Vu du Droit
Pour Nicolas Domenach :
François Bayrou
saint et martyr
Régis de Castelnau
Lundi 2 décembre 2019 Nicolas Domenach
n’est pas le pire des éditocrates
macronolâtres, même si on pourrait dire
à son sujet paraphrasant Thérèse dans «
le Père Noël est une ordure » : « je
n’ai pas pour habitude de dire du mal
mais il est vraiment gentil ».
Alors pourquoi
s’intéresser à lui à propos
d’un de ses éditoriaux paru dans le
magazine Challenges ? Simplement
parce que nous avons là l’étalage ingénu
d’un mélange d’ignorance et de culot,
qui confine à une forme d’obscénité.
Nicolas Domenach
n’est pas content : François Bayrou une
de ses idoles politiques devrait être
bientôt mis en examen, et il tient
absolument à nous expliquer que cette
mesure de procédure judiciaire n’est
rien qu’une très injuste méchanceté que
l’on fait subir à un être au-dessus de
tout soupçon.
De quoi s’agit-il
sur le fond ? Le MoDem, parti fondé par
le maire de Pau est accusé d’avoir fait
la même chose qu’a peu près tout le
monde, que ce soit au parlement français
ou au Parlement européen : utiliser les
assistants parlementaires, normalement
collaborateurs d’élus, comme permanents
du parti. Concernant le MoDem, c’était
depuis longtemps, voire très longtemps
un secret de polichinelle, en
particulier depuis la publication en
2015 par Corinne Lepage d’un livre
intitulé, ça ne s’invente pas
« Les mains propres ». Celle-ci,
députée au Parlement européen en 2009
expliquait quelles étaient des pratiques
du parti sous l’étiquette duquel elle
avait été élue. C’était on ne peut plus
clair et la presse avait répercuté ces
accusations…
Le Parquet National
Financier était resté muet, plus
intéressé par chercher des noises au
Front National, à Nicolas Sarkozy puis à
François Fillon, et enfin à Jean-Luc
Mélenchon. La mansuétude sélective
observée à l’égard de ce grand ami
d’Emmanuel Macron provoqua cependant
quelques commentaires au printemps 2017
au moment du rodéo judiciaire contre
François Fillon. Il fallut donc un peu
donner le change et l’on annonça
discrètement l’ouverture d’une enquête
préliminaire, utilisée d’ailleurs comme
prétexte pour se débarrasser de François
Bayrou d’abord nommé Garde des Sceaux
(!). Mais comme avait prévenu dans un
communiqué commun du premier Président
et le Procureur général de la Cour de
cassation à propos de la procédure
fulgurante lancée contre
François Fillon : « en matière de
justice, c’est chacun son rythme… ».
Celui utilisé pour François Bayrou fut
fort paisible, le front restant
soigneusement immobile, et le Canard
enchaîné nous apprenant en janvier 2019
soit quatre ans après les révélations de
Corinne Lepage, qu’il ne s’était rien
passé et que le patron du MoDem
principal intéressé n’avait seulement
jamais été auditionné ni perquisitionné.
Et rapportant tranquillement sans être
démenti un propos de Laurence
Vichnievski ex-magistrate devenus
députée MoDem : « c’est Macron qui
retarde l’instruction. » (!)
L’instrumentalisation politique de la
justice contre les opposants du
président de la république et pour la
protection de ses amis nécessite quand
même de mettre quelques formes, sinon
cela finit par trop se voir. Alors on
s’adapte, et puisque Édouard Philippe
est solide à son poste et comme Sylvie
Goulard autre dirigeante du MoDem a été
blackboulée à la Commission européenne
en raison de casseroles trop sonores, le
MoDem désormais on s’en moque un peu.
Alors on va lâcher un peu de mou de ce
côté-là.
Il y a d’ailleurs
le précédent, ou par le plus grand des
hasards bien sûr,
Richard Ferrand a enfin été mis en
examen au moment précis où Jean-Luc
Mélenchon passait en correctionnelle
pour son attitude lors de la
perquisition à grand spectacle dont il
avait été l’objet. « Vous voyez bien
que la Justice est impartiale ! »
nous a-t-on alors lancé à longueur de
plateaux et de colonnes. Nul doute que
nous aurons droit à la même chanson
lorsque tombera l’annonce
de celle qui attend François Bayrou.
