Guerre des 6 jours, occupation de 50 ans
:
que s’est-il réellement passé en juin
1967 ?
Norman Finkelstein
Dimanche 11 juin 2017
Dans la première
partie d’un long entretien en trois
parties à l’occasion du 50e
anniversaire de la guerre israélo-arabe
de juin 1967, l’auteur et universitaire
Norman Finkelstein déconstruit les
mythes persistants qui entourent cette
confrontation historique – des mythes
qui ont soutenu l’occupation israélienne
des territoires palestiniens qui en a
résulté.
Norman G.
Finkelstein a obtenu son
doctorat en 1988 au Département de la
politique de l’Université de Princeton.
Il enseigne actuellement au Centre de
l’Université de Sakarya pour les études
sur le Moyen-Orient en Turquie.
Finkelstein est l’auteur de dix livres
qui ont été traduits en 50 éditions
étrangères.
Transcription
:
Aaron Mate :
Voici l’émission The Real News,
je suis Aaron Mate. Le 5 juin marque le
50e anniversaire de la guerre
de 1967 entre Israël et les États arabes
voisins. En six jours de conflit, Israël
a capturé le Sinaï égyptien, les
hauteurs du Golan syrien, la Cisjordanie
et la bande de Gaza. A l’exception du
Sinaï, Israël contrôle toujours tous ces
territoires. De fait, l’occupation
militaire israélienne de la Cisjordanie
et de Gaza est la plus longue des temps
modernes. Dans cette première partie,
nous allons étudier ce qui s’est passé
en 1967. Mais ce n’est pas seulement une
leçon d’histoire. Le récit dominant de
1967 est qu’Israël a fait face à une
menace existentielle, qu’il a mené une
guerre défensive et qu’il ne voulait pas
occuper des terres arabes. Ce récit a
été utilisé à maintes reprises pour
justifier la violence et la répression
d’Israël dans les territoires occupés,
et il est donc important que nous
comprenions bien l’histoire réelle et
rectifions ceux qui la déforment. Mon
hôte est quelqu’un qui a accompli cette
tâche pendant des décennies. Norman
Finkelstein est un universitaire, auteur
de nombreux ouvrages sur le conflit
israélo-palestinien, et je suis très
heureux qu’il soit parmi nous.
Bienvenue, Norman.
Norman Finkelstein : Eh bien,
merci de me recevoir, Aaron.
Aaron Mate : Merci d’être avec
nous. Nous allons entendre beaucoup de
commémorations de la guerre de 67, et le
récit qui nous sera proposé ressemble
beaucoup à celui-ci. Il est issu du
New York Times. Le NY Times
écrit :
« Cette année marque un demi-siècle
depuis la guerre israélo-arabe de 1967
dans laquelle Israël a fait
victorieusement face à une menace
d’anéantissement par ses voisins arabes
et en est également venu à dicter sa loi
aux Arabes palestiniens dans les zones
capturées, y compris dans la vieille
ville [de Jérusalem]. »
Norman, c’est le NY Times qui dit
qu’Israël « a fait victorieusement face
à une menace d’anéantissement » en 67.
Quel est le problème avec cette image
[qui nous est présentée] ?
Norman Finkelstein : Eh bien, ce
qui ne va pas avec elle, c’est que cela
ne s’est jamais produit, et c’est
généralement un gros problème. C’est ce
qu’on appelle « falsifier l’histoire ».
Les faits sont très clairs pour 1967, au
moins sur le point que nous allons
maintenant aborder. Les États-Unis
avaient de nombreuses agences de
renseignement qui surveillaient la
situation entre Israël et ses voisins
arabes, probablement près d’une
demi-douzaine d’organismes de
renseignement, et l’administration
américaine sous Lyndon Johnson était
rigoureusement tenue au courant de tout
ce qui se passait là-bas.
Maintenant, la grande question pour
Israël en 1967 n’était pas de savoir
s’ils allaient prévaloir sur les Arabes.
