Palestine
Comment l’industrie du tourisme soutient
les colonies israéliennes illégales
Nikolaj Houmann Mortensen
Al Jazeera ne suggère pas que cette
photo ou quiconque apparaissant dessus
est lié au sujet de l’article.
Cette
photo montre des touristes à dos de
chameau près de Jérusalem
[Crédit :
Brooke
lefferts/AP Photo]
Samedi 1er décembre 2018
Par Nikolaj Houmann
Mortensen – 15 novembre 2018 Des compagnies
telles qu’Expedia et Trivago dirigent
des touristes vers des colonies sans le
préciser dans leurs publicités.
Cisjordanie
occupée – Des rangées de drapeaux
israéliens marquent l’entrée du Centre
des visiteurs de Ahava, à quelques
centaines de mètres des rives nord-ouest
de la Mer Morte.
À l’intérieur, le
fabricant de cosmétiques vend des
coffrets cadeaux de soins pour la peau
« With Love from Israel » aux groupes de
touristes américains, russes et coréens
qui arrivent par bus toutes les 10
minutes environ.
Pour le visiteur
non informé, il est difficile de savoir
qu’on n’est plus à l’intérieur des
frontières reconnues internationalement
d’Israël, mais en Cisjordanie occupée,
dans une colonie israélienne, illégale
en droit international.
Il en va de même
pour le site proche de Qumran, une
attraction touristique très prisée près
du lieu où un berger a découvert les
fameux Rouleaux de la mer Morte.
Bien qu’il soit
situé en Cisjordanie, Israël contrôle
maintenant le site, dont l’entrée est
également flanquée de rangées de
drapeaux israéliens et dotée d’un grand
magasin de cadeaux rempli de souvenirs
« I love Israel ».
« Je crois que nous
sommes en Israël », dit Jimmy Small, un
touriste de New York, quand on lui
demande où il se trouve.
La plupart des
autres touristes dans un parking de bus
de touristes à Qumran donnent la même
réponse.
L’erreur n’est pas
étonnante, au vu des brochures et des
sites internet des principales
compagnies de voyage.
Une enquête d’Al
Jazeera sur des catalogues de voyages et
des itinéraires touristiques a révélé
que 20 des voyagistes et des sites de
réservation les plus connus emmènent les
touristes faire du shopping, dîner ou
passer la nuit dans des colonies
israéliennes illégales en Cisjordanie
occupée, sur le plateau du Golan et à
Jérusalem-Est.
Aucune de ces
compagnies n’informe les consommateurs
potentiels qu’ils visiteront une colonie
illégale, et six seulement mentionnent
ou laissent entendre qu’ils seront en
dehors du territoire israélien.
Thomas Cook,
Collette et On the Go Tours, par
exemple, font des arrêts au Centre des
visiteurs d’Ahava sans indiquer aux
touristes qu’ils ont quitté Israël.
Saga Holidays
décrit un arrêt dégustation de vin dans
la colonie de Katzrin sur le plateau du
Golan comme une visite à « la nouvelle
ville israélienne de Katzrin ».
Booking.com offre
des chambres à louer dans « The Garden
Suite Apartment », dont le site internet
dit qu’il est situé à « Jérusalem
(Israël) », mais le logement est situé
dans la colonie de Gilo, en Cisjordanie
occupée.
Dans un autre cas,
la grosse agence de voyage GoEco, qui se
décrit comme « leader en éco-tourisme »
offrant une sélection de « projets
éthiques bénévoles à l’étranger »,
propose un programme bénévole de deux à
quatre semaines dans le « Mountain Eco
Lodge » soi-disant en Israël.
Selon GoEco, le
gîte « est un exemple d’habitat
soutenable moderne » sur « l’un des plus
hauts sommets d’Israël », à Nimrod,
« une petite ville israélienne sur le
plateau du Golan ».
Il n’est pas
précisé que Nimrod est une colonie
israélienne, illégale au regard du droit
international.
Cette information
serait d’autant plus cruciale quand on
sait que l’une des principales activités
des bénévoles est du travail de
construction – « l’expérience
gratifiante de construire des structures
du sol au plafond » – ce qui signifie
que les participants vont directement
contribuer à la construction des
colonies.
Selon John Dugard,
professeur de droit international et
ancien Rapporteur spécial des Nations
Unies sur les droits de l’homme en
Palestine, les clients des agences de
voyage fournissent sans le savoir « aide
et complicité » au crime d’établissement
de colonies illégales.
