Analyse
Que comprendre du silence de la
Syrie
face à l’offre de Netanyahou
Nasser Kandil

Jeudi 12 juillet 2018
D’après le traducteur en langue
arabe de la chaîne Al-Mayadeen,
Netanyahou aurait résumé le but de sa
rencontre avec Poutine ce 11 juillet en
ces termes :
« Cette semaine, je compte aller à la
rencontre de Poutine... Je reviendrai
sur deux principes fondamentaux : primo,
nous ne tolérerons pas la présence
militaire de l’Iran et de ses inféodés
sur l’ensemble du territoire syrien ou à
ses frontières, proches ou lointaines ;
secundo, nous demanderons à l’Armée
syrienne de respecter l’accord de
désengagement de 1974 » [1].
Ainsi, il est clair que
Netanyahou demande à la Syrie de tout
simplement revenir à la situation
d’avant 2011, comme si de rien n’était,
comme si après tant de sacrifices et de
souffrances endurées par le peuple
syrien du fait de son soutien au
terrorisme destructeur, il espérait que
Vladimir Poutine l’aiderait à soumettre
la Syrie à son bon vouloir et à
l’arracher au camp de la Résistance.
Netanyahou
fait mine d’oublier que ce n’est pas la
Syrie qui a rompu l’accord de
désengagement de 1974, comme l’a affirmé
le délégué permanent de la Syrie auprès
des Nations Unies devant le Conseil de
sécurité dès Septembre 2014 [2] et comme
nous le rappelle M. Nasser Kandil
aujourd’hui, avec les conséquences
possibles d’une telle rupture [NdT].

Dès que la
guerre de libération de la Ghouta a pris
fin, dessinant la nouvelle réalité
syrienne, les dirigeants et les médias
de l'entité d’occupation ont adopté un
nouveau discours traduisant clairement
leur absence d’illusions quant à la
possibilité de modifier l’équilibre des
forces ; l’État syrien, son Armée et son
Président ayant désormais la haute main
sur le cours des choses.
Un nouveau
discours bien ficelé et fondé sur la
triade suivante :
-
Reconnaissance des victoires
successives de l’Armée arabe
syrienne, victoires qu’Israël admet
implicitement être incapable de
contrer.
-
Exigence d’un retour à
l'accord de désengagement de 1974
[3], accord pourtant rompu
ouvertement et délibérément par
Israël pour lui substituer son
projet d’une prétendue « ceinture de
sécurité » en coopération avec le
Front al-Nosra -branche d’Al-Qaïda
en Syrie- considéré comme une force
idéologique solide et cohérente sur
laquelle il pouvait parier pour
assurer la stabilité de ses
frontières pendant des décennies ;
un projet centré sur Daraa après des
années de manipulations du Sud
syrien avec la participation de la
Saoudie, du Qatar, des États-Unis et
de la Grande-Bretagne ; complicité
qui a fait couler beaucoup d’encre
et qui en fera couler encore et
encore.
-
Subordination du projet de
règlement de ladite crise syrienne,
par le déploiement de l'Armée
syrienne dans tout le Sud syrien, au
retrait total de l'Iran et du
Hezbollah de toute la Syrie, puis à
leur retrait de la région sud
uniquement sur une profondeur de 25
à 40 Kms ; le minimum requis étant
que ces deux forces n’accompagnent
pas l'Armée syrienne dans les zones
de déploiement consenties par ledit
projet.
Entretemps,
menaces et raids aériens se sont
intensifiés sous le slogan « soit vous
acceptez l’offre proposée, soit nous
allons à une confrontation ouverte ».
Une offre que l’État syrien a
complètement ignorée en dépit de son
adoption par les Américains prêts à se
retirer de leur base militaire d’Al-Tanf
dans le cadre de cette même offre, car
parfaitement conscient que la raison
essentielle de leur présence dans cette
base au Sud du pays est de garantir la
sécurité d’Israël, quitte à utiliser ce
même procédé dans le Nord, en plus de
chercher à bénéficier du « partenariat
russe » en l’orientant vers ce type de
négociations.
L'État syrien
a donc répondu à sa manière en
continuant à masser ses forces en
direction Sud, tout en offrant aux
milices armées l’occasion de se
soumettre à ses propres conditions.
Puis, une
fois cette question réglée, faisant fi
des menaces du ministère américain de la
Défense, l'offensive militaire syrienne
victorieuse a commencé, avec pour seule
réponse à l’offre renouvelée de
Netanyahou : la participation du
Hezbollah et des forces supplétives
dirigées par des conseillers iraniens
aux batailles du front sud ; réponse
accompagnée du soutien aérien de la
Russie, auquel ni les Américains, ni les
Israéliens ne s'attendaient.
