Palmyre (Syrie),
envoyé spécial.
Comment cacher son
émotion en parvenant aux
portes de Palmyre, qui
abrite la cité antique,
déclarée patrimoine de
l’humanité par l’Unesco ? À
ce moment-là, nul ne sait
vraiment l’étendue du
désastre. La ville
demeure-t-elle la « perle du
désert », ainsi qu’elle est
surnommée, ou au contraire
l’écrin a-t-il été brisé par
ces forces obscurantistes
qui, une fois de plus,
démontrent que seule la
haine les anime ? Depuis
Damas, la route est longue
pour s’y rendre. À Homs, il
faut bifurquer et s’engager
dans le désert. Tout au long
de la route, les
fortifications de l’armée se
succèdent. La plaine
caillouteuse est vaste.
Malgré un début de déroute,
Daech peut encore attaquer
de toutes parts. Des
monticules de terre, aptes à
stopper des voitures
piégées, se dressent comme
des murailles. Les tanks
sont en position. Les
mitrailleurs en alerte
permanente. À moins d’une
centaine de kilomètres de
Palmyre, la base aérienne
est en effervescence. Un MiG 21
décolle, d’autres avions
sont à l’abri sous des
hangars. L’asphalte est
abîmé par les chenilles des
chars qui ont fait route
vers Palmyre. Le joyau a été
récupéré après de durs
combats. Maisons explosées,
véhicules calcinés : la
guerre. Et soudain, au
détour d’un virage,
apparaît, encore fière, la
citadelle de Palmyre. De là,
nous allons plonger vers
l’histoire.
Depuis la citadelle, la
vue est imprenable. D’un
côté, la ville nouvelle de
Palmyre. De l’autre, la cité
antique, qui s’étend,
majestueuse, avec cette
enfilade de colonnes qui
semble ne pas vouloir
s’arrêter. Et, au loin,
l’oasis, source de vie dans
ce désert ingrat. Mais
depuis le mois de mai de
l’année dernière, il n’est
plus question de tourisme ou
de contemplation d’une des
merveilles du monde.
L’organisation dite de l’«
État islamique », Daech, a
conquis la ville et ses
vestiges et s’y est
installée. Les promontoires
et les collines escarpées
qui forment comme un
demi-cirque ne sont plus des
lieux de panorama mais des
places stratégiques pour
défendre la position. Une
position d’autant plus
importante pour Daech qu’il
s’agit d’un verrou. « La
route qui serpente dans
l’oasis mène à Deir ez-zor,
explique le colonel Samir,
qui dirigeait un bataillon
lors des derniers combats.
De l’autre côté, à travers
les montagnes, c’est la
direction de Raqqa. Beaucoup
de djihadistes se cachaient
dans ces collines. Cela a
été extrêmement compliqué de
les en déloger. D’autant
qu’ils ont avec eux des
combattants afghans qui se
meuvent comme poissons dans
l’eau dans cet environnement
de montagne. Notre tâche
était d’autant plus
compliquée que nous voulions
à tout prix préserver le
site antique. »
À l’ombre de la muraille
de la citadelle, Abderrhaman
et Brahim goûtent à la
fraîcheur de l’ombre. La
barbe hirsute, pleine de
sable et de poussière, les
yeux secs, les lèvres
gercées, ils goûtent un
repos certainement bien
mérité. Avec d’autres, ils
ont fait partie de ces
petits groupes chargés de
déloger les djihadistes de
la citadelle et de la
colline avoisinante,
baptisée Syriatel, à cause
de l’antenne de
télécommunication qui s’y
dressait. Deux nids d’aigle
où les hommes de Daech se
sentaient à l’abri. «
C’était difficile », avoue
Abderrhaman en allumant ce
qui doit être la trentième
cigarette de cette journée
pourtant commençante. Il
recrache la fumée d’un
souffle, nuage qui s’agrippe
dans ses poils de barbe
avant de disparaître. Un
regard vers le lointain, un
autre vers son copain
Brahim. Un petit sourire.
Pas de fierté. Juste de
contentement d’être encore
en vie. « Il y avait des
snipers en embuscade et on
essuyait leurs tirs,
racontent-ils de concert. On
avait formé des petits
groupes de volontaires pour
les attaquer de plusieurs
côtés mais on n’arrivait pas
à avancer. Il a fallu
demander l’appui des troupes
en contrebas pour être
couverts. Et quand on
parvenait à progresser sur
le chemin escarpé, les
terroristes balançaient des
grenades. » Les soldats
syriens parviennent
finalement à la porte de la
place fortifiée avant que
les djihadistes ne
réussissent à la faire
sauter. « Quand nous sommes
arrivés, ils s’étaient
enfuis par les souterrains.
De l’autre côté, en partant,
ils ont fait sauter le pont
qui nous aurait permis de
les poursuivre », expliquent
les deux hommes. Un officier
leur a ordonné de ne pas
entrer par crainte d’engins
piégés. « On ne lui a pas
obéi, disent-ils. On savait
que la victoire était
proche. » Certainement un
peu de forfanterie, mais,
dans le fond, une rage, une
fierté de faire détaler ces
djihadistes. « On est
finalement entré. Il y avait
des lits de camp, des
talkies-walkies et des
panneaux solaires qui leur
permettaient d’avoir de
l’électricité. »
La cité
antique a été touchée, mais
sauvée de la destruction
totale
Une fois les positions
élevées prises, la
progression vers la ville a
été plus simple sans que le
danger soit totalement
écarté. Mais, là aussi, il a
fallu redoubler de prudence.
