Vu du Droit
Commémoration du Jour J : la fin de
l’Histoire ?
Sylvain Ferreira
Vendredi 7 juin 2019
L’Histoire prise en otage
Les commémorations
officielles du 75e
anniversaire du Jour-J s’achèvent avec
la cérémonie internationale de
Courseulles-sur-Mer, site ô combien
symbolique du retour du général de
Gaulle en France le 14 juin 1944. Après
les cérémonies de Caen pour rendre
hommage aux résistants français
assassinés le 6 juin par les Allemands,
la cérémonie franco-britannique de
Ver-sur-Mer ce matin, et le grand show
américain de Colleville-sur-Mer en
milieu de journée, Emmanuel Macron a
jugé que sa présence à cette dernière
cérémonie était facultative. Il a
préféré déléguer à Edouard Philippe le
soin de représenter la France. C’est la
seconde fois depuis le début de son
mandat que le locataire de l’Elysée
s’illustre par son absence à une
cérémonie commémorative ; la première
c’était le 8 août 2018 dans sa bonne
ville d’Amiens où il n’avait pas daigné
honorer nos alliés britanniques de sa
présence pour commémorer le succès
commun de nos armes contre l’Allemagne
impériale en 1918. Cette nouvelle bourde
inqualifiable est justifiée par des
impératifs d’agenda, nous disent les
services de communication de Sibeth
Ndiaye. Nos alliés apprécieront la
capacité d’Emmanuel Macron à planifier
ses activités en fonction du calendrier.
Mais, au-delà de
cette faute, une autre absence a marqué
ces commémorations, cette fois à l’insu
de l’intéressé. En effet, le président
Vladimir Poutine n’a tout simplement pas
été convié sur les plages de Normandie !
Pire, au cours de son discours ce matin
au cimetière américain d’Omaha Beach,
Emmanuel Macron n’a pas jugé bon
d’évoquer le rôle de l’Armée rouge au
cours de l’été 1944 alors qu’il a tenu à
rappeler le rôle de tous les pays
d’Europe dans l’opération Overlord.
Malgré le poids monstrueux supporté par
l’Union soviétique au cours de la
guerre, malgré les trois grandes
offensives menées (Bagration –
Lvov/Sandomierz – Iasi/Kishinev) par
l’Armée rouge entre le 22 juin et le 20
août 1944 sur un front qui va alors de
Leningrad à la mer Noire, Emmanuel
Macron n’a donc pas jugé opportun ni
d’inviter son homologue russe, ni même
de mentionner le rôle déterminant de
l’Armée rouge. Cela est d’autant plus
inacceptable que la chancelière Merkel
était quant à elle bien présente.
Rappelons également que l’Union
soviétique a payé le plus lourd tribut à
la victoire finale contre le nazisme
avec la perte de 27 à 30 millions de ses
citoyens, des milliers de villages ont
subi le même sort qu’Oradour-sur-Glane,
et enfin sur l’ensemble de la guerre 4
soldats allemands sur 5 furent tués par
l’Armée rouge. Cette insulte à
l’histoire ne peut être justifiée par
les tensions diplomatiques actuelles.
L’histoire ne peut pas être l’otage des
querelles du présent entre les alliés
d’hier.
Enfin, les
commémorations officielles ont été
marquées par l’absence d’un acteur
majeur dont personne n’ose parler : le
public, relégué loin des lieux de
rassemblement des « grands » de ce
monde. Les mesures de sécurité prises
pour assurer la sécurité des officiels
ont abouti, dès 6h du matin et jusqu’à
23h, à la fermeture de la RN13 entre
Caen et Isigny-sur-mer – une artère
régionale vitale – puis à la fermeture
progressive des routes secondaires au
nord de cet axe interdisant à la fois
l’accès aux plages, mais aussi les
déplacements des habitants, y compris
ceux qui travaillent. Depuis le début du
Centenaire de la Grande Guerre, cette
mise à l’écart du public est devenue une
norme. Elle marque encore un peu plus la
fracture entre d’un côté l’hypocrisie du
discours mémoriel officiel et de l’autre
l’accaparement des cérémonies par des
« élites » qui, souvent, mènent des
politiques contradictoires avec ce
qu’elles viennent célébrer. L’exemple
d’Emmanuel Macron est d’une rare
pertinence dans ce domaine, puisqu’il
est le fossoyeur du programme politique
du Conseil National de la Résistance et
qu’il assimile Vichy à la France depuis
son élection.
La kermesse de la
mémoire
En marge des
commémorations officielles, le tourisme
de mémoire a mobilisé des milliers de
personnes depuis le début du mois et
jusqu’à la fin du week-end de Pentecôte
pour permettre au public de plonger dans
l’histoire du Jour-J. Pourtant, si la
volonté initiale est louable, les
manifestations qui en découlent ne le
sont pas forcément. Tout d’abord,
l’ambiance générale constatée sur place
manque souvent de mesure et de
recueillement, sauf lorsqu’on visite les
nécropoles. Ensuite, le label « Jour-J »
est devenu un produit commercial à
l’instar du Christ et de la Vierge Marie
à Lourdes. Par exemple, si les
commerçants de Bayeux affichent sur
leurs vitrines d’émouvantes photos de
leurs échoppes telles qu’elles étaient
en 1944, ce n’est pas que par goût de
transmission de l’Histoire.
Les musées sont
également touchés par ce problème. Ceux
visités la semaine dernière proposent
eux aussi – à des degrés divers – des
étagères chargées de livres d’histoire
qui côtoient celles pleines des verres
et de mugs ou d’autres souvenirs d’un
goût plus ou moins douteux. Que penser
par exemple des chapeaux roses pour les
petites filles frappées de l’insigne de
la Big Red One – la 1re
division d’infanterie américaine –
proposés par l’Overlord Museum à deux
pas du cimetière de Colleville-sur-Mer ?
De même, les musées participent à la
construction d’une image fausse du
débarquement qui est unanimement
présenté comme « la plus grande
opération militaire » de l’Histoire. Là
encore, comme l’absence remarquée
d’invitation au président Poutine, il
n’est jamais fait mention des opérations
gigantesques, bien plus importantes que
le débarquement, mises en œuvre au même
moment par les Soviétiques. Par
ailleurs, la présence de nombreux
reconstituteurs pose également question
quant au sérieux et à l’authenticité de
leur démarche historique. Si certains
sont d’un sérieux quasi professionnel
qui permet aux plus jeunes d’approcher
et de comprendre les réalités de la vie
quotidienne des combattants de l’époque,
d’autres ressemblent plus à des amateurs
au comportement parfois plus festif que
scientifique, voire irresponsable
lorsqu’ils sont au volant de leurs
véhicules.
Bref, loin du
discours officiel et derrière le vernis
des présentations télévisées, l’Histoire
ne sort pas grandie de cette 75e
commémoration du débarquement allié en
Normandie. Le Centenaire de la Grande
Guerre avait déjà montré de nombreux
signes de faiblesses en la matière et,
malheureusement, le Jour-J ne fait que
les confirmer. Il appartient donc aux
historiens mais aussi au public averti
de travailler encore et encore pour
porter un message clair, dégagé des
intérêts partisans afin de transmettre
l’histoire correctement.
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