
J’ai fait l’objet d’une interview du
média Atlantico à propos de la
répression judiciaire dont font l’objet
les participants au mouvement des gilets
jaunes. Je reproduis ci-dessous mes
propos que
l’on peut retrouver également sur le
site d’Atlantico.
1/ La perception
d’un « deux poids deux mesures » sur la
capacité répressive du gouvernement
envers les gilets jaunes donne
l’impression que le gouvernement emploie
les grands moyens contre ce mouvement
politique qui lui est directement opposé
alors qu’il demeure sans armes face à la
criminalité ordinaire ou quotidienne,
dont de nombreux indicateurs semblent
indiquer qu’elle progresse dans certains
domaines. Est-ce vraiment le cas ? Le
gouvernement est-il fort avec les
faibles et faibles avec les forts ?
Je crois que le
problème ne se pose pas de cette façon.
Ce que vous appelez la criminalité
ordinaire ou quotidienne, celle qui
pourrit la vie des gens dans les cités,
dans les transports, et dans la rue qui
laissent des quartiers entiers sous la
coupe de trafiquants qui ont passé un
accord avec les barbus, c’est un
phénomène de masse. Que l’État français
refuse depuis plus 30 ans de traiter.
C’est devenu un phénomène endémique.
C’est la raison pour laquelle on ne peut
pas faire de parallèle avec le mouvement
des gilets jaunes et la répression
policière et judiciaire brutale dont il
est l’objet.
C’est vrai que si
l’on compare les moyens de la violence
d’État utilisés contre les gilets jaunes
et la passivité des forces de l’ordre à
l’occasion du grand rituel de la
Saint-Sylvestre avec le millier de
voitures incendiées, cela ne peut que
provoquer l’indignation.
Mais il faut savoir
que dans les deux cas il s’agit de
décisions politiques prises par le
pouvoir. En ce qui concerne la
criminalité ordinaire, le choix est fait
depuis longtemps de ne pas donner à la
justice les moyens dont elle a besoin
pour la traiter. Dans un ouvrage bilan
absolument remarquable et indispensable
intitulé :
« Justice, une faillite française ? »
Olivia Dufour fait le point de la
situation d’un système à bout de souffle
qui est une honte pour la République. En
démontrant implacablement que le
problème a une seule véritable origine :
l’absence de moyens. La répression de la
délinquance ordinaire est totalement en
déshérence, ce qui a permis la
dépénalisation d’un nombre considérable
d’infractions. Il faudrait plus de
magistrats, plus de greffiers, plus
d’éducateurs, plus de prisons ou de
centre pour les mineurs. Malheureusement
cette clochardisation aboutit à la
non-exécution des peines quand ce n’est
pas carrément à la démission des
autorités de poursuite. Sait-on que près
de 2 millions d’infractions par an avec
auteurs connus ne font l’objet d’aucune
poursuite dans notre pays. Rajoutez au
sentiment d’impuissance que vivent les
magistrats, la sensibilité au gauchisme
culturel et à une certaine culture de
l’excuse d’une partie d’entre eux, et
vous aurez ce résultat calamiteux. Qui
est le fruit, il faut le répéter, d’une
décision politique. La feuille de route
d’Emmanuel Macron, comme d’ailleurs de
ses prédécesseurs, est bien
l’appauvrissement de tous les services
publics, y compris celui de la justice
au nom de l’impératif austéritaire. Le
projet de « loi justice » en discussion
actuellement au Parlement en est une
éclatante démonstration. Économies à
tout prix au détriment de la mission et
des principes qui la guident.
Le problème des
gilets jaunes est complètement
différent. Il s’agit là aussi d’une
décision politique, celle d’un pouvoir
en panique, qui a basculé dans une
certaine radicalité et qui ne voit que
dans la répression massive d’un
mouvement social, le moyen de s’en
sortir. Le bilan de ces quelques
semaines est complètement ahurissant.
Nous n’avons jamais assisté et même en
mai 68 à une telle violence répressive,
qu’il s’agisse des comportements des
forces de l’ordre
dont une partie se croit tout permis
ou de la magistrature qu’elle soit du
parquet ou du siège qui a appliqué avec
célérité les consignes du pouvoir. Plus
de 300 personnes incarcérées, des
blessés par centaines, des procédures
absurdes où se multiplient les excès de
zèle parfois déshonorants, dans le
silence de cathédrale des organisations
syndicales de magistrats en général plus
prolixes.
2/ Si la loi
reste la loi pour tous, il peut paraître
plus simple de s’en prendre à des gilets
jaunes globalement facilement
identifiables et très exposés qu’à une
certaine délinquance systémique. Comment
le gouvernement peut-il réussir à
appliquer la loi sans paraître défendre
en premier lieu la raison du plus fort ?
Comme vous le dites
très bien, s’en prendre à une
délinquance systémique nécessiterait une
volonté politique. Et surtout des
moyens, que les exigences de Bruxelles
interdisent. La vision par ce pouvoir
des services publics, n’est que celle de
l’austérité. Les transports, la santé,
la justice sont des parents pauvres et,
il est hors de question pour Bercy et
pour les élites de renoncer à cette
stratégie. Elles sont en général très
peu concernées par cette délinquance,
les voitures que l’on brûle, les
agressions, les violences, ce sont les
pauvres contraints d’habiter dans ces
ghettos qui les subissent. Les
stratégies d’évitement tout à fait
identifiées par
Christophe Guiluy dans son récent
ouvrage, leur permettent d’y
échapper tranquillement. Eux habitent
dans les quartiers sûrs mettent leurs
enfants à l’École Alsacienne, le
pourrissement c’est pour les pauvres, et
ce n’est pas grave.