Ils savaient que c’était dans la poche
parce qu’ils avaient déjà [les
enseignements de] leur répétition de bal
en 1956 quand ils ont conquis [tout] le
Sinaï en 100 heures environ, et [en
1967], nous ne sommes qu’une décennie
plus tard, et ils savent qu’ils vont
vaincre facilement. Leur principale
préoccupation était : comment les
États-Unis réagiraient-ils ? Et en 1957,
une décennie plus tôt, les États-Unis
avaient agi assez sévèrement. Dwight D.
Eisenhower avait donné à Israël un
ultimatum : sortez ou alors... En
d’autres termes, sortez du Sinaï ou vous
allez faire face à une forte réaction du
gouvernement des États-Unis. Les
Israéliens craignaient qu’il y ait une
répétition de 1957 en 1967.
Donc les Israéliens envoyaient beaucoup
de gens pour tâter l’administration
américaine, en posant des questions à
des personnes qui avaient des accès et
qui étaient liées à Johnson. Parmi les
personnes envoyées, il y avait le
Major-Général de division Meir Amit, qui
était le chef du Mossad israélien,
l’agence de renseignement. Maintenant,
les États-Unis avaient abouti à deux
conclusions fermes à propos de 1967.
Conclusion numéro un, le Président
égyptien Gamal Abdel Nasser n’allait pas
attaquer. Il n’y avait aucun élément de
preuve indiquant qu’il allait attaquer.
Conclusion numéro deux, si, contre
toutes les données, il attaquait, comme
Johnson le disait à l’époque : « Vous
allez leur mettre une raclée s’il
attaque. C’est ce que disent tous nos
services de renseignement ».
Maintenant, vous pourriez poser la
question, eh bien, c’est ce que le
renseignement américain disait, mais que
disait le renseignement israélien ? Eh
bien, nous le savons, parce que le 1er
juin, le Général-Major Meir Amit est
venu à Washington et il a parlé à des
hauts fonctionnaires américains. Il a
dit, et maintenant je le cite, qu’il n’y
avait « aucune différence dans
l’évaluation de la situation actuelle au
Moyen-Orient par nos services de
renseignement [respectifs]. Aucune
différence. » Ce qui signifie que les
Israéliens savaient aussi que Nasser
n’allait pas attaquer et qu’ils savaient
aussi que s’il attaquait, alors, comme
Johnson l’a déclaré : « Vous allez leur
mettre une raclée. » De fait, c’est ce
qui s’est passé…
Le secrétaire à la
Défense à l’époque était alors Robert
McNamara et, dans les discussions
internes, il a prédit que la guerre
durerait de sept à dix jours. Plus tard,
il se vanterait de la justesse de son
estimation. En fait, la guerre était
terminée non pas en six jours, mais la
guerre était terminée, vraiment
littéralement, elle était finie en six
minutes environ. Au moment où Israël a
lancé sa frappe Blitzkrieg et anéanti
l’armée de l’air égyptienne, qui était
encore au sol, alors les troupes au sol
n’avaient aucun soutien aérien. C’était
fini. La seule raison pour laquelle ça a
duré six jours, c’est parce qu’ils
voulaient s’emparer de territoires.
C’était une capture de terres [par la
force].
Aaron Mate :
D’accord, mais le récit que nous avons
entendu pendant 50 ans, j’ai appris cela
à l’école hébraïque, à l’école du
dimanche, et dans mon camp d’été juif,
est qu’Israël était confronté à une
menace existentielle et qu’il a mené une
guerre défensive. Examinons donc
certains des points clés utilisés pour
avancer cet argument. Puisque vous avez
mentionné Nasser, commençons par lui. Il
a bien ordonné le retrait des troupes de
l’ONU qui étaient stationnées de son
côté de la frontière israélo-égyptienne.
C’est souvent cité comme preuve qu’il se
préparait à attaquer Israël.
Norman Finkelstein : Juste. Eh
bien, ce qui s’est passé est qu’en avril
1967, il y a eu un combat aérien entre
la force aérienne syrienne et la force
aérienne israélienne. Au cours de ce
combat, Israël a abattu six avions
syriens, dont un au-dessus de Damas.
Vous demanderez peut-être pourquoi cela
s’est-il passé ? Eh bien, les preuves
sont parfaitement claires pour ce qui
s’est passé et nous les tenons d’une
source irréfutable, à savoir Moshe
Dayan, et Moshe Dayan, en 19-
Aaron Mate : Qui était un général
israélien.
