Opinion
Pourquoi Claude Askolovitch est un
faux-ami
Nabil Ennasri
© Nabil
Ennasri
Vendredi 22 janvier 2016
Claude Askolovitch est une figure en
vue du journalisme français. Ancien du
Nouvel Observateur et de Marianne, il
est passé par Europe 1 et travaille
actuellement pour la chaîne i-Télé.
Passionné des débats de société, c’est
aussi un écrivain. Son ouvrage, « Nos
mal-aimés, ces musulmans dont la France
ne veut pas » a fait sensation. À
contre-pied de l’islamophobie largement
répandue auprès des élites, il y prenait
la défense des musulmans en relevant que
leur pratique religieuse n’était en rien
un frein à leur ancrage dans la société
française. Cette face de Claude
Askolovitch est inclusive, lucide et
avenante. Il y a pourtant un envers du
décor qu’il est important de mettre en
lumière car l’homme a la fâcheuse
tendance de manier une certaine
duplicité.
Le portrait de plusieurs de ses
membres dans son essai sorti en
septembre 2013 lui avait permis de
prendre contact avec certains acteurs
influents de la communauté musulmane. À
l’époque, suite à ses nombreuses
relances, j’avais accepté de le
rencontrer. Sa démarche me paraissait
intéressante. Nous avions évoqué de
nombreux sujets et je lui avais fait
part de mon parcours. Le rendu dans
l’ouvrage était correct, plutôt élogieux
même. Il mentionnait mes travaux
universitaires et mes engagements
intellectuels tant sur la question de
l’écologie que sur le plan des valeurs
où j’exprimais une vision conservatrice
de la société. A l’époque, j’avais en
effet déjà participé aux mobilisations
contre le Mariage pour tous. Askolovicth
avait pris note de l’ensemble de ces
éléments. Sur ces sujets, je n’ai pas
changé. Par contre, lui, a pris une
tournure très différente qui en a
surpris plus d’un.
Car il y a quelques jours, c’est ce
même Claude Askolovitch qui, à la fin de
son interview de Jean-Louis Bianco sur
i-Télé, finissait par la question de
savoir si le président de L’Observatoire
de la laïcité n’avait pas de remords à
signer l’appel « Nous Sommes Unis » avec
l’auteur de ces lignes qualifié
« d’islamiste sans être jihadiste » (on
appréciera la nuance). En formulant
cette interrogation, le message
implicite était évident ; Nabil Ennasri
est finalement un infréquentable car il
aurait dépassé les limites. La question
qui mérite d’être posée est donc de
comprendre qu’est-ce qui motivait cette
saillie incompréhensible et pourquoi
maintenant ? D’autant qu’une seconde
question apparaît tout aussi évidente :
alors que le texte « Nous sommes unis »
visait à rassembler des Français de
divers horizons autour d’un socle
commun, que cachait cette volonté
d’exclure certains de ses signataires ?
Pour clarifier les enjeux de cette
polémique, le premier élément à mettre
en lumière est son timing. Depuis un
moment, L’Observatoire de la laïcité est
sur la sellette de certains lobbyistes
qui ne supportent pas que cette
institution puisse relayer une vision
juste et fidèle du principe de laïcité.
Pour ces derniers, il faut donner à la
loi de 1905 une coloration
prohibitionniste et un accent
intransigeant quitte à falsifier son
sens pour mieux stigmatiser les
musulmans. L’interview douteuse de
Claude Askolovitch diffusée dimanche
dernier était donc la première sortie
d’une stratégie destinée à semer le
trouble au sein de l’institution puisque
dès le lendemain, cette dernière était
fustigée par le Premier ministre devant
l’association « les Amis du CRIF ». Ami
de Manuel Valls, il nous semble assez
évident que Claude Askolovitch a joué sa
partition en souhaitant faire d’une
pierre deux coups. Profitant de sa
tribune médiatique, il souhaitait
culpabiliser Jean-Louis Bianco et
noircir ma réputation pour me
discréditer. Preuve de cette fixation,
il a récidivé ces derniers jours en
multipliant les attaques sur Twitter en
me taxant même d’ « homophobe ». Il va
jusqu’à m’identifier au Front National
puisque mes postures supposées
intransigeantes n’auraient rien à envier
au sectarisme des populistes
d’extrême-droite. Dommage pour lui,
cette manière de faire lui a attiré les
foudres de nombreux intellectuels qui ne
souscrivent pas à ces excommunications
d’un autre âge. Le sociologue Marwan
Mohammed a eu raison d’écrire : « Tous
ces républicanistes néo-laïcs se
comportent comme les physios d’une boite
de nuit : « toi tu rentres – toi tu
rentres pas ».
Ce faisant, Askolovitch ne fait que
confirmer nos griefs ; quittant le
registre du journalisme, il se drape
dans les habits d’un procureur qui
distribue les bons points en désignant
ceux qui seraient fréquentables. La
logique est fondamentalement malsaine
car elle disqualifie des personnes et
criminalise des opinions au motif
qu’elles ne seraient pas en adéquation
avec les siennes. Pour démontrer le
caractère déloyal de sa posture,
rappelons que je n’ai jamais été
condamné pour des propos soi-disant
« homophobes ». D’autre part, assimiler
des postures socialement conservatrices
à du racisme, c’est non seulement
insulter des millions de Français mais
c’est aussi établir une police de la
pensée dont il serait apparemment l’un
des garants. Pour enfoncer le clou,
Askolovitch a sans trop de surprise
sorti l’arme fatidique de
« l’antisémitisme ». Malheureusement, ce
disque rayé de la jérémiade ne convainc
plus. Il est même particulièrement
indécent de porter cette accusation à
mon encontre puisque je me suis toujours
insurgé, dans mes articles, activités et
livres à dénoncer toute forme
d’antisémitisme. Sauf qu’à la différence
de lui, je ne le fais pas dans les
salons parisiens mais sur le terrain et
souvent en banlieue. Vous avouerez que
c’est légèrement plus courageux qu’aux
côtés de Caroline Fourest et devant le
Crif.
