Opinion
Camus et l'âme pied-noire...
Nazim Rochd
Photo:
D.R.
Samedi 22 novembre 2014
Toutes les approches dominantes, sur
Albert Camus, le situent délibérément
dans une bulle intellectuelle détachée
de son déterminant fondamental, sa
matrice sociale. Ne reste jetée sur la
table que sa pensée expurgée, que l’on
voudrait née d’un absolu métaphysique.
L’homme, pourtant, n’a pas manqué une
seule occasion, en dehors de ses œuvres,
dans la vie, de parler en tant que
lui-même, en défense de ce qu’il est et
de ce qu’il représente. Pas en tant
qu’écrivain, en tant que personne
concrète confrontée aux défis que
l’histoire concrète lui posait. En
agissant, il clarifiait une grande part
de la philosophie qu’il a tenté de
construire, contre par exemple et
surtout le marxisme. Le marxisme qui
nourrissait l’action de la majorité de
ses pairs et les faisait s’engager aux
côtés des opprimés contre l’oppression,
dont l’expression universelle était le
colonialisme, une violence essentielle.
Le colonialisme que Camus savait en être
un produit, qui a déterminé son lieu de
naissance et la société d’où il est
issu. Il savait, aussi, par son
insertion professionnelle et dans les
milieux politiques, que le colonialisme
était en danger. Il voulait le sauver.
Il voulait lui appliquer un traitement
différent d’une révolution. Il fera tout
ce qui a été en son pouvoir pour lutter,
à la fois, contre ses compatriotes
inconscients, selon lui, du volcan qui
couvait sous la « Misère en Kabylie »,
et contre ceux qui ne croyaient pas à la
« justice » qu’il proposait. En 1951,
l’auteur publie « L’homme révolté »,
un livre où il assimile la révolution au
nihilisme et à la voie vers le
totalitarisme. Il pressentait, sans
aucun doute, la lame de fond qui allait
bouleverser sa vie et celle de ses
concitoyens pieds-noirs. Critiqué par
Jean-Paul Sartre, Francis Jeanson et
d’autres, il dira : « j’ai voulu
seulement retracer une expérience, la
mienne, dont je sais aussi qu’elle est
celle de beaucoup d’autres. » Il
avoua, sans le vouloir peut-être, que
ses réflexions sont tout à fait
prosaïques, en lien ombilical avec son
âme pied-noire. Son « expérience » il va
la continuer jusqu’au bout de son espoir
de sauver le colonialisme, malgré lui et
malgré ses victimes. Il n’aura pas
réussi à comprendre que le colonialisme
ne peut vivre dans la « solidarité » et
dans la « justice » et sans ses
victimes. Pour autant qu’il pensait
cette « solidarité » et cette
« justice », en destruction de son
propre statut de « petit-blanc », quand
on sait son sionisme déclaré. In fine,
l’histoire a eu raison de sa
philosophie. Ce sera la révolution qui
aura éliminé l’injustice coloniale. Et
si on reparle de Camus, si Sarkozy
voulait le panthéoniser, s’il trouve une
nouvelle vie au sein d’une élite
algérienne (produite par l'école de
l’indépendance qu’il a combattue), c’est
que le temps est à remettre en place les
pièces du puzzle colonialiste. Certains,
aujourd’hui, disent que le temps lui a
donné raison en arguant qu’au lieu des
mouvements révolutionnaires, ce qui
prime sont les organisations
« humanitaires », les ONG et autres
officines engagées dans une entreprise
de « démocratisation » des ex-indigènes,
pour les « aider » à se débarrasser des
« totalitarismes », « prévus » par
Camus. L’histoire aura raison, contre
ceux-là, aussi.
Nazim Rochd
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