Syrie
Syrie : Texte intégral de
l’entretien
accordé par le Président Al-Assad
au quotidien russe Komsomolskaïa Pravda
Mercredi 19 octobre 2016
Mme Darya
Aslamova : Merci
beaucoup Monsieur le Président. C’est un
grand bonheur pour moi, et je suis très
fière. Je vais commencer par poser mes
questions.
QUESTION 1 :
La situation en Syrie est devenue plus
dangereuse et moins prévisible. Pourquoi
? Parce que ce conflit attire désormais
plus de participants et plus de joueurs.
Par exemple, qui voyons-nous maintenant
participer à cette guerre en Syrie ?
L’Iran, le Liban - je veux dire le
Hezbollah- la Russie, la Turquie,
l’énorme coalition du côté des
États-Unis, la Chine qui montre de
l'intérêt. Avez-vous quelque inquiétude
que ce conflit ne se transforme en une
troisième guerre mondiale à moins
qu’elle ne soit, peut-être, déjà
commencé ?
Le
Président Al-Assad :
Parler de ce problème
implique de parler du fond et de la
source, et c’est le terrorisme. Peu
importe qui intervient, le plus
important est qui soutient ces
terroristes quotidiennement et heure
après heure. Tel est le principal
problème. Si nous le résolvons, cette
image compliquée que vous venez de
décrire ne sera plus un gros problème,
nous pouvons le résoudre. La question ne
dépend donc pas du nombre de pays qui
interfèrent actuellement, mais du nombre
de pays qui soutiennent les terroristes,
parce que les Russes, l'Iran et le
Hezbollah sont des alliés qui sont venus
ici légalement. Ils nous soutiennent
contre les terroristes, tandis que les
autres pays que vous avez cités
soutiennent les terroristes. C’est là un
premier point : c’est un problème de
terrorisme et non un problème de nombre.
Deuxièmement,
concernant l’éventuelle « troisième
guerre mondiale », terme dernièrement
souvent utilisé, notamment depuis la
récente escalade en Syrie, je dirais que
ce que nous observons actuellement, et
depuis quelques semaines ou peut-être
quelques mois, est plus qu’une guerre
froide et moins qu’une guerre totale. Je
ne sais comment la qualifier, mais c’est
quelque chose qui n’est pas né
d’aujourd’hui, car je ne crois pas que
l'Occident et, particulièrement, les
États-Unis, aient mis fin à leur guerre
froide, même après l'effondrement de
l'Union soviétique.
Mme
Aslamova : Oui, elle se
poursuit toujours.
Le
Président Al-Assad :
Cet état de fait se déroule en plusieurs
étapes, la Syrie étant l’une des étapes
importantes. Vous assistez à plus
d’escalades qu’auparavant, mais toute la
question consiste à préserver
l'hégémonie des Américains sur le monde
entier, avec interdiction à quiconque
d'être un partenaire sur la scène
politique internationale, que ce soit la
Russie ou leurs alliés en Occident.
Donc, cela est l'essence même de ce que
vous avez décrit comme une troisième
guerre mondiale. C’est une guerre
mondiale, mais ce n’est pas qu’une
guerre militaire : une partie est
militaire, une partie est le terrorisme
et en rapport avec la sécurité, une
autre partie est politique. D’une
certaine manière, vous avez donc raison,
mais il ne s’agit pas seulement de la
Syrie; la Syrie fait partie de cette
guerre.
QUESTION 2
: Mais vous avez dit :
la Syrie est devenue une étape de cette
guerre. Pourquoi la Syrie ? Je veux
dire, d'accord, vous êtes un grand pays,
vous avez du pétrole, mais pas autant
que l'Arabie Saoudite. Pourquoi
exactement la Syrie ?
Le
Président Al-Assad : À
cela, plusieurs aspects. Premièrement,
si vous parlez du conflit régional, la
Syrie a de bonnes relations avec l'Iran
tandis que, pour diverses raisons,
l'Arabie saoudite voulait sa destruction
totale au niveau politique et,
peut-être, au niveau matériel et
factuel. Ils ont donc voulu que la Syrie
s’en désolidarise et sinon, la détruire,
parce que cela pourrait affecter l’Iran
négativement. C’est ainsi que je le
vois. Pour les Occidentaux, la Syrie et
la Russie sont des alliés depuis des
décennies et, là aussi, saper le
positionnement syrien influerait
négativement sur les Russes. Mais il y a
autre chose en rapport avec le rôle
historique de la Syrie, un rôle régional
en tant que centre de la dynamique
géopolitique au Moyen-Orient depuis des
siècles. Ce rôle plus sa situation
géographique sur la Méditerranée ont
fait que bien avant la naissance du
Christ, les Pharaons et les Hittites se
sont battus pour la contrôler. De plus,
étant socialement parlant située sur la
ligne de faille entre les différentes
cultures de la région, tout événement
positif ou négatif qui la touche,
affecte toute la région. Par conséquent,
bien qu’il s’agisse d’un petit pays,
contrôler la Syrie est très important
pour contrôler le reste de la région.
Deuxièmement,
la Syrie est un pays indépendant, et
l'Occident n'accepte pas les pays
indépendants, que ce soit un petit pays
comme la Syrie ou une grande puissance
comme la Russie. Quel est leur problème
avec la Russie ? Vous dites «oui» et
«non », alors que vous devriez toujours
dire « oui ». Voilà le problème avec
l'Occident. Telle est ma réponse à votre
question : « Pourquoi la
Syrie ? ».
QUESTION 3
: Certains médias
occidentaux considèrent que la guerre en
Syrie est devenue un conflit direct
entre la Russie et les USA. Êtes-vous
d'accord ?
Le
Président Al-Assad :
Oui, pour une raison simple en rapport
avec ce j’ai commencé par dire à propos
du terrorisme. La Russie a voulu
combattre le terrorisme non seulement
pour elle-même, ou pour la Syrie, mais
aussi pour le reste de la région, pour
l'Europe et le reste du Monde. Les
Russes comprennent ce que signifie la
propagation du terrorisme, tandis que
les États-Unis, depuis l'Afghanistan au
début des années quatre-vingt et jusqu'à
ce jour, pensent : « Le terrorisme est
une carte que nous pouvons jouer, une
carte que nous pouvons mettre sur la
table ».