Norman Finkelstein : Il était le
personnage principal en 1967, puis il
est devenu sous [Menahem] Begin le
ministre des Affaires étrangères,
lorsque Begin est arrivé au pouvoir en
1977. Mais en 1976, Moshe Dayan, il a
donné une interview et il a dit : « Je
vais vous dire pourquoi nous avions tous
ces conflits avec la Syrie. Il y avait
une zone démilitarisée formée après la
guerre de 1948, entre la Syrie et
Israël. Alors, qu’est-ce qui se passe
dans cette zone démilitarisée ? » Dayan
a déclaré : « Au moins 80% du temps, et
probablement plus, mais limitons-nous à
80% du temps, nous envoyions des
bulldozers dans cette zone
démilitarisée, parce qu’Israël été
engagé dans une saisie de terre [par la
force]. Israël essayait de s’emparer de
terres dans la zone démilitarisée. Il
envoyait des bulldozers, les Syriens
réagissaient, et cela escaladait. En
avril 67, cela a escaladé en un combat
aérien entre les Syriens et les
Israéliens.
Après cela, Israël a commencé à menacer,
verbalement, qu’il allait lancer une
attaque contre la Syrie. Beaucoup de
responsables israéliens... La
déclaration la plus célèbre est venue à
ce moment-là d’Yitzhak Rabin, mais de
nombreux responsables israéliens
menaçaient la Syrie. Il est arrivé que
l’Union soviétique a eu écho des
réunions du Cabinet en Israël. À la
mi-mai, le Cabinet a pris une décision :
nous allons attaquer la Syrie. L’Union
soviétique a communiqué cette
information aux États arabes voisins.
Dans l’histoire officielle, on appelle
ça la fausse alarme, à savoir que
l’Union soviétique aurait inventé cette
attaque israélienne imminente.
Aaron Mate : Lorsque vous dites «
l’histoire officielle », c’est
l’histoire qu’on nous enseigne et qu’on
entend souvent dans les médias, oui.
Norman Finkelstein : C’est une
histoire que, littéralement, en dehors
d’une poignée d’érudits, y compris
d’universitaires israéliens – [personne
ne connaît].
Aaron Mate : Permettez-moi de
citer un, en fait.L’historien
israélien Ami Gluska, dans son livre
L’armée israélienne et les origines de
la guerre de 1967, écrit :
« L’évaluation soviétique de la mi-mai
1967, qu’Israël était sur le point de
frapper en Syrie, était correcte et bien
fondée. »
Norman Finkelstein : Vous savez,
j’utilise souvent cette citation parce
que c’était la première fois que je
l’avais vue imprimée. Il y avait des
rumeurs selon lesquelles Israël allait
attaquer, et il y avait des indices
occasionnels sur la réunion du Cabinet
où ils avaient pris cette décision, mais
ça n’a jamais été publié jusqu’à ce que
je lise le livre de Gluska. Il dit que
oui, les Israéliens avaient pris la
décision d’attaquer. L’Egypte avait un
pacte de défense avec la Syrie. Sachant
qu’une attaque israélienne est
imminente, elle avait l’obligation de se
lancer au secours de la Syrie. Elle
déplace donc des troupes égyptiennes
dans le Sinaï. Séparant l’Egypte
d’Israël, il y avait une force de
maintien de la paix appelée United
National Emergency Force, l’UNEF.
Nasser a demandé à U Thant de la
retirer…
Aaron Mate : Le secrétaire
général.
Norman Finkelstein : Excusez-moi,
oui. Le Secrétaire général de l’ONU. Il
a demandé au Secrétaire général de
l’ONU, U Thant, de retirer l’UNEF, la
Force d’urgence des Nations Unies. En
vertu de la loi, U Thant avait
l’obligation de retirer ces forces.
Maintenant, U Thant a été très
vicieusement attaqué pour cette
décision. En fait, elle a détruit son
mandat aux Nations Unies, car tout le
monde l’a blâmé pour la guerre de 1967.
