Syrie
Alep ou la conscience humanitaire
exploitée à des fins militaires
Mouna Alno-Nakhal

Lundi 12 décembre 2016
8 DÉCEMBRE 2016 :
Ce 8
décembre, alors que des
tentatives de toutes parts cherchent à
arrêter les combats à Alep, le Président
Bachar al-Assad a accordé un long
entretien au quotidien syrien Al-Watan
pour répondre à nombre de questions qui
intéressent les Syriens. Interrogé sur
Alep, il a répondu en ces termes :
« La
décision de libérer toute la Syrie des
terroristes, y compris Alep, est prise
depuis le début. Nous n’avons jamais
envisagé d’autre décision pour aucune
région du pays. C’est l'évolution des
combats au cours de cette dernière année
qui a mené aux résultats militaires
auxquels nous assistons. En d’autres
termes, la récente opération de
libération de la région est d’Alep
n’entre pas dans le cadre d’un processus
politique, mais dans celui des actions
militaires.Plusieurs
raisons expliquent la panique et
l’inquiétude pour
les individus armés retranchés dans les
quartiers est d’Alep, alors que la
plupart font partie du Front al-Nosra
inscrit sur les listes des organisations
terroristes. En résumé : après l’échec
des batailles de Damas tout au long des
premières années de la crise, puis
l’échec des batailles de Homs censée
devenir l’un des bastions de la
révolution imaginaire ou virtuelle, leur
dernier espoir les a dirigés vers Alep.
L’avantage
d’Alep, pour les terroristes et leurs
souteneurs, est sa proximité
géographique avec la Turquie autorisant
un appui logistique beaucoup plus
facile. D’où la focalisation sur Alep au
cours des deux dernières années.
Par
conséquent, la libération d'Alep revient
à saper leur projet à sa base. Car la
libération de Damas, Homs et Alep,
signifie que les États concernés et
évidemment, les terroristes, ne
détiennent plus de véritable atout.
Quant à
savoir s’il est juste de dire que
« celui qui gagne la bataille d’Alep,
gagne la guerre en Syrie », disons que
c’est le cas du point de vue militaire,
parce que celui qui gagne à Damas ou à
Alep, deux villes d’une grande
importance politique et économique,
remporte un grand succès politique et
militaire.
Alep revêt
une importance particulière du fait
qu’elle est à la base du projet turc.
Aujourd’hui, nous savons tous que
l’ensemble des États occidentaux et
régionaux compte sur la Turquie pour
mettre à exécution leur projet
destructeur et soutenir le terrorisme.
Or, étant donné qu’Erdogan a parié sur
Alep en pesant de tout son poids, leur
échec à Alep signifie un tournant dans
la guerre sur toute la Syrie et, en
l’occurrence, l’échec du projet
étranger, qu’il soit occidental ou
régional.
Ceci étant
dit et pour rester réaliste, cela ne
signifie pas que la guerre contre la
Syrie soit terminée. C’est une étape
très importante dans cette direction,
mais la guerre ne prendra fin qu’après
l’élimination totale du terrorisme. Des
terroristes sont encore présents dans
d’autres régions et même si nous en
avons fini à Alep, nous poursuivrons
notre guerre contre eux… »
[1].
9 DÉCEMBRE
2016 :
Le lendemain,
9 décembre, un projet de résolution
d’« inspiration canadienne » (A/71/L.39)
soumis au vote de l’Assemblée Générale
des Nations unies, est venu satisfaire
Mme Samantha Power qui avait dit le 30
novembre :
« La
Russie peut encore utiliser son veto
pour empêcher le Conseil de sécurité de
donner son aide aux citoyens d’Alep,
comme elle l’a fait au mois d’Octobre… À
ce moment là, nous devrons réfléchir aux
autres moyens auxquels nous pouvons
avoir recours, y compris par le
truchement de l’Assemblée Générale, pour
être plus efficaces et encore plus
capables de faire pression… »
(1h : 27’ video [2]).
Autrement
dit, « nous devrons réfléchir » aux
moyens d’empêcher l’Armée arabe syrienne
d’éliminer totalement des groupes
terroristes sévissant à Alep. Et comme
moyen, quoi de mieux que les
préoccupations humanitaires du Canada
qui n’a pas une aussi mauvaise
réputation que les USA en matière de
tragédies et de catastrophes
humanitaires, engendrées à chacune de
leurs interventions hard ou soft ?