Mme
Aslamova : Oui.
Le
Président Al-Assad :
Une carte que vous pouvez garder dans
votre poche et mettre sur la table à
tout moment. Vous parlez donc de deux
entités différentes, de deux idéologies
différentes, de deux comportements
différents, de deux approches
différentes. Il est normal d'aboutir à
ce conflit ; même s'il y a dialogue
entre eux, ils ne sont pas sur la même
page.
QUESTION 4
: Nous avons maintenant
un nouveau joueur dans cette région.
D'accord ? Je veux parler de
l’intervention turque dont personne ne
parle, comme si rien ne s’était passé.
Quelle est votre opinion sur le rôle de
la Turquie dans cette guerre et sur son
intervention ?
Le
Président Al-Assad : Si
nous commençons par ce qui se passe
aujourd’hui, c’est une invasion.
Mme
Aslamova : Invasion !
Le
Président Al-Assad :
Cette incursion est une invasion. Qu’il
s’agisse d’une petite partie ou d’une
grande partie du territoire syrien,
c’est une invasion en contradiction avec
le droit international, la morale et la
souveraineté de la Syrie. Que veulent
les Turcs par cette invasion,
abstraction faite du masque qu’ils
portent pour cacher leurs véritables
intentions ? Ils veulent se blanchir du
fait qu’ils n’ont cessé de soutenir
l’EIIL et le Front al-Nosra.
Mme
Aslamova : Vous pensez
qu'ils ne les soutiennent plus
maintenant ?
Le
Président Al-Assad :
Non, ils les soutiennent toujours, mais
ils sont entrés [en Syrie] en disant : «
nous combattons l’EIIL et nous
l’aurons ».
Mme
Aslamova : C’est
ridicule. Ils ont fabriqué l’EIIL.
Le
Président Al-Assad :
Bien sûr. Ils ont fabriqué l’EIIL. Ils
ont soutenu l’EIIL. Ils lui fournissent
tout le soutien logistique, lui
permettent de vendre notre pétrole après
avoir traversé nos frontières et leur
territoire, avec la participation du
fils d'Erdogan et de sa clique. Tous
sont impliqués dans la relation avec
l’EIIL. Tout le monde sait cela. Mais,
par cette invasion, ils ont voulu
changer l’emballage de l’EIIL, en
parlant de « nouvelles forces modérées »
fondées sur les mêmes bases que l’EIIL
qu’elles n’ont fait que remplacer pour
que les Turcs puissent dire qu’ils les
ont vaincus dans certaines régions,
grâce à leurs bombardements, leurs
troupes et leurs agents en Syrie. Un
jeu, c’est juste un jeu devant le reste
du monde ; le deuxième jeu étant la
poursuite de leur soutien au Front al-Nosra.
Mme
Aslamova : Il [Erdogan]
voulait soutenir le Front al-Nosra ?
Le
Président Al-Assad :
Erdogan, en particulier, voulait jouer
un rôle dans la solution syrienne, peu
importe quel rôle. Il s’est senti isolé
cette dernière année en raison de son
soutien à l’EIIL.
Mme
Aslamova : Mais il
pense toujours que la Syrie fait partie
de l’Empire ottoman. Pour lui, c’est son
territoire.
Le
Président Al-Assad :
Exactement. Son idéologie est un mélange
entre celle des Frères Musulmans,
violente et extrémiste, et celle de
l'Empire ou du Sultanat ottoman.
Mme
Aslamova : Ambitions,
oui.
Président
Assad : Et il pense
qu’avec ces deux idéologies, il peut
fabriquer un mélange pour contrôler
cette région. Voilà pourquoi il a
soutenu les Frères Musulmans dans tous
les pays, y compris en Syrie. Vous avez
raison.
QUESTION 5
: Après qu’un avion russe ait été abattu
par les Turcs, la Russie a rompu ses
relations avec la Turquie. Maintenant
qu’Erdogan s’est excusé, il semble que
l’amitié soit rétablie, ainsi que le
tourisme, les relations diplomatiques et
tout le reste. Poutine avait parlé de
« couteau dans le dos ». Pensez-vous que
nous, les Russes, faisons peut-être une
erreur en lui accordant de nouveau notre
confiance, malgré sa trahison ?
Le
Président Al-Assad :
Non. En fait, je considère que cette
relation est positive.
Mme
Aslamova : Vous la
considérez positive ?
Le
Président Al-Assad :
Oui, positive. Pourquoi?
Mme
Aslamova : Pourquoi ?
Le
Président Al-Assad :
Nous parlons de deux parties
différentes, lesquelles, encore une
fois, n’ont pas les mêmes points de vue.
La Russie fonde sa politique sur le
droit international, respecte la
souveraineté des États et mesure les
répercussions du terrorisme partout dans
le monde, tandis que la Turquie ne
respecte pas la souveraineté de la Syrie
et fonde sa politique sur l'idéologie de
Frères Musulmans tout en soutenant les
terroristes. D’où une sorte de
polarisation à laquelle nous assistons,
chacune des parties se trouvant
complètement à l'opposé de l’autre.
Disons, que grâce à ce rapprochement
entre la Russie et la Turquie, notre
seul espoir est que la Russie puisse
modifier un tant soit peu la politique
turque. C’est notre espoir en tant que
Syriens et je suis sûr que c’est
actuellement le but premier de la
diplomatie russe envers la Turquie, afin
de diminuer les dégâts des abus du
gouvernement turc en territoire syrien.
J'espère qu'ils pourront le convaincre
de mettre fin au soutien ainsi qu’au
financement des terroristes et de
stopper leur afflux à travers leur
frontière.
Mme
Aslamova : Mais pour
Erdogan, ces terroristes sont un outil
d'influence. Il ne leur refusera jamais
rien car ce sont ses gens. Il va tenter
de se battre avec eux et ils vont
commencer à se battre avec lui. Je veux
dire que c’est un grand risque qu’il
prendrait en leur refusant son
parrainage, c’est un grand risque pour
son pouvoir.