Tout cela est oublié maintenant, mais
c’est ce qui s’est passé. Mais il y
avait une réponse simple. Il y avait une
réaction simple [à cette demande de
Nasser].
Aaron Mate : Mettez-les du côté
israélien.
Norman Finkelstein : Oui, parce
qu’en 1957, lorsque l’UNEF a été
installé, l’accord était censé la voir
placée sur le côté égyptien de la
frontière et sur le côté israélien de la
frontière. Ainsi, en 67, une fois que
Nasser a dit : « Retirez l’UNEF de notre
côté », tout ce qu’Israël avait à dire,
c’est « Bien, nous allons le
repositionner de notre côté de la
frontière », à savoir le côté israélien.
Ils n’ont pas fait cela. Si l’UNEF
aurait vraiment pu éviter une attaque
égyptienne, et c’est ce qu’Israël
suggère en disant que U Thant a commis
cette erreur monumentale en l’enlevant,
pourquoi ne l’avez-vous pas tout
simplement positionnée de l’autre côté
de la frontière ?
Aaron Mate : Permettez-moi de
poursuivre avec les autres raisons
invoquées en faveur d’Israël pour
justifier leur attaque. Il y avait des
attaques de guérilla contre le côté
israélien lancées depuis la Jordanie et
la Syrie.
Norman Finkelstein : Mm-hmm
(affirmatif).
Aaron Mate :
Elles sont décrites dans l’histoire
officielle comme une menace majeure pour
la sécurité d’Israël.
Norman Finkelstein : Eh bien,
tout d’abord, nous devons comprendre ce
qu’il y avait derrière ces attaques. Il
s’agissait de raids de commandos
palestiniens, principalement soutenus
par le régime syrien. Mais comme les
officiers supérieurs israéliens l’ont
reconnu, la raison pour laquelle la
Syrie soutenait ces raids de commandos
était la capture de terres par Israël
dans les zones démilitarisées.
Deuxièmement, avec tout le respect qui
leur est dû, je ne vais pas ridiculiser
les Palestiniens ou l’OLP, je reconnais
qu’il s’agissait d’actes de courage de
la part de personnes qui ont été
dépossédées de leur patrie –
Aaron Mate : En 1948.
Norman Finkelstein : En 48.
C’était des réfugiés. Rappelez-vous, il
s’est passé peu de temps entre 48 et 67.
C’est moins d’une génération. Mais la
réalité historique montre que ces raids
de commandos étaient extrêmement
inefficaces. L’un des chefs du
renseignement israélien, Yehoshafat
Harkabi, les a décrits après 67 comme
« très peu impressionnants selon
n’importe quelle norme. »
Aaron Mate : D’accord. L’autre
incident historique principal cité est
que Nasser a fermé le détroit de Tiran.
Norman Finkelstein : Oui, donc au
milieu du mois de mai, je pense que
c’était le 17 ou le 18 mai, Nasser a
fermé... Il y avait aussi des forces de
l’UNEF stationnées sur le détroit de
Tiran, et elles ont été enlevées lorsque
Nasser a demandé à U Thant de retirer
l’UNEF. U Thant, encore une fois, a été
très lourdement critiqué pour cela. On a
prétendu qu’il aurait pu seulement
retirer l’UNEF de la frontière
égypto-israélienne et non du détroit de
Tiran, mais il les a tous retirés. J’ai
lu sa défense. J’ai trouvé sa défense
très crédible. C’était un homme
extrêmement honorable, U Thant.
Probablement le plus honorable
secrétaire général de l’ONU de toute son
histoire. Quoi qu’il en soit, l’UNEF a
été retiré du détroit de Tiran et Nasser
a déclaré le détroit de Tiran fermé.
Maintenant, le détroit de Tiran –
Aaron Mate : Donc, l’UNEF a été
retirée de Sharm el-Sheikh.
Norman Finkelstein : Oui. C’est
essentiellement la même zone. C’était la
voie navigable vers Eilat, la ville
portuaire israélienne d’Eilat. Eh bien,
que dire de cette décision ?
Premièrement, Abba Eban, qui a toujours
été porté sur le drame –
Aaron Mate : Un célèbre diplomate
israélien.
Norman Finkelstein : Il était
alors le représentant israélien à l’ONU.
