Vu du Droit
Belgique minée et menacée :
C’est arrivé
près de chez vous
Michel Rosenzweig
Jeudi 6 juin 2019 Michel
Rosenzweig est un philosophe et
psychanalyste belge inquiet pour son
pays. Il nous dit sur quoi se fonde
cette inquiétude après les élections
fédérales et régionales qui se sont
tenues en Belgique en même temps que les
européennes.
Régis de
Castelnau
Les élections
européennes du 26 mai 2019 et leurs
enjeux ont eu pour effet d’occulter
totalement les résultats spectaculaires
des élections fédérales et régionales
belges qui se sont tenues le même jour.
Or ce scrutin belge
a accouché, après une campagne
électorale vaporeuse, inintéressante,
soporifique, insipide et ennuyeuse,
d’une hydre bicéphale : la victoire de
deux formations flamandes dont
l’objectif avoué est l’indépendance de
la Flandre et l’éclatement de l’état
belge : la N-VA ( Nieuw Vlaamse
Alliantie, nouvelle alliance flamande)
et le Vlaams Belang (Intérêt flamand).
Cette véritable chimère mine peut-être
de manière définitive la pérennité de la
Belgique en tant qu’état fédéral, la
menant directement au confédéralisme qui
n’est que l’antichambre, à moyen terme,
de la séparation et de la scission et
donc de sa disparition au sein de
l’Europe.
Ces deux partis ont
beaucoup de points communs dans leur
programme et leurs scores respectifs
répondent aux demandes de nombreuses
personnes en Flandre, qui, à l’instar
des autres pays européens, sont
fatiguées, déçues, dégoûtées, voire plus
encore par plusieurs décennies de
gouvernances traditionnelles
responsables et coupables de nombreux
maux délétères : clientélisme,
communautarisme, lâcheté, accommodements
raisonnables, négligence, incompétence,
paupérisation, cécité et déni
volontaires face à l’entrisme de l’islam
politique dont l’aboutissement
dramatique des attentats de Paris en est
la tragique démonstration. Ces
formations sont donc fondamentalement
d’essence souverainiste, nationalistes,
populistes comme le sont le RN en France
ou la Ligue en Italie. Leur naissance et
leur essor n’étant que le résultat d’une
équation simplissime et naturelle : la
reconquête des peuples qui se sentent
dépossédés de leurs territoires et se
sentent envahis par une culture exogène
qui refuse de plus en plus souvent de
s’intégrer dans leur espace d’accueil en
menaçant gravement la vie quotidienne.
Avec la foudroyante
progression du Vlaams Belang c’est un
véritable tsunami sociopolitique qui
s’est déchaîné le 26 mai dans la mesure
où ce parti a fait un bond de 4% à 12%
au niveau fédéral (national) et de 6% à
18,5% au niveau régional flamand, et
ceci en l’espace de quatre ans, à peine.
Derrière la N-VA
qui perd 4% (16,03%), Le Vlaams Belang
au niveau national (fédéral) devance à
présent en pourcentage (11,95%), les
trois partis traditionnels qui ont
gouverné la Belgique pendant plus de 50
ans : les socialistes francophones
(9,46%) et néerlandophones (6,71%), les
réformateurs libéraux francophones
(7,56%) et les néerlandophones (8,54%)
les socio chrétiens démocrates
francophones (8,89%) et néerlandophone
(8,89).
Le scrutin belge
étant soumis à un régime à la
proportionnelle très complexe, cela
donne en nombre de sièges au parlement
fédéral, 25 sièges pour la N-VA, 18 pour
le Vlaams Belang, soit 43 sièges
ensemble sur 150. Le reste de
l’hémicycle est dominé par les
socialistes (20 sièges), les libéraux
(14), les verts (13) et la poussée aussi
spectaculaire du PTB (Parti du Travail
de Belgique marxiste-léniniste très
islamophile), seul parti unitaire non
linguistiquement divisé que l’on pensait
mort depuis la fin du siècle dernier et
qui ressuscite en sortant du tombeau
avec 8,6%. Le Vlaams Belang et le PTB
sont donc les deux réponses populaires
épidermiques les plus radicales fournies
par des centaines de milliers
d’individus se sentant trompés,
abandonnés et trahis par leurs élites
traditionnelles pour lesquelles elles
ont continué de voter docilement
conformément à l’obligation de vote en
Belgique
Face à cette
situation inédite, le Roi Philippe Ier
n’a pu refuser de recevoir le président
du Vlaams Belang, le jeune Tom Van
Grieken, 32 ans, une grande première
dans ce royaume qui a mis en place
depuis longtemps un cordon sanitaire
autour de toutes les formations jugées
infréquentables et anti-démocratiques
pour cause de xénophobie et de sympathie
non dissimulée envers le nazisme. A
titre de comparaison historique, il faut
savoir que la dernière fois que le
Palais Royal a reçu un représentant de
l’extrême droite pro nazie et réellement
fasciste, c’était en 1936: Léopold III
recevait Léon Degrelle dont le parti Rex
avait obtenu 11,5% des voix lors des
législatives. Les cadors des grands
partis traditionnels s’offusquent, mais
la constitution a ses lois et la loi est
la loi, « dura lex sed lex. »
Le grand vainqueur
de ces élections belges, c’est donc bien
le Vlaams Belang, un parti bien plus à
l’extrême droite que celui de Marine Le
Pen puisqu’il charrie en son sein des
opinions franchement racistes, une
certaine nostalgie collaborationniste et
une admiration pour le troisième Reich,
une quinzaine de candidats de ce parti
sont mêmes soupçonnés de sympathies
nazies, selon une enquête de Het Laatste
Nieuws relayée également par De Morgen.