Le
Président Al-Assad :
Oui. Voilà pourquoi je n’ai pas dit que
les Russes allaient changer sa
politique, mais qu’ils tentaient d’en
diminuer les dégâts. Pour rester franc
et réaliste, je dirais qu’en tant
qu’individu affilié à l'idéologie
violente, extrémiste et fanatique des
Frères musulmans, il ne peut être droit.
Ce dont vous parlez est donc très
réaliste et je suis d’accord avec vous à
100%. Il n’empêche que vous devez
essayer de le changer. S’il change de
1%, ce serait bon. S’il change de 10%,
ce serait encore mieux. Vous ne pouvez
espérer un changement complet. Nous n’en
espérons pas tant, notamment avec
quelqu’un comme Erdogan et sa clique.
Mais, actuellement, le moindre
changement dans la bonne direction
serait bénéfique. Un espoir que je crois
partagé par les diplomates russes, et je
pense que leur dernière approche du
gouvernement turc témoigne de leur
sagesse, parce qu’ils ont besoin de
garder de bonnes relations avec le
peuple, non parce qu’ils ont confiance
en lui, ce qui me semble judicieux.
QUESTION 6
: Pour moi, vu
l’idéologie de L’EIIL, ou Daech, il est
très étrange qu’il n’ait jamais menacé
Israël et inversement. C’est comme s’il
existait une sorte d’accord fondé sur la
neutralité, pas forcément sur la
sympathie. Pourquoi pensez-vous qu’il en
est ainsi ? Et quel est le rôle d'Israël
dans cette guerre?
Le
Président Al-Assad :
Non seulement Daech, non seulement le
Front al-Nosra, mais toute personne ou
tout terroriste qui a porté une arme et
entrepris de tuer et de détruire en
Syrie a été soutenu par Israël,
indirectement, par le soutien logistique
à la frontière ou, parfois, par
intervention directe sur tous les
fronts. Pourquoi ? Parce qu'Israël est
notre ennemi, parce qu'il occupe nos
terres et, bien sûr, nous voit comme un
ennemi. Le concept est que saper la
position de la Syrie en affaiblissant sa
société, son armée et son État, évitera
qu’Israël ne prenne le chemin de la
paix, le prix de cette paix étant la
restitution des hauteurs du Golan. Donc,
pour les Israéliens, mieux vaut que la
Syrie reste occupée ailleurs et dans
l’impossibilité de s’occuper du Golan,
du processus de paix, ou de quoi que ce
soit pour récupérer ses terres. Voilà
pourquoi Israël soutient tous les
terroristes. Il n’y a pas de
contradiction entre Israël et des
organisations comme Daech, le Front al-Nosra
et celles liées à Al-Qaïda.
QUESTION 7
: Il est évident que
votre armée a subi une terrible
hémorragie. Cependant, lors de mes
séjours à Damas j’ai vu nombre de jeunes
gens attablés dans les cafés dès le
matin. Quand j’ai demandé « Qui sont ces
jeunes hommes, pourquoi ne sont-ils pas
sur le front ? », il m’a été répondu :
« Ce sont des étudiants ! ». Ensuite,
j’en ai vu d’autres, bien musclés, dans
les centres de Fitness. Envoyez-les tous
au front ! Je veux dire que je ne
comprends pas pourquoi vous n’avez pas
décrété la mobilisation générale, comme
nous l’avons fait pour chacune de nos
guerres patriotiques. Quand nous nous
sommes trouvés face à une grande guerre,
nous avons envoyé tous les hommes au
front !
Le
Président Al-Assad :
Disons qu’actuellement la mobilisation
n’est que partielle. Qu’est-ce que cela
signifie ? Cela signifie qu’elle n’est
pas au plus haut niveau, car si tous se
battaient sur tous les fronts
militaires, les universités seraient
vides, les écoles manqueraient
d’enseignants, les institutions ne
fonctionneraient plus faute de cadres et
de personnel, même les camions et
voitures seraient réquisitionnés par le
gouvernement et absolument tout dans le
pays participerait à cette guerre. Ce
serait bien, si cette guerre devait
durer quelques semaines ou quelques
mois, mais quand il s’agit d’une guerre
qui dure depuis bientôt six années, cela
signifie la paralysie de la société et
de l'Etat, auquel cas vous ne gagnerez
pas la guerre. Vous avez donc besoin
d’établir un équilibre entre la guerre
et l’ensemble des besoins fondamentaux
que vous devez offrir à la population.
Assurer cet équilibre est crucial. Tel
est notre point de vue sur la question.
QUESTION 8
: Je ne comprends pas
l'arabe, mais quand je regarde vos
programmes à la Télévision, j’ai
l’impression d’être dans un pays en
paix : un petit peu de guerre avant
d’enchaîner sur le sport, les enfants,
l’école… Je regarde et je me dis « Oh
mon Dieu ! », alors que j’entends les
mines exploser dans la ville. Comme si
de rien n’était. C’est peut-être un peu
trop ? Si vous voulez réveiller le
patriotisme des gens, vous devriez leur
expliquer tous les jours : « Les gars,
nous sommes face à une grande
guerre ! », ce que font tous les pays en
pareil cas. Je n’aime pas cette image
d’une vie paisible. Elle n’existe pas
ici !
Le
Président Al-Assad :
Nos médias ne sont pas déconnectés de ce
qui se passe. Mais, encore une fois,
vous devez établir un certain équilibre
entre la guerre et le besoin de vivre
une vie quasi-normale, non tout à fait
normale. Cet équilibre est donc
nécessaire. Concernant les médias, il
est certain que vous avez différentes
opinions, puisqu’il s’agit d’une
perception personnelle de ce que vous
entendez et de ce que vous vivez. Ce que
vous venez de dire, nous l’entendons en
Syrie : « Mais comment font-ils pour se
comporter ainsi ? ». En revanche, si les
médias parlent trop de guerre, vous les
entendez dire : « La guerre n’est pas
tout, nous avons besoin d’une vie
normale ou que la vie continue ». C’est
donc un équilibre difficile à trouver
et, finalement, le principal défi ne
concerne pas exclusivement la guerre,
mais comment vivre au quotidien. Si vous
ne tentez pas de vivre cette vie, les
terroristes vous vaincront, parce que
c’est leur but.
