ISM
Membres du Fatah,
retenez vos applaudissements,
le corps politique palestinien est
pourri jusqu’à la moëlle
Ramzy Baroud
Le Président
Abbas prononce un discours pendant le
7ème congrès du Fatah,
à la
Mukataa à Ramallah, le 29 novembre 2016
[Palestinian
Presidency / Handout/Anadolu Agency]
Samedi 10 décembre 2016
06.12.2016 –
En Juillet 2003, le président de
l’Autorité palestinienne d’alors, Yasser
Arafat, a traité Mahmoud Abbas de «
traitre » qui « a trahi les
intérêts du peuple palestinien. »(1)
A la fin de sa vie, Arafat détestait
Abbas. Cette sortie particulière a eu
lieu lors d’une rencontre avec l’envoyé
des Nations Unies Terje Larsen, quelques
mois après qu’Arafat a été contraint,
par les Etats-Unis, Israël et d’autres
puissances occidentales, de nommer Abbas
comme premier ministre de l’Autorité
palestinienne.
Historiquement, Abbas est le moins
populaire des dirigeants du Fatah, que
ce soit Abou Jihad, Abou Iyad et Arafat
lui-même. Ces leaders populaires ont été
la plupart du temps assassinés, mis à
l’écart, ou sont morts dans des
circonstances mystérieuses. On pense
généralement qu’Arafat a été empoisonné
par Israël avec l’aide
des Palestiniens, et Abbas a récemment
affirmé qu’il sait qui l’a tué.
Pourtant, malgré son impopularité, Abbas
s’est maintenu d’un poste de premier
plan à un autre. La lutte de pouvoir
entre lui et Arafat, qui a culminé en
2003 jusqu’à la mort d’Arafat en
novembre 2004, n’a guère aidé la
réputation insipide d’Abbas parmi les
Palestiniens.
Il y a des moments où il a semblé que
moins Abbas était populaire et plus ses
pouvoirs augmentaient. Aujourd’hui, il
vient d’être réélu à la tête de son
parti politique, le Fatah, au cours du
septième congrès qui s’est tenu à
Ramallah le 29 novembre. A 61 ans, il
est le chef du Fatah, le chef de
l’Organisation de Libération de la
Palestine et le
président de l’Autorité palestinienne.
Pourtant, son discours qui s’est étiré
sur près de trois heures, le 30
novembre, n’a rien apporté de nouveau :
slogans rabâchés et messages subtils aux
Etats-Unis et à Israël
sur sa « révolution » qui doit
rester modérée et non-violente. Compte
tenu de cette période critique dans
l’histoire de la Palestine,
la rhétorique irréaliste d’Abbas montre
la profondeur de la crise au sein des
élites politiques palestiniennes. Les
nombreuses salves d’applaudissement que
le discours fastidieux et sans
imagination d’Abbas a soulevées parmi
les près de 1.400 supporters qui ont
assisté à la conférence sont le reflet
du tribalisme politique profond qui
contrôle maintenant le Fatah, le parti
dominant de l’OLP et, sans doute, le
parti qui a déclenché la
révolution palestinienne
moderne.
Mais le parti d’aujourd’hui est très
différent de ce qu’il était à l’origine.
Les fondateurs du Fatah étaient des
rebelles jeunes, dynamiques et
instruits. Leur littérature principale
de 1959 parlait de leurs premières
influences, en particulier la guerre de
guérilla de la résistance algérienne
contre le colonialisme français.
« La guerre de guérilla en Algérie a
eu sur nous une influence profonde,
»
écrivait Abou Iyad. « Nous étions
impressionnés par la capacité des
nationalistes algériens à former un
front solide, à mener une guerre contre
une armée mille fois supérieure à la
leur, à obtenir de nombreuses formes
d’aides de divers gouvernements arabes
et, en même temps, à éviter de dépendre
d’eux. »
Certes, certaines circonstances ont
inévitablement changé mais de nombreux
aspects du conflit sont restés les mêmes
: la guerre territoriale d’Israël,
l’expansion coloniale incessante,
soutenues par l’impérialisme insensé des
Etats-Unis.
