Opinion
Que cachent les plans occidentaux
contre le régime syrien ?
Nicolas Bourgoin
Photo:
D.R.
Vendredi 23 mai 2014
Épine dans le pied des dirigeants
occidentaux, la Syrie de Bachar el-Assad
est toujours debout malgré 3 années de
terrorisme, de saccages et
d’intimidations diplomatiques. Rien n’y
fait, le peuple syrien
soutenant très majoritairement son
dirigeant et l’armée nationale reprenant
l’une après l’autre les zones aux mains
de l’opposition. Seule chance pour
l’Empire de faire tomber le régime de
Damas : passer d’une guerre menée en
sous-main par les "rebelles" – des
mercenaires djihadistes à la solde des
monarchies du Golfe – à une intervention
militaire ouverte. Celle-ci requiert
l’aval du Conseil de Sécurité de l’ONU
mais surtout le soutien des opinions
publiques occidentales qui restent pour
l’heure réticentes à cette option,
échaudées par les précédents irakien et
lybien. Pour lever ces obstacles, la
guerre se mène préalablement sur le
front médiatico-diplomatique et elle
fait rage. Une question subsidiaire
demeure : à qui profiterait un
renversement de Bachar el-Assad ?
Des "armes de destruction massive"
aux armes chimiques
On s’en doutait mais c’est désormais
une certitude : la France et les
Etats-Unis ont menti à propos des
attaques chimiques en Syrie en les
attribuant aux forces de Bachar el-Assad.
Un
rapport publié à la mi-janvier,
passé sous silence par la quasi-totalité
des medias officiels (à l’exception
notable du
Point), contredit les arguments
avancés en septembre dernier par Paris
et Washington pour justifier une
intervention militaire en Syrie.
Interrogé au sujet de ce rapport, le 4
février dernier, Laurent Fabius a
décrété que celui-ci
contestait l’évidence. Il est
pourtant réalisé par deux experts de
renommée internationale : Richard Llyod,
ancien expert auprès de l’ONU
spécialiste des missiles et Theodore
Postol, professeur au prestigieux
Massachusets Institute of Technology.
Ils affirment que les missiles qui se
sont abattus sur la banlieue de Damas le
21 août dernier n’ont pu être tirés des
positions gouvernementales mais bien des
zones tenues par les « rebelles »
syriens. Pour se prononcer, les deux
experts américains ont étudié des
"centaines" de photos et des vidéos
d’ogive, de restes de roquettes,
d’impacts sur le sol, et de barils
contenant le gaz sarin. Quand Laurent
Fabius affirme qu’une "enquête des
Nations Unies a établi de la façon la
plus ferme qu’il y a eu un massacre
chimique et que ce massacre chimique
trouvait son origine dans les rangs du
régime", il oublie au passage que l’ONU
n’a jamais identifié les responsables de
l’attaque,
n’ayant pas de mandat pour le faire.
En réalité, il semblerait que ce
mediamensonge des armes chimiques ait
été largement prémédité : il était déjà
"dans les cartons"
7 mois auparavant, en janvier 2013.
Mais les impérialistes occidentaux ne
renoncent jamais. Après avoir balayé
d’un revers de main les preuves avancées
par le rapport, Fabius récidive. Lors
d’un voyage officiel à Washington, mardi
13 mai, il a publiquement reproché au
régime de Bachar el-Assad d’avoir
continué
à utiliser des armes chimiques lors
des combats contre la rébellion. Il a
toutefois précisé que les témoignages
sont difficiles à obtenir car le gaz
chloré s’évapore rapidement …. ce qui
sera sans doute aussi le cas de ces
accusations puisque
l’arsenal chimique syrien est à ce jour
entièrement détruit.
Le syndrome de Pearl Harbour.
Le scénario apparaît immuable et a
déjà fait ses preuves : attribuer à un
État voyou (comprendre "hostile aux
intérêts d’Israël") des agissements
criminels ou un arsenal prohibé afin de
pouvoir justifier une guerre humanitaire
ou préventive en bénéficiant du soutien
de l’opinion publique nationale. La
Serbie et l’invention du
génocide commis sur les Albanais,
l’Afghanistan après les attentats du 11
septembre 2001, l’Irak et ses fausses
armes de destruction massive en 2003, la
Lybie de Khadafi en 2011 et ses
prétendues
menaces de bain de sang,… avec dans
le collimateur l’Iran et son arme
nucléaire (pour l’instant totalement
virtuelle)…, la liste est longue de tous
les États victimes de ce que l’on peut
appeler le «
syndrome de Pearl Harbour » :
inverser les rôles en faisant passer la
victime pour l’agresseur et l’agression
préventive pour une mesure de défense
contre celui-ci.
Dans le cas Syrien, la mécanique de
cette propagande apparaît plus fragile
du fait des informations disponibles sur
la nature et la composition des forces
d’opposition syriennes. Il est notoire
que la « rébellion » syrienne est
infiltrée par des djihadistes étrangers dont
un certain nombre viennent de France.