« Ils ont placé des mines
tous les cent mètres, révèle
le commandant Munzer. Ils
ont caché des explosifs sous
les pierres, le long des
routes mais aussi à
l’intérieur des maisons et
même dans les arbres. Même
les cadavres, qui gisaient
dans les rues, étaient
piégés. » Les démineurs
syriens ont commencé le
travail, mais devant
l’ampleur de la tâche, ils
ont fait appel aux
artificiers russes. Ces
derniers ont dépêché des
robots. Toutes les cinq
minutes une explosion
retentit. Parfois des tirs à
l’arme automatique dont on
ne sait s’il s’agit de
l’éradication d’une poche où
se cachent des combattants
de Daech, l’explosion de
munitions ou tout simplement
des tirs d’approche. Les
panaches de fumée noire qui
s’élèvent de la ville
rajoutent à cette atmosphère
d’apocalypse. Plus de
1 200 mines auraient été
neutralisées par les sapeurs
syriens et russes.
Sur la route qui permet
d’entrer dans la ville, les
maisons sont éventrées, les
murs criblés de balles.
L’hôtel de ville n’est qu’un
amas de ruines. La ville
nouvelle a été désertée de
ses habitants, qui se sont
réfugiés dans les villages
alentour. Enfin, sur la
droite, un panneau qui
indique la direction de la
cité antique. À première
vue, tout semble intact.
Impression fausse, comme
toujours. Si la porte du
temple de Bel – construit en
32 après J.-C. – est
intacte, la cella (la
chambre), elle, est réduite
en poussière. Le fameux arc
de triomphe a également été
endommagé. Sur une des
pierres, près de l’entrée du
temple, on peut lire : « On
n’entre pas sans
l’autorisation de l’État
islamique. » Sur les
morceaux de colonnes qui
s’enchevêtrent telles des
baguettes de mikado, des
militaires scrutent les
environ, montent la garde,
empêchent d’éventuels
pillages. Parmi eux, le
capitaine Mohammad Ayoub.
Les yeux d’un bleu vert, le
teint hâlé, la main posée
avec sûreté sur sa
kalachnikov, il raconte ces
huit longs mois pour
finalement reprendre
Palmyre. Les combats pour
empêcher Daech d’approcher
de Homs, les activités de
renseignements pour savoir à
quels endroits de la ville
se disposaient les forces
djihadistes. Et enfin,
l’assaut final.
Dans la
ville nouvelle, déserte,
l’odeur de la mort règne
encore
« La bataille a duré
trois jours. Tout le monde y
a participé, affirme-t-il. À
nos côtés se trouvaient les
combattants du Hezbollah et
des milices iraniennes. Nous
étions tous ensemble.
L’aviation russe, qui a
opéré nuit et jour, a été
déterminante. Les
terroristes avaient placé
leurs chars, une vingtaine,
près de l’oasis. S’ils
n’avaient pas été détruits,
il aurait été difficile de
progresser comme nous
l’avons fait. » Il se
souvient aussi de cette fois
où, avec ses hommes, il
s’est retrouvé face à face
avec quinze djihadistes. «
C’était homme contre homme.
Nous l’avons emporté, mais
ça aurait pu être le
contraire. »
Si la cité antique a été
touchée, elle a été sauvée
de la destruction totale.
Lorsqu’ils l’occupaient, les
islamistes de Daech n’ont
pas pu achever leur sale
besogne devant la colère des
habitants (lire ci-contre).
Mais il semble bien qu’ils
projetaient néanmoins de
tout faire sauter en
partant. On dit même que
l’armée russe a procédé à un
brouillage de la zone pour
éviter l’explosion d’engins
à l’aide de téléphone GSM.
Reste que les dégâts sont
considérables. Le directeur
des antiquités de Syrie,
Maamoun Abdelkarim, se veut
rassurant (lire page 6) mais
rien ne sera plus comme
avant. Et que dire de
l’amphithéâtre, intact, mais
qui a servi de cadre à
l’exécution publique de
25 soldats syriens par des
adolescents ?
Dans la ville nouvelle,
déserte, à l’exception de
quelques soldats en faction,
l’odeur de la mort règne
encore. Avant de partir, les
djihadistes ont brûlé leurs
cadavres. « Ils font cela
pour nous empêcher de
connaître leur nationalité
», croit savoir un officier.
Dans une des rues, un
morceau de chiffon noir
attire le regard. C’est un
drapeau de Daech. Un jeune
militaire s’en saisit et le
déploie. Il le montre, prend
un briquet et l’enflamme.
Une joie compréhensible !
D’une maison surgit ensuite
un officier, plusieurs
cahiers dans les mains. Des
manuels scolaires de
l’« État islamique »,
section de Homs. Sur les
planches de sciences
naturelles, même les têtes
des animaux ont été
floutées !