Sauf de la part de
Nicolas Domenach fort marri de ce qui
attend son idole politique et qui sous
le titre : « François Bayrou mis en
examen : un sommet en Absurdie ! »
se lance dans une plaidoirie enflammée
pour défendre son champion. Un étonnant
florilège qui commence très fort par un
résumé de l’éditorial : « les
dirigeants du MoDem risquent de se
retrouver mis en examen, comme ceux du
Front National à Bruxelles. Alors que
l’un devrait pour l’Europe, l’autre
l’ont (sic) toujours combattue ».
Ceux qui pensaient que les juges
d’instruction, en application de
l’article 80–1 du Code de procédure
pénale devaient mettre en examen les
personnes contre lesquelles existaient
des indices graves et concordants
d’avoir commis des infractions ont tout
faux ! Ce qui justifie la mise en
examen, pour notre brave chevalier de la
plume c’est le fait d’être
eurosceptique. L’eurobéat est lui
inattaquable et innocent comme l’agneau
qui vient de naître, par définition, .
Et de poursuivre : « on mesure ainsi
l’absurdité perverse de ces poursuites à
l’heure ou une mise en examen passe pour
une présomption de culpabilité ». La
faute à qui Monsieur Domenach ? À la
presse dont vous êtes un des piliers
depuis si longtemps peut-être un peu,
non ? Et dites-moi, on n’a guère lu sous
votre plume ou entendu dans votre bouche
ce genre de réflexions dès lors que
pleuvaient les mises en cause concernant
Nicolas Sarkozy, François Fillon, Marine
Le Pen, Jean-Luc Mélenchon etc. etc.
Et tout à son
chagrin face à l’innocence bafouée,
notre amateur d’État de droit à
géométrie variable poursuit : «
jusqu’à il y a peu François Bayrou avait
le plus grand mal à imaginer qu’il
puisse être mis en examen par le parquet
financier. Il ne s’en ouvrait guère.
» À nouveau l’ignorance judiciaire
totale du maître penseur ne sachant pas
que c’est le juge d’instruction, juge du
siège et normalement impartial, et non
le parquet qui met en examen. Mesure
d’instruction qui permet à la personne
poursuivie d’avoir accès à son dossier
et de participer au débat
contradictoire. De plus si François
Bayrou est resté discret, c’était une
attitude très sage. Compte tenu de ce
que l’on peut d’ores et déjà savoir du
dossier, il valait mieux en effet raser
les murs.
De façon qu’il ne
considère pas comme contradictoire, et
alors qu’il avait trouvé cela formidable
pour le FN et normal pour LFI, Nicolas
Domenach nous explique « qu’il faut
une vision comptable surréaliste pour
voir une quelconque malversation »
dans le fait de piquer dans la caisse du
Parlement européen. Parce c’est vrai que
si l’on commence à compter les sous qui
sont au départ des fonds publics payés
par le contribuable, on ne va pas s’en
sortir. Et de se plaindre que son ami
soit « poursuivi tel un vulgaire
délinquant financier ». Quelle
horreur, vous vous rendez compte,
ajoute-t-il c’est un « disciple de
Charles Péguy à qui il a consacré un
mémoire de maîtrise ».
Malheureusement, on aura beau chercher,
cette excuse absolutoire ne figure pas
pour l’instant dans le Code pénal.
L’ensemble du texte
qu’il faut lire en entier, est de la
même eau, mélange d’ignorance,
d’ingénuité mais aussi de cynisme
passablement obscène, puisque Domenach,
saluant
le refus de François Bayrou de
démissionner de son poste de maire
de Pau, nous donne la clé de sa
plaidoirie. Il est nécessaire que son
héros puisse « rester aussi l’un des
principaux sinon le principal,
conseiller d’Emmanuel Macron. » Nous
y voilà…
Étonnante et
caricaturale illustration d’un des
aspects du système Macron : dans la
France d’en haut, entourant le président
de la république il y a les
intouchables, qui devraient pouvoir tout
se permettre sans être importunés par
des juges ou des comptables. Et si la
justice ose s’y attaquer, c’est un
blasphème, voire un sacrilège.
Comment se moquer
encore un peu plus la France d’en bas ?
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