Actualité
Israël a mis Tlaib devant un dilemme
cruel :
ses principes, ou sa famille
Noa Landau
Rashida
Tlaib speaks at a press conference in
Washington D.C., July 15, 2019.
Crédit AFP
Dimanche 18 août 2019
17 août | Noa Landau pour
Haaretz |Traduction
JPP pour l’AURDIP
Rashida Tlaib a
contrecarré la tentative d’Israël de
s’attribuer le mérite d’ « un geste
humanitaire » particulier. Elle en a
peut-être payé le prix en tant que
petite-fille, mais elle a aussi empêché
que se crée un nouveau précédent dans la
loi d’Israël sur le boycott.
Israël s’est
félicité un peu vite de l’accord
apparent de Rashiba Tlaib, élue du
Congrès US, de faire une demande à titre
humanitaire pour aller rendre visite à
sa grand-mère très âgée en Cisjordanie,
en s’engageant à ne pas promouvoir le
BDS et à « respecter toutes les
restrictions » durant la visite.
Peut-être est-ce dû
à la lettre humiliante qui a été
divulguée à la presse, ou à l’annonce
enthousiaste au nom de « sources
officielles » israéliennes disant
qu’elle était « forcée de se soumettre
aux conditions qu’Israël avaient
imposées à l’avance », ou peut-être à la
pression politique dans son pays – mais
Tlaib a très vite précisé qu’elle
n’accepterait en fait aucune des
restrictions qu’Israël lui imposait
comme conditions pour sa visite, même si
cela signifiait de ne pas revoir sa
grand-mère de 90 ans – un lourd prix
personnel.
Ainsi, Tlaib
déjouait les efforts du gouvernement
israélien qui voulait faire étalage d’un
« geste humanitaire » particulier à son
égard, tentant ainsi d’atténuer quelque
peu les critiques sévères contre sa
décision de ne pas l’autoriser avec sa
collègue élue au Congrès, Ilhan Omar, à
venir dans le pays et ce, à la demande
du Président US Donald Trump, leur rival
politique.
Si elle avait
choisi de venir en respectant ces
restrictions, beaucoup de ceux qui déjà
sont particulièrement réticents à lutter
contre le gouvernement Netanyahu au-delà
de molles condamnations sur Twitter
auraient pu s’y accrocher. Par exemple,
l’organisation pro-israélienne AIPAC et
les membres de l’aile la plus
conservatrice du Parti démocrate, comme
Joe Biden, et certainement des
Républicains qui, comme Marco Rubio, se
sont prononcés jeudi contre
l’interdiction à ces élues du Congrès –
tous auraient pu, si elle était venue,
se dire que la moitié du problème était
résolu « avec une fin heureuse ». Ils
auraient pu dire qu’il n’y avait aucun
besoin de changer le paradigme général
concernant Israël. Les Israéliens qui
pensaient que le problème dans cette
affaire était principalement lié à une
réputation, auraient pu également
pousser un signe de soulagement.
Maintenant, il y a
ceux dont les conclusions du drame vont
se concentrer sur l’embarras causé à
Netanyahu (et à son ambassadeur à
Washington, Don Dermer), qui ont
zigzagué et s’en sont sortis pareils à
une marionnette de Trump. D’autres
prétendront que ce sont tous les
politiciens qui en fait ont gagné, car
ils y ont obtenu l’attention dont ils se
nourrissent.
Toutes ces
conclusions dans l’immédiat ne sont que
la partie émergée de l’iceberg. Quand
vous regardez l’histoire du contrôle
israélien des territoires palestiniens,
il faut vous rappeler que la question
principale est toujours le système et
les gens ordinaires qui en sont
affectés, et non les politiciens et
leurs exploits. La mise en application
de la loi récemment adoptée qui permet
d’interdire l’entrée du pays à ceux qui
soutiennent le boycott d’Israël est de
plus en plus étoffée et affinée par
chaque dossier et chaque précédent. La
capitulation de Tlaib, avec la promesse
explicite, sur un document officiel du
Congrès portant sa signature
personnelle, qu’elle « respectera toute
restriction », aurait constitué de sa
part une reconnaissance tacite des
conditions de la loi, d’une manière qui
aurait servi de précédent dans les
futurs dossiers, contre les militants
politiques d’origine palestinienne ou
d’autres qui ne bénéficient pas du
statut élevé de Tlaib.