Le problème de la
répression du mouvement des gilets
jaunes n’est pas un problème
d’application de la loi. C’est un
problème d’utilisation de la violence
d’État pour s’opposer à un mouvement
social. Les motivations d’Emmanuel
Macron, d’Édouard Philippe ou de Nicole
Belloubet n’ont rien à voir avec la
volonté de faire appliquer la loi dont
ils sont tout à fait capable de se
moquer comme d’une guigne. Le choix de
la répression est une décision politique
et entendre les gens du pouvoir parler «
d’État de droit » est simplement une
plaisanterie. Juste un exemple, la loi
interdit désormais que le ministère de
la justice donne des instructions
individuelles au parquet. Eh bien
croyez-moi, que ce soit depuis Matignon
ou depuis la place Vendôme ces
injonctions sont tombées comme à
Gravelotte. Par téléphone bien sûr…
3/ La plupart
des gilets jaunes arrêtés ne sont pas
des délinquants acharnés. Cela veut-il
dire que les plus acharnés réussissent
de toute façon à s’en sortir ? Une telle
situation ne risque-t-elle pas de
dégénérer si le pouvoir ne donne pas des
signes d’équité ? La situation ne
pourrait-elle pas devenir ingérable ?
D’après les
informations dont on peut disposer, les
gilets jaunes incarcérés avaient
massivement des casiers judiciaires
vierges. Il vaut mieux en effet brûler
des voitures en banlieue que se faire
prendre en gilets jaunes avec des
lunettes de piscine à l’occasion d’une
manifestation. Évidemment que la
partialité avec laquelle l’État, que ce
soit par l’intermédiaire de sa police ou
d’une magistrature docile, traite ce
mouvement va générer des sentiments
d’injustice et de frustration. Et comme
dans le même temps d’une façon
passablement stupéfiante les amis du
pouvoir bénéficient d’une complaisance
judiciaire étonnante… Alexandre Benalla,
François Bayrou, Richard Ferrand, Muriel
Pénicaud pour ne s’en tenir qu’à
ceux-là, malgré des infractions
évidentes et avérées sont tout à fait
tranquilles alors même qu’on embastille
des gilets jaunes par centaines,
l’exaspération est devenue rage.
J’ai pu constater
que dans le monde politique, dans la
presse et sur les réseaux la perception
de cette orientation répressive était
perçue comme une radicalisation
dangereuse. De ce point de vue, les vœux
d’Emmanuel Macron, ressemblaient plus à
un discours de chef de bande qu’à celui
rassembleur qu’aurait dû faire un
président de la république.
4/ L’autre
versant du mécontentement pourrait aussi
trouver sans source dans une relative
impunité de la classe politique. Un
autre deux poids deux mesures ?
C’est la question
que j’abordais ci-dessus, où l’on est
contraint de constater que c’est
spécifiquement Emmanuel Macron et son
entourage qui bénéficient d’une
incontestable complaisance judiciaire.
Il ne faut pas se tromper, quand il a
été nécessaire de condamner des
politiques, la justice a fait son
travail quoique parfois lentement. Mais
depuis l’arrivée d’Emmanuel Macron c’est
une véritable protection dont celui-ci
et son entourage bénéficient. Il y a
d’abord eu les problèmes posés par le
financement de sa campagne, l’opacité de
l’origine de certaines contributions,
l’utilisation de fonds publics à des
fins électorales lorsqu’il était au
ministère de l’économie, ensuite les
quelques enquêtes préliminaires ouvertes
sont toutes enlisées : Collomb, Bayrou.
Quand contraints et forcés, ont saisi un
juge d’instruction est saisi, il est
prestement déchargé du dossier comme
dans l’affaire Ferrand. Il y a bien
évidemment l’affaire de Las Vegas et ses
ramifications concernant l’agence Havas
où à l’évidence Madame Pénicaud aurait
dû être poursuivie, le refus par le
parquet d’enquêter sur la disparition du
coffre de Benalla, etc. etc. Et pendant
le même temps, le Rassemblement National
fait l’objet d’un acharnement judiciaire
allant jusqu’à lui saisir ses dotations
d’État sans qu’aucune décision n’ait été
rendue sur le fond et voit convoquer sa
présidente chez un psychiatre ! La
France insoumise quant à elle, a eu
droit à une perquisition géante à grand
spectacle, mobilisant près de 100
policiers et 7 magistrats dans ses
locaux et dans les appartements de ses
dirigeants. Et on peut être sûr que
cette instrumentalisation va durer au
rythme des échéances politiques.
Le deux poids deux
mesures dont vous parlez, et qui est
ressenti comme tel, n’est pas entre les
politiques en général et les gens d’en
bas, mais bien dans la protection dont
bénéficie l’équipe au pouvoir et la
volonté de ne traiter le mouvement
social des gilets jaunes par le biais de
la violence d’État.
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