Mme
Aslamova : Nous avons
vécu cela pendant la Grande Guerre
patriotique. Toutes les villes étaient
vides, restaient seulement les femmes,
quelques médecins et enseignants, mais
tout le monde était au front. Je vous
donnerais l’exemple de ma famille avec
quatre frères au front et mon père,
ayant quitté l'école à treize ans, rendu
dans une usine qui fabriquait des
bombes. C’était normal ! Nous n’aurions
jamais gagné cette guerre si nous
n’avions pas mis tous nos hommes sur le
front.
Le
Président Al-Assad :
Oui. Mais la guerre n’est pas seulement
militaire, c’est un tout. Le plus
important de notre guerre n’est pas
seulement le combat contre des
terroristes car, en parallèle, se
déroule un autre combat aussi important
en ce qui concerne notre économie. Nous
sommes sous embargo et nous devons donc
faire de notre mieux pour que la roue de
l’économie continue à avancer.
Mme
Aslamova : Je
comprends.
Le
Président Al-Assad :
D’où la nécessité d’efforts permanents
pour vivre malgré tout. Sans une vie
normale, vous ne pouvez pas garantir
l’économie, car si tout le monde restait
chez soi pour mener une vie de guerre,
vous ne produiriez plus rien.
QUESTION 9
: Pourquoi n’avez-vous
demandé l'aide de la Russie qu’au moment
le plus de critique, quand presque tout
a failli s’écrouler et que même votre
vie était en danger ?
Le
Président Al-Assad :
Tout d'Abord, il y a une relation
traditionnelle entre la Syrie et la
Russie, et même pendant les pires
moments de cette relation, suite à
l’effondrement de l'Union Soviétique,
cette relation est restée bonne et n’a
jamais été mauvaise.
Mme
Aslamova : C’est
pourquoi vous auriez pu demander son
aide beaucoup plus tôt.
Le
Président Al-Assad :
Nous avons demandé leur aide dès le
début, mais l'escalade n’avait pas
atteint le niveau observé l’année
dernière. Avant cela, l'Armée syrienne
avançait, et nos ennemis, désignons-les
ainsi, constatant notre progression, ont
commencé à envoyer un nombre croissant
de terroristes étrangers à partir de
plus d’une centaine de pays. La Syrie
étant un petit pays, nous avons eu
besoin de l’aide de nos amis. L'Iran et
le Hezbollah sont intervenus, mais
l’intervention d’une grande puissance
telle que la Russie était devenue
cruciale pour modifier les équilibres
sur le terrain. Voilà pourquoi il était
naturel de demander son aide.
Mais avant
son intervention directe, la Russie nous
aidait déjà en nous fournissant tout le
soutien logistique dont nous avions
besoin pour faire face à cette guerre.
Les russes vivent parmi nous et les
experts russes, présents en Syrie depuis
quatre décennies, ont constaté courant
2014 que l’équilibre commençait à
pencher en faveur des terroristes,
soutenus par l'Occident et d'autres pays
comme l'Arabie Saoudite, la Turquie et
le Qatar.
Les Russes
étaient prêts à intervenir directement.
Nous les avons alors invités,
assurément, parce que nous leur faisons
confiance. Nous leur faisons confiance
parce que leur politique est fondée sur
la morale, avant les intérêts. Nous leur
faisons confiance parce que nous savons
qu'ils nous ont soutenus pour se
débarrasser des terroristes et non pas
parce qu'ils voulaient nous demander
quoi que ce soit en retour. D’ailleurs,
ils n’ont jamais rien demandé jusqu’à ce
jour. Tous ces facteurs réunis nous ont
encouragés, gouvernement et
institutions, à demander l’aide de la
Russie.
QUESTION
10 : Avant cette
soi-disant révolution, je suis sure que
vous avez reçu certains types d’offres
ou de contrats de vos ennemis actuels.
Que vous voulaient-ils ? Par exemple,
j'ai entendu dire que le Qatar a voulu
faire passer un « tube » à travers la
Syrie. Est-ce vrai ? Avez-vous reçu
cette sorte d'offre avant [la guerre] ?
Le
Président Al-Assad :
Les offres sont arrivées après la crise.
Mme
Aslamova : Ah !
D'accord.
Le
Président Al-Assad :
Parce qu'ils voulaient exploiter la
crise : « Si vous faites cela, nous vous
aiderons ».
Mme
Aslamova : Mais que
voulaient-ils obtenir de vous ?
Le
Président Al-Assad :
Avant la crise, il n'y a pas eu d’offre,
juste des velléités d’utilisation
indirecte de la Syrie contre l’Iran. À
l’époque, le dossier du nucléaire
iranien était le principal problème du
monde et la Syrie devait convaincre
l’Iran d’aller contre ses intérêts. La
France a essayé et l’Arabie saoudite a
tenté de nous en éloigner sans aucune
raison, sinon sa haine de l’Iran.
Mme
Aslamova : Et qu'en
est-il du gazoduc qu’ils voulaient faire
passer à travers la Syrie ?
Le
Président Al-Assad :
Non, il n’en a pas été question, parce
que la Syrie était censée devenir une
plaque tournante dans le domaine
énergétique, en général. Il était prévu
qu’un « tube » vienne de l’est selon le
trajet Iran-Irak-Syrie- Méditerranée, et
qu’un autre arrive du Golfe pour
continuer vers l’Europe. Je ne pense pas
que l'Occident accepte que cette Syrie,
qui refuse d’être sa marionnette, puisse
bénéficier d’un tel privilège ou d’un
tel effet de levier. Ce n’est pas
permis. Par conséquent, nous pensons que
ce gazoduc est l’un des facteurs dont
ils n’ont pas franchement parlé. Après
la guerre, l’offre est venue directement
des Saoudiens, « si vous…
Mme
Aslamova :
Directement de qui ?