Jusqu’à présent,
beaucoup de ceux qui n’ont pu entrer en
Israël ont refusé de publier à l’avance
une déclaration officielle selon
laquelle ils acceptaient toutes les
conditions et restrictions israéliennes
à leur liberté d’expression avant leur
atterrissage. Lara Alqasem – même si sa
situation était complètement différente
– a décidé de se battre pour son visa
d’étudiante devant les tribunaux à tous
les niveaux. Dans une situation plus
difficile, à un certain stade il lui a
été vivement conseillé d’adresser une
lettre publique au ministre de la
Sécurité publique, Gilad Erdan, disant
qu’elle s’opposait au mouvement de
boycott. Alors que les conditions du
visa de Lara Alqasem incluaient déjà la
restriction qu’elle n’apporterait aucun
soutien public au boycott d’Israël, et
que, dans son procès, elle avait
également déclaré qu’elle n’était pas
une militante majeure dans le mouvement,
malgré cela elle n’a pas fait le choix
de rédiger cette déclaration, exigée par
Erdan, comme un raccourci dans son
combat, mais celui de poursuivre sa
procédure juridique jusqu’à la Cour
suprême.
Si donc Tlaib avait
choisi de venir dans le cadre d’un tel
engagement préalable, elle aurait
confirmé ce qu’Israël en fait cherche à
établir : que les Palestiniens et leurs
descendants peuvent aussi être tenus
d’observer les restrictions politiques
quand ils viennent rendre visite à des
parents en Cisjordanie, et que l’entrée
dans les territoires de l’Autorité
palestinienne est un privilège, pas un
droit.
Au lieu d’une
visite officielle en tant que membre
important du Congrès US, avec l’immunité
pour dire tout ce qu’elle veut sur la
réalité telle qu’elle la voit, Tlaib a
été priée de plaider en tant que
descendante de Palestiniens, citoyenne
privée, au bon vouloir des autorités en
Israël de l’autoriser à voir des
parents, tout en acceptant la censure
politique. Israël mettait ainsi Tlaib
devant un choix particulièrement cruel :
les principes, ou la famille.
En plus de tout
cela, une décision par Tlaib de se
présenter seule aurait aussi été perçue
comme un manque de solidarité envers sa
collègue, Omar, qui est toujours
interdite d’entrer car elle manque d’une
grand-mère âgée dans les territoires, ou
de la volonté de renoncer à sa liberté
d’expression politique.
Il est possible que
Tlaib ait adressé sa demande à titre
humanitaire d’abord parce qu’il était
vraiment plus important pour elle de
voir à tout prix, pour la dernière fois,
sa grand-mère d’un grand âge. Ou
peut-être qu’au début, elle ou ceux qui
l’entouraient ont tout simplement pensé
que ces conditions n’étaient que de
simples mots, qui de toute façon ne
seraient pas appliquées, puis qu’ils
l’ont regretté à cause des critiques.
Après tout, qu’aurait fait Israël si
Tlaib avait fait la promotion du boycott
durant sa visite ? Est-ce que des
soldats l’auraient traînée en
détention ? Elle, un membre du Congrès,
et devant le monde entier ? Et si elle
avait fait la promotion d’un boycott,
plus tard, après son retour aux
États-Unis ?
De toute manière,
la décision de ne pas venir a, pour
l’instant, évité que ne se crée un
nouveau précédent dans l’application de
la loi sur le boycott : une déclaration
officielle préalable, comme condition
pour l’obtention d’un visa. Tlaib la
petite-fille a perdu, Tlaib la militante
politique a gagné, et le système va
maintenant passer au dossier suivant.
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