Vu du Droit
« Attaque » de la Pitié :
Internet et les
réseaux armes de la vérité
Régis de Castelnau
Samedi 4 mai 2019
Ce qui vient de se
produire à l’occasion des manifestations
parisiennes du 1er mai avec
le mensonge sur l’attaque de l’hôpital
de la Pitié Salpêtrière est quelque
chose d’assez extraordinaire.
Extraordinaire d’avoir vu un pouvoir
d’État dévoyé un niveau rarement atteint
sous la République. Extraordinaire le
spectacle d’une presse nationale qu’elle
soit écrite ou audiovisuelle
complètement aux ordres de ce pouvoir.
Extraordinaire cette mobilisation d’une
classe intellectuelle et médiatique se
lançant dans la surenchère pour
applaudir un mensonge d’État dont
l’évidence aurait pu immédiatement
sauter aux yeux en usant d’un minimum
d’esprit critique. Mais finalement,
quelle leçon politique nous a fourni le
déroulement de la journée du 2 mai et
quel révélateur de la crise qui secoue
la société française !
La vérité des
faits
Chacun sait
maintenant ce qui s’est passé dans
l’après-midi du 1er mai sur
le boulevard des Italiens et dans
l’enceinte de l’hôpital de la Pitié
Salpêtrière. Le cortège de la
manifestation a été scindé en trois par
les forces de police, chaque partie
faisant l’objet de charges et
d’intervention de canon à eau. Cette
stratégie volontairement dangereuse
enferme les manifestants dans des nasses
dont craignant les violences policières
ils cherchent à s’échapper. C’est ce qui
s’est produit avec l’intrusion de
groupes pacifiques quelques instants
auparavant, dans un parking dépendant de
l’hôpital. Les gens espérant que les
policiers se contenteraient de disperser
la manifestation sur le boulevard, ont
vu avec effroi les policiers rentrer
dans ce parking et y lancer leurs
charges alors qu’il n’y avait bien sûr
aucun incident. Éparpillement des
manifestants dans l’enceinte de
l’établissement lui-même qui quand on le
connaît apparaît comme une véritable
ville avec ses bâtiments et ses rues.
Les policiers en poursuivi leur
stratégie folle de chasse à l’homme dans
cet entrelacs, provoquant naturellement
la panique. Un groupe ne comprenant
aucun black bloc ni casseur s’est alors
réfugié sur une passerelle, et pour se
mettre à l’abri, a tenté de rentrer dans
les locaux de ce qui s’est révélé être
le service de réanimation de l’hôpital.
Avec le professionnalisme et le
sang-froid, qui caractérise le personnel
soignant en général et celui des
services de réanimation en particulier,
ce qui était de service en ce 1er
mai, se sont opposés calmement à
l’intrusion. Et au fur et à mesure les
choses se sont calmées. Le mieux pour
mesurer la réalité de cette présentation
est
de voir les vidéos de ce qui s’est passé
et d’écouter le témoignage des soignants
impliqués. Cette réalité, cette
vérité, ont été travesties par le
ministre de l’intérieur de la République
complètement déshonoré pour l’occasion.
Il n’y a pas, en présence, deux versions
de ce qui s’est passé comme le
prétendent multipliant les contorsions
ceux qui se sont imprudemment engagés,
il n’y en a qu’une. Celle de la vérité
factuelle.
Un Ministre
menteur et ses amis
C’est la première
leçon. Pour le service de ses petits
intérêts politiciens, en période
électorale, celui qui a la
responsabilité de l’ordre public n’a pas
hésité à profiter des excès des forces
de l’ordre sous ses ordres et a proféré
une série de contrevérités ahurissantes
pour disqualifier ceux qui utilisent
leur droit constitutionnel de
manifestation, et après les avoir traité
de lépreux, de fainéants, d’illettrés,
de foule haineuse, d’antisémites, de
factieux, on les qualifie de monstres
assoiffés de sang qui s’attaquent au
sanctuaire absolu qu’est le service de
réanimation d’un hôpital. Chacun sait
que Christophe Castaner n’aurait jamais
dû être nommé à ce poste, cette dernière
initiative n’en est qu’une nouvelle est
atterrante illustration.
La seconde leçon,
concerne toute la cohorte de ceux qui se
sont précipités pour soutenir
l’insoutenable. Le caractère
invraisemblable de la présentation et
des accusations sautait pourtant aux
yeux. Malgré cela, précipitation et
abdication de tout esprit critique,
symptômes de l’allégeance au pouvoir
dominant, ont conduit l’essentiel des
médias,
à l’exception heureuse de Libération,
à emprunter la voie du déshonneur
professionnel. Accompagnés par une
collection de personnalités lancées dans
une surenchère assez obscène,
bombardant Twitter et autres réseaux de
messages de couroux solennel condamnant
les atrocités. On ne va pas dresser
la liste de ceux qui qui voient revenir
maintenant les boomerangs, occupés à des
contorsions risibles pour se justifier
et à essayer d’effacer les messages qui
seraient passés au travers des captures
d’écran.
Simplement citer Martin Hirsch directeur
de L’APHP qui n’a pas hésité à
évoquer la possibilité d’une volonté
meurtrière contre les malades dans «
l’attaque » du service de réanimation.
Et ce conseiller à l’Élysée auteur d’un
statut Facebook vengeur vilipendant les
terroristes jaunes et noirs,
curieusement disparu dans l’après-midi.