Le
Président Al-Assad :
Des Saoudiens : « Si vous vous éloignez
de l'Iran et si vous annoncez
publiquement que vous interrompez toutes
sortes de relations avec ce pays, nous
vous aiderons ». Très simple et droit au
but.
QUESTION
11 : Dans l’un de vos
entretiens, vous aviez dit que cette
guerre était difficile, car « il est
facile de tuer des terroristes, mais
très difficile de tuer leur idéologie ».
Quand j’ai discuté avec vos officiers
sur le front, ils m’ont dit : « Comment
battre un homme qui n'a pas peur de
mourir ? ». Dans ce cas, mourir serait
tout simplement un plaisir puisque que
72 vierges attendent cet homme au
Paradis, alors que les gens normaux ont
peur de mourir. D’autant plus que ceci
fait que les terroristes ont le moral au
plus haut. Comment tuer cette idéologie
?
Le
Président Al-Assad :
Vous avez raison d’évoquer ces
« combattants idéologiques » et disons
le, ces terroristes qui combattent notre
Armée. Le seul moyen de les combattre
est de les tuer. Il n’y a pas moyen de
faire autrement. Ils ne sont disposés à
aucun dialogue et vous n’avez pas le
temps de dialoguer. Vous voulez protéger
vos citoyens, vous devez donc les tuer.
Mais cela ne suffit pas, car ils se
régénèrent comme dans les jeux vidéo.
Vous en tuez un, dix autres
apparaissent. C’est donc un problème
sans fin. Le plus important devient
alors de les combattre par une idéologie
similaire, mais modérée.
Je veux dire
que vous ne pouvez lutter contre
l'extrémisme dans l'islam avec une autre
idéologie que l'Islam modéré. C’est le
seul moyen, mais il exige du temps. Vous
devez travailler sur les jeunes
générations et, en parallèle, travailler
sur les moyens d’empêcher le financement
du gouvernement saoudien, des ONG et des
institutions saoudiennes, destiné à la
promotion de l'idéologie wahhabite dans
le monde entier.
Vous ne
pouvez pas dire : « Je vais me battre
contre cette idéologie » et, en même
temps, permettre à leurs cheikhs ou
imams et à leurs madrasas de faire la
promotion de cette sombre idéologie.
C'est impossible. Et c’est ce qui se
passe en Europe. Vous parlez ici de la
troisième ou quatrième génération vivant
en Europe, qui nous les envoie
aujourd’hui. Ils n’ont jamais vécu dans
nos régions, ils ne parlent pas l'arabe
et peut-être qu'ils ne lisent même pas
le Coran, mais ils sont des extrémistes,
car ils ont permis à l'idéologie
wahhabite d’infiltrer l'Europe.
Donc, nous
devons traiter parallèlement plusieurs
problèmes en plus de traiter avec les
médias et de faire face aux puissants
médias financés par les pétrodollars
saoudiens et d’autres États du Golfe
dans le but de continuer à promouvoir
cet extrémisme. C’est la seule façon de
les vaincre. Traiter avec les
terroristes est obligatoire, mais ce
n'est pas la solution.
QUESTION
12 : Oui. Mais j'ai
toujours senti quelque chose de mystique
dans ce combat pour Damas, puis j’ai
compris pourquoi il y a tant de
mercenaires à venir ici. Un professeur
de théologie de l’Islam m'a expliqué
qu'ils croient vraiment en certains
textes coraniques concernant la ville de
« Dabek » où se dérouleraient
l’Apocalypse et la bataille finale entre
le bien et le mal. C’est pourquoi ils
sont maintenant prêts. Pour exemple,
quand j'étais en Bosnie, j’ai entendu
nombre de mercenaires étrangers clamer :
« Nous allons à Dabek ! ». Pour eux,
cela a bien un sens mystique. Comment
tuer cela ? Je ne peux l’imaginer.
Le
Président Al-Assad :
C’est exact.
Mme
Aslamova : Parce que
c’est une énorme propagande que de faire
croire : « Allez à Dabek, allez en
Syrie, car c’est le lieu principal de
l’Apocalypse ! ».
Le
Président Al-Assad :
Aujourd’hui le lieu saint pour
combattre.
Mme
Aslamova : Oui, c’est
comme un lieu saint.
Le
Président Al-Assad :
Dans le sens où si vous voulez aller au
Paradis, vous devez passer par la Syrie.
Peut-être que si vous mouriez quelque
part ailleurs, vous n’iriez pas au
Paradis. Cela fait partie de
l'idéologie. Voilà pourquoi ils…
Mme
Aslamova : Ils sont
sûrs que mourir en Syrie les amènera
directement au Paradis ?
Le
Président Al-Assad :
C’est ainsi qu’ils raisonnent. Par
exemple, certains pensent qu’en tuant
plus d’innocents, ils pourraient avoir
droit à un repas de rupture du jeûne [Iftar]
avec le Prophète. Ils leur lavent le
cerveau complètement, de sorte que vous
ne pouvez pas les blâmer. Ils sont
ignorants, la plupart d'entre eux sont
des adolescents instrumentalisés.
Mme
Aslamova : Oui, et ce
sont parfois des enfants.
Président
Assad : Exactement.
Mais c’est en rapport avec la machine
qui a travaillé depuis des décennies à
laver ces cerveaux et à répandre cet
extrémisme dans le monde musulman et les
communautés musulmanes en dehors du
monde musulman.
QUESTION
13 : Êtes-vous
satisfait des résultats de
l'intervention russe cette dernière
année ? Les Russes ont-ils vraiment
accompli quelque chose ici ?
Le
Président Al-Assad : En
bref, avant cette intervention et malgré
celles de la soi-disant « Coalition
américaine » qui, pour moi, est une
alliance trompeuse, l’EIIL et le Front
al-Nosra étaient en expansion, recevant
plus de recrues et d’armements,
transportant notre pétrole vers la
Turquie, etc. Après l'intervention
russe, les territoires sous contrôle des
terroristes se sont rétrécis. Par
conséquent, les réalités du terrain
parlent d’elles-mêmes. L’effet principal
de l’intervention russe fut le
changement de l’équilibre au détriment
des terroristes. Tout autre effet est
sans importance.