C’est ainsi
que leurs espoirs ont été déçus comme à
chaque fois que l’Armée syrienne a
décidé du calendrier d’une bataille de
libération. Et c’est sans doute pourquoi
un nouveau raid israélien a été mené sur
l'aéroport T4 et que d’autres raids
auront probablement lieu, raids auxquels
la Syrie répliquera plus fortement
encore, tandis qu’il est désormais très
clair que c’est sciemment qu’elle reste
silencieuse sur ce qu’elle envisage,
notamment, sur le front du Golan.
Un silence
syrien devant lequel Israéliens et
Américains devront patienter longtemps
avant de pouvoir l’interpréter.
Un silence
qui pourrait être en rapport avec sa
conception de la souveraineté ; la Syrie
jugeant inacceptable de subordonner le
déploiement de l’Armée syrienne à des
conditions qui feraient d’Israël un
partenaire dans des négociations
concernant la sécurité d'une partie du
territoire syrien.
Et si la
Syrie poursuit son avancée militaire
vers les hauteurs du Golan c’est
peut-être afin de recouvrer cette
souveraineté de par sa propre volonté et
ses propres capacités, auquel cas c’est
à d’autres, et particulièrement à
Israël, de choisir entre retrait et
confrontation.
Mais que se
passerait-il si une fois rendue sur les
hauteurs du Golan, la Syrie continuait à
ignorer l’offre de Netanyahou pour une
deuxième raison non moins importante en
rapport avec la souveraineté, vu qu’une
partie de son territoire est toujours
occupée et qu’elle ne serait pas
disposée à entrer dans des négociations
portant sur les frontières du Sud, à
moins que les États-Unis et la Turquie
ne cessent leur ingérence militaire
illégitimes et illégales aux frontières
nord du pays ?
Et que se
passerait-il si elle continuait à
ignorer l’offre en question même après
avoir reconquis sa souveraineté
jusqu’aux frontières nord de son
territoire, signifiant qu’elle aurait
décidé de mettre le sort du Golan occupé
sur la table avant de passer à la
reconstruction du pays, afin de
s’épargner de futures destructions et
d’exploiter la situation actuelle
matérielle, morale et militaire, de son
armée et de ses alliés ?
C’est dans ce
dernier cas que les Israéliens devront
commencer à s’inquiéter. En effet,
Israël ayant rompu l’accord de
désengagement de 1974, la recherche
d’une alternative fondée sur les
nouvelles donnes dépendrait de la
cessation de l’occupation israélienne du
Golan.
Et Donald
Trump se rendra à Helsinki emportant
avec lui ces questions et ces
préoccupations israéliennes. D’où
d’autres questions :
-
Le retrait de l’Iran et du
Hezbollah de Syrie deviendrait-il
subordonné au retrait d’Israël du
Golan occupé, au moment même où
Israël tente de légitimer son
annexion par les États-Unis selon le
même procédé adopté pour Jérusalem ?
-
L'avancée de l’Armée syrienne
dans le Sud en prévision de son
avancée vers les frontières nord du
pays pousseraient-elles les
États-Unis et Israël à une
confrontation directe, évitée dans
des conditions plus favorables
qu’elles ne le sont aujourd’hui, ou
bien décideront-ils de s’en remettre
à une opération politique parrainée
par la Russie, laquelle camouflerait
leur défaite en leur sauvant un tant
soit peu la face et réduirait leur
grande panique à quelques
inquiétudes ?
Nasser
Kandil
10/07/2018
Traduction
de l’arabe par Mouna Alno-Nakhal
Source :
Al-Binaa
http://www.al-binaa.com/archives/article/192690
Notes :
[1]
Déclaration de Netanyahou avant sa
rencontre du 11/07/ 2018 avec Poutine
(33 ‘’-
54’’)
https://www.facebook.com/almayadeen/videos/2675188039173395/
[2] Syrie :
Les Israéliens jouent avec le feu et
l’ONU se contente d’observer !
http://www.palestine-solidarite.org/analyses.bachar_al-jaafari.190914.htm
[3]
Résolution 350 (1974] du Coseil de
sécurité de l’ONU
http://www.un.org/fr/documents/view_doc.asp?symbol=S/RES/350(1974)
M.
Nasser Kandil est un homme
politique libanais, ex-député et
rédacteur en chef du quotidien Al-Binna
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