Opinion
Charlie, nouvelle religion d’État
Nicolas Bourgoin
Jeudi 7 janvier 2016
Par quel miracle un journal satirique
a-t-il pu devenir l’un des organes de la
pensée officielle ? Cette métamorphose
témoigne bien sûr de la capacité du
système à faire feu de tout bois et à
tout recycler mais elle montre surtout
les affinités entre la pensée
libérale-libertaire et les intérêts des
élites mondialistes. Et celles-ci ne
sont jamais avares pour récompenser
leurs loyaux serviteurs comme on l’a vu
à l’occasion du battage médiatico-politique
qui a suivi les attentats de janvier :
minutes de silence un peu partout en
France, drapeaux en berne, journées de
deuil national, manifestations de
solidarité
émaillées de « dérapages »
anti-Islam, grande marche républicaine
symbolisant l’union sacrée des
politiques contre « la barbarie et le
terrorisme » à laquelle se sont associés
la totalité des partis du système et des
organisations de l’antiracisme
institutionnel ainsi que de nombreux
chefs d’État, slogans de soutien
omniprésents, déclarations martiales des
responsables politiques en dépit des
zones d’ombre qui brouillent cette
nouvelle affaire, à l’image de celles
des attentats du 11 septembre.
À l’occasion du premier anniversaire
des attentats, les élites politiques
ressortent les plats – avec parfois
quelques ratages – au risque de
provoquer la nausée. Exploiter jusqu’au
bout ce drame pour renforcer le système
de domination et pour lancer la France
dans des aventures militaires de tous
les dangers – le tout sous couvert de
« guerre contre le terrorisme » – est
clairement la ligne politique du
gouvernement. Les bénéfices attendus
sont bien là : restauration d’un crédit
politique perdu sur le front économique
et social et promulgation d’une batterie
de lois liberticides pour museler la
contestation sociale. Mais l’essentiel
est peut-être ailleurs. La mascarade du
11 janvier et celle des commémorations
forcées du premier anniversaire (en
attendant les suivants !) ont aussi pour
objectif de formater les esprits en
posant les bases de ce que l’on pourrait
appeler une « religion d’État ». Une
religion laïque – et même laïciste –
mais dont la fonction première est de
dresser un rideau de fumée idéologique
entre la conscience et la réalité.
Le 7 janvier 2015, c’est l’un des
centres névralgiques du système de
domination médiatique qui a été visé. Et
pas n’importe lequel : Charlie Hebdo,
passé du scato-gauchisme au
néoconservatisme bon teint, spécialisé
dans la discrimination antimusulmane
sous couvert de « liberté d’expression »
(pourtant à géométrie bien variable par
les temps qui courent…) avec la
bénédiction des élites politiques qui
n’ont jamais ménagé leurs efforts pour
le soutenir, en particulier au
moment du procès des caricatures. Et
pour cause… Les colonnes du journal
accueillent régulièrement la fine fleur
de l’atlantisme dans sa version la plus
dure, notamment des journalistes de la
mouvance néoconservatrice du Cercle de
l’Oratoire :
Caroline Fourest, qu’on ne présente
plus,
Robert Misrahi,
Mohamed Sifaoui (lire
ici l’article du site ANTINEOCONS).
Le journal s’était notamment ilustré en
publiant un « manifeste des 12 »,
dénoncé à juste titre par la Ligue des
Droits de l’Homme, sous-titré « ensemble
contre le nouveau totalitarisme » qui
n’est rien de moins qu’une déclaration
de guerre contre la menace islamique
assimilée à la barbarie et au
totalitarisme : « Après avoir vaincu le
fascisme, le nazisme, et le stalinisme,
le monde fait face à une nouvelle menace
globale de type totalitaire :
l’islamisme ». On a déjà vu analyse plus
nuancée…
Également dans le viseur du journal,
la religion catholique. La dernière une
(en date) du journal, associant crime et
religion, a provoqué
colère et
consternation. Mais le profond
mépris pour la religion (et les
croyants) affiché par le journal masque
en réalité une orthodoxie bien
prégnante. Elle s’est notamment
manifestée à l’occasion des cérémonies
d’hommage aux victimes quand il s’est
agi de « repérer et de traiter ceux qui
ne sont pas Charlie ». Comme toutes les
religions, celle du politiquement
correct a ses
croyants, ses
intégristes, ses
apostats, ses
hérétiques, ses
agnostiques, ses
curés et ses
icônes. Et les brebis égarées
pourront toujours compter sur la
miséricorde divine si elles font acte de
repentance puisque, comme
le dit si bien Nathalie Saint Bricq,
« il faut réintégrer dans la communauté
nationale ceux qui ne sont pas
Charlie ».
Comme toutes les religions, celle de
Charlie a une fonction idéologique,
celle de montrer une image tronquée,
faussée et parfois inversée du réel.
Tout esprit ayant échappé au formatage
des consciences ne peut qu’être frappé
par la contradiction manifeste entre les
discours dominants et les pratiques.
Ainsi, l’humoriste Dieudonné
a été condamné pour apologie du
terrorisme (!) en raison d’un
message posté sur son compte Facebook
dans lequel il affirmait « se sentir
Charlie Coulibaly », le jour même de la
marche républicaine du 11 janvier !
Rappelons tout de même que le mot
d’ordre de cette manifestation géante
était la défense de la liberté
d’expression…
Surfant sur la peur provoquée par les
événements de janvier et leur
ultramédiatisation, les élites
politiques ont promulgué
une nouvelle loi pour réduire un peu
plus les libertés publiques. Ou comment
prétendre défendre la liberté
d’expression contre une prétendue
« menace islamique »… en encadrant
celle-ci. Sans même parler de celles
votées précédemment. Ainsi le délit pour
apologie de terrorisme aux contours
éminemment flous que l’exécutif a
fabriqué dans le cadre de
la loi antiterroriste de l’automne 2014
pourra valoir à son auteur pas moins de
7 ans de prison et de 100.000 euros
d’amende ! La saturation médiatique des
attentats et la propagande pro-Charlie
déversée par les médias sous contrôle
n’aura pas été de trop pour faire croire
que la vraie menace qui pèse sur les
libertés vient de l’Islam et non du
pouvoir en place…
Mais l’une des caractéristiques de la
mobilisation pro-Charlie (comme de celle
qui a suivi les attentats de novembre)
est l’appel à l’unité nationale sur fond
de guerre contre le terrorisme. Grâce
l’alchimie de l’union sacrée contre un
ennemi à la fois extérieur et intérieur,
les clivages sociaux et politiques
disparaissent comme par magie : plus de
riches, ni de pauvres, plus
d’exploiteurs ni d’exploités mais des
pro-Charlie et des crypto-terroristes.
L’enjeu principal est sans doute ici :
faire croire aux populations qu’elles
ont les mêmes intérêts que les élites
mondialistes et que la population
syrienne mourant sous les bombes de
l’aviation française
est massacrée dans l’intérêt de la
France.
L' »esprit Charlie », nouvel avatar
de la pensée dominante ? Sans doute, et
le laïcisme agressif qui est sa marque
de fabrique dessine les contours d’une
nouvelle religion, concurrente de toutes
les autres. Une religion qui n’ouvre pas
les portes du Paradis mais celles d’un
monde où la seule liberté qui existe est
de pousser son chariot de supermarché,
de laver son cerveau avec la télévision
et de se faire tondre à l’occasion.
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