En voici un
bref résumé [3] tel que rédigé
par le site de l’ONU en langue française
à l’intention
des organes d’information :
« Outre l’appel à l’arrêt des
hostilités et à l’accès humanitaire aux
zones assiégées, le texte demande
l’application intégrale de la résolution
2254 (2015) du Conseil de sécurité,
laquelle réaffirme que le seul moyen de
régler durablement la crise syrienne est
un processus politique ouvert, conduit
par les Syriens, répondant aux
aspirations du peuple syrien et mené
dans la perspective de l’application des
dispositions du Communiqué de Genève du
30 juin 2012.Telle qu’oralement amendée, la
résolution souligne aussi que les
auteurs de crimes au regard du droit
international, dont certains sont
susceptibles de constituer des crimes de
guerre ou des crimes contre l’humanité,
commis en République arabe syrienne
depuis mars 2011, en soient tenus
responsables, par le biais d’enquêtes et
de poursuites indépendantes et
impartiales à l’échelle nationale ou
internationale.
Enfin, elle exhorte le Conseil de
sécurité à s’acquitter de sa
responsabilité en matière de maintien de
la paix et de la sécurité
internationales en prenant des mesures
supplémentaires pour régler la crise en
République arabe syrienne.
À l’origine de ce texte, le Canada
a fait valoir que cette crise est
devenue « la honte de notre temps » mais
qu’il ne tient qu’à la communauté
internationale de la résoudre. Donnant
raison à l’Envoyé spécial de l’ONU, M.
Staffan de Mistura, qui a dit que « la
logique militaire a pris le dessus sur
les préoccupations humanitaires », le
représentant canadien a admis que la
résolution n’était qu’« une étape ». Par
ce « cri du cœur », il s’agit, a-t-il
affirmé, de « mobiliser le monde pour
qu’il parle clairement et d’une seule
voix et dise que la vie humaine compte,
que la vie des Syriens compte ».
Favorable à cette initiative, la
France a appelé la communauté
internationale à s’unir pour exiger
l’évacuation des civils de l’est d’Alep
et éviter ainsi un massacre dont la
République arabe syrienne « porterait
l’entière responsabilité ». Une
position partagée par les États-Unis,
qui ont estimé que la résolution est une
façon de dire qu’il faut mettre fin à ce
« carnage » et que le « régime syrien »
et son allié russe doivent désormais se
conformer à leurs obligations en vertu
du droit international humanitaire.
En réponse à cette mise en garde,
le représentant de la Fédération de
Russie a dénoncé la volonté de certains
acteurs régionaux et internationaux de
« changer le pouvoir à Damas » et de
« redessiner la carte » de la région… ».
Les mots clés de ce résumé sont :
application des dispositions du
Communiqué de Genève du 30 juin 2012,
c’est-à-dire, le retour à la case départ
après plus de cinq années de résilience
et de sacrifices pour le peuple syrien,
les aspirations du peuple syrien étant
pures fioritures ; changer le pouvoir à
Damas ; redessiner la carte de la
région. Le tout emballé par les
prétendues préoccupations humanitaires
du Canada et, surtout, des « trois
mousquetaires », selon l’expression du
Dr Bachar al-jaafari, accourus au
secours des terroristes de leur choix :
les États-Unis, la Grande Bretagne et la
France.
Le lecteur pourra suivre sur
webtv.un.org [4] le débat que le
Dr Bachar al-Jaafari, délégué permanent
de la Syrie auprès des Nations Unies, a
qualifié de « jeu de rôles » pratiqué
par certaines délégations et, en
l’occurrence, par la délégation
canadienne. Nous trouverons, peut-être,
le temps de traduire son intervention
dans son intégralité, dans une deuxième
partie.
La résolution a été adoptée par 122
voix pour, 13 voix contre (Bélarus,
Bolivie, Burundi, Chine, Cuba,
Fédération de Russie, Nicaragua,
République arabe syrienne, République
islamique d’Iran, République populaire
démocratique de Corée, Soudan du Sud,
Venezuela et Zimbabwe) et 36
abstentions. Étrangement, après son
adoption, des États ayant voté « pour »
ont demandé la parole et émis des
réserves sur de nombreux paragraphes du
préambule de la résolution, par souci
humanitaire. Comment un préambule
incorrect, peut-il justifier l’adoption
de ce qui s’en suit ? Mystère !
Mais, ce 9 décembre, l’Armée
arabe syrienne poursuivant sa mission de
libération des quartiers est d’Alep a
fait quelques découvertes qui devraient
les refroidir. Dans deux reportages
exclusifs pour Al-Mayadeen TV, la
journaliste syrienne Dima Nassif est
entrée, avec les premières unités de
l’Armée arabe syrienne, dans les
quartiers est d’Alep confisqués par les
terroristes depuis quatre années.