Plus tard, il est devenu ministre des
Affaires étrangères. Il a dit, très
dramatiquement, « Israël respire
maintenant avec un seul poumon. »
C’était sa phrase célèbre. Quoi qu’il en
soit, Eilat était à peine utilisé. La
seule marchandise importante qui venait
via Eilat était le pétrole, mais Israël
avait plusieurs mois d’approvisionnement
de pétrole accumulés, de sorte que
l’approvisionnement en pétrole n’était
pas menacé, au moins pendant plusieurs
mois. Mais le plus important est qu’il
n’y a pas eu de blocus. Il se trouve que
Nasser était un fanfaron : il a annoncé
un blocus, l’a appliqué pendant ce qu’on
estime habituellement à environ deux à
trois jours, puis il a commencé à
laisser les navires [israéliens] passer
tranquillement. Il n’y avait pas de
blocus. Le problème n’était pas un
blocage physique, le problème était
politique. A savoir que Nasser avait
publiquement défié Israël. Il avait
scellé une « voie navigable
internationale », comme l’a déclaré
Israël. S’il s’agissait d’une voie
navigable internationale, ou si elle
appartenait à l’Egypte, est une question
juridique complexe. Nasser a déclaré, à
la fin du mois de mai, il a déclaré à
plusieurs reprises : « Israël prétend
qu’il a le droit de passage dans le
détroit de Tiran. Nous disons qu’ils ne
l’ont pas. Allons à la Cour
internationale de Justice pour en
juger. »
Aaron Mate : Quelques jours avant
que la guerre éclate.
Norman Finkelstein : Quelques jours,
oui. Environ une semaine auparavant.
Israël dit : « Non, nous n’allons pas à
la Cour internationale », parce
qu’Israël veut le droit de faire ce
qu’il lui plaît, quand ça lui plaît.
Vous n’allez pas sur un pied d’égalité
avec un Arabe devant la Cour
internationale de Justice. « Ce n’est
pas la façon dont les choses
fonctionnent ici. Nous sommes les chefs
ici. » Ce n’était donc pas une voie
navigable importante. Le seul produit
important qui y entrait était le
pétrole. Ils avaient des
approvisionnements importants en
pétrole. La voie navigable n’a pas été
fermée. Nasser a proposé de porter
l’affaire à la Cour internationale de
Justice pour statuer. Ce n’est pas, pour
utiliser le langage technique, ce n’est
pas un casus belli, une
justification pour la guerre.
Ensuite, il y a des questions juridiques
distinctes, à savoir qu’en en vertu de
l’article 51 de la Charte des Nations
Unies, vous êtes autorisé à lancer une
attaque préventive seulement en cas
d’attaque armée contre vous. La
fermeture d’une voie navigable n’est pas
une attaque armée. Cela aurait dû être
porté au Conseil de sécurité. Donc il y
a 1000 raisons, vous savez, c’est une
question qui a différents niveaux et
aspects, mais dans tous les chefs
d’accusation, Israël n’avait aucune
justification. À chaque égard, Israël
n’avait aucune raison valable.
Aaron Mate : Vous avez abordé un
peu ce sujet, mais peut-être pouvez-vous
entrer dans les détails : pourquoi
Israël a pris des mesures si
extraordinaires pour lancer cette guerre
et s’emparer de tant de territoire ?
Quelle était leur motivation ?
Norman
Finkelstein : Eh bien, ce sont
plusieurs motivations qui convergent.
L’image d’ensemble est qu’Israël, depuis
sa fondation en 1948, en particulier son
Premier ministre et sa figure dominante,
David Ben Gourion, il s’est toujours
inquiété de ce qu’il appelait un «
Atatürk arabe » arrivant au pouvoir dans
le monde arabe. A savoir, quelqu’un
comme la figure turque Kemal Ataturk qui
a modernisé la Turquie, a amené la
Turquie dans le monde moderne, et il y
avait toujours la peur de Ben Gurion
selon lequel une figure comme Ataturk
pourrait émerger dans le monde arabe, et
le monde arabe se retirerait alors de
l’état d’arriération et de dépendance
vis-à-vis de l’Occident, et deviendrait
une puissance avec laquelle il faudrait
compter dans le monde et dans la région.
