Syrie
J-Y. Le Drian ou la « respiration
démocratique »
de la France en Syrie…
Mouna Alno-Nakhal
Samedi 12 janvier 2019
Bien qu’il soit trop tôt pour
parler de victoire ou de défaite, il est
clair que pour le camp otano-arabo-sioniste
l’annonce du retrait américain du
nord-est de la Syrie est une
catastrophe, tandis que pour le camp
adverse elle est une victoire.
Une victoire
venue s’ajouter à toutes les précédentes
niées ou reconnues avec une foule
d’arrière-pensées, comme ce fut le cas
du ministre français de l’Europe et des
Affaires étrangères, Jean-Yves le Drian,
lors de sa conférence de presse en marge
de l’Assemblée générale annuelle de
l’ONU fin Septembre 2018 [1] :
« On peut
presque dire que Bachar al-Assad a gagné
la guerre. On le constate. Mais, on ne
peut pas dire que Bachar al-Assad ait
gagné la paix, loin de là ! Et quand on
a gagné la guerre sans gagner la paix,
ça veut dire qu’on n’a pas gagné la
guerre, même si les avancées sur le
terrain sont ce qu’elles sont. Et je le
redis, tant qu’on n’a pas gagné la paix,
on n’a pas gagné la guerre. Et c’est de
la responsabilité de Bachar al-Assad,
mais aussi de ceux qui le soutiennent,
pour engager une solution politique à la
fin du conflit. Sinon, on risque d’aller
vers une forme de guerre perpétuelle
dans la zone ».
Que cette
tirade traduise le simple constat d’un
responsable politique ou ses menaces à
peine voilées d’une « guerre
perpétuelle » tant que la Syrie
n’accepte pas la solution politique que
lui et ses alliés préconisent, les
médias syriens s’étonnent encore du fait
qu’en sa qualité d’ex-ministre de la
Défense, M. le Drian refuse d’admettre
que c’est le peuple syrien qui a
« presque » gagné cette guerre et non
seulement Bachar al-Assad, sauf à
considérer que ce sont seulement Nicolas
Sarkozy, puis François Hollande, puis
Emmanuel Macron qui l’ont perdue.
Et ce 10
janvier 2019, M. Le Drian est revenu sur
son slogan « Bachar al-Assad a gagné la
guerre, mais pas la paix » au cours d’un
entretien accordé à M. Elkabbach dans la
matinale sur CNEWS [2]. Entretien
inauguré par sa réflexion sur la perte
de repères, la violence insupportable et
le besoin urgent d’une respiration
démocratique en France, dont nous ne
transcrivons que la partie concernant la
Syrie [de la 7ème à la 12ème
minute] :
Q : La
France va-t-elle laisser tomber les
Kurdes d’Irak qui ont été si utiles
au moment de la coalition pour combattre
Daech et pour vaincre Daech ? Est-ce
qu’on va les laisser tomber ?
R : Il y a
dans cette région deux conflits
différents, deux guerres différentes
qu’on a tendance à confondre. Il y a le
combat contre Daech et ce combat là
n’est pas fini, parce que même si
territorialement Daech occupe beaucoup
moins de place qu’auparavant, même si en
Irak ils ont été en grande partie
éradiqués, il n’en demeure pas moins
qu’aujourd’hui Daech est toujours
présente dans une partie de la Syrie et
toujours, de manière clandestine,
présente en Irak.
Q : Daech
est vaincue, mais pas finie, vous l’avez
dit…
R : Non…
Daech n’a pas encore été totalement
vaincue. Daech est en train de perdre,
mais il faut poursuivre le combat
jusqu’au bout et c’est la principale
préoccupation de la France. Si la France
est là, si la France est dans la
coalition, c’est parce qu’elle combat le
terrorisme de Daech qui a touché notre
pays, comme vous le savez, par des
drames importants au cours des dernières
années…
Q : Et les
Kurdes ?
R : Les
Kurdes, les Forces démocratiques
syriennes, les Kurdes de Syrie,
puisque vous savez, il y a des Kurdes en
Irak, en Iran, en Syrie et en Turquie.
Les Kurdes de Syrie sont nos meilleurs
alliés dans cette affaire, puisqu’ils
combattent Daech territorialement dans
cette partie de la Syrie. Et le fait que
le Président Trump ait annoncé le
retrait des forces américaines de
manière brutale, incompréhensible…
Q : Vous
le saviez ça ?
R : On l’a
appris comme tout le monde, par un Tweet.
Q : C’était
la grande surprise ?
R : Il n’y
a pas eu que la France. Je crois que le
ministre de la Défense américain a
lui-même été surpris, puisqu’il en a
tiré les conséquences en se retirant.
