Vu du Droit
Qui a tué Steve Canico ?
Qui est
responsable et pourquoi est-il mort ?
Régis de Castelnau
Jeudi 1er août 2019 Depuis la
découverte du corps du malheureux Steve
Canico dans la Loire, on peut assister à
l’écœurant spectacle d’une course au
mensonge et à la défausse sous la
conduite d’un premier ministre dont on a
la confirmation que de toute la bande
actuellement au pouvoir, il est le plus
dangereux pour nos libertés.
De façon entêtante
m’est revenue à l’esprit
l’extraordinaire chanson de Bob Dylan
superbement reprise en français par
Graeme Allwright et entendue dans ma
jeunesse :
« Qui a tué Davy Moore ? » Le
refrain lancinant pose et repose la
question de savoir pourquoi le boxeur
Davy Moore est mort sur le ring au cours
d’un combat. Chaque couplet imagine la
réponse de tous ceux qui sont
responsables mais se justifient et se
défaussent, concluant leurs propos d’un
terrible : « vous ne pouvez pas
m’accuser ! »
Eh bien, à tous
ceux, menteurs, enfumeurs, matraqueurs,
et autres nervis politiques du système
macronien, on va rétorquer : « si on
peut ! ». Et voici pourquoi.
On ne reviendra pas
en détail sur les faits sinon pour
rappeler que le soir de la fête de la
musique, un concert techno qui se
déroulait comme tous les ans au bord de
la Loire a été interrompu par une
intervention policière, que
tous les témoignages et surtout les
vidéos en démontrent l’inutilité,
particulièrement violente, et dangereuse
pour les participants. On ne s’étendra
pas non plus sur l’attitude du pouvoir
qui a nié le problème de la
disparition du jeune homme, le bétonnage
de la presse aux ordres pour en faire
autant, les ignominies déversées par
certains, la palme revenant au chef de
l’Observatoire national de la
délinquance disant sur un plateau :
« Il a pu plonger volontairement dans
l’eau ».
Mais pour répondre
à la question de savoir qui a tué Steve
Canico, il faut faire parler le droit.
Incontestablement,
il a été victime de ce que l’on appelle
dans le code pénal un « homicide
involontaire », prévu et réprimé par
l’article 221–6 du code pénal,
complété ce qui est indispensable par
l’article 121–3 qui détaille les
conditions dans lesquelles l’infraction
peut être considérée comme réalisée. En
effet, en droit français, le principe
est qu’il n’y a normalement pas
d’infractions pénales involontaires
c’est-à-dire sans intention de la
commettre. Et comme tout principe on a
prévu des exceptions, et notamment tout
ce qui relève de l’homicide des
blessures involontaires, ce qui explique
le détail de l’article 121–3. Une autre
donnée essentielle doit être connue,
celle de la théorie juridique utilisée
par notre jurisprudence pour appréhender
et traiter ces infractions
involontaires. Lorsque des dommages
corporels surviennent, il y a deux
possibilités pour identifier ceux qui
seront considérés comme responsables et
pourront être ainsi poursuivis. Tout
d’abord une vision restreinte appelée
« la causalité adéquate » qui
implique que ne peuvent être jugés que
les auteurs d’actes ayant un lien
direct avec la réalisation du
dommage. L’autre approche est celle
de « l’équivalence des conditions »
qui considère que sont responsables tous
ceux qui par leurs agissements ou leur
abstention ont favorisé, même
indirectement la survenance de la
mort ou des blessures. Depuis fort
longtemps la jurisprudence française a
adopté et appliqué la théorie de «
l’équivalence des conditions ».
Prenons un exemple très simple, celui
d’un accident de la circulation dans une
petite agglomération où un conducteur
circulant trop vite renverse un piéton.