En 1952, quand il y a eu la révolution
égyptienne, et que finalement Nasser a
émergé comme la figure dominante, Nasser
était une sorte de figure emblématique
de cette époque. C’est évidemment
complètement oublié par tout le monde,
sauf les historiens, mais c’était une
époque très enivrante, c’était l’ère
d’après-guerre du non-alignement, le
Tiers-mondisme…
Aaron Mate : La solidarité au
sein du Tiers-Monde, oui.
Norman Finkelstein :
...l’anti-impérialisme, la
décolonisation et les figures
emblématiques étaient Nehru en Inde,
Tito en Yougoslavie et Nasser. Les trois
d’entre eux n’étaient pas officiellement
le bloc soviétique. Ils étaient une
troisième force.
Aaron Mate : Non-alignée.
Norman Finkelstein : Non-alignée,
exactement. Les Non-alignés ont tendance
à pencher vers le bloc soviétique parce
que le bloc soviétique était
officiellement anti-impérialiste, mais
ils n’étaient pas alignés. Nasser était
l’un des personnages dominants de cette
période, donc il était
anti-impérialiste, il était un
modernisateur. Israël était vu, non sans
raison, comme un implant occidental dans
le monde arabe, et était également
considéré comme essayant de maintenir le
monde arabe [dans l’arriération].
Il y avait donc une sorte de conflit et
de collision entre Nasser et Israël. Et
cela a commencé, encore une fois [ce que
je dis est] très scrupuleusement
documenté, pas par Finkelstein, mais par
un historien dominant très réputé, à
savoir Benny Morris. Si vous regardez
son livre, « Les guerres des frontières
d’Israël », qui parle de la période de
1949 à 1956, il montre qu’autour de
1952-53, Ben Gourion et Moshe Dayan,
étaient vraiment déterminés, et je le
cite littéralement de lui, à provoquer
Nasser. A continuer à le frapper et à le
frapper jusqu’à ce qu’ils aient un
prétexte pour détruire Nasser. Ils
voulaient se débarrasser de lui, et de
continuer à le provoquer, et dans une
certaine mesure, Nasser ne pouvait pas
s’empêcher [de riposter] après un
certain point, il a été pris dans le
piège, essentiellement. Cela n’a pas
fonctionné exactement comme l’espéraient
les Israéliens et donc en 56, ils ont
comploté, en collusion avec les
Britanniques et les Français, pour
renverser Nasser. Cela a fonctionné,
jusqu’à un certain point. Ils ont envahi
le Sinaï, les Britanniques et les
Français ont joué leur rôle dans cette
collusion…
Aaron Mate : Mais les Américains
leur ont dit d’arrêter.
Norman Finkelstein : Pour
plusieurs raisons qui ne valent pas la
peine d’être évoquées maintenant, les
Américains ont dit à Israël de sortir.
Aaron Mate : Ils voulaient
retarder tout ça, en gros.
Norman Finkelstein : Oui. Dwight
Eisenhower ne pensait pas que le moment
était venu. Mais bien sûr, [les
Américains] voulaient eux aussi se
débarrasser de Nasser. Ils le voyaient
tous comme une aiguille plantée dans
leurs flancs. Donc 67 n’est
fondamentalement qu’une répétition de
56, avec un changement critique.
Aaron Mate : Le soutien
américain.
Norman Finkelstein : Les
États-Unis ne s’y sont pas opposés. Ils
ont été très prudents et précautionneux
dans leur formulation. Certaines
personnes l’appellent un feu orange,
certaines personnes l’appellent un feu
vert, mais ils ne l’ont pas ouvertement
soutenu, car c’était illégal.
Vous savez ce qu’a
fait Israël. À ce moment-là, les
États-Unis menaient une guerre au
Vietnam qui était très impopulaire, et
ils ne voulaient pas en plus s’engager
dans le soutien à Israël, ce qui aurait
également été vu comme le colonialisme
occidental qui tente de s’affirmer sur
le Tiers-Monde, le monde non-aligné,
quel que le nom qu’on lui donne.
