BDS
Ce que le boycott économique d’Israël
peut permettre de réaliser
Nada Elia
Des
pêcheurs palestiniens manifestent pour
réclamer
le boycott des produits agricoles
israéliens (2014) Photo Ashraf
Amra
Samedi 30 juillet 2016
Dans une récente
contribution publiée sur +972 Magazine,
Yonathan Mizrachi affirme que le boycott
économique d’Israël est voué à l’échec,
et entreprend d’analyser les raisons
pour lesquelles il en est ainsi selon
lui. Établissant une comparaison entre
l’Afrique du Sud de l’ère de l’apartheid
et l’Israël contemporain (qu’il faudra
bien un jour désigner par “l’Israël de
l’ère de l’apartheid”), l’auteur
explique que les pays occidentaux
industrialisés des années 1990 (durant
la période du boycott visant l’Afrique
du Sud) représentaient 62% de l’économie
mondiale, mais que ce pourcentage a
aujourd’hui dégringolé à 38,8%, et que
par conséquent “économiquement
parlant, un boycott par les pays
occidentaux serait moins efficace
aujourd’hui que par le passé”.
Les mots essentiels dans l’expression
utilisée par Mizrachi sont “économiquement
parlant”. Et, de ce point de vue,
beaucoup de ceux qui organisent BDS sont
du même avis que lui. La plupart d’entre
nous sont pleinement conscients que nous
pouvons boycotter chaque produit de
consommation dans chacun des magasins
des États-Unis sans que cela égratigne
l’économie israélienne. Et si jamais
cela causait un dommage significatif, il
est probable que les États-Unis
augmenteraient tout simplement encore un
peu plus leur aide à Israël.
Et pourtant, la campagne BDS
rencontre un tel succès qu’Israël l’a
désigné comme “une menace
existentielle”, et consacre du
temps, de l’énergie et de l’argent pour
tenter de la contrer. Rien qu’au cours
de l’année écoulée, Israël a organisé
une conférence anti-BDS aux
Nations-Unies,
une autre en Israël même, et le
groupe pro-israélien StandWithUs a
organisé une conférence à Los Angeles
sur les moyens de “combattre le
mouvement de boycott contre Israël”.
Une des sessions de cette conférence
était consacrée particulièrement à “la
piste de l’argent”, et le Président
de l’organisation “NGO Monitor”, un
“chien de garde” israélien qui met les
ONG sous surveillance, a expliqué que
les organisateurs cherchaient à “découvrir
tout simplement qui finance les
différents groupes derrière le mouvement
BDS”.
Ceci est plutôt cocasse, si on
considère que l’organisation de BDS
repose entièrement sur des volontaires,
et que boycotter un produit ne coûte pas
un centime. Qui plus est, les droits
d’inscription à la conférence de
StandWithUs allaient de 1.000 dollars
pour les VIP à 150 $ pour les étudiants,
de sorte qu’on peut affirmer que la
participation n’y était guère abordable
pour des étudiants ne laissant aucune
“piste de l’argent” derrière eux,
surtout si on se souvient que des
journalistes d’investigation ont
démontré que des organisations sionistes
paient des étudiants pour troller
les organisateurs d’actions BDS,
les enseignants et les étudiants. En
outre, aucun des fin limiers sionistes
n’est jamais parvenu, et pour cause, à
mettre en évidence un quelconque
inavouable “financement des
différents groupes BDS”.
En dehors d’Israël, des politiciens
de différents pays occidentaux
introduisent des législations anti-BDS,
pour répondre aux vœux de leurs amis
sionistes.
La France a été jusqu’à appréhender des
militants pour le seul fait d’avoir
porté un T-shirt pro-BDS. Le nouveau
premier ministre du Canada, Justin
Trudeau, alors que sa politique
extérieure rompt significativement sur
bien des points avec celle de ses
prédécesseurs (fin des bombardements sur
la Syrie, levée des sanctions contre
l’Iran,…), s’est aligné sur la
condamnation de BDS qu’avait édictée son
devancier ultra-conservateur et sioniste
Stephen Harper.
Et aux États-Unis, au moment où ces
lignes sont écrites, 21 États ont
introduit une législation anti-BDS, qui
viole ouvertement une des valeurs
étatsuniennes les plus fondamentales, à
savoir la liberté d’expression.
Clairement, BDS, avec son appel à un
boycott économique d’Israël, est un
mouvement avec lequel il faut compter.
Néanmoins, son impact grandissant n’est
pas et ne peut pas être l’étranglement
d’Israël. Et ce n’est d’ailleurs ni son
unique ni son principal objectif.
Au lieu de cela, BDS cherche à mettre
à mal la narration qui présente Israël
comme la victime des Palestiniens, et
permet à chaque personne d’agir
personnellement pour manifester son
opposition contre l’oppression du peuple
palestinien exercée par Israël depuis
des décennies. Et cela, BDS y réussit
très bien.
Chaque fois que nous expliquons BDS,
à qui que ce soit – lors d’ateliers
présentés lors de conférences
progressistes, durant des discussions
qui précèdent l’adoption de résolutions
en faveur du désinvestissement,… – nous
expliquons (et cela s’avère convaincant,
si on en juge par les résultats)
qu’Israël est une puissance occupante
qui viole le droit international et les
droits humains d’un peuple indigène
occupé. En d’autres termes, si le
boycott économique, culturel et
académique vise à isoler Israël, plus
que toute autre chose il cherche à
montrer que l’empereur est nu. Qu’Israël
n’est pas une démocratie. Qu’Israël
n’est pas le phare de la liberté dans
une région en proie aux ténèbres qu’il
proclame être.