« En théorie, cela
pourrait les exposer à des poursuites
judiciaires pour avoir acheté des biens
illégaux, » dit J. Dugard, qui ajoute
que bien que les voyagistes ne seront
pas poursuivis devant la Cour pénale
internationale pour un tel crime, les
agences de voyage devraient avertir les
touristes qu’ils sont sur le point de
commettre un crime.
« Les touristes
devraient se retourner contre les tour
operator et réclamer des dédommagements
pour avoir été frauduleusement induits
en erreur et exposés à une activité
criminelle. » a dit J. Dugard.
« Une manière
efficace de perpétuer le récit officiel
israélien »
Au cours des
dernières années, le gouvernement
israélien a investi massivement dans la
construction d’hôtels et le
développement du tourisme dans les
colonies de Cisjordanie, et selon des
porte-parole de colons, ces dernières
années ont vu le tourisme des colonies
se développer.
Plus tôt cette
année, un rapport fuité d’un Chef de
mission de l’Union européenne
avertissait que « les colonies
touristiques » dans la Jérusalem-Est
occupée étaient utilisées « comme un
instrument politique pour modifier le
récit historique et soutenir,
légitimiser et étendre les colonies ».
Ces conclusions
sont appuyées par Rami Khalil Isaac,
Chargé de cours à l’Académie du tourisme
de l’université néerlandaise NHTV de
Breda, qui a étudié le tourisme dans les
territoires palestiniens occupés.
« Le tourisme
devient un moyen efficace de perpétuer
le récit israélien officiel. Beaucoup de
ces circuits touristiques sur le plateau
du Golan ou en Cisjordanie servent en
définitive à normaliser l’idée que ces
lieux font partie d’Israël, » dit R. K.
Isaac.
Photo:
Oded Balilty/ AP Photo
Les Palestiniens, y
compris les guides touristiques
palestiniens, ne sont généralement pas
autorisés à accéder aux attractions
touristiques qui sont développées dans
des colonies. Simultanément, les
autorités israéliennes et les
organisations de colons prennent le
contrôle d’un nombre croissant de sites
historiques, archéologiques et religieux
situés sur des terres palestiniennes
occupées.
Alors que les tour
operator israéliens peuvent continuer
leurs excursions sur les sites qui se
trouvent dans les territoires occupés,
le passage des guides touristiques
palestiniens de Cisjordanie vers
Jérusalem ou Israël est strictement
restreint.
Selon Brian Reeves
de l’ONG israélienne Peace Now, les
lieux où les organisations de colons
établissent des sites touristiques
correspondent à des « terres
confisquées ».
« Les colonies
touristiques attirent aussi des
touristes domestiques israéliens, ce qui
renforce jour après jour dans l’esprit
des Israéliens le besoin de conserver
ces territoires pour toujours, » dit-il.
Parlant à l’ombre
de son stand de souvenirs dans la ville
de Cisjordanie de Bethléem, le petit
commerçant Assem Barakat souligne
qu’Israël contrôle toutes les frontières
des territoires palestiniens.
Les touristes
voyagent donc le plus souvent avec des
compagnies opérant depuis Israël – même
lorsqu’ils visitent des lieux situés en
Cisjordanie, comme Bethléem.
« Beaucoup ne
savent même pas qu’ils ne sont pas en
Israël quand ils viennent ici. Et à
d’autres on a dit de faire attention –
que ça pouvait être dangereux de venir
ici, » dit-il.
L’examen des
brochures de voyage montre que pour 20
compagnies, y compris TUI et Trafalgar
Travel, des lieux situés dans des
territoires palestiniens occupés sont
essentiels à leurs campagnes de
marketing, alors qu’ils les décrivent
comme faisant partie d’Israël.
Par exemple, la
photo principale sur le site de TUI a
été prise dans la Jérusalem-Est occupée,
mais le titre du circuit touristique est
« Jérusalem et Bethléem, Israël », alors
même que la communauté internationale ne
reconnaît pas l’annexion par Israël de
Jérusalem-Est, et que Bethléem est
administrée par l’Autorité
palestinienne.
Selon R. K. Isaac,
le Chargé de cours de l’Université NHTV
de Breda, les agences de tourisme
hésitent peut-être à mentionner qu’ils
visiteront les territoires palestiniens
parce que la région est connue comme une
zone de conflit.
« Mais en
prétendant qu’ils ne visitent pas la
Palestine, les agents de voyage ne font
que répéter cette même notion du
territoire – que c’est quelque chose
dont il faut avoir peur, » dit-il.