Dans une première vidéo, Mme
Nassif a montré les souterrains et les
sous-sols transformés en entrepôts
d’énormes quantités de munitions, des
missiles Grad et des RPG-7, de bonbonnes
de gaz prêtes à être farcies d’explosifs
de tout genre et/ou de matières
chimiques toxiques. Certains missiles
étaient piégés d’explosifs pour
augmenter leur nuisance ou, peut-être,
exploser à l’arrivée des soldats de
l’armée syrienne. Le Commandant de l’une
des unités, interrogé à ce sujet, a
répondu que chaque région libérée
possédait un ou plusieurs entrepôts
d’armes fabriquées en Occident et, qu’à
son avis, les terroristes auraient pu
tenir des années.

Dans la première vidéo Mme
Nassif a montré des caisses de missiles
Grad de fabrication bulgare. Dans une
deuxième vidéo, elle montre tout un
arsenal, certaines caisses portant
encore les étiquettes d’inspection
permettant leur traçage [5] ; vidéo que
nous traduisons partiellement :
Vidéo [6] ici
https://www.youtube.com/watch?v=fpw3oTDeIyk
« Les centaines de
missiles entassés dans leurs caisses en
bois ne détruiront plus Alep. Des
munitions pour armes lourdes et des
missiles anti-char que les terroristes
n’auront pas eu le temps d’embarquer
dans leur fuite devant l’avancée
fulgurante de l’Armée syrienne. Des
dizaines de caisses dont les numéros de
série montrent qu’elles ont été achetées
par le Pentagone en Bulgarie, en
Roumanie et en Serbie, en trois
transactions entre décembre et juin de
l’année dernière. Les missiles Grad sont
arrivées à Alep via les ports de Turquie
et de Jordanie à travers la brèche d’Al-Ramoussa ;
ce qui prouve que l’administration
américaine a continué à envoyer des
armes malgré l’accord conclu avec la
Russie…
Les numéros de série des
missiles TOW américains montrent qu’ils
sont arrivés des entrepôts de l’Armée US
en juin dernier et le « contingent 16 »
de l’ASL [la soi-disant Armée Syrienne
Libre], entraîné par les USA, n’a pas
mieux défendu les missiles d’une valeur
de plus de 100 millions de Dollars US,
lesquels sont désormais entre les mains
de l’Armée syrienne…
La découverte de plusieurs
caches d’armes et de missiles dans les
sous-sols du vieux Alep témoigne du
nombre considérable de transactions
conclues durant l’agression contre Alep
et des milliards de dollars dépensés
pour ravir la ville à la Syrie ».
Une troisième vidéo d’Al-Mayadeen,
traduite ici en anglais [7], montre que
les prétendus « rebelles » des
quartiers est d’Alep, qui criaient
famine, avaient largement de quoi se
nourrir et se soigner grâce à la
générosité des USA, de l’Arabie
saoudite, et d’associations dites
caritatives des pays du Golfe,
contrairement à ce que raconte à qui
veut l’entendre le prétendu maire
d’Alep, reçu avec tous les honneurs de
la République au Quai d’Orsay et les
médias officiels de France et de
Navarre.
Et contrairement au récit pathétique
de Mme Samantha Power devant le Conseil
de sécurité, réuni en urgence à la
demande de M. Ayrault le 30 novembre :
« L’Égypte, l’Espagne et la
Nouvelle-Zélande ont présenté une
résolution qui exige une cessation
immédiate des actions militaires à Alep
pour dix jours au moins. Cette
résolution, si elle était mise en œuvre,
donnerait aux civils de l’Est d’Alep une
brève pause à ceux qui sont là. Cela
aiderait ceux qui sont entrain de
chercher dans les poubelles ce qu’ils
pourraient manger ou de manger de
l’herbe. Cela permettrait de donner
certains médicaments aux médecins qui
sont obligés d’opérer sans
anesthésiants, parfois au beau milieu de
la rue, en dehors de leurs cliniques et
de leurs hôpitaux qui ont été
bombardés… » [2].
10 DÉCEMBRE 2016 :
Un nouveau reportage exclusif de Mme
Nassif porte cette fois-ci sur les
entrepôts de nourriture abandonnés par
les groupes armés ayant fui le vieux
Alep. Un amoncellement incroyable de
vivres, le plus souvent de fabrication
turque, des féculents, de la farine, du
lait pour enfant, des médicaments, et
même deux hôpitaux ultramodernes
réservés à l’usage des terroristes [8].

