La mosquée
al-Omari a été gravement endommagée par
les bombardements israéliens
de l'été 2014. Au premier plan se
trouvent les restes de Corans
appartenant à la mosquée,
laquelle remonte au VIIe siècle - Photo
: Archives
Mardi 7 mai 2019
Notre-Dame de Gaza : nos mosquées et nos
églises sont également en flammes.
Alors que la flèche
de la cathédrale Notre-Dame à Paris
s’écroulait tragiquement et en direct à
la télévision, mes pensées se sont
tournées vers le camp de réfugiés de
Nuseirat, les lieux de mon enfance dans
la bande de Gaza.
C’était également à
la télévision que j’avais vu un petit
bulldozer fouiller désespérément dans
les décombres de la
mosquée de mon quartier. J’ai grandi
autour de cette mosquée. J’y ai passé de
nombreuses heures avec mon grand-père,
Mohammed, un réfugié de la Palestine
historique. Avant que grand-père ne
devienne un réfugié, il était un jeune
imam installé dans la petite mosquée de
Beit Daras, son village depuis longtemps
détruit.
Dès leur arrivée
dans la bande de Gaza, fin 1948,
Mohammed et de nombreux membres de sa
génération s’installèrent dans le camp
de réfugiés. La nouvelle mosquée avait
d’abord été construite en pisé, puis
rebâtie à l’aide de briques puis de
béton. Il y passa une grande partie de
son temps et lorsqu’il mourut, son vieux
corps devenu si fragile fut emmené dans
cette même mosquée pour une dernière
prière avant d’être inhumé dans le
cimetière des martyrs situé juste à
côté. Quand j’étais encore enfant, il me
tenait la main lorsque nous marchions
ensemble vers la mosquée aux heures de
prière. Lorsqu’il a vieilli et qu’il
pouvait à peine marcher, c’était moi qui
lui tenait la main.
Mais Al-Masjid al-Kabir
– la Grande Mosquée, rebaptisée plus
tard Mosquée Al-Qassam – a été
entièrement pulvérisée par des missiles
israéliens lors de la guerre de l’été
2014 à Gaza, qui avait débuté le 8
juillet.
L’armée israélienne
a pris pour cible des centaines de lieux
de culte palestiniens lors des guerres
qui avaient précédé, notamment en
2008-2009 et en 2012. Mais la guerre de
2014 a été
la plus brutale et la plus
destructrice à ce jour. Des milliers de
personnes ont été tuées et d’autres
blessées. Rien n’était à l’abri des
bombes israéliennes.
Selon les
registres de l’Organisation de
libération de la Palestine, 63 mosquées
ont été détruites et 150 endommagées au
cours de cette seule guerre, souvent
avec les personnes qui avaient voulu y
trouver un refuge. Dans le cas de ma
mosquée, deux corps ont été retrouvés
après une longue et pénible recherche.
Ils n’avaient aucune chance d’être
sauvés. S’ils survivaient aux explosifs
meurtriers, ils étaient alors écrasés
sous les dalles de béton.
En vérité, le
béton, le ciment, les briques et les
structures au sens physique du terme,
n’ont pas beaucoup de sens en eux-mêmes.
C’est nous qui leur donnons un sens. Nos
expériences collectives, nos douleurs,
nos joies, nos espoirs et notre foi font
de ces lieux des lieux de culte.
De nombreuses
générations de catholiques français
attribuent à la cathédrale Notre-Dame
ses significations et son symbolisme qui
remontent au XIIe siècle.
Alors que
l’incendie consumait la charpente en
chêne et une grande partie de la
structure, les Français et de nombreux
pays du monde entier ont été sous le
choc. C’est comme si les souvenirs, les
prières et les espoirs d’une nation
enracinée dans l’histoire
resurgissaient, s’élevant d’un seul coup
avec les colonnes de fumée et de feu.
Mais les médias
mêmes qui ont couvert l’actualité de
l’incendie de Notre-Dame semblaient
oublier que tout ce que nous
considérions comme sacré en Palestine
était effacé, car, jour après jour,
l’appareil de guerre israélien
continuait à pulvériser, détruire et
profaner.
C’est comme si nos
religions ne méritaient aucun respect,
même si le christianisme est né en
Palestine. C’est là que Jésus a parcouru
les collines et les vallées de notre
patrie historique pour enseigner aux
gens la paix, l’amour et la justice. La
Palestine est également au centre de
l’islam. Haram al-Sharif, où la mosquée
Al-Aqsa et le Dôme du Rocher se
trouvent, est le troisième site le plus
saint pour les musulmans du monde
entier.
