Monde
Le Missile de Tel-Aviv, l’Avion d’Hormuz
et l’Accord sur le nucléaire…
Nasser Kandil
Lundi 24 juin 2019
Lorsque Israël se préparait aux
élections anticipées entre fin 2018 et
avril 2019, nombre d’analyses
prévoyaient une guerre de Netanyahou sur
Gaza afin de garantir sa victoire. La
guerre n’ayant pas eu lieu, ces
prévisions ont été renvoyées au-delà des
élections afin de faciliter la formation
du gouvernement. Puis, lorsque
Netanyahou a échoué à former son
gouvernement et que la guerre n’a pas eu
lieu, certains ont continué à parler
d’une guerre à venir.
Entretemps,
il s’est trouvé qu’un missile venu de
Gaza est tombé près de Tel-Aviv [14 mars
2019] et que l’incident s’est répété,
justifiant la guerre promise. Mais
Netanyahou n’a pas lancé sa guerre et
s’est contenté d’adopter les
explications des Égyptiens, selon
lesquels des facteurs météorologiques
étaient à l’origine du premier incident
et une erreur humaine à l’origine du
second. Il n’empêche que les missiles
ont livré leur message : la règle
d’engagement de toute guerre future sera
Gaza contre Tel-Aviv.
Quant à
Washington qui a dit avoir mobilisé son
armada dans le Golfe en une opération de
dissuasion destinée à faire comprendre
aux Iraniens que le ciblage de n’importe
lequel de ses alliés signifiait une
guerre des États-Unis contre l’Iran, et
qui a ensuite annoncé avoir des preuves
quant à l’implication de l’Iran et des
ses alliés dans les incendies des
pétroliers survenues quelques semaines
plus tard, [les 4 pétroliers dans les
eaux territoriales des EAU et les 2
pétroliers dans le Golfe d’Oman, sans
oublier la frappe contre l’oléoduc
saoudien reconnue par les Houtis ; NdT],
il s’est contenté de déclarer que
l’armée américaine n’interviendrait
directement que si ses propres forces
étaient ciblées.
Ceux qui
comprennent ce que signifie le mot
« dissuasion » se sont demandé ce qu’il
en resterait après cette reculade, ceux
qui ne comprennent pas ont éprouvé le
besoin de voir l’Iran aller encore plus
loin dans la démonstration de la
fausseté des déclarations des uns et des
autres. Besoin exaucé [le 20 juin au
matin] avec la destruction de ce qu’il y
a de meilleur dans l’arsenal américain
en matière d’espionnage et de cellules
opératoires : un avion de plus de 200
millions de dollars abattu par un
missile de fabrication iranienne, alors
qu’il se trouvait à 14 Kms d’altitude…
Le président
américain a commencé par dire que nous
verrons ce que nous verrons ; puis, en
présence de son invité canadien, il a
souligné que l’opération n’avait pas
fait de victimes, ce qui signifie
implicitement qu’elle ne mérite pas une
guerre. Plus tard, il a supposé que
l’opération pouvait être due à une
erreur involontairement commise par un
officier iranien, tandis que les
responsables iraniens reconnaissaient
leur implication dans la perte de
l’avion abattu, abattant du même coup le
concept de la dissuasion américaine en
question.
Le problème
avec les Américains et les Israéliens
est que, depuis qu’ils ont échoué à
briser la volonté de la Résistance par
les guerres, ils se sont imaginés que le
siège de Gaza, les sanctions contre
l’Iran et les forces de l’axe de la
Résistance finiraient par l’emporter et
qu’ils pourront continuer à disposer du
temps nécessaire à cet effet, sans
rencontrer de provocations, sans se
laisser entraîner sur les champs de
bataille, sans subir les
humiliations et les contraintes de
nouvelles équations sur le terrain
militaire ; contraintes qui les
forceraient à négocier hors du jeu des
sanctions et des embargos.
Dans les
faits, Israël qui s’est trouvé obligé
d’accepter la trêve conclue avec Gaza,
aux conditions dictées par les forces de
la Résistance, aimerait bien que les
États-Unis se mouillent à sa place dans
sa guerre contre l’Iran. Il en est de
même des agresseurs du Yémen, saoudiens
et émiratis, lesquels ont dû accepter la
trêve de Houdayda aux conditions dictées
par « Ansar Allah » [les Houtis].Tandis
que les Américains sont désormais face
aux défis de l'explosion des marchés et
des prix du pétrole ou de la négociation
d’une détente aux conditions de
l’Iranien qui sait à quoi elle doit
mener, quand et comment.
En effet, ce
22 juin, alors que des sources
iraniennes dignes de confiance
affirmaient que le commandement du corps
des Gardiens de la Révolution avait
donné l’ordre d’orienter les
plates-formes des missiles en direction
de toutes les bases américaines
implantées dans le Golfe, et informé les
habituels messagers entre Téhéran et
Washington que toute frappe sur
n’importe quel site iranien sera
considérée comme une déclaration de
guerre, les débats à Washington
tournaient autour de la façon d'éviter
la guerre, ceux de la Maison Blanche
portaient sur le moyen de sauver la
face, tandis que les débats des
dirigeants du Parti démocrate
remettaient au premier plan l’Accord sur
le nucléaire iranien signé par
l'ex-président Barack Obama, considérant
que le retrait de cet accord était une
grave erreur et que celui qui en avait
décidé a mis les États-Unis dans le
pétrin, porté atteinte au prestige de
son armée et donné à l'Iran l’occasion
de s’illustrer en tant que maître de la
situation.