Cette décision là est grave parce
qu’elle met les Kurdes et leurs alliés
arabes, ce qu’on appelle les Forces
démocratiques syriennes, dans une grosse
difficulté, puisque ce sont eux qui ont
contribué largement à combattre Daech et
que ce sont eux qui se trouvent,
aujourd’hui, en fragilité. Donc, il faut
qu’il y ait, au niveau international, la
préservation de la sécurité des Kurdes,
avec nos alliés, avec nos partenaires…
Q :
Qu’est-ce que fait la France ? Et vous ?
R : Moi,
je vais me rendre en Irak dans quelques
jours. J’irai aussi au Kurdistan. Je
rencontrerai les nouveaux responsables
irakiens, le Premier ministre, le
Président de la République…
Q : Donc,
vous serez à Bagdad ? Bientôt ?
R : Pas
uniquement à Bagdad, un peu partout. Je
n’en dis pas plus pour des raisons de
sécurité, mais j’essaye de contribuer
avec d’autres à ce que les Kurdes de
Syrie soient respectés dans leur combat,
dans leur identité, pour éviter qu’il y
ait en Syrie une nouvelle guerre ; parce
qu’il y a une première guerre contre
Daech, que nous menons, et il y a une
guerre civile…
Q : Vous
avez parlé de Donald Trump tout à
l’heure. Il retarde le retrait de ses
troupes. Pourquoi il a évolué ? Grâce à
qui ?
R : Il y a
eu une inflexion, puisque la décision de
retrait très urgente, très rapide,
annoncée par le président Trump a
provoqué un tollé, une incompréhension,
y compris à l’égard des Kurdes, mais pas
uniquement. Et aujourd’hui, il annonce
que le retrait se fera de manière plus
lente et il annonce aussi, sans doute
grâce aux pressions diverses qu’il a pu
avoir, y compris de la France ; le
président Macron s’en est entretenu avec
lui à plusieurs reprises et il semble
qu’il y ait une inflexion que je trouve
aujourd’hui positive pour éviter de
nouveaux désastres dans cette région qui
a bien besoin de paix.
Q : Et ils
se sont téléphonés Donald Trump et
Emmanuel Macron, hier ou avant-hier, je
crois…
R :
Avant-hier.
Q : J’ai
vu dans leur communiqué qu’ils
maintiennent, disent-ils, leur ligne
rouge. Est-ce que ça veut dire que si
Bachar al-Assad emploie des armes
chimiques, les Américains où qu’ils
soient et les Français et leurs alliés
frappent ?
R : Oui
mais il faut bien comprendre, je le
disais tout à l’heure, il y a deux
guerres. Il y a la guerre contre le
terrorisme, que nous menons avec nos
alliés, et puis il y a une guerre civile
interne à la Syrie que Bachar al-Assad
est en train de gagner, mais il n’a pas
gagné la paix. Et pour qu’il gagne la
paix, il faut qu’il y ait en Syrie un
processus politique. Et la Russie dans
ce domaine a un rôle important à jouer,
puisque si Bachar al-Assad gagne en
Syrie c’est grâce au soutien que lui a
apporté la Russie. Il importe aussi que
la solution soit politique et non pas
militaire, parce qu’autrement il n’y
aura pas la paix.
Q : Et la
décision de Donald Trump de partir, elle
favorise à la fois l’Iran et surtout le
numéro un russe qui deviendrait le
maître de la Syrie y compris de la
couverture aérienne du ciel syrien…
R : La
Russie a pris ses responsabilités. Elle
est intervenue en Syrie. Elle a soutenu
et elle continue à soutenir Bachar al-Assad.
Elle a donc une responsabilité politique
de faire en sorte qu’en Syrie il y ait
une solution politique et non pas une
solution militaire et donc… éviter
l’usage de l’arme chimique !
Q : Et là
on frappe ?
R : Ce que
vous indiquez là sur les positions de
Donald Trump concernant l’arme chimique
est plutôt rassurant dans la mesure où
la prolifération chimique est
catastrophique et que nous avons
là-dessus une position très claire.
Q : Une
précision : quand les Américains seront
partis, est-ce que les forces françaises
qui sont sur place resteront là bas
toutes seules où elles quitteront, elles
aussi, le pays ?
R : Il
faut distinguer à la fois la Syrie et
l’Irak. Nous sommes présents en Irak.
Nous sommes très modestement présents en
Syrie, en accompagnement des Américains.
Évidemment quand il y aura une solution
politique, nous nous retirerons.
Q : Oui…
La solution politique…
Dans la
soirée, la chaîne nationale syrienne Al-Ikhbariya
TV [3] a réagi à ces propos en ces
termes :
« Paris,
après Washington prétend vouloir retirer
ses forces illégitimes de Syrie : une
annonce du ministre des Affaires
étrangères, Jean-Yves Le Drian, qui a
avancé un autre prétexte que la lutte
contre Daech pour justifier la violation
du droit international par son pays,
lequel subordonnerait son retrait à
l’adoption d’une solution politique,
faisant mine d’ignorer sa présence
illégitime en Syrie et l’agression
tripartite à laquelle il a participé
[dans la nuit du 14-15 avril 2018, NdT].