QUESTION
14 : Concernant la
question kurde, je me suis rendue à
Qamishli où ils m’ont dit qu’ils
voulaient une fédération : « Notre
modèle de l’État idéal est la Russie. La
Russie regroupe de nombreuses
nationalités et c’est une fédération.
Pourquoi la Syrie ne peut-elle pas être
une fédération ? ». Et, honnêtement, nul
parmi les Syriens kurdes ne m’a parlé de
séparation ou d’État indépendant. Non,
ils m’ont dit : « Nous voulons rester en
Syrie, mais nous voulons l'autonomie ».
Êtes-vous d’accord avec cela ? Parce que
ce sont vraiment de bons combattants
contre l’EIIL.
Le
Président Al-Assad :
Permettez-moi de clarifier les
différents aspects de cette question.
Pour commencer, en Syrie, nous ne
parlons pas de communauté qui voudrait
ceci ou cela, qu’il s’agisse des Kurdes,
des Turcs, des Arabes, des Tchétchènes,
des Arméniens, ou de n’importe quelle
autre communauté composante de notre
peuple. Dans ce cas particulier, nous
parlons d’une partie des Kurdes, et
seulement une partie, qui demande cela,
la majorité d’entre eux n’exprimant pas
cette demande. Ils n’ont jamais…
Mme
Aslamova : Je ne parle
évidemment pas des Kurdes à Damas, ils
vivent ici.
Le
Président Al-Assad :
Oui, je veux dire que même dans le nord,
seule une partie d'entre eux en parle.
Ceci est le premier point. Deuxièmement,
quand vous parlez de fédéralisme ou de
tout autre système similaire, il devrait
être inscrit dans la Constitution,
laquelle n’est pas la propriété du
gouvernement mai reflète la volonté du
peuple syrien. Par conséquent, s'ils ont
besoin d'un certain système politique en
Syrie, ils doivent le promouvoir parmi
les Syriens. Ils ne peuvent pas en
discuter avec moi. En tant que
Président, gouvernement ou
fonctionnaire, même si je disais « oui,
c'est une bonne idée, je n’y vois pas
d’inconvénient », je ne peux pas leur
donner satisfaction, car je ne possède
pas le système politique de la Syrie.
Tout devrait être…
Mme
Aslamova : Passer par
un référendum ?
Le
Président Al-Assad :
Exactement. Un référendum soumis au
peuple syrien qui dirait « oui » ou
« non ». Ensuite, en faisant abstraction
du fait que la majorité des Kurdes de
Syrie ne demande pas une fédération, la
majorité de la population du nord de la
Syrie est d’origine arabe. Donc, même si
certains Kurdes souhaitent un système
fédéral dans le nord, comment
envisagent-ils un fédéralisme kurde dans
une région où vous avez une majorité
d’arabes ?
Mme
Aslamova : Mais
avez-vous des contacts avec eux ?
Le
Président Al-Assad :
Oui, bien sûr. Nous discutons et
négocions avec eux. Nous avons toujours…
Mme
Aslamova : Vous menez
des négociations avec eux ?
Le
Président Al-Assad :
Bien sûr et en permanence. D’ailleurs,
nous les avons soutenus contre l’EIIL,
nous leur avons expédié des armes. Votre
armée est au courant de tous les
détails.
QUESTION
15 : Honnêtement, lors
de mes déplacements dans votre pays, je
n’ai pas vu d'opposition non armée. Je
veux dire, avec qui pouvez-vous
dialoguer ? Avez-vous de véritables
partenaires pour mener des négociations,
ou s’agit-il d’une mission impossible ?
Le
Président Al-Assad :
C’est une question très importante, mais
vous devriez définir le terme
« opposition » actuellement utilisé
partout dans le monde pour parler de
gens qui portent des armes et tuent le
peuple. Vous ne pouvez en parler comme
d’une opposition, puisque ce terme est
politique et non militaire.
Mme
Aslamova : Oui, c’est
le problème et tout le monde est armé.
Avec qui parler ?
Le
Président Al-Assad :
Exactement. Maintenant, si vous voulez
parler de l'opposition politique, il
faut citer des noms, des courants ou des
mouvements politiques.
Mme
Aslamova : Quels
courants ? Quels noms ?
Le
Président Al-Assad :
Vous avez de nombreux partis politiques,
constitués avant ou après la crise, dont
les représentants ne siègent pas
nécessairement au Parlement. Si je ne
peux pas citer leur nom, nous pouvons
vous en fournir la liste complète, y
compris les partis d’opposition les plus
récents. S’agissant de négociations, le
problème crucial de votre question n’est
pas de savoir avec qui négocier, mais
qui détient une influence susceptible de
changer la situation sur le terrain.
En effet, si
je m’installais pour discuter avec
toutes ces oppositions, qu’elles soient
intérieures, extérieures ou liées à
d’autres pays et non au peuple syrien,
et que je tombais d’accord avec eux
jusqu’à convenir que « c’est bon pour
l’avenir de la Syrie », lesquelles
d’entre elles pourraient influencer les
terroristes sévissant sur le terrain ?
Nous savons
tous que la majorité de ces terroristes
est affiliée à Al-Qaïda, à l’EIIL, au
Front al-Nosra, à Ahrar al-Cham ou
d’autres organisations, lesquels
terroristes ne font partie d’aucun
mouvement politique, ne se soucient que
de leur propre idéologie, l’idéologie
wahhabite. Par conséquent, même si nous
négocions avec l'opposition politique,
nous ne pouvons pas changer la situation
sur le terrain. Vous avez donc raison :
avec qui vais-je pouvoir négocier ?
Mme
Aslamova : Oui. Avec
qui ?
Le
Président Al-Assad : Le plus
important est qui peut changer la
situation. Étant à la tête du
gouvernement, j’ai mes moyens. Nous
pouvons agir. Nous combattons les
terroristes. La question est : « que
peuvent faire ces oppositions ? ». Je ne
peux pas y répondre. C’est à eux d’y
répondre. Ils doivent dire : «
Nous pouvons faire ceci, nous ne pouvons
pas faire cela ».