Pourtant le Fatah a changé au point que
ses fondateurs ne reconnaîtraient plus
dans la structure politique actuelle
celle qu’ils ont créée. Le mouvement est
maintenant plus vivement intéressé à
consolider le pouvoir des alliés d’Abbas
qu’à lutter contre Israël
; les principaux dirigeants conspirent
les uns contre les autres, achetant des
allégeances et veillant à ce que les
avantages financiers massifs qui ont
résulté des accords d’Oslo restent
intacts, même après que le vieux chef
parte à la retraite.
Le clan politique de Muhammad Dahlan a
été, bien sûr, exclu de la conférence.
En fait, la raison pour laquelle la
conférence a eu lieu après toutes ces
années (sept années la séparent de la
précédente) est en partie pour assurer
que la nouvelle hiérarchie du Fatah soit
configurée de manière à empêcher les
partisans de Dahlan d’organiser un
retour.
La triste vérité est que peu importe qui
gagne dans la lutte actuelle pour le
pouvoir, la chute du Fatah est
inexorable. Abbas et Dahlan sont tous
les deux perçus comme modérés par
Israël, soutenus par
les Etats-Unis et extrêmement
impopulaires parmi les Palestiniens.
Selon un
sondage réalisé en septembre 2015,
la majorité des Palestiniens – 65% -
voulait qu’Abbas démissionne. Le même
sondage indiquait que Dahlan était loin
d’être populaire (seuls 6% le
soutenaient) et les alliés d’Abbas, Saeb
Erekat et l’ancien Premier ministre
Salam Fayyad obtenaient respectivement
4% et 3%.
Il y a à l’évidence un fossé entre les
Palestiniens et ceux qui prétendent les
représenter, et ce clivage s’accroît de
façon spectaculaire.
Le théâtre politique de la conférence du
Fatah, le 29 novembre, semblait loin de
cette réalité. Après que Abbas – qui ne
fut élu à la direction de l’Autorité
palestinienne en 2005 que pour une
période de 4 ans – a éliminé tous ses
opposants, il a cherché un nouveau
mandat de ses partisans.
Comme l’on pouvait s’y attendre, «
tout le monde a voté oui, a dit aux
journalistes Mahmoud Abu al-Hija, un
porte-parole du Fatah.
Quand « tout le monde » au sommet du
cercle politique du Fatah vote pour
Abbas alors que la majorité des
Palestiniens le rejette, on peut en
conclure que le Fatah n’est ni une
représentation équitable du peuple
palestinien, ni qu’il est proche du
pouls de la rue palestinienne.
Même si on veut ignorer les béni-oui-oui
du Fatah, on ne peut ignorer le fait que
la lutte actuelle entre les élites
palestiniennes est presque entièrement
détachée de la lutte contre
Israël.
Les Palestiniens sont quotidiennement
victimes de violences : les colonies
juives occupent les collines
palestiniennes et sont en permanente
expansion, les soldats israéliens
vadrouillent dans tout le territoire
palestinien occupé, et Abbas lui-même
n’est pas autorisé à circuler librement
sans « coordination sécuritaire »
préalable avec l’armée israélienne.
En outre, les Palestiniens sont divisés
entre les factions, les régions et les
clans ; le copinage politique, la
corruption financière et la trahison
ouverte rongent le corps politique
palestinien comme un cancer incurable.
Les discours sur l’ « unité », la «
réconciliation » et la « construction
d’un Etat » ne sont que ça – des mots –
alors que les Palestiniens endurent leur
existence amère sous la botte des
soldats, derrière des checkpoints et
sous le bourdonnement tranquille – mais
exaspérant – des drones militaires.
Pourtant, les élites du Fatah ont
applaudi Abbas près de 300 fois au cours
de
ses trois heures de discours.
Qu’ont-ils applaudi, exactement ? Quelle
réalisation ? Quelle vision a-t-il mise
en avant pour mettre fin à l’occupation
israélienne ?
Des centaines d’hectares de terre
palestinienne ont été perdus entre le
sixième congrès du Fatah, en 2009, et le
septième congrès. Ce n’est pas un
accomplissement mais une raison de
s’alarmer.
La triste vérité, c’est qu’aucun
Palestinien qui se respecte ne devrait
applaudir une rhétorique vide ; au
contraire, les membres du Fatah
respectés devraient, de toute urgence,
repenser complètement cette évolution
destructrice.
(1)
Arafat Tells Envoy: Abbas Is a Traitor,
Amos Harel, Haaretz, 11 juillet
2013.Source :
Middle East Monitor
Traduction : MR pour
ISM
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