Chronique de
Palestine
Un conflit sur les hydrocarbures se
prépare en Méditerranée entre Israël et
la Turquie
Ramzy Baroud
Le gisement gazier
Leviathan - Photo : Archives
Vendredi 13 mars 2020 Les découvertes
massives de gaz naturel au large de la
côte d’Israël et de la Palestine
devraient faire de Tel-Aviv un centre
énergétique régional. Il reste à voir si
Israël sera en mesure de transformer ce
potentiel gazier largement inexploité en
une véritable richesse économique et
stratégique.
Une chose est
certaine, c’est que le Moyen-Orient est
déjà en proie à une guerre
géostratégique majeure, qui pourrait
dégénérer en une véritable confrontation
militaire.
Sans surprise,
Israël est au cœur de ce conflit
grandissant.
« La semaine
dernière, nous avons commencé à
acheminer du gaz vers l’Égypte. Nous
avons fait d’Israël une superpuissance
énergétique », s’est
vanté le Premier ministre israélien,
Benjamin Netanyahu, lors d’une réunion
du cabinet le 19 janvier.
Cette
auto-congratulation de Netanyahu faisait
suite à des informations excellentes
pour le Premier ministre en difficulté,
à savoir que la Jordanie et l’Égypte
sont maintenant toutes deux des clientes
de Tel-Aviv, et lui achètent des
milliards de mètres cubes de gaz
israélien.
Pour Netanyahu,
vendre du gaz israélien à deux pays
arabes voisins n’est pas seulement un
progrès économique et politique, c’est
un formidable coup de pouce personnel.
Le leader israélien tente, en effet, de
convaincre la population de voter pour
lui aux
élections de mars et l’élite
politique israélienne de lui accorder
l’immunité contre diverses accusations
de corruption qui pourraient l’envoyer
en prison.
Depuis des années,
Israël exploite la découverte d’énormes
gisements de gaz naturel provenant des
champs Leviathan et Tamar – situés
respectivement à 125 km et 80 km de
Haïfa – pour reconstruire des alliances
régionales et redéfinir sa centralité
géopolitique vis-à-vis de l’Europe.
Cependant, la
stratégie israélienne risque de
provoquer des conflits dans une région
déjà instable, du fait que cela fait
entrer dans le jeu Chypre, la Grèce, la
France, l’Italie et la Libye, ainsi que
l’Égypte, la Turquie, le Liban et la
Russie.
Le 2 janvier,
Netanyahu était à
Athènes pour signer un accord sur un
gazoduc, aux côtés du Premier ministre
grec, Kyriako Mitotakis, et du président
chypriote, Nicos Anastasiades.
Le gazoduc EastMed
devrait
relier Israël à Chypre, à la Grèce
et, à terme, à l’Italie, et transporter
ainsi le gaz de la Méditerranée
orientale directement vers le cœur de
l’Europe.
Il y a quelques
années, ce scénario paraissait
impossible, car Israël
achetait encore une grande partie de
son gaz naturel à l’Égypte voisine.
Le gisement de
Tamar a en partie corrigé la dépendance
d’Israël au gaz importé lorsqu’il a
commencé à produire en 2003. Peu de
temps après, Israël a de nouveau trouvé
du gaz, cette fois-ci avec des réserves
bien plus importantes, dans l’énorme
champ Leviathan. Le 31 décembre 2019,
Leviathan a commencé à produire du gaz
pour la première fois.
Leviathan est situé
dans le bassin levantin de la mer
Méditerranée, une région riche en
hydrocarbures.
« On estime que
Leviathan contient plus de 21 000
milliards de pieds cubes de gaz naturel,
ce qui est suffisant pour répondre aux
besoins de production d’énergie d’Israël
pour les 40 prochaines années, tout en
laissant une réserve suffisante pour
l’exportation », selon Frank Musmar du
Centre d’études stratégiques de la
BESA.
La part de l’Égypte
dans le gaz israélien – 85 milliards de
mètres cubes (bcm), pour un coût estimé
à 19,5 milliards de dollars – est réglée
par l’intermédiaire de l’entité privée
égyptienne
Dolphinus Holdings. L’accord
jordanien a été signé entre la compagnie
nationale d’électricité du pays, NEPCO,
et la société américaine Noble Energy,
qui détient 45 % des parts du projet
israélien.