Et, en effet, il est très
significatif que quand Israël tente de
démontrer qu’il « vaut mieux que”
certains autres, il se compare aux pays
qui figurent parmi ceux où les droits
humains et les droits civils sont
les plus massivement violés, et jamais
au groupe de pays auxquels il voudrait
être associé. Révéler cela est ce que
les sionistes considèrent comme des
tentatives pour “délégitimer” et
“diaboliser” Israël.
En fin de compte, les buts de BDS ne
sont même pas radicaux. Après tout,
l’occupation est illégale, le “mur
de séparation” est illégal et les
réfugiés palestiniens ont le droit au
retour – un droit légal [1] et non un
“privilège” qui serait accordé ou non
selon le bon plaisir d’un occupant.
Exercer une pression sur un pays pour
qu’il se conforme au droit international
n’est pas une tentative d’appeler à sa
destruction, quoi que puissent en dire
les sionistes.
De même, insister pour qu’un pays qui
proclame être une démocratie et s’en
vante traite tous ses citoyens de
manière égale ce n’est rien de plus que
demander à ce pays de faire preuve de
cohérence avec ses propres principes.
Déjà, la puissance de BDS a été
prouvée de multiples fois, et Israël a
été mis sur la défensive. BDS a même
poussé des politiciens israéliens et des
propagandistes pro-israéliens à admettre
que, en fin de compte oui, c’est un état
d’apartheid (ou qui évolue vers
l’apartheid), et que oui, il s’agit d’un
pays où – pour reprendre les termes de
l’ancien président de la Cour Suprême
Asher Grunis, “les droits de l’homme
ne sont pas une ordonnance pour un
suicide national”.
Le titre complet de l’article de
Mizrachi était “Pourquoi un boycott
économique d’Israël ne peut pas réussir,
et pourquoi il pourrait même faire
obstacle à une solution politique”.
Il vaut la peine de se pencher sur le
sous-titre afin de comprendre dans
quelle perspective l’auteur se place.
S’agit-il d’un autre de ces “sionistes
libéraux”, qui comprend que le critique
d’Israël est “justifiée”, pour utiliser
ses propres mots, et reste attaché à
l’idée que la coopération, le dialogue,
des initiatives conjointes, constituent
une “solution politique” ?
Il parle de deux camps, qui chacun de
son côté s’installerait dans une
certaine forme de victimisation, sans se
rendre compte qu’avec BDS il ne s’agit
pas deux deux camps qui chercheraient à
arriver à un accord, mais il s’agit de
faire prendre conscience de la réalité
de la situation par le reste du monde,
et d’agir de telle manière qu’il ne le
tolère plus.
Toutes les “solutions” proposées
avant BDS s’articulaient sur l’idée
qu’en effet les “deux camps”
étaient victimisées, sans tenir aucun
compte du fait qu’alors qu’un mélange de
culpabilité et de victimisation
résultant de l’antisémitisme européen a
permis la fondation d’Israël, les
Palestiniens pour leur part n’étaient en
rien coupables. Dans l’équation
Palestine/Israël il y a, au sens le plus
strict, un oppresseur et un opprimé, un
occupant et un occupé, une nation –
Israël – qui viole les droits humains
fondamentaux de l’autre, sans qu’il y
ait aucune forme de réciprocité.
Tout comme il n’existe rien de tel
qu’un “racisme inversé” ou un “sexisme
inversé”, il n’y a rien de tel
qu’une “occupation inversée”.
Israël défend sa suprématie
ethno-religieuse, et son occupation
illégale, les Palestiniens résistent à
leur dépossession et la privation de
leurs droits.
Mizrachi proclame que “en dépit
de la colère et de la critique justifiée
envers Israël, le boycott économique est
voué à l’échec”. Pourtant, très
clairement, le débat lancé par BDS,
lorsque nous expliquons les raisons
d’appeler à un boycott économique,
culturel et académique, représente la
menace réelle pour le sionisme, et il
atteint son but même s’il n’y a guère
d’impact économique sur Israël
BDS ne mettra jamais Israël en
faillite économique, et cela n’est pas
nécessaire pour atteindre ses objectifs
: faire apparaître eux yeux de tous que
l’empereur est nu, et mettre les
personnes éprises de justice en position
de prendre leurs distances vis-à-vis
d’un État-voyou hyper-militarisé et
violent jusqu’à ce qu’il cesse de violer
le droit international et les droits
humains d’un peuple opprimé.
About Nada Elia
Nada
Elia est une universitaire et militante
palestinienne vivant aux États-Unis,
organisatrice d’initiatives citoyennes.
Elle achève actuellement la rédaction
d’un livre consacré au militantisme dans
la diaspora palestinienne.
Cet article a été publié sur
le site Mondoweiss le 26 juillet 2016.
Traduction : Luc Delval
[1] le droit au retour des
Palestiniens chassés de chez eux par
Israël leur a été reconnu par l’ONU dans
de multiples résolutions, jamais mises
en œuvre concrètement.
Le
dossier BDS
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