Vu du Droit
Destruction des libertés publiques :
un projet politique déterminé. I
Régis de Castelnau
Lundi 1er juillet 2019
Emmanuel Macron est porteur d’un projet
politique : destruction de l’État
providence comme base matérielle de
l’organisation de la société, abandon de
l’intervention publique comme mode de
régulation sociale, fin de la démocratie
représentative comme dialectique de la
société civile et de l’État. Ce projet
était au cœur du choix de cet inconnu
par l’alliance de l’oligarchie et de la
haute fonction publique d’État. Et il
constitue sa feuille de route une fois
installé au pouvoir.
En 2011, Catherine
Colliot-Thélène, avait publié un ouvrage
qui ne fut pas suffisamment remarqué.
Intitulé «
La Démocratie sans « Demos » ». Elle
posait les principes théoriques des
nouvelles formes de « démocratie » sans
le peuple nécessitées par la
contradiction qui travaillait les corps
sociaux. Contradiction née de
l’incompatibilité entre l’aspiration des
peuples et des nations à la souveraineté
et les formes prises par la
mondialisation néolibérale. On
conseillera également la lecture du
livre de Grégoire Chamayou
« La société ingouvernable, Une
généalogie du libéralisme autoritaire »
qui dévoile les origines et la
nature de ce projet politique.
Tout le monde en
convient, l’Union Européenne, par sa
construction est une institution qui a
sanctuarisé dans des traités à valeur
constitutionnelle irréformables ce qui
relevait auparavant de la délibération
souveraine des peuples. Mais ce constat
a masqué l’autre risque, celui de la
mise en cause des libertés publiques
fondamentales. Celles justement dont les
opposants frustrés par le refus de prise
en compte de leurs aspirations veulent
se servir. Et de ce point de vue, la
présidence d’Emmanuel Macron commence à
ressembler à un véritable laboratoire.
Voilà un pouvoir
mis en place par surprise en 2017
après une opération politico-judiciaro-médiatique
qui a pris de grandes libertés avec les
règles qui gouvernent une élection
régulière. Sans que les organes de
contrôle qui doivent normalement veiller
à cette régularité y trouve à redire. Et
c’est d’ailleurs cette complaisance qui
est la marque du système autoritaire que
construit jour après jour Emmanuel
Macron. Ce qui s’apparentait
initialement à un coup d’État n’est pas
apparu comme tel, mais c’est ensuite par
la mise en place de petites touches
successives que le pouvoir Macronien a
sérieusement mis en cause les libertés
publiques et emmène la France vers
quelque chose qui commence à ressembler
à un État policier. Par la volonté de ce
pouvoir de passer en force, mais grâce
aussi à la défaillance ou au ralliement
des institutions chargées du maintien de
l’équilibre des pouvoirs et de la
protection des libertés. La connivence
de ces organes avec l’exécutif trouve
son origine dans des convergences
idéologiques, sociologiques et
politiques qu’ils entretiennent avec
cette France d’en haut à laquelle ils
appartiennent.
Pour illustrer
cette dérive, on prendra trois exemples
particulièrement caractéristiques. Tout
d’abord le travail législatif et
méthodique destiné à détruire la liberté
d’expression. Ensuite, toujours à l’aide
d’une assemblée de godillots comme on en
a rarement connu, la suppression de la
liberté de manifestation. Et enfin
l’instrumentalisation de la justice pour
tenter de briser violemment un mouvement
social.
Faire taire et
intimider les opposants
Tout d’abord donc
la mise en cause de la liberté
d’expression. Par l’adoption de textes
répressifs et manifestement
inconstitutionnels par un Parlement dont
la majorité
est complètement caporalisée. Il y a
eu la loi fake news dont la simple
lecture montre bien qu’elle est destinée
à faire taire les réseaux dès lors
qu’ils émettent ou relaient des
informations qui déplaisent au pouvoir.
Ce texte philosophiquement absurde qui
fait du juge des référés (!) le
dépositaire de la vérité objective, ne
vise en fait qu’à imposer une vérité
d’État. On a bien vu le rôle des réseaux
lorsqu’ils ont fait triompher la réalité
contre la parole officielle de l’État
exprimée par son ministre de
l’intérieur, à propos
de « l’attaque de l’hôpital de la Pitié
». Le juge constitutionnel dont la
jurisprudence protégeait jusqu’alors la
liberté d’expression, n’a vu aucun
inconvénient à la promulgation de ce
texte, à la stupéfaction des juristes.
En attendant bientôt la « loi contre la
haine » prévoyant un parquet du même nom
dont est saisi le Parlement et que les
sages valideront aimablement. Dans ce
domaine de la liberté d’expression, la
crise des gilets jaunes a vu la
répression judiciaire se déchaîner,
n’hésitant pas condamner à de la prison
ferme pour de simples partages de pages
Facebook, ou pour des slogans lancés
dans des manifestations ! Ahurissantes
premières que ces sanctions uniquement
destinées à intimider et à faire peur à
ceux qui utilisent leur droit
constitutionnel de s’opposer au pouvoir
en place. Volonté d’intimidation que
l’on va retrouver avec les convocations
par la police de journalistes qui ont eu
l’outrecuidance d’enquêter et de
s’exprimer sur des scandales qui
touchent le président de la république
et son entourage. On imagine les
hurlements si Nicolas Sarkozy se l’était
permis, mais nous n’avons eu cette fois
que la porte-parole du gouvernement
oubliant la protection du secret des
sources et nous disant contre la réalité
juridique, que les journalistes étaient
des « justiciables comme les autres ».