A bien y réfléchir, sa charge contre
moi est en partie due à mes
positionnements politiques. Soutien
constant de la cause palestinienne j’ai
toujours défendu le boycott d’Israël en
souscrivant à la campagne BDS. Or, il
est bon de rappeler qu’à plusieurs
reprises, « Asko » a renouvelé sa
dénonciation très ferme de cet appel au
boycott qui n’en finit pas d’engranger
des soutiens à l’échelle mondiale et
dans la société française. Je pense donc
que ses récentes sorties avaient pour
but de marteler ses positions
pro-israéliennes en réglant ses comptes
avec moi. Puisqu’on ne peut mettre un
terme à ce mouvement général de
dénonciation de l’unilatéralisme
israélien, on va diaboliser ses
promoteurs, surtout s’ils sont jeunes,
dynamiques et autonomes. Manœuvre
sournoise qu’il était important pour
nous de relever.
Il est aussi important de
rappeler quelques uns de ses faits
d’armes et un retour par l’histoire
récente permet de se rafraîchir la
mémoire. Proche de Bernard-Henri Lévy,
Claude Askolovitch a aussi été l’un de
ceux par qui la polémique Tariq Ramadan
a fait surface dans les médias français.
Les plus jeunes lecteurs de cet
article n’ont certainement pas cet
épisode en tête mais c’est bien Claude
Askolovitch qui a initié la campagne de
diabolisation à grande échelle de
l’intellectuel suisse. Dans un article à
charge publié en novembre 2003, le
journaliste-militant reprochait à Tariq
Ramadan d’avoir publié une tribune « aux
sous-bassement fascisants » car
l’islamologue avait eu l’outrecuidance
de critiquer le tropisme pro-israélien
d’intellectuels communautaires. Cet
acharnement s’était poursuivi par
l’inévitable accusation d’antisémitisme
abondamment relayée par celui qui allait
ensuite se présenter comme le nouvel
« ami des musulmans ». Depuis cette
date, Tariq Ramadan a fait l’objet d’un
boycott à peu près unanime de la part
des élites politiques françaises.
Claude Askolovitch ne s’est pas
arrêté à la traque du philosophe
genevois. En 2008, c’est lui qui a
impulsé la cabale contre Siné. Aidé par
son ami islamophobe Philippe Val, il a
été l’un des principaux protagonistes de
cette ahurissante démonstration de
la géométrie variable de la « liberté
d’expression » dont Charlie Hebdo était
supposé être le temple. Accusé d’avoir
fait à destination de l’un des fils de
Sarkozy une allusion jugée antisémite,
Siné fut licencié du jour au lendemain.
Dommage pour Askolovitch et ses amis, le
dessinateur porta l’affaire devant la
justice qui finit par lui donner raison.
Charlie Hebdo fut alors condamné à
verser 90 000 euros de dommages et
intérêts.
Enfin, Askolovitch, en prenant
verbalement le contre-pied de
l’islamophobie ambiante, a
indéniablement engrangé des soutiens
dans la « muslimsphère ». Cependant, il
apparaît aujourd’hui évident que la
tournure de son combat était loin d’être
désintéressée. Cette stratégie visait
d’abord à couper le cordon ombilical
entre l’engagement de la jeunesse
musulmane et de ses nouveaux
intellectuels avec la cause
palestinienne. Pour arriver à ses fins,
l’intéressé n’a pas lésiné sur les
moyens en ouvrant notamment les portes
de ses émissions télévisées à certains
acteurs musulmans. Cette offensive de
charme a peut-être dupé quelques uns
mais elle se dévoile désormais pour ce
qu’elle était vraiment ; une manouevre
destinée à se montrer comme l’un des
protecteurs des musulmans discriminés
pour se positionner sur un nouveau
créneau. Car Askolovitch a beau être un
professionnel de la chasse aux
sorcières, il demeure doté d’un
incontestable sens de la prospective.
Constatant que la communauté musulmane
est de plus en plus mature et organisée
et que la lutte contre l’islamophobie
constitue pour elle un puissant foyer de
politisation, il a certainement voulu
accompagner le mouvement. Tel SOS
Racisme à l’époque mais évidemment dans
une moindre mesure, ce « compagnonnage
de route » visait à adouber une
dynamique qu’il était stratégiquement
important de ne pas se mettre à dos.
Sauf qu’aujourd’hui, les masques tombent
car « Asko » n’a rien à envier
aux militants paternalistes souhaitant
maintenir sous leur coupe une communauté
qui serait encore politiquement
immature. Claude Askolovitch devrait s’y
faire car nombreux sont celles et ceux
qui comprennent qu’il ne suffit pas de
scander « lutte contre l’islamophobie »
pour être un authentique partenaire. En
tout cas, merci à lui de nous avoir
permis de mettre à jour une part d’ombre
de son agenda.
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