Syrie
Syrie / Qui est tombé à Daraya et
qui est ressuscité à Jarablus ?
Mouna Alno-Nakhal
Vendredi 2 septembre 2016
Revue de presse et d'entretiens
Ce qui se
passe dans le nord de la Syrie, et plus
particulièrement dans la région d’Alep,
depuis la reddition des groupes
terroristes retranchés à Daraya, échappe
aux esprits superficiels des prétendus
opposants révolutionnaires syriens qui
pleurent à tour de rôle devant les
écrans des canaux satellitaires
saoudiens, et d’ailleurs, sur la défaite
de leurs milices, car une entente a bien
eu lieu entre les grands.
Pour
Nasser Kandil [1], cette
entente se résume à dire que les
Saoudiens auront à payer la facture des
guerres dans la région et que la Turquie
sauve sa peau aux dépens des Kurdes
« autonomistes » du nord de la Syrie,
lesquels ont bénéficié du soutien de la
Russie, de la Syrie et de l’Iran,
jusqu’à ce que leurs chefs remettent
leur sort entre les mains des États-Unis
qui les ont trahis en les vendant aux
Turcs, après avoir eux-mêmes trahi leur
patrie syrienne.
En effet, le
tri entre les groupes armés terroristes
et les groupes armés prétendument
« modérés », exigé par les Russes et
jugé insurmontable par les États-Unis
qui continuent à traîner les pieds,
serait en cours :
-
ceux inféodés à
l’Arabie saoudite rassemblés à Idleb,
-
ceux inféodés à
la Turquie destinés à combattre Daech
contre un siège réservé à la table des
prochaines négociations à Genève.
C’est donc le
projet saoudien qui est tombé à Daraya,
car le Rif de Damas dont elle
constituait le nerf de la guerre, avec
Douma comme arrière cour, étaient les
seules zones où l’influence saoudienne
échappait aux baïonnettes des
janissaires turcs. Autrement dit, une
chance a été donnée aux Turcs de se
débarrasser de leur cauchemar kurde dans
le nord de la Syrie, contre quoi ils ont
livré le scalp des Saoudiens.
Lesquels
Saoudiens subissent une lourde défaite
au Yémen où il ne leur reste plus qu’un
seul choix alors qu’ils ont épuisé tous
leurs alliés des pays du Golfe jusqu’au
Soudan : leur retrait unilatéral, sous
n’importe quel prétexte, contre un
accord tacite stipulant l’arrêt de la
progression des unités de l’armée
yéménite et des comités populaires à
l’intérieur de leur frontière et dans
les villes des régions historiquement
yéménites de Najran, Jizan et Asir.
Et maintenant
que les rôles des uns des autres sont
plus ou moins clairement définis,
l’offensive globale contre le terrorisme
sur les fronts syrien et yéménite ne
devrait pas tarder ; les USA et la
Turquie ayant fini par comprendre que
rejoindre le camp des vainqueurs est
possible, moyennant deux conditions :
-
cesser de rêver à
la dislocation de l’État syrien, à la
défaite de son Armée et au renversement
de son Président ;
-
prendre part à la
victoire contre les ennemis de l’État
syrien même si ces ennemis sont leurs
amis, ce qui est le cas des Turcs avec
l’Arabie saoudite, le Front al-Nosra et
Ahrar al-Cham, et le cas des USA avec
l’Arabie saoudite et les milices kurdes
ou islamistes qu’ils ont entraînées et
armées pour leur propre intérêt.
En d’autres
termes, l’alliance syro-russo-iranienne
a triomphé, mais laisse à la Turquie et
aux États-Unis une chance de triompher à
leur tour. Reste à savoir, si les
dirigeants Kurdes profiteront de la
fenêtre des réconciliations, grande
ouverte, par les autorités syriennes
pour se repositionner correctement avant
qu’ils ne payent une trop lourde
addition.
Or, pour
l’ensemble des observateurs régionaux
qui comptent, le problème des USA, est
d’arriver à obtenir un cessez-le-feu
entre leurs deux alliés qui n’ont
apparemment pas l’intention de se
consacrer au combat contre Daech : les
Kurdes syriens « autonomistes », dont le
seul objectif est de contrôler une bande
géographique allant de Qamichli à Efrin,
la preuve en est qu’ils ont renoncé à le
combattre à Raqqa et se sