Syrie
Après l'invasion de Palmyre, Washington
a-t-il fini par comprendre qu'il n'y a
pas d'alternative à Al-Assad ?
Nasser Kandil
Photo:
D.R.
Dimanche 24 mai 2015
À l’ombre de l’escalade guerrière et des
drames sanglants vécus par la Syrie, sur
tous les fronts, pour que les alliés de
Washington puissent enfin convaincre la
Maison Blanche de revoir ses plans
d’intervention militaire visant à
renverser le Président syrien Bachar al-Assad,
au lieu de se contenter de leur plaire
par des déclarations se résumant à dire
qu’il aurait perdu sa légitimité et
qu’en aucun cas il ne ferait partie de
la solution politique ; leurs médias,
notamment en Arabie saoudite et en
Turquie, claironnent à qui veut bien
l’entendre que la « chute » de la Syrie
est imminente.
Ceci, alors qu’il est
parfaitement clair que le sort de la
Syrie est le cadet de leurs soucis et
que tout ce qui les intéresse est de se
débarrasser du Président syrien, comme
cela fut le cas en Libye grâce à la
coopération des Qataris avec la
bénédiction de l’Administration US. Une
fois leur victoire contre le dirigeant
libyen Mouammar Kadhafi célébrée, peu
leur importait que la Lybie soit vouée
aux gémonies en tombant entre les
griffes d’Al-Qaïda et que la sécurité
européenne et régionale aillent en
enfer.
Mais pendant que les
Saoudiens et les Turcs souriaient jaune,
les rapports des Services du
renseignement s’entassaient sur les
bureaux des présidents russe et
américain prouvant, par les menus
détails, l’étendue de la participation
de la Turquie et de l'Arabie Saoudite à
ce qu'ils attribuent à l'opposition
syrienne.
Ainsi, quand on leur
rétorque que cette fameuse opposition
n’est autre que DAECH et Al-Nosra, ils
commencent par tenter d’établir une
distinction entre ces deux organisations
terroristes [la seconde étant
révolutionnaire et donc plus respectable
que la première à en croire M. Fabius,
M. Walid Joumblat, le gouvernement
israélien, etc… NdT] ; avant de finir
par prétexter que la situation en Syrie
ne fait qu'empirer. Et quand on leur
demande comment se fait-il que des armes
sophistiquées, « made in USA » en
particulier, soient tombées entre les
mains des combattants d’Al-Nosra, ils
expliquent que c’est le résultat de
leurs larcins dans les arsenaux des deux
armées irakienne et syrienne.
C’est pourquoi Moscou
a demandé à Washington de lui fournir
une copie des numéros de série des
missiles anti-char correspondant à des
plateformes tombées entre les mains du
renseignement russe après leur
utilisation par DAECH et Al-Nosra.
Demande logique si l’on se souvient du
rôle joué par les missiles Stinger
livrés aux Talibans lors de la guerre en
Afghanistan… [1].
Moscou n’a pas
attendu longtemps. Quarante huit heures
après sa demande, Daniel Rubenstein,
l’adjoint du ministre des Affaires
étrangères US en charge du dossier
syrien [2], arrivait dans la
capitale pour en discuter avec
le vice-ministre russe
des Affaires étrangères
Mikhaïl
Bogdanov [3].
Voici ce qu’il aurait répondu aux deux
questions posées par Moscou :
-
Non, les USA n’ont pas livré ces
missiles US aux terroristes. Ils ont été
expédiés à partir des arsenaux de la
Turquie, de l'Arabie saoudite et des
Émirats arabes unis, et il semble qu’ils
aient été livrés par centaines avec les
plateformes et des munitions
suffisantes.
-
Non, les
opérateurs de ces engins n’étaient pas
des experts formés à Washington ou par
les armées alliées. Le fait est qu’il y
a des centaines de commandos saoudiens,
émiratis et turcs, qui combattent sur le
territoire syrien au sein des
différentes factions de DAECH et d’Al-Nosra ;
la quantité d’armes et d’équipements
dont ces fous furieux disposent et ce
qu’ils en font nous stupéfient !
Après deux journées
de consultations à Moscou, M. Rubenstein
s’est rendu à Ankara et à Riyad. Selon
les déclarations de M. Bogdanov, il
s’était donné pour mission d’exhorter
les puissances régionales à user de leur
influence pour pousser dans le sens
d'une solution politique en Syrie et
d'encourager les Syriens à participer au
dialogue inter-syrien en préparation de
la réunion de Genève III. Ceci, car
Washington et Moscou partagent une même
inquiétude devant la menace terroriste
et les risques de son expansion.
M. Rubenstein a donc
rempli sa mission de visite des
capitales régionales ; puis, est arrivé
ce qui est arrivé à Palmyre… Et M.
Bogdanov a repris la parole pour dire :
« Nos collègues américains ont compris
qu’il n’y avait aucune alternative à
Bachar al-Assad et au gouvernement
actuel. [Voici le texte de sa
déclaration, publié le 22 mai par
Sputniknews, NdT] :
« Si je comprends
bien, nos collègues américains ont
compris qu'il n'y avait actuellement
aucune alternative à Bachar al-Assad et
au gouvernement actuel. S'il lui
arrivait quelque chose, le pouvoir et
tout le territoire syrien seraient pris
par les terroristes et les extrémistes
de l'État islamique et du Front al-Nosra.