Le conducteur sera bien évidemment
poursuivi, mais également le maire qui
aurait omis de faire installer les
panneaux obligatoires signalant la
limitation de vitesse à 50 km/h. Cette
question a suscité beaucoup de débats
avec la multiplication des poursuites
intentées contre les élus locaux et en
particulier les maires. Le législateur a
donc adopté un certain nombre de
précisions concernant les possibilités
de mise en œuvre de responsabilités des
auteurs indirects. Aujourd’hui pour être
poursuivi pour homicide involontaire, il
faut que le décès ait été produit «
par une maladresse, imprudence,
inattention, négligence ou manquement à
une obligation de prudence ou de
sécurité imposée par la loi ou le
règlement » (article 221–6). Et pour
les personnes auteurs « indirects »
l’article 121–3 précise qu’elles «
sont responsables pénalement s’il est
établi qu’elles ont, soit violé de façon
manifestement délibérée une obligation
particulière de prudence ou de sécurité
prévue par la loi ou le règlement, soit
commis une faute caractérisée et qui
exposait autrui à un risque d’une
particulière gravité qu’elles ne
pouvaient ignorer. » Il y a donc là
deux conditions, soit avoir violé un
texte prévoyant des mesures de sécurité
particulière, soit avoir su que son
attitude était dangereuse et n’en avoir
pas tenu compte.
Ce développement
fastidieux permet de voir à quel point
toutes les défenses mises en avant par
le pouvoir et ses séides ne sont que la
négation d’évidences. Ce qui saute aux
yeux, à l’examen des éléments d’ores et
déjà irréfutables dont on dispose, c’est
que cette intervention était
intempestive, dangereuse, et qu’elle a
pris des formes de brutalité totalement
injustifiée. Et que malgré l’évidence du
danger dû à la proximité de la Loire
rappelé plusieurs fois aux policiers,
ceux-ci ont exposé les participants au
concert à « un risque d’une
particulière gravité qu’ils ne pouvaient
ignorer ». Cela vaut évidemment pour
toute la chaîne de commandement
opérationnel de cette intervention. Mais
aussi pour leurs supérieurs jusqu’au
premier ministre qui a organisé depuis
le 17 novembre 2018 une répression
policière massive, d’une violence sans
précédent depuis la guerre d’Algérie, où
se sont multipliées les bavures, les
exactions, les mutilations, l’étranger
assistant effaré aux agissements d’une
police française pour qui la violence
est devenue open bar. Et il ne faut pas
dire qu’elle serait aujourd’hui « hors
de contrôle », c’est exactement le
contraire puisqu’elle exécute docilement
les ordres de répression massive et
violente donnés par ce pouvoir pour
casser un mouvement social.
«
C’est pas la police dit l’IGPN,
c’est pas elle qui l’a fait tomber vous
ne pouvez pas l’accuser ! »
«
C’est pas moi dit le commissaire
Chassaing qui a commandé l’assaut,
c’est pas moi qui l’ai fait tomber vous
ne pouvez pas m’accuser ! »
«
C’est pas moi dit le préfet d’Harcourt,
c’est pas moi qui l’ai fait tomber vous
ne pouvez pas m’accuser ! »
«
C’est pas nous dit le chœur des
ministres « intègres », c’est pas
nous qui l’avons fait tomber, vous ne
pouvez pas nous accuser ! »
Eh bien si ! Vous
avez violé de façon manifestement
délibérée des obligations particulières
de prudence ou de sécurité prévue par la
loi ou le règlement, et vous avez tous
commis des fautes caractérisées qui
exposaient autrui à des risques d’une
particulière gravité que vous ne pouviez
ignorer.
Eh bien si, vous
l’avez fait tomber, vous l’avez
poussé, c’est vous qui avez tué
ce jeune homme de 24 ans. Vous,
ce pouvoir minoritaire, qui se permet
tout, transforme la police nationale en
milice, instrumentalise une magistrature
docile et protège les voyous dans ses
rangs.
Eh bien si, c’est
vous qui l’avez tué !
Et nous n’allons
pas cesser de vous en accuser.
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