Tout ceci est plus qu’inquiétant.
Il y a eu ensuite
la « loi anticasseurs » qui en pleine
crise des gilets jaunes a suscité une
certaine émotion, chacun se rappelant la
diatribe émue du député Charles de
Courson. Rappelons que ce texte donne
aux préfets des pouvoirs d’interdire
individuellement à des citoyens de
circuler librement et d’user de leur
droit de manifestation. La privation de
l’exercice d’un tel droit fondamental ne
peut être évidemment prononcée que par
un juge. Nous avons assisté à une jolie
petite opération de communication pour
amener le Conseil constitutionnel à
valider cette hérésie. D’abord Emmanuel
Macron pour faire joli, a utilisé pour
la première fois dans l’histoire de la
Ve République la faculté du président à
déférer un texte au Conseil. On a
ensuite annoncé à grand son de trompe et
comme une victoire de la liberté
l’annulation de la mesure donnant les
pouvoirs aux préfets.
Sauf que la Cour suprême a validé le
principe liberticide de l’interdiction
préalable. Le considérant 24 de la
décision se conclut par la phrase : «
Dès lors, les dispositions contestées
laissent à l’autorité administrative une
latitude excessive dans l’appréciation
des motifs susceptibles de justifier
l’interdiction. ». L’entourloupe est
bien là, car on peut lire : si le texte
avait été un peu plus rigoureux et avait
laissé au préfet une latitude qui ne
soit pas « excessive » pour
porter atteinte à une liberté
fondamentale, eh bien cela aurait pu
coller. Le principe de l’interdiction
individuelle préalable par le préfet,
c’est-à-dire l’exécutif, est donc
validé. Et naturellement le texte a été
utilisé dans toutes ses autres
dispositions. À plusieurs reprises des
attroupements de trois personnes dans la
rue ont été considérés comme autant de
manifestations non déclarées, entraînant
gardes à vue, déferrement au parquet,
comparutions immédiates, et lourdes
condamnations par une justice
complaisante.
« On peut cogner
chef ? »
Et enfin il y a le
scandale absolu des formes prises par la
répression policière et judiciaire du
mouvement social commencé au mois de
novembre dernier. Emmanuel Macron ayant
décidé clairement de refuser toute
solution politique à cette crise, s’en
est remis à la répression violente. Et
il a bénéficié pour cela de l’appui
inconditionnel des forces de l’ordre et
de la complaisance assez sidérante de
l’appareil judiciaire. Les stratégies
utilisées pour réprimer les
manifestations fussent-elles pacifiques
ont été suffisamment dénoncées pour
qu’il soit inutile d’y revenir. Mais
simplement souligner à quel point est
choquante la vision de ces centaines de
vidéos où l’on voit des policiers se
comporter comme des nervis, user de
brutalité et de violences illégales en
affichant des comportements indignes. La
presse étrangère a fait à plusieurs
reprises part de sa stupéfaction, sans
compter les institutions internationales
et les O.N.G. qui s’en sont émues. La
justice quant à elle a d’abord vu la
politisation inquiétante des parquets et
notamment celui de Paris qui ont mis en
œuvre des directives explicites données
par Édouard Philippe et Nicole Belloubet,
qui ont pu ensuite venir à l’Assemblée
nationale,
annoncer triomphalement des bilans de
répression dignes d’une guerre civile.
Gardes à vue illégales comme autant de
séquestrations arbitraires, comparutions
immédiates systématiques et souvent
irrégulières, réquisitions délirantes
ont émaillé cette période déshonorante.
Malgré quelques résistances, les juges
du siège ont accepté de prendre en
charge par la brutalité de leurs
décisions un travail de maintien de
l’ordre oubliant que leur mission est de
rendre la justice. Mais, docilité et
acceptation de l’instrumentalisation ont
également été complétées par un refus
systématique de mettre en œuvre les
procédures de répression des illégalités
policières pourtant avérées et
documentées. Sans compter bien sûr la
mansuétude judiciaire grossière dont
bénéficie un entourage d’Emmanuel Macron
pourtant bien vulnérable sur ce point.
L’ahurissante mise hors de cause des
trois collaborateurs de l’Élysée
pourtant signalés pour faux témoignage
par un rapport du Sénat difficilement
réfutable, apporte la démonstration que
l’absence totale de vergogne est devenue
habituelle.
Emmanuel Macron et
ses soutiens passent leur temps à mettre
en avant l’opposition binaire qui
existerait entre le progressisme qu’ils
incarnent et la barbarie qu’ils imputent
à leurs opposants souverainistes. Ce
sont pourtant eux qui malmènent la
République et travaillent à détruire ses
précieuses libertés.
Ces gens-là sont
dangereux.
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