Bref, on revivrait un nouveau scénario
somalien ou libyen, très dangereux, qui
ne serait pas du tout dans l'intérêt du
peuple syrien. Cela déstabiliserait
également la situation dans la région en
général… Un tel déroulement des faits
renforcerait la menace terroriste envers
les intérêts nationaux et de sécurité
nationale aussi bien des USA, de la
Russie, que de la communauté
internationale dans l'ensemble... Il m'a
semblé que nos partenaires américains
avaient commencé à en prendre
conscience. A cet égard, ils ont
constaté que nous avions perdu beaucoup
de temps pour réfléchir à comment mettre
en œuvre le communiqué de Genève, en
attendant qu'il s'accomplisse de
lui-même ou que les parties syriennes
deviennent plus actives … S'il arrivait
quelque chose au gouvernement actuel,
l'alternative serait le chaos et le
déchaînement du terrorisme à une plus
grande échelle qu'aujourd'hui, qui se
répandrait sur tout le pays et
dépasserait ses limites. C'est pourquoi
il y a aujourd'hui un tel intérêt pour
coopérer avec nous. Il faut, sans perdre
de temps, réfléchir aux initiatives pour
assurer ses arrières"
[4].
Or, ceux qui suivent
de près le dossier des relations
syro-russes savent que M. Bogdanov n’a
jamais été un ardent défenseur du
maintien du Président syrien au pouvoir
[Et encore moins M. Rubenstein qui, en
digne successeur de M. Robert Ford,
s’est adressé lors de sa prise de
fonction au « peuple syrien » en langue
arabe [5], pour lui débiter la
même propagande des ennemis de la Syrie
sur la prétendue tyrannie de Bachar al-Assad
et les prétendus révolutionnaires
auxquels il a promis de rendre justice
(sic)… NdT]. Par conséquent, cette
dernière déclaration n’est ni
émotionnelle, ni due au hasard. Elle
traduit plutôt le contenu de l’accord
final sur l’avenir de la Syrie…
[…]
Par ailleurs, les
déclarations du ministre russe des
Affaires étrangères, M. Sergueï Lavrov,
à propos des efforts de la Russie pour
l’arrêt rapide des combats au Yémen,
l’accélération de la solution politique
en Syrie et la poursuite de sa
coopération technico-militaire avec
Bagdad dans la lutte contre le
terrorisme au Proche-Orient [6]
posent, pour de nombreux observateurs,
la question de savoir si
Washington
est désormais
conscient que le fardeau de cette guerre
dépasse ses capacités et aurait décidé
de s’en décharger sur Moscou. En effet :
-
Washington ne veut pas que la guerre se
solde par la victoire de DAECH, en dépit
de son rôle dans la fabrication et le
parrainage de cette organisation
terroriste [À ce propos, voir le rapport
secret du Pentagone révélant que
l’Occident a considéré DAECH comme un
instrument stratégique [7], NdT].
-
Washington ne veut pas que les alliés
régionaux de l’Iran puissent l’emporter
et étendre leur influence, vu leur
capacité certaine à vaincre DAECH et Al-Nosra.
-
Washington ne veut pas se brouiller avec
ses propres alliés qui alimentent DAECH
et Al-Nosra, l’Arabie saoudite et la
Turquie en particulier, et travaille à
les rassurer alors que la date de la
signature de l’accord sur le nucléaire
iranien approche [30 juin].
C’est dans ce cadre
que les informations reçues de Moscou
suggèrent qu’un accord russo-américain
aurait été conclu et porterait sur deux
points :
-
Moscou se charge
de renforcer les capacités de l'Armée
syrienne sous le commandement du
Président Bachar al-Assad, puisque sans
cela pas de victoire possible contre le
terrorisme.
-
Moscou est prêt à
servir d’intermédiaire pour une action
coordonnée entre les alliés des deux
blocs adverses, à condition que
Washington fasse pression sur ses
propres alliés pour qu’ils cessent de
prétendre combattre le terrorisme, alors
qu’en réalité ils accordent tous les
soins et les moyens nécessaires aux
organisations terroristes.
En conclusion : Un accord
américano-russe qui devra se traduire
sur le terrain par la politique et les
armes…
Nasser Kandil
23/05/2015
Sources :
Synthèse de deux articles d’Al-Binaa
http://www.al-binaa.com/?article=45758
http://www.al-binaa.com/?article=45757
Article traduit de
l’arabe par Mouna Alno-Nakhal
Notes :
[1] La
narrative des Stinger en
Afghanistan
http://www.dedefensa.org/articlela_narrative_des_stinger_en_
afghanistan_03_04_2013.html
[2]Jewish Arabist is DC’s new envoy to
Syria
http://www.timesofisrael.com/jewish-arabist-is-dcs-new-envoy-to-syria/
[3]
Les USA et la Russie se parlent de
nouveau
http://fr.sputniknews.com/presse/20150518/1016119235.html
[4]
Syrie: les USA comprennent…
http://fr.sputniknews.com/presse/20150522/1016211372.html
[5] Message au peuple
syrien du nouvel envoyé US/ euronet.news
المبعوث الأمريكي الجديد الى سوريا يوجه
رسالة الى الشعب السوري عبر أورينت نيوز[4]
https://www.youtube.com/watch?v=ED3dIYO-d_Y&feature=youtu.be
[6]
Moscou
poursuivra sa coopération
technico-militaire avec Bagdad dans la
lutte contre le terrorisme au
Proche-Orient.
http://fr.sputniknews.com/international/20150319/1015256473.html
#ixzz3UudqJ8OD
[7] Secret Pentagon report reveals West
saw ISIS as strategic asset / 05-22-2015
https://medium.com/insurge-intelligence/secret-pentagon-report-reveals-west-saw-isis-as-strategic-asset-b99ad7a29092
Le sommaire de Mouna Alna-Nakhal
Le
dossier Syrie
Les dernières mises à jour
|