Déclarations faites des semaines après
l’annonce du retrait des forces
américaines par le président Donald
Trump [19 décembre 2018, NdT] ; retrait
confirmé [hier, 9 janvier ; NdT] par son
ministre des Affaires étrangères Mike
Pompeo [à partir de l’Égypte ; NdT],
mais subordonné au retrait des experts
iraniens de Syrie, en dépit du fait que
leur présence est légitime, justifiée
par une demande du gouvernement syrien.
Depuis le
début de la guerre sur la Syrie, la
France s’est rangée du côté américain,
les deux ayant soutenu ensemble le
terrorisme. Mais après l’échec du projet
terroriste et l’annonce du retrait des
forces américaines par Washington, voici
que Paris s’incline [devant Washington]
et annonce le retrait de ses propres
forces dont une partie était déployée
dans Manbij, avant l’entrée de l’Armée
arabe syrienne ».
Manifestement, la chaîne nationale
syrienne s’est contentée de retenir ce
qui lui semble essentiel dans les
déclarations du ministre français : la
France soutient le projet terroriste
américano-sioniste, occupe
illégitimement le territoire syrien,
prétend vouloir retirer ses forces mais
ne le fait pas, sous deux prétextes :
combattre Daech à l’exclusion de toute
autre organisation terroriste ; aboutir
à une quelconque solution politique,
laquelle n’exclut en rien la solution
militaire menée par l’Armée arabe
syrienne sur son propre territoire.
La chaîne
nationale syrienne n’a pas jugé utile de
dire un seul mot :
-
ni sur les « Syriens kurdes »
que M. Le Drian met globalement dans
le panier des collaborateurs avec
l’ennemi, alors que dans leur grande
majorité ils sont restés fidèles à
leur patrie et s’opposent aux Kurdes
d’Irak ;
-
ni sur la fameuse « ligne
rouge chimique » qu’il retrace pour
la circonstance, suscitant
l’impatience de M. Elkabbach pressé
de savoir si les frappes sur la
Syrie reprendraient de plus belle ;
-
ni sur l’organisation
terroriste du Front al-Nosra revenue
sur le devant de la scène pour faire
le « bon boulot » reconnu par tous
ses prédécesseurs depuis le début de
la guerre sur la Syrie, avant de se
glisser dans l’habit taillé pour la
nouvelle fonction qu’Erdogan et/ou
les coalisés voudront lui confier ;
-
ni sur l’allié turc qui joue
son propre jeu depuis qu’il a
compris qu’après l’échec de ses
tentatives conjointes de partition
de la Syrie sur une base
confessionnelle amenant les Frères
Musulmans au pouvoir, la partition
sur une base ethnique, et donc la
question kurde initiée sous le
mandat français et désormais adoptée
par les États-Unis, risque de faire
exploser son pays plus cruellement
encore qu’elle n’exploserait la
Syrie ;
-
ni sur la solution politique
que M. Le Drian compte aller
chercher au Kurdistan en Irak,
maintenant que les Kurdes irakiens
ont été trahis par Donald Trump lors
du dernier référendum sur leur
projet d’indépendance. On ne sait
jamais, ils pourraient devenir ses
meilleurs alliés dans l’affaire.
La chaîne
nationale syrienne n’a pas jugé utile
d’en dire plus sur une déclaration
destinée à brouiller des cartes que M.
Le Drian a perdues si, toutefois, il les
avait jamais possédées. Et c’est sans
doute de bonne guerre, quand lui-même
nous sert du « motus et bouche cousue »
à propos d’un prétendu prochain combat
de son gouvernement pour la sécurité et
le respect de l’identité de qui que ce
soit en Syrie, en Irak ou ailleurs.
Il est temps
que cette affaire s’arrête. Il fait très
froid en Syrie et dans la région. Les
gens souffrent, notamment dans ces camps
de l’infortune pour réfugiés
suffisamment exploités jusqu’ici. La
Syrie est dans son droit. Elle ne cèdera
pas. Cela suffit. La France y a beaucoup
perdu. Il n’est peut-être pas trop tard
pour qu’elle regagne les cœurs en
travaillant à la paix au cœur du monde :
la Syrie.
Mouna Alno-Nakhal
10/01/2019
[1] [Vidéo
BFM TV : Le Drian : « Bachar al-Assad a
gagné la guerre mais pas la paix »]
[2] [Le
ministre des Affaires étrangères,
Jean-Yves Le Drian, était l'invité de
Jean-Pierre Elkabbach dans #LaMatinale
sur CNEWS
[3]
https://www.facebook.com/Alikhbaria.Sy/videos/772651779734562/
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