QUESTION
16 : Tous les médias
occidentaux prennent leurs informations
sur la situation en Syrie de cette
étrange organisation nommée
« Observatoire syrien des droits de
l'homme », mais si j’ai bien compris il
s’agit d’un seul homme ?
Le
Président Al-Assad : Un
homme qui vit à Londres.
Mme
Aslamova : Ce qui est
incompréhensible pour moi. J'ai été
choquée quand je l’ai su. Comment
peuvent-ils l’utiliser comme unique
source d'information ?
Le
Président Al-Assad :
Oui. C’est ce que veulent les
Occidentaux. Ils n’ont besoin d’aucune
réalité. Ils ont juste besoin de
quelqu’un qui diffuse des informations
compatibles avec leur agenda et dont ils
assureront la promotion en tant que
faits réels. Comme vous le savez, la
plupart en Occident ont subi un lavage
de cerveau au sujet de ce qui se passe
en Syrie et probablement en Ukraine. Je
veux dire qu’ils font de même avec la
Russie. Ils ont essayé, et ont réussi,
un lavage de cerveau de leur opinion
publique. Et ce n’est pas leur seul
outil, ils en ont toute une panoplie,
comme les « Casques blancs » récemment.
Mme
Aslamova : Qu'est-ce
que c’est ? Qui sont-ils ?
Le
Président Al-Assad : En
fait, ils travaillent avec le Front al-Nosra
dans la zone qu’il contrôle. Comment
pouvez-vous travailler dans cette zone
si vous n'êtes pas sous le contrôle du
Front al-Nosra ? Et plus important
encore, nombre de leurs membres
apparaissent sur leurs photos et leurs
vidéos en train de piétiner les corps de
soldats syriens pour célébrer leur mort…
Mme
Aslamova : C’est arrivé
il n'y a pas si longtemps. Parlez-vous
du cas récent qui a suivi le
bombardement de l’Armée syrienne par les
Américains ?
Le
Président Al-Assad :
Non, pas seulement, mais de cas dans
différentes zones d’Alep.
Mme
Aslamova : Dans
différentes zones ?
Le
Président Al-Assad : À
Alep, les Casques blancs, en compagnie
d’Al-Nosra, se sont photographiés
piétinant des soldats syriens dans
différents combats. Al Nosra a donc pour
nouveau déguisement les Casques Blancs,
lesquels sacrifieraient leur vie pour
aider les autres et surtout les
enfants : image émotionnelle destinée à
l’affect de l’opinion publique
occidentale.
Mme
Aslamova : Et vous ne
savez même où ces photos ont été
prises ?
Le
Président Al-Assad :
Pardon ?
Mme
Aslamova : Personne ne
sait où ces photos ont été prises ?
Le
Président Al-Assad :
Non, ils ne vérifient rien, ce n’est pas
important pour eux. D’ailleurs, vous
pouvez tout trouver sur internet, sans
toujours pouvoir vérifier ce qu’il en
est. Vous devez juste voir et ressentir
l’émotion dégagée, parce qu’en Syrie
l’image doit rester noire ou blanche :
les bons contre la mauvaise Armée
syrienne, le mauvais président, le
mauvais gouvernement ou les mauvais
fonctionnaires, disons-le ainsi. C’est
la seule image qu'ils veulent montrer
pour convaincre l’opinion publique
qu’ils doivent maintenir la pression et
qu’ils soutiennent le bon peuple syrien
contre son mauvais gouvernement, et
ainsi de suite. Vous connaissez cette
propagande.
QUESTION
17 : Que vous donnera
la libération d'Alep, du point de vue
stratégique?
Le
Président Al-Assad :
Pour nous, Alep est la jumelle de
Damas. C’est la deuxième grande ville de
Syrie, et si Damas est sa capitale
politique, Alep est réellement sa
capitale industrielle.
Mme
Aslamova : Mais
actuellement il n’y a plus d'industrie.
J’ai été là-bas, tout est détruit.
Le
Président Al-Assad :
C’est exact. La plupart des usines
d’Alep ne fonctionnent plus ; elles ont
été dévalisées et tout a été emmené en
Turquie.
Mme
Aslamova : Si vous
reprenez Alep, qu’est ce que cela
changera à la guerre ?
Le
Président Al-Assad :
Parce qu'elle est la deuxième ...
Mme
Aslamova : La deuxième
ville, mais vous ne pouvez séparer le
Front al-Nosra de…
Le
Président Al-Assad :
Premièrement et avant tout, ce sera un
gain sur les plans politique,
stratégique et national. Ensuite, il ne
s’agit pas simplement d’isoler le Front
al-Nosra : étant donné qu’Alep est une
grande ville, ce sera du point de vue
stratégique et militaire un tremplin
pour la libération d’autres zones
envahies par des terroristes. C’est en
ça que la libération d’Alep est
importante actuellement.
Mme
Aslamova : D'accord,
c’est une opération de libération. Mais
quelle est votre prochaine étape ?
Comment allez-vous couper le lien entre
la Turquie et Idleb ? Parce que Idleb
est la principale source de tout, de
l’argent, des combattants, etc.
Le
Président Al-Assad :
Vous ne le pouvez pas, parce que Idleb
est située pratiquement à la frontière
syro-turque. Vous devez donc nettoyer et
continuer le nettoyage afin de repousser
les terroristes vers la Turquie pour
qu’ils retournent là d’où ils sont
venus ; et sinon, les tuer. Il n'y a pas
d'autre option. Mais Alep sera un
tremplin très important pour mener cette
action.
QUESTION
18 : Approximativement,
combien de mercenaires étrangers sont
passés par votre pays ces cinq dernières
années ?
Le
Président Al-Assad :
Personne ne peut compter, parce
qu’évidemment qu’ils ne franchissent pas
nos frontières de manière régulière. Une
estimation d’un centre de recherche
allemand, publiée il y a quelques
semaines, a parlé de centaines de
milliers de terroristes.
Mme
Aslamova : Des
centaines de milliers ?
Le
Président Al-Assad :
Des centaines de milliers. Ils parlent
de plus de 300 000, ce qui est, je ne
sais pas si ...