Le premier objectif était d’éliminer
Nasser. C’était un objectif à long
terme, de maintenir le monde arabe dans
l’arriération. De le maintenir dans un
état subordonné, primitif. Deuxièmement,
c’est ce qui s’est passé avec la
fermeture du détroit de Tiran. À savoir,
Nasser agissait de manière très
arrogante. Il défiait les Israéliens.
Dans une certaine mesure, il les
houspillait, je pense que c’est vrai. Ce
n’était que du vent, et les Israéliens
savaient que c’était du vent, mais ils
pensaient... Une phrase très révélatrice
de l’une des réunions du Cabinet a été
prononcée par quelqu’un qui, à ce
moment-là, était commandant, Ariel
Sharon. Il y avait certains membres du
Cabinet israélien qui hésitaient encore
à lancer une attaque. Il a déclaré :
« Nous devons attaquer maintenant, parce
que nous perdons notre capacité de
dissuasion. » C’est l’une des phrases
favorites des militaires israéliens.
Aaron Mate : Ça continue
aujourd’hui avec Gaza…
Norman Finkelstein : Oui.
Aaron Mate : Et le Liban.
Norman
Finkelstein : La « capacité de
dissuasion » signifie la peur qu’a de
nous le monde arabe, que Nasser attisait
le moral des Arabes et qu’ils n’avaient
plus peur. Pour les Israéliens, la peur,
la capacité de dissuasion, est une carte
très forte de leur côté, pour garder les
Arabes à leur place. Donc, la deuxième
raison était qu’ils devaient restaurer,
comme ils l’appellent, leur capacité de
dissuasion.
La troisième
(raison), que je ne caractériserais pas
comme principale, je ne dirais pas que
c'était LA raison, tous les généraux
avaient leurs propres désirs de vouloir
récupérer des terres. Tout le monde a
convenu qu’ils voulaient obtenir
Jérusalem, parce qu’ils en avaient perdu
une partie en 48. Un grand nombre
d’entre eux voulait la Cisjordanie,
d’autres voulaient les hauteurs du
Golan, d’autres voulaient le Sinaï, et
il y avait donc un élément de capture de
territoires dans la guerre.
Aaron Mate : D’accord sur ce
point, et une question rapide alors que
nous arrivons à la fin de la première
partie de cette discussion. En ce qui
concerne la capture de terre en
Cisjordanie, la présence aujourd’hui en
Cisjordanie de centaines de milliers de
colons juifs, dont beaucoup sont des
fanatiques religieux qui croient qu’ils
sont là parce que Dieu leur a promis
cette terre, est-ce que ce type de
fanatisme religieux était une composante
forte dans la pensée interne israélienne
à ce moment-là ? Comme le fait de
vouloir ...
Norman Finkelstein : Ce n’était
pas religieux…Mais
vous devez vous rappeler que le
mouvement sioniste était très
majoritairement séculier, très
majoritairement athée. En fait, un grand
nombre d’entre eux se considéraient
comme des socialistes et des communistes
et n’avaient aucune attache avec la
religion. Mais ils considéraient tout de
même qu’ils avaient un titre légal sur
la terre, parce que dans leur pensée, la
Bible n’était pas seulement un document
religieux, la Bible était un document
historique, et historiquement, les Juifs
ont été en Palestine, et elle leur
appartenait. C’était la même mentalité
en 67. C’était séculier, mais c’était
aussi profondément enraciné et
fanatique. Le fait qu’ils avaient une
revendication sur la terre n’en faisait
pas nécessairement dans leur esprit une
revendication religieuse. C’était une
revendication séculière, mais quand même
une revendication fanatique, que c’était
leur terre parce que c’est ce qui était
dit dans la Bible, et la Bible est un
document historique, vous savez, pour
eux, la Bible est un acte [de propriété]
historique.
Aaron Mate : Cela va conclure
cette partie de la discussion. Dans la
prochaine partie, nous allons voir ce
qui a changé pour Israël après 67 en
termes de soutien juif américain et
aussi de soutien du gouvernement
américain, et comment ces deux éléments
se sont entrelacés. Mon invité est
Norman Finkelstein. Rejoignez-nous dans
la prochaine partie de cette discussion.
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