Le site de
réservation Airbnb a déjà été critiqué
pour avoir décrit des hébergements dans
des colonies situées sur des terres
palestiniennes occupées comme étant à
l’intérieur de l’État d’Israël.
Réponses
En 2010 et en 2015,
le Bureau britannique de vérification de
la publicité (British Advertising
Standards Authority, ASA) a interdit la
publication de campagnes touristiques
israéliennes qui définissent
Jérusalem-Est comme faisant partie
d’Israël.
Le verdict de 2015
a plus tard été changé lors d’une
deuxième enquête, le groupe de
surveillance ayant décidé que l’annonce
publicitaire ne risquait pas d’induire
les consommateurs en erreur et de « leur
faire accepter une transaction qu’ils
n’auraient sans cela pas acceptée ».
L’ASA a déclaré à
Al Jazeera qu’il ne pouvait pas
commenter des cas où l’enquête est
toujours en cours.
Après avoir été
contacté par Al Jazeera, On The Go Tours
a déclaré qu’il allait retirer la visite
au Centre des visiteurs de Ahava de son
voyage en Israël.
Topdeck, Thomas
Cook et Collette ont déclaré qu’ils
allaient corriger leurs sites internet
pour garantir que les Territoires
palestiniens soient correctement
identifiés sur l’itinéraire.
« Nous sommes
désolés que cette partie du circuit
n’ait pas été décrite précisément jusque
là, » nous a dit un porte-parole de
Thomas Cook.
Cependant, Thomas
Cook, par le biais de son voyagiste
Collette, ne change pas son itinéraire
et continuera de visiter le Centre de
visiteurs de Ahava.
Collette n’a pas
souhaité répondre à la question de
savoir s’ils allaient dorénavant
informer leurs clients qu’ils
visiteraient une colonie pendant leur
circuit.
Riviera Travel ont
admis que leur site internet ne donnait
pas au lecteur une idée conforme à celle
qu’ils avaient eu l’intention de donner
à l’origine, et ont dit qu’ils
s’engageaient à le réviser.
Depuis qu’il a été
contacté par Al Jazeera, GoEco a retiré
The Mountain Eco Lodge de son site
internet. Son co-directeur a annoncé par
e-mail qu’ils ne travaillaient plus avec
le gîte.
Par e-mail, le
porte-parole de Tripadvisor Brian Hoyt
n’a rien dit des lieux situés dans les
colonies et a dit qu’ils essayaient de
« fournir des informations
géographiques, pour décrire une
résidence ou un lieu, qui soient à la
fois pratiques et cohérentes avec les
autres sources que les voyageurs
pourraient être amenés à utiliser en
visitant ces lieux ».
TUI, Mercury
Holidays, Explore Travel, TourRadar et
l’Office du tourisme du Gouvernement
israélien n’ont pas répondu aux demandes
de commentaires d’Al Jazeera.
Malgré plusieurs
tentatives, Al Jazeera n’a pas non plus
reçu de réponse de : Virgin
Vacations; Artisans of Leisure;
Travel55, Trafalgar; Tours4fun; Gate1;
Cosmos; Mayflower Cruises and Tours;
Overseas Adventure Travels; Expedia;
Booking.com; Travelocity, Trivago;
Orbitz, Abercrombie & Kent; Titan Travel;
Globus Journeys; Key Tours and Saga
Holidays.
Les agences de
voyage qui ont visité des colonies
israéliennes sans informer leurs
clients :
Thomas
Cook, Virgin Vacations, Saga Holidays,
Artisans of Leisure, Gate 1, Collette
Tours, Overseas Adventure Travels,
Travel 55, Explore Travel, On the Go
Tours, GoEco, Key Tours, Tours4fun.
Les sites de
réservation qui ont proposé de
l’hébergement sans informer leurs
clients qu’ils résideraient dans des
colonies :
Expedia,
Booking.com, TripAdvisor, Travelocity,
Trivago, Orbitz, TourRadar.
Les agences de
voyage qui ont défini les territoires
occupés comme étant en Israël :
Abercrombie
& Kent, Thomas Cook, Virgin Vacations,
Saga Holidays, Artisans of Leisure, TUI,
Globus Journeys, Gate 1, Topdeck,
Mercury Holidays, Riviera Travel, Titan
Travel, Travel 55, Collette Tours,
Trafalgar Travel, Cosmos, Key Tours,
Mayflower Cruises and Tours, Overseas
Adventure Travels, Tours4fun.
Traduction : MUV
pour l’Agence France Palestine
Source :
Al Jazeera News
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