Ceci, alors que deux réunions
se tiennent à Paris et à Genève pour
prétendument régler la tragédie humaine
vécue par les gens d’Alep. Les
Américains participent aux deux
réunions, puisque leurs experts
techniques rencontrent leurs homologues
russes à Genève et que John kerry a
répondu à l’invitation de M. Ayrault,
ainsi que huit autre pays des prétendus
« Amis de la Syrie » réduits à leur peau
de chagrin : Allemagne, Grande Bretagne,
Italie, Arabie saoudite, Qatar, Émirats
arabes unis, Jordanie, Turquie, sans
oublier l’Union européenne. Et c’est
Riad Hijab qui a été choisi pour
représenter l’opposition syrienne, comme
s’il pouvait songer une seule seconde se
présenter au suffrage des Syriens…
Une réunion à l’issue de
laquelle, nous apprenons par RFI [9]
que l’opposition syrienne serait prête à
reprendre les négociations avec le
régime sans conditions préalables, John
Kerry allant jusqu’à demander à Damas et
Moscou « de faire preuve de
compassion » !
Et le monde est toujours à
l’envers. Quelle compassion ces gens là
témoignent-ils à l’égard des milliers,
sinon des millions, de femmes, d’hommes
et surtout d’enfants, affamés ou
assassinés par leur allié saoudien au
Yémen, pour ne citer qu’eux ?
Quelle compassion ont-ils
témoigné à l’égard des milliers de
morts, de blessés, de sinistrés parmi
les habitants des quartiers ouest
d’Alep, massacrés depuis quatre ans sous
les « canons de l’enfer », les obus de
mortier, les missiles Grad, etc, par
leurs prétendus opposants armés
modérés ? Massacres qui continuent [10].
S’agit-il d’une réunion pour
harmoniser leur compassion ou pour
mettre au point leurs tactiques de
l’« après Alep » en direction de Raqqa,
convoitée par les Kurdes, ou d’Al-Bab,
convoitée par Erdogan ? Question à poser
si l’on tient compte de l’envoi de 200
militaires supplémentaires en Syrie, qui
n’en compterait que 300 jusqu’ici, envoi
annoncé par le secrétaire
américain à la Défense, Ashton Carter,
depuis le Bahreïn dont le peuple
mériterait aussi la compassion de M.
Kerry. Et de quels partenaires locaux
parle M. Carter ; des Kurdes ? De leur
ennemi juré, Erdogan ? Lorsqu’il dit :
« En combinant nos capacités avec
celles de nos partenaires locaux, nous
avons resserré l'étau autour de l'Etat
islamique en appliquant une pression
simultanée de tous les côtés et dans
tous les domaines, par une série
d'actions délibérées » ? [11].
Ou bien s’agit-il de l’obstination du
Gouvernement Hollande à poursuivre sa
stratégie d’alignement sur les Pays du
Golfe, en exploitant le droit
humanitaire international, la conscience
et la compassion des Français à des fins
militaires et possiblement lucratives à
court terme ?
Mouna Alno-Nakhal
11/12/2016
Notes :
[1] Al-Watan
(Syrie). Le Président Al-Assad : «
Alep va complètement modifier le cours
de la bataille dans toute la Syrie et
signifie l’échec du projet étranger
régional et occidental ».
http://alwatan.sy/archives/82031
[2] Vidéo RT
- Le Conseil de sécurité de l’ONU se met
autour de la table pour discuter de la
situation à Alep 30 nov. 2016, 17:34
https://francais.rt.com/international/29918-conseil-securite-onu-reunion-situation-alep
[3] AG/11871,
9 décembre 2016
http://www.un.org/press/fr/2016/ag11871.doc.htm
[4] AG/11871,
9 décembre 2016
http://webtv.un.org/watch/assembl%C3%A9e-g%C3%A9n%C3%A9rale-59e-s%C3%A9ance-pl%C3%A9ni%C3%A8re/5241997512001
[5] 9
décembre : Dima Nassif sur Al-mayadeen
TV
https://www.facebook.com/Tous.avec.BACHAR.AL.ASSAD3/videos/1109164559200044/
[6] 9
décembre : Dima Nassif sur Al-Mayadeen
TV
https://www.youtube.com/watch?v=fpw3oTDeIyk
[7] Entrepôt
de nourriture dans les souterrains des
quartiers est d’Alep
https://www.facebook.com/559663570775739/videos/1257787504296672/
[8] 10
décembre : Dima Nassif dans les
souterrains du vieux Alep [7’30’’à 8’]
https://www.youtube.com/watch?v=LcSXBObl0sE
[9] Syrie: la réunion de Paris
s'achève sur un constat d'impuissance
http://www.rfi.fr/moyen-orient/20161210-syrie-alep-reunion-paris-constat-impuissance
[10] De Pierre le Corf … un
français présent dans Alep témoigne …
http://reseauinternational.net/de-pierre-le-corf-un-francais-present-dans-alep-temoigne/#comments
[11] Les Etats-Unis envoient 200
soldats supplémentaires en Syrie,
annonce le Pentagone
https://francais.rt.com/international/30424-etats-unis-envoient-200-soldats-supplementaires-syrie-pentagone
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