Opinion
Réforme pénale :
un pas de plus vers la
dictature politique
Nicolas Bourgoin
Photo:
D.R.
Mardi 1er mars 2016
Les députés débattent à partir
d’aujourd’hui de la réforme pénale
destinée à « renforcer la lutte contre
le crime organisé, le terrorisme et leur
financement et améliorer l’efficacité et
les garanties de la procédure pénale »
comme son intitulé l’indique. Un texte à
haut risque pour les libertés publiques
selon le défenseur des droits,
Jacques Toubon, qui redoute un
abaissement de la démocratie et des
droits fondamentaux. En effet, il ne
s’agit ni plus ni moins que de
constitutionnaliser l’état d’urgence en
inscrivant certaines de ses
dispositions, propres à la lutte
antiterroriste, dans le droit commun
pour faire en sorte que l’exception
devienne la règle. Même le député Les
Républicains Patrick Devedjian
s’est inquiété d’un texte qui
banalise la surveillance de masse des
citoyens et donne des pouvoirs
exorbitants à la police administrative.
Mais l’exécutif pourra sans nul doute
compter sur la grande majorité des élus
de l’UMPS pour valider une réforme dont
la fonction première est de museler la
contestation sociale, à l’image de
l’état d’urgence.
De nouveaux
pouvoirs donnés à la police.
Les forces de l’ordre pourront
désormais, lors d’un contrôle
d’identité, retenir une personne dans
une limite de 4 heures « lorsqu’il y a
des raisons sérieuses de penser que son
comportement est lié à des activités à
caractère terroriste, le temps
nécessaire à l’examen de la
situation ». Cette rétention
quasi-arbitraire pourra se faire même si
la personne dispose d’une pièce
d’identité.
Dans la même veine, les officiers de
polices judiciaires, pourront procéder
aux fouilles de bagages en plus de la
visite des véhicules, et contrôler
n’importe qui, le tout sans l’aval d’un
juge ni même présomption d’infraction.
Toujours sans mandat, les
perquisitions de nuit pourront être
ordonnées par les enquêtes préliminaires
du parquet dans les cas où elles
permettent de « prévenir un risque
d’atteinte à la vie ou à l’intégrité
physique ». Le but étant clairement de
contourner le garde-fou judiciaire au
profit du préfet qui lui est
hiérarchiquement aux ordres du ministre
de l’Intérieur.
Enfin, les forces de l’ordre pourront
procéder à des achat d’armes illégales,
comme elles en ont la possibilité dans
la lutte contre le trafic de
stupéfiants.
Présomption
de légitime défense pour les policiers.
L’une des mesures-phares du programme
de Nicolas Sarkozy est reprise dans le
texte :
la présomption de légitime défense pour
les forces de l’ordre, gendarmes ou
policiers. La réforme va mettre en
place un nouveau régime
d’irresponsabilité pénale au bénéfice
des force de l’ordre en cas « d’absolue
nécessité » contre quelqu’un qui vient
de commettre ou tenter de commettre un
meurtre et s’apprêterait à recommencer.
La droite avait déjà fait des
propositions allant dans ce sens mais
celles-ci avaient été écartées par le
gouvernement qui les jugeait alors
contraires au droit européen. Le texte
actuel prévoit donc un nouveau régime
afin de contourner l’obstacle européen.
Encore plus
de surveillance pour citoyens.
De nouveaux pouvoirs vont être donnés
aux procureurs pour intercepter les
communications, comme les « imsi
catcher » – des valisettes
permettant l’espionnage téléphonique –
et pour ordonner des perquisitions de
nuit ou placer des micros dans les lieux
d’habitation. Toujours hors de tout
contrôle judiciaire. Répondant à une
demande de la droite, le texte donne
aussi la possibilité à l’administration
pénitentiaire de recourir aux techniques
utilisées par les services de
renseignement.
Contrôle
renforcé des déplacements et des flux
financiers.
Un autre point du texte concerne les
personnes qui se sont rendues « sur un
théâtre d’opération de groupements
terroristes » dans des conditions
« susceptibles de les conduire à porter
atteinte à la sécurité publique ».
Celles-ci pourront être contrôlées
administrativement dès leur retour sur
le sol français, être assignées à
résidence, se voir demander les codes de
leurs téléphones et ordinateurs et
devoir signaler leurs déplacements sans
pouvoir parler à certaines personnes, le
tout sur ordre du préfet. Un contrôle
judiciaire sans juge, en quelque sorte.
Le projet de loi vise enfin à
s’attaquer au financement du terrorisme
en facilitant l’encadrement et la
traçabilité des cartes prépayées dont se
sont servis, par exemple, les
assaillants du Bataclan. Tracfin,
l’organisme anti-blanchiment du
ministère de l’Economie, pourra par
ailleurs signaler aux banques des
opérations et des personnes à risques et
faciliter le gel de leurs avoirs.
Un pouvoir
sans juges ?
Le but de cette réforme, comme celui
des précédentes lois sécuritaires votées
par ce gouvernement, est de renforcer le
pouvoir exécutif en affaiblissant le
garde-fou judiciaire : supplanter le
juge d’instruction,
relativement indépendant, par les
procureurs, directement soumis au
ministère de la Justice, ou par les
préfets, étroitement dépendants du
ministère de l’Intérieur. Cette
politique, qui suscite régulièrement
des levées de boucliers chez les juges,
vise clairement à laminer la séparation
des pouvoirs propre à toute démocratie
pour instaurer, in fine, ce qui
ressemble de plus en plus à un État
Policier.
Voir
ici une vidéo de
présentation de mes travaux.
Voir également sur ce site : un
entretien à propos de mon dernier
ouvrage « La
République contre les libertés« .
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