Palestine
La France et l’UE se font une raison
de
l’apartheid en Palestine
Ramzy Baroud
Des Palestiniens de
Cisjordanie passent le poste de contrôle
de Qalandyia pour assister
à la deuxième
prière du vendredi à la mosquée Al-Aqsa
à Jérusalem, le 9 juin 2017
Photo :
Ahmad al-Bazz/Activestills.org
Dimanche 19 mai 2019
Ramzy Baroud
– Une récente déclaration de
l’Ambassadeur de France sortant aux
États-Unis concernant la nature de
l’apartheid israélien, met en lumière
les errements de la politique étrangère
de l’Union Européenne.
L’UE fait preuve de
lâcheté lorsqu’il s’agit de l’occupation
illégale de la Palestine par Israël.
L’ambassadeur
Gérard Araud a, bien sûr, eu raison de
dire au magazine américain, l’
« Atlantic », qu’Israël était déjà un
État d’apartheid.
Notant la
« disproportion de pouvoir » entre
Israël et les Palestiniens, Araud a dit
: « Le plus fort (c’est-à-dire Israël)
peut penser qu’il n’a aucun intérêt à
faire des concessions ».
Et comme Israël
« ne fera pas (des Palestiniens) des
citoyens d’Israël… ils seront obligés
d’officialiser cette situation, dont
nous savons que c’est de l’apartheid. »
Araud a ajouté : « Il y aura
officiellement un état d’apartheid. En
fait, c’est déjà le cas. »
Le fait qu’Araud
ait attendu la fin de son mandat
diplomatique de cinq ans pour émettre
des vérités aussi évidentes est
révélateur de la nature de la politique,
en général, et de la politique
européenne, en particulier.
La triste vérité,
c’est que l’UE a joué le rôle de laquais
étasunien au Moyen-Orient et qu’elle a
toujours opéré dans les limites
prescrites par Washington. La diplomatie
de l’UE s’écarte rarement de cette
ligne. Le fait qu’Araud ait osé
s’exprimer est une exception, pas la
règle.
Mais il est peu
probable que l’aveu d’Araud se traduise
par quoi que ce soit de concret. Il
n’engendrera pas non plus une révision
sérieuse de la position de l’UE sur
l’occupation israélienne ou du soutien
aveugle des États-Unis aux politiques
militantes et racistes du Premier
ministre israélien Benjamin Netanyahu à
l’égard des Palestiniens.
Certains avaient
espéré que l’arrivée d’un président
erratique et corrosif à la
Maison-Blanche pousserait les Européens
à l’action. Ils ont été confortés dans
leur espoir par le
sommet sur le Moyen-Orient de
janvier 2017, qui s’est tenu à Paris,
malgré les protestations étasuniennes.
Plus de 70 pays ont
ajouté leur voix à celle de leur hôte
français, pour exprimer leur opposition
aux colonies juives illégales et appeler
à la création d’un État palestinien
indépendant considéré comme « la seule
voie » vers la paix.
La déclaration
finale du sommet a exhorté Israël et les
Palestiniens à « réaffirmer
officiellement leur engagement en faveur
de la solution à deux États ». Le
président français de l’époque, François
Hollande, a expliqué que le but de son
pays était uniquement de faire en sorte
que la » solution à deux États » soit
le cadre de référence pour les futures
négociations.
Mais à quoi tout
cela a-t-il servi ? Israël et les
États-Unis ont fait comme si le sommet
n’avait jamais eu lieu. Tel-Aviv a
poursuivi sa politique d’apartheid,
qu’il a couronnée, en juillet, par la
Loi sur
l’État-nation qui stipule qu’Israël
est l’ « État-nation du peuple juif ».
Trump a également
ignoré la France et l’UE. Le 15 décembre
2016, il a choisi un ardent
partisan d’Israël, David Friedman,
comme ambassadeur en Israël. Friedman
s’oppose à la solution à deux États et
utilise les anciens noms bibliques de
Judée et Samarie, pour parler des
territoires palestiniens occupés.
Trump n’a pas non
plus tenu compte de la position
française lorsqu’il a
transféré l’ambassade de son pays de
Tel-Aviv à Jérusalem en mai dernier.
Comment l’UE
a-t-elle réagi aux actions illégales des
États-Unis ? Par des déclarations
d’intention toujours plus redondantes et
dénuées de toute application concrète.
En décembre
dernier, huit ambassadeurs de l’UE, dont
celui de la France, ont fait une
déclaration à l’ONU visant clairement
les États-Unis.