Quant aux
capitales européennes, lesquelles
redoutaient cet instant précis tout en
subissant une forte pression pour
rejoindre le train des sanctions
décrétées par les États-Unis, ces
derniers se contentant de leur répondre
qu’ils ne pouvaient pas dévoiler leur
plan, qu’ils savaient ce qu’ils
faisaient et que l’Iran était à deux
doigts de capituler et d’accepter de
nouvelles conditions pour ne pas
étouffer, quelle n’a été leur surprise,
en cette fin de journée, d’apprendre que
leur médiation était sollicitée par
Washington pour faire accepter à Téhéran
une frappe américaine convenue par
avance, pour sauver la face du président
américain ! Un président américain
affirmant ne pas vouloir s’engager dans
une confrontation, contrairement aux
Iraniens qui leur avaient déjà fait
savoir qu’ils étaient prêts à ce face à
face au cas où l’Iran était ciblé d’une
façon ou d’une autre.
Au même
moment, c’est la nervosité, l’inquiétude
et la crainte de voir les missiles leur
tomber sur la tête au cas où la
situation devenait incontrôlable qui ont
dominé la journée en Arabie saoudite et
aux Émirats arabes unis, sans que nul
parmi les dirigeants n’ait osé avouer
qu’ils n’avaient cessé d’inciter les
États-Unis à se retirer de l’Accord sur
le nucléaire iranien.
En revanche,
à Tel-Aviv et dans Jérusalem occupée les
médias ont fait état d’une mobilisation
houleuse des lobbies pro-israéliens à
Washington, pour demander au président
ce qu’il comptait faire pour empêcher
Israël et ses alliés de se transformer
en champ de tirs si les États-Unis
menaient une opération provoquant la
colère des Iraniens, vu qu’ils avaient
déclaré que dans ce cas les bâtiments
israéliens deviendraient des objectifs
légitimes, obligeant Israël à se lancer
dans une guerre dépassant ses capacités
au moment même où Washington déclarait
ne pas vouloir s’impliquer dans une
guerre globale. De plus, certains
commentateurs ont parlé d’une demande
explicite d’Israël de s'abstenir de
toute action militaire sans garanties
préalables l’écartant de toute riposte.
D’autres, ont posé la question de savoir
si ce n’était pas Netanyahou qui avait
incité Trump à se retirer de l’accord
nucléaire en arguant que cela servirait
les intérêts d’Israël.
Seul Moscou
avait prévu que l’Iran ne tolérerait pas
une telle provocation, qu’il en avait
les moyens et que la mobilisation
américaine dans le Golfe ne constituait
pas une force de protection des
politiques menées par le président
Trump.
Par
conséquent, Moscou guettait l’instant où
cette faiblesse apparaitrait au grand
jour, pour proposer la constitution
d’une une plate-forme internationale
garantissant l’Accord sur le nucléaire
dont le volet concernant les intérêts
commerciaux de l’Iran, avec
l'approbation américaine ; seul moyen de
rétablissement du calme et de la
stabilité dans la région.
Moscou a donc
entamé des consultations avec l’Union
européenne, la Chine et le Japon et a
très rapidement annoncé, via un
communiqué du Conseil de sécurité de la
Fédération de Russie, sa volonté de
parrainer une coalition internationale
qui veillerait à garantir les intérêts
financiers et pétroliers de l’Iran.
Parallèlement, concernant la réunion
tripartite qui réunira des conseillers
de la sécurité américains, israéliens et
russes à Jérusalem [prévue pour le 24
juin courant ; NdT], Moscou a répondu
qu’il faudra prendre en compte les
intérêts iraniens.
En bref,
l’équation établie par Washington
revenait à une guerre financière globale
jusque l’arrêt total de la guerre
militaire, à savoir l’arrêt de la
résistance en Palestine, au Yémen, au
Liban, en Syrie et en Irak. L’Iran a
répondu que la guerre financière globale
signifiait guerre militaire globale,
avec tout ce que cela implique comme
confrontation américano-iranienne.
Aujourd’hui,
cette équation tend à se régler sur la
base d’une demi-guerre militaire et
d’une demi-guerre financière. Ce qui
fait que la résistance continue,
l’embargo et les sanctions continuent,
bien que la résistance ne soit pas une
guerre globale et que les sanctions ne
sont pas censées l’être non plus.
Telles sont
les nouvelles règles d’engagement
imposées par l’Iran avec une
intelligence stratégique qui a su
comment exploiter et tenir le jeu du
temps et de la géographie. La protection
de l'Accord sur le nucléaire, avec ou
sans l’approbation des États-Unis, se
fraie son chemin vers le Sommet du G20.
Par Nasser
Kandil
22/06/2019
Traduction
de l’arabe par Mouna Alno-Nakhal
Sources :
les articles du 21 et du 22 juin d’Al-Binaa
http://www.al-binaa.com/archives/article/214451
http://www.topnews-nasserkandil.com/final/Full_Article.php?id=9624
Nasser Kandil est un homme
politique libanais, ex-député et
rédacteur en chef du quotidien Al-Binaa
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