Selon ces deux journaux, il ne s’agit
pas de déclarations de soutien à des
groupes d’extrême droite comme Schild &
Vrienden, mais de « likes » pour Adolf
Hitler. Des images prises par un
photographe du Morgen montrent par
exemple des membres de Forza Ninove
(Vlaams Belang) fêter leur écrasante
victoire par un salut nazi. Enfin, les
membres dirigeants de la N-VA,
embarrassés face à cet allié politique
et stratégique potentiellement
incontournable mais politiquement pas
très correct, sont tous étrangement
contaminés par ce double mot béquille «
oui mais » lorsque la presse leur
demande s’ils envisagent de gouverner
ensemble avec des personnes ouvertement
racistes, « oui il y a des personnes qui
sont racistes au Vlaams Belang, mais… ».
Cela nous rappelle un autre « oui mais »
prononcé par JL Mélanchon et ses
camarades interrogés lors des derniers
attentats islamistes.
La solidarité des
indépendantistes/séparatistes semble
donc ici l’emporter sur la morale et
l’éthique politiques, du bout de la
langue, en français du moins…
Dans ces conditions
sulfureuses, la formation d’un
gouvernement fédéral majoritaire s’avère
déjà improbable sinon impossible,
personne ne voulant jusqu’à présent
gouverner avec le Vlaams Belang.
Et ignorer ses
électeurs qui représentent quand-même
environ 700.000 personnes, soit un
flamand sur 5 en âge de voter,
représente une quantité impossible à
négliger.
L’état belge
redevient par conséquent à nouveau
ingouvernable comme en 2010-2011 au
niveau national/fédéral et de nouvelles
élections sont déjà envisagées dans six
mois, ce qui n’empêche évidemment pas
les entités régionales autonomes de
fonctionner (région flamande avec une
majorité N-VA VB, région wallonne avec
une majorité PS et MR (réformateur
libéraux) et enfin la Région de
Bruxelles capitale avec une majorité
rouge verte).
Plus que jamais il
y a bien deux pays et deux démocraties
qui coexistent encore pour le moment
mais avec des mentalités et des cultures
politiques de plus en plus opposées,
voire incompatibles et inconciliables
comme le montre graphiquement les deux
camemberts des résultats.
Cette coexistence
belge se fragilise de plus en plus au
fil des élections et des interminables
réformes de l’état au sein d’une
structure constitutionnelle réduite à
quelques compétences « régaliennes »
importantes (Défense, justice, police,
santé, immigration, politique
étrangère).
Or, cette situation
belge ne semble intéresser personne en
Europe et en particulier en France où le
débat politique a été naturellement et
logiquement focalisé sur le duel
Macron/MLP. Circonstance aggravante :
les débats belgo-belges eux-mêmes sur
cette question sont assez pauvres voire
médiocres, témoignant d’une grande
lassitude de la population face à
l’évaporation de la Belgique annoncée il
y a déjà plus de 15 ans par le président
de la N-VA Bart de Wever qui proclamait
paisiblement au micro : « un jour on se
réveillera et la Belgique sera évaporée
».
Et pourtant, il
faut rappeler que c’est à Bruxelles que
se situe le siège de la Commission de
l’UE et que de nombreuses sessions du
parlement européen se tiennent dans la
capitale belge, ainsi que les sommets
des chefs d’états européens.
L’indifférence des
médias de l’hexagone à l’égard de ce
tremblement de terre socio-politique est
particulièrement frappante, alors qu’en
réalité, le score du Vlaams Belang et
ses conséquences sont de nature beaucoup
plus grave que ce qu’il s’est produit
avec la petite victoire du RN qui n’est
somme toute qu’un simulacre de victoire
dans la mesure où son score n’est pas
tellement plus élevé que lors des
dernières élections européennes.
Symboliquement et
sociologiquement la montée spectaculaire
du Vlaams Belang constitue un danger
bien plus réel que la poussée des partis
populistes européens souvent décrits
abusivement comme la nouvelle peste
brune et faussement présentés comme les
héritiers des formations fascistes des
célèbres et désormais légendaires «
heures les plus sombres de notre
histoire.
Ce danger ne se
présente bien évidemment pas comme les
milices nazies des années 30
patrouillant dans les rues et défilant
en chemise brunes et bottes
d’équitation, les nouveaux adeptes du
fascisme à l’ancienne avides d’un
pouvoir fort et xénophobes s’étant
transformés en bons pères de famille et
en hommes d’affaire ou en cadres
supérieurs fréquentables, la plupart
ayant compris qu’il leur fallait se
délester des oripeaux et des emblèmes
fascistes et nazis, de l’accoutrement
aux éléments de langage, ici comme
ailleurs.
Il n’en reste pas
moins que ce danger, qu’il faudrait
plutôt considérer comme un péril,
concerne à la fois l’état Belge, miné et
menacé cette fois plus que jamais
d’implosion, mais aussi par contagion
l’Europe, qui ferait bien de se pencher
sur son laboratoire belgo-bruxellois
afin d’ouvrir les yeux, la Belgique
étant un des six premiers états
fondateurs du marché commun. Il est par
conséquent grand temps de prendre enfin
toute la mesure de cet événement local
dont l’importance semble pour le moment
échapper aux observateurs avisés.
La Belgique n’est
ni l’Espagne, ni le Royaume Uni, ni
l’Italie.
Amis français,
c’est arrivé près de chez vous, à 1h15
de Paris en Thalys et ce n’est pas du
cinéma.
Michel
Rosenzweig
Philosophe,
psychanalyste.
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