Mme
Aslamova : De plus de
300 000 ?
Le
Président Al-Assad :
Oui. Je ne sais pas si cette estimation
est correcte ou non. Mais même s’il
s’agissait d’une centaine de milliers,
ce serait une armée, une armée entière.
Mme
Aslamova : C’est une
armée, une armée entière.
Le
Président Al-Assad :
Exactement. Voilà pourquoi même si vous
continuez à les éliminer, leur
recrutement à partir de l’étranger ne
cesse pas pour autant. Par conséquent,
parler de centaines de milliers
provenant de différents pays du monde
est très réaliste, puisque vous avez des
centaines de milliers de terroristes à
travers le monde ayant adopté la même
idéologie, l'idéologie wahhabite. C’est
très réaliste. Ce n'est pas une
exagération.
QUESTION
19 : À Istanbul, en
2012, j’ai eu à discuter avec des jeunes
gens de votre opposition. Ils me
disaient : « Nous voulons les droits de
l'homme, nous voulons les droits de
l'homme ». Ils étaient laïcs, normaux,
sans barbe et, soit dit en passant,
buvaient de la bière en plein Ramadan.
Mais, en seulement quelques années, ils
sont devenus des fanatiques. Ce qui me
paraît étrange, vu qu’ils étaient laïcs.
De plus, qui dirige l’EIIL ? Des
ex-colonels et des ex-commandants de
l’armée de Saddam Hussein, laïcs aussi.
Comment sont-ils devenus une armée de
fanatiques ? Je ne comprends pas.
Le
Président Al-Assad :
C’est en partie lié à ce qui est arrivé
en Irak après l’invasion de 2003, où
l’Armée américaine et les Américains en
général contrôlaient tout le pays, y
compris les prisons. Le chef de l’EIIL
et la plupart de son entourage étaient
dans la même prison. L’EIIL a été créé
en Irak sous supervision américaine.
Mme
Aslamova : Ce n’était
peut-être pas l’EIIL à l’époque, mais
Al-Qaïda ?
Le
Président Al-Assad :
Non, ce n’était pas déjà l’EIIL, mais
c’était déjà l’EI : « État Islamique
d'Irak ».
Mme
Aslamova : État
islamique ?
Le
Président Al-Assad :
Parce qu'il n'était pas présent en Syrie
à l’époque, d’où l’EI. C’était en 2006.
Mme
Aslamova : 2006 ?
Le
Président Al-Assad :
2006, bien sûr.
Mme
Aslamova : Déjà, un
État islamique en 2006 ?
Le
Président Al-Assad :
Bien sûr en 2006 et, bien sûr, avant le
retrait des Américains. Voilà pourquoi
ils ont joué un rôle direct ou indirect
dans la création de l’EIIL.
S’agissant de
la Syrie, ils sont entrés avant même que
quiconque n’ait entendu parler du Front
al-Nosra ou de l’EIIL. Ils ont été
baptisés « Armée libre », une force
séculière luttant contre le gouvernement
syrien et l’Armée syrienne. En fait, si
vous cherchez sur internet vous
constaterez, par leurs vidéos et leurs
photos, que c’est dès les premières
semaines [de la crise] que les
décapitations ont commencé. Autrement
dit, c’est dès le tout début que ce
mouvement s’est révélé extrémiste, mais
ils ont choisi de l’appeler : Armée
Syrienne Libre [ASL] !
Quand la
ficelle est devenue trop grosse et qu’il
est devenu impossible de dissimuler les
décapitations à tout va, ils ont dû
avouer qu’il s’agissait du Front al-Nosra.
Mais, en réalité, l’ASL, le Front al-Nosra
et l’EIIL ont la même base. Ce sont les
mêmes qui se déplacent d'une région à
l’autre pour diverses raisons. L'une
d’elles est l'idéologie ; la deuxième
est la peur de se faire tuer en restant
sur place ; la troisième est financière
étant donné que l’EIIL offrait les plus
hauts salaires, il y a un ou deux ans et
pendant un certain temps. Et, avant même
cette période, nombre d’éléments du
Front al-Nosra et de l’ASL avaient
rejoint l’EIIL pour l’argent. Donc, vous
avez différents facteurs, mais la base…
Mme
Aslamova : Et, le
fanatisme ?
Le
Président Al-Assad :
C’est toujours la même base. La base
extrémiste étant chose commune à toutes
ces différentes appellations et
organisations.
QUESTION
20 : Puis-je vous poser
une question personnelle?
Le
Président Al-Assad :
Oui, bien sûr.
Mme
Aslamova : En 2013,
alors que votre vie était en grand
danger et que l’Amérique était sur le
point de bombarder la Syrie, pourquoi
n’avez-vous pas envoyé votre famille
dans un endroit sûr ?
Le
Président Al-Assad :
Comment pourriez-vous convaincre les
Syriens de rester dans leur pays alors
que vous demandez à votre famille de
quitter votre pays ? Vous ne pouvez pas.
En tant que Président, vous devez être
le premier lorsqu’il s’agit de la
patrie. Vous devez être au premier rang,
vous, votre famille, votre personnel et
tous les membres de votre gouvernement.
Vous ne pouvez pas convaincre les gens
qu’ils doivent défendre le pays alors
que vous ne faites pas confiance à votre
Armée pour défendre votre famille. Donc,
c'est…
Mme
Aslamova : Je
comprends.
Le
Président Al-Assad :
C’était naturel. En réalité, nous
n’avons jamais eu à réfléchir sur ce
sujet.
Mme
Aslamova : Je vous
remercie beaucoup pour cette entrevue.
Le
Président Al-Assad : Je
vous remercie d'être venue en Syrie.
Dr Bachar
al-Assad
Président de la
Réoublique arabe syrienne
14/10/2016
Texte
traduit de l’anglais par Mouna Alno-Nakhal
Source :
Real Syrian Free Press / 14 octobre 2016
https://syrianfreepress.wordpress.com/2016/10/14/al-assad-pravda/
Le sommaire de Mouna Alno-Nakhal
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dossier Syrie
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