Les sites religieux
chrétiens et musulmans sont assiégés,
souvent
envahis et
fermés par ordres militaires. De
plus, les fascistes juifs messianiques
protégés par l’armée israélienne veulent
démolir Al-Aqsa, et le gouvernement
israélien
creuse sous ses fondations depuis de
nombreuses années.
Bien que rien de
tout cela ne soit fait en secret,
l’indignation internationale reste en
sourdine. Beaucoup trouvent les actions
d’Israël justifiées. Certains ont avalé
sans broncher l’explication ridicule
offerte par l’armée israélienne selon
laquelle le bombardement de mosquées est
une mesure de sécurité nécessaire.
D’autres sont motivés par de sombres
prophéties messianiques.
La Palestine,
cependant, n’est qu’un microcosme de
toute la région. Beaucoup d’entre nous
sont au courant des terribles
destructions perpétrées par des groupes
militants marginaux contre le patrimoine
culturel mondial en Syrie, en Irak et en
Afghanistan. Les plus mémorables parmi
celles-ci sont la destruction de
Palmyre en Syrie, des bouddhas de
Bamyan en Afghanistan et de la
Grande Mosquée Al-Nuri à Mossoul.
Rien, cependant, ne
peut être comparé à ce que l’armée
d’invasion américaine a fait à l’Irak.
Les envahisseurs ont non seulement
profané un pays souverain et brutalisé
son peuple, mais ils ont également
dévasté sa culture, laquelle remonte
au début de la civilisation humaine. Les
retombées immédiates de l’invasion ont
entraîné le pillage de plus de 15 000
antiquités irakiennes, dont la Dame de
Warka également connue sous le nom de
Mona Lisa de Mésopotamie, un objet d’art
sumérien dont l’histoire remonte à 3100
avant JC.
J’ai eu le
privilège de voir nombre de ces
merveilles lors d’une visite au musée
national irakien quelques années à peine
avant que les soldats américains ne le
pillent. À l’époque, les conservateurs
irakiens avaient caché toutes leurs
pièces précieuses dans un sous-sol
fortifié en prévision d’une campagne de
bombardements américains. Mais rien ne
pouvait préparer le musée à la
sauvagerie déclenchée par l’invasion
terrestre.
Depuis lors, la
culture irakienne a surtout été réduite
au marché noir des envahisseurs très
occidentaux qui ont ravagé ce pays. Le
travail courageux des combattants
de la culture irakienne et de leurs
collègues à travers le monde a permis de
restaurer une partie de cette dignité
volée, mais il faudra de nombreuses
années à ce berceau de la civilisation
humaine pour rétablir son honneur
vaincu.
Chaque mosquée,
chaque église, chaque cimetière, chaque
œuvre d’art et chaque production
artistique sont significatifs, car ils
sont chargés de sens, le sens que leur
ont donné ceux qui les ont construits ou
y ont cherché une évasion, un moment de
réconfort, d’espoir, de foi et de paix.
Le 2 août 2014,
l’armée israélienne a bombardé la
mosquée historique
Al-Omari au nord de Gaza. L’ancienne
mosquée remonte au 7ème siècle et est
depuis devenue un symbole de résilience
et de foi pour le peuple de Gaza.
Lorsque Notre-Dame
a brûlé, j’ai aussi pensé à Al-Omari.
Alors que l’incendie de la cathédrale
française était probablement accidentel,
des lieux de culte palestiniens
aujourd’hui détruits ont été
délibérément pris pour cibles. Les
coupables israéliens doivent encore
rendre des comptes.
J’ai aussi pensé à
mon grand-père, Mohammed, le doux imam à
la belle et petite barbe blanche. Sa
mosquée a été sa seule évasion dans une
existence très difficile d’un
exil qui ne s’est terminée que par
sa mort.
*
Ramzy Baroud est journaliste,
auteur et rédacteur en chef de
Palestine Chronicle. Son prochain
livre est «The
Last Earth: A Palestine Story» (Pluto
Press). Baroud a un doctorat en études
de la Palestine de l’Université d’Exeter
et est chercheur associé au Centre
Orfalea d’études mondiales et
internationales, Université de
Californie. Visitez son site web:
www.ramzybaroud.net.
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