En décembre
dernier, huit ambassadeurs de l’UE, dont
celui de la France, ont fait une
déclaration à l’ONU qui visait
clairement les États-Unis. « Nous, les
membres de l’Union européenne membres du
Conseil (de sécurité) de l’ONU,
voudrions réitérer et réaffirmer
l’engagement ferme et continu de l’UE en
faveur des paramètres convenus au niveau
international pour une paix juste et
durable au Moyen-Orient, fondée sur le
droit international, les résolutions
appropriées des Nations Unies et les
accords antérieurs », peut-on
lire dans cette déclaration.
Encore une fois,
des paroles et pas la moindre action
concrète. Le même schéma s’est répété
après que Trump a décidé de
donner le plateau du Golan syrien
occupé à Israël, défiant l’ONU, l’UE et,
cela va sans dire, les aspirations de
millions d’Arabes.
La responsable de
la politique étrangère de l’UE, Federica
Mogherini, a
répondu, au nom de 28 Etats de l’UE,
par une nouvelle déclaration disant que
l’Europe » ne reconnaît pas la
souveraineté israélienne sur le plateau
du Golan occupé « .
Et ça change quoi ?
Alors que les États-Unis violent le
droit international à coup de mesures
concrètes, l’UE se contente de simples
paroles, entérinant un statu quo
qui, même lorsqu’il l’a été par
Washington lui-même, n’a apporté que de
la misère aux Palestiniens.
L’incompétence de
l’UE n’a d’égal que son hypocrisie.
Israël jouit toujours d’importants
privilèges commerciaux avec
l’Europe, et les relations diplomatiques
entre Israël et la plupart des pays
membres de l’UE sont à un niveau sans
précédent.
La seule initiative
européenne collective qui a semblé avoir
un peu de portée sur le moment, remonte
à 2013, lorsque l’UE a demandé que les
produits israéliens fabriqués dans les
colonies juives illégales soient
étiquetés comme tels. Après des années
de bricolage, l’UE a admis que le
contrôle des pratiques commerciales
israéliennes en matière d’étiquetage
s’était
avéré « impossible ».
La position
française sur le commerce avec les
colonies illégales est particulièrement
scandaleuse. Alors que le Sénat
irlandais a
voté le 5 décembre dernier pour
interdire l’importation des biens
produits dans les colonies, en octobre
2018, les Français ont fait exactement
le contraire en
suspendant les règles spéciales
d’étiquetage.
En vérité,
l’inefficacité des politiques de l’UE
n’a rien de nouveau et elle ne peut pas
être imputée aux mesures unilatérales de
Trump. En fait, les propos de
l’ambassadeur de France Araud illustrent
la frustration accumulée par de nombreux
diplomates de l’UE au fil des ans.
En février 2013, un
rapport publié par des diplomates de
l’UE a
qualifié les colonies juives
illégales de « plus grande menace pour
la solution des deux États », appelant
Bruxelles à prendre des mesures
décisives pour mettre un terme à la
colonisation « délibérée et agressive »
d’Israël.
Le rapport a été
publié il y a plus de six ans. L’UE n’a
rien fait pour arrêter les colonies
illégales, qui se sont multipliées à
toute allure depuis lors.
Pire encore, après
avoir remporté les dernières
élections, Netanyahu a promis
d’annexer les colonies juives illégales.
Si l’on considère
le soutien inconditionnel des États-Unis
aux annexions illégales antérieures de
Jérusalem et du Golan par Israël, la
promesse de Netanyahu pourrait très bien
se réaliser rapidement. Après tout,
selon la Loi de l’État-nation juif les
colonies juives sont une « richesse
nationale » et l’État « s’efforcera
d’encourager et de promouvoir (leur)
fondation et leur développement ».
En réponse au
soutien étasunien d’Israël, la politique
étrangère de l’UE est inconsistante et
veule, et en fin de compte un échec
total. Hélas, l’espoir que les premiers
mois de la présidence de Trump avaient
fait naître – que l’UE développe une
position véritablement indépendante sur
Israël et la Palestine – s’est révélé
illusoire.
Pour changer tout
cela, les membres de l’UE doivent tenir
compte des paroles de l’ambassadeur de
France, reconnaître la réalité de
l’apartheid en Palestine et passer à
l’action avec la puissance qui a été
déployée par le monde entier contre
l’apartheid sud-africain, et qui a
conduit à son effondrement définitif et
irréversible en 1994.
*
Ramzy Baroud est journaliste,
auteur et rédacteur en chef de
Palestine Chronicle. Son prochain
livre est «The
Last Earth: A Palestine Story» (Pluto
Press). Baroud a un doctorat en études
de la Palestine de l’Université d’Exeter
et est chercheur associé au Centre
Orfalea d’études mondiales et
internationales, Université de
Californie. Visitez son site web:
www.ramzybaroud.net.
3 mai 2019 –
RamzyBaroud.net – Traduction :
Chronique de Palestine – Dominique
Muselet
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