On sait également que les groupes armés
de l’opposition ont accès aux armes
chimiques et qu’ils
s’en sont déjà servi plusieurs mois
auparavant, d’ailleurs sans susciter
la moindre réprobation de la part de la
« communauté internationale », tandis
que le régime de Damas n’a aucun intérêt
à le faire : il est en position de force
sur le terrain et sait bien que l’usage
d’armes chimiques, aisément décelable,
l’exposerait à une intervention
extérieure qui lui serait sans doute
fatale. Pour ces raisons, une majorité
de citoyens français et américains
sont toujours opposés à la guerre.
Fabius dans le pas des
néoconservateurs
En réalité, cela fait belle lurette
que le gouvernement baasiste est dans le
collimateur des puissances occidentales
et le renversement de Bachar el-Assad
était dans l’agenda américain bien avant
l’épisode des armes chimiques, déjà au
lendemain des attentats du 11 septembre.
L’administration Bush
prévoyait de s’attaquer à la Syrie
immédiatement après l’Irak et avant une
série de pays qu’elle estimait devoir
être détruits : le Liban, la Lybie, la
Somalie, le Soudan et l’Iran, le tout
sur 5 ans. Regrettant que les États-Unis
aient "lâché" la France en renonçant à
frapper la Syrie à l’automne 2013 –
le Congrès s’y étant opposé -,
Laurent Fabius inscrit sa diplomatie
dans la continuité de celle de George
Bush en copiant la posture martiale des
néo-conservateurs américains : après
avoir déclaré vouloir
"punir" les "terroristes" au Mali,
fait échouer les
négociations avec l’Iran lors de la
conférence de Genève, fait exclure
celui-ci de
la conférence sur la paix en Syrie
(Genève II), soutenu sans réserves les
putschistes ultra-droitiers ukrainiens,
il veut "en finir" avec Bachar el-Assad
et
le traduire devant la Cour Pénal
Internationale. Le tout sur fond
d’allégeance inconditionnelle à Israël.
Un gaz peut en cacher un autre
Les mobiles affichés pour justifier
une intervention n’étant pas crédibles,
il semblerait que les motivations
réelles soient une fois de plus de
nature géo-stratégique et économique
(voir à ce sujet
la déclaration du Parti Communiste
Syrien). L’enjeu pour les occidentaux
est de taille : se débarrasser du
régime syrien leur permettrait
d’affaiblir l’Iran en le privant d’un
allié stratégique, de mettre en échec le
Hezbollah libanais principal soutien des
palestiniens, et de renforcer ainsi leur
influence et celle de leurs alliés
saoudiens, qataris, turques et
israéliens dans cette région. On ne
s’étonnera guère, dès lors, de
l’hostilité que porte la presse
dominante d’obédience sioniste au régime
de Bachar el-Assad.
Les menaces de guerre en Syrie
cachent des conflits d’intérêt
commerciaux entre l’Orient et
l’Occident. Le transatlantisme n’est pas
seulement
économique, il est aussi militaire,
le second étant d’ailleurs une condition
de la bonne marche du premier. Dans
cette compétition, la Russie est un
adversaire de taille pour l’Occident car
elle est un frein au contrôle des voies
énergétiques qui relient l’Europe à
l’Eurasie en passant par les Balkans. La
guerre en Serbie de 1999 ainsi que
le
coup d’État récent en Ukraine ont
été des moyens radicaux pour "sécuriser"
l’accès des occidentaux à l’énergie.
Quid de la Syrie ? Elle se trouve sur la
trajectoire d’un
projet de gazoduc reliant le Qatar à
l’Europe en passant par l’Arabie
Saoudite et la Turquie, nouvelle version
du défunt projet "Nabucco"
à l’époque soutenu par les Turcs et les
étasuniens mais abandonné faute de
fournisseurs de gaz fiables. En
renversant le régime syrien pour le
remplacer par un gouvernement docile,
les occidentaux feraient d’une pierre
deux coups : ils accéléreraient la
réalisation de ce projet destiné à
réduire leur dépendance énergétique à la
Russie et ils priveraient celle-ci d’un
de ses partenaires économiques et
énergétiques précieux – la Syrie se
trouve sur
une gigantesque réserve de matières
premières, notamment gazières. On
comprend mieux dès lors ce qui peut
pousser un certain nombre de pays du
bloc occidental à s’engager activement
dans le soutien à l’opposition syrienne.
Face au poids de ces enjeux
géopolitiques, il aura fallu toute
l’habileté de la diplomatie russe
pour désamorcer les risques d’un conflit
militaire aux conséquences
potentiellement dévastatrices. Le
veto russe et chinois imposé une
nouvelle fois aux plans occidentaux de
déstabilisation de la région a permis de
repousser provisoirement le spectre
d’une troisième guerre mondiale. Mais
celle-ci est à terme rendue inéluctable
par la compétition énergétique entre
blocs impérialistes rivaux, clé de voûte
de la suprématie militaire.
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