Les Jordaniens ont
protesté en masse contre l’accord gazier
israélien, car ils considèrent la
coopération économique entre leur pays
et Israël comme un acte de
normalisation, alors que Tel-Aviv
continue d’occuper et d’opprimer les
Palestiniens.
Les échos de ces
protestations populaires sont parvenus
au Parlement jordanien qui, le 19
janvier, a voté à l’unanimité une loi
visant à interdire les importations de
gaz en provenance d’Israël.
Au-delà de sa
domination économique régionale, Israël
se diversifie et devient un acteur
important sur la scène géopolitique
internationale. Le projet de gazoduc
EastMed, estimé à 6 milliards
d’euros, devrait couvrir 10 % des
besoins globaux de l’Europe en gaz
naturel. C’est là que les choses
deviennent encore plus intéressantes.
La Turquie estime
que l’accord, qui implique ses propres
rivaux régionaux, Chypre et la Grèce,
est conçu spécifiquement pour la
marginaliser économiquement en
l’excluant du boom des hydrocarbures en
Méditerranée.
Ankara est déjà un
centre énergétique massif, puisqu’elle
accueille le
TurkStream qui
alimente l’Europe qui recourt à la
Russie pour couvrir environ 40 % de ses
besoins en gaz naturel. Cela a fourni à
Moscou et à Ankara non seulement des
avantages économiques, mais aussi un
levier géostratégique. Si le gazoduc
EastMed devient une réalité, la Turquie
et la Russie seront les grands perdants.
La Turquie a
riposté par une série de mesures
successives et surprenantes, dont la
signature d’un accord de
frontière maritime avec le
gouvernement d’accord national (GNA) de
Libye, reconnu au niveau international,
et la promesse d’envoyer un soutien
militaire à Tripoli dans sa lutte contre
les forces loyales au général Khalifa
Haftar.
« La Turquie ne
permettra aucune activité qui soit
contraire à ses propres intérêts dans la
région », a déclaré Fuat Oktay,
vice-président de la Turquie, à l’agence
de presse Anadolu, ajoutant que « tout
plan qui ne tient pas compte de la
Turquie n’a absolument aucune chance de
réussir ».
Bien que les pays
européens aient rapidement condamné
Ankara, cette dernière a réussi à
changer les règles du jeu en
revendiquant de vastes zones qui sont
également
revendiquées par la Grèce et Chypre
dans le cadre de leurs zones économiques
exclusives (ZEE).
La Turquie va non
seulement
forer dans les eaux territoriales de
la Libye pour trouver du gaz naturel,
mais aussi dans les eaux contestées
autour de Chypre. Ankara accuse Chypre
de violer « l’égalité des droits sur les
découvertes », un arrangement qui a
suivi le conflit militaire entre les
deux pays en 1974.
Si la question
n’est pas résolue, le projet de gazoduc
EastMed pourrait se transformer en
chimère. Ce qui semblait être un accord
lucratif, d’une immense importance
géopolitique du point de vue israélien,
apparaît maintenant comme une nouvelle
extension du conflit au Moyen-Orient.
L’UE voudrait
échapper au contrôle stratégique de la
Russie sur le marché du gaz naturel,
mais le gazoduc EastMed semble de plus
en plus irréalisable, quelque soit
l’angle par lequel on le prenne.
Quoiqu’il en soit,
compte tenu des énormes gisements de gaz
naturel en capacité d’alimenter les
marchés européens, il est presque
certain que le gaz naturel méditerranéen
finira par devenir une source majeure de
dissensions politiques, si ce n’est même
de véritable guerre.
* Ramzy Baroud est journaliste,
auteur et rédacteur en chef de
Palestine Chronicle. Son prochain
livre est «The
Last Earth: A Palestine Story» (Pluto
Press). Baroud a un doctorat en études
de la Palestine de l’Université d’Exeter
et est chercheur associé au Centre
Orfalea d’études mondiales et
internationales, Université de
Californie. Visitez son site web:
www.ramzybaroud.net.
30 janvier 2020 –
RamzyBaroud.net – Traduction :
Chronique de Palestine – Dominique
Muselet
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