Et peut-être aussi Jean-Paul Enthoven,
doublement imprudent, d’abord par le
relais empressé du mensonge castanérien,
puis par un engagement aventureux de
manger son chapeau s’il s’avérait
qu’il avait tort. Il va falloir
s’exécuter Monsieur Enthoven, votre
dignité est à ce prix, et sachez que le
panache est le seul moyen de réussir ses
échecs. On réservera
un ban pour Éric Naulleau qui n’a
dit que des bêtises et a ensuite tout
laissé.
Les réseaux sont
pleins de ces vidéos, captures d’écran,
explications gênées, et voir les uns et
les autres patauger dans l’embarras et
la confusion, voire un cynisme
tranquille, est une vraie gourmandise.
Et que dire du spectacle de la
caricature de la crise générée par
Emmanuel Macron : France d’en haut
contre France d’en bas.
Internet et
réseaux contre les mensonges d’Etat
C’est justement là
que se loge la troisième leçon. Depuis
son arrivée au pouvoir, Emmanuel Macron
a accentué les atteintes aux libertés
publiques. Comme seule réponse à la
crise politique qu’il a provoquée, il a
ensuite instrumentalisé la police à des
fins de répression violente dont la
brutalité et les illégalités se
multiplient sous le regard des caméras
dont tous les citoyens disposent
aujourd’hui et que l’on retrouve les
vidéos effarantes à foison sur les
réseaux. Sous le regard stupéfait de la
presse et des institutions
internationales, on y voit dans toute la
France, les membres forces de l’ordre se
comporter souvent, trop souvent comme
des nervis. Emmanuel Macron, bénéficiant
d’une complaisance désolante de la
magistrature, a instrumentalisé la
justice et mis en place une répression
judiciaire d’une brutalité inconnue
depuis la guerre d’Algérie. Il ne faut
pas se tromper, la panique des
manifestants sur la passerelle devant le
service de réanimation de la Salpêtrière
a pour origine cette peur justifiée à la
fois de la violence policière, et de la
brutalité judiciaire qui multiplie
gardes à vue illégales et peines de
prison délirantes. Enfin, Emmanuel
Macron a instrumentalisé une Assemblée
nationale croupion, composée de
parlementaires godillots qui acceptent
sans broncher de voter des textes
gravement liberticides, sans d’ailleurs
que le conseil constitutionnel d’Alain
Juppé n’y voit d’inconvénient. Et c’est
ainsi que nous avons eu la fameuse loi
Fake news. L’adoption de cette loi
préparée par une campagne de propagande
rythmée par des sondages biaisés, la
diabolisation systématique des réseaux,
la dénonciation de la haine que ceux-ci
véhiculeraient. Elle a donné au pouvoir
des outils juridiques pour s’arroger une
forme de monopole de la vérité.
Rappelons que ce texte répressif permet
de porter des coups à la liberté
d’expression dans des proportions plus
qu’alarmantes. Compétence a été donnée
au juge des référés statuant sous 48
heures de dire ce qu’est la vérité
objective, avec le pouvoir d’interdire
tout autre récit et de lourdement
sanctionner hébergeurs et plates-formes.
Le ministre du numérique nous a annoncé
une nouvelle loi réprimant la liberté
d’expression pour soi-disant :
« lutter contre la haine sur les réseaux
». La cible évidente est Internet,
l’objectif l’est aussi, faire taire
toute parole n’émanant pas du pouvoir et
de ceux qui le soutiennent, en
l’occurrence la plus grande partie de la
presse entre les mains des grands
intérêts financiers. Étonnante situation
qui amène les principaux producteurs de
fake news, c’est-à-dire les pouvoirs
d’État, à renverser l’accusation pour
porter atteinte à la liberté
d’expression. Karl Rov qui fut le
conseiller de George Bush au moment du
déferlement des mensonges d’État pour
justifier la guerre d’agression contre
l’Irak a théorisé cette stratégie. «
Les journalistes se réfèrent à la
réalité et croient que des solutions
émergent de l’étude d’une réalité
discernable.[…] Mais ce n’est plus la
façon dont fonctionne le monde […]
Maintenant, nous sommes un empire, et
lorsque nous agissons, nous créons notre
propre réalité. »
Christophe Castaner
et ses relais ont eux aussi voulu créer
leur propre réalité. Or Il vient de se
produire un événement de portée
considérable où Internet et les réseaux
ont permis de mettre à bas ce qui
n’était rien d’autre qu’une fake news
d’État et de restaurer la vérité à la
face de tous. Le ministre de l’intérieur
a officiellement proféré un mensonge
visant à disqualifier ceux qui
s’opposent au pouvoir qu’il incarne,
mensonge relayé par une presse à la fois
complaisante et connivente. Ce sont les
informations irréfutables et partagées
circulant sur les réseaux qui ont obligé
les menteurs, à faire, souvent
piteusement machine arrière. La réalité
et la vérité ont été rétablies grâce aux
citoyens qui ont pris les vidéos, les
ont publiés, ont témoigné, et ce grâce
au média qu’est Internet. Le matin du 2
mai les Français écoutant Christophe
Castaner, ouvrant leur journal, allumant
leur télévision et leur radio
apprenaient qu’une bande de blacks blocs
avait pris d’assaut le service de
réanimation d’un grand hôpital afin d’y
commettre des violences et de mettre en
danger la vie des patients. 12 heures
plus tard, sous les coups de la prise de
parole des citoyens mobilisés, le
mensonge s’effondrait. Le pouvoir et ses
épigones étaient contraints de reculer
en désordre. On sait maintenant qui est
producteur de fake news, qui ment, qui
est complotiste, et qui est violent.
Et on sait aussi
pourquoi ces gens-là qui ont peur de la
vérité, veulent verrouiller les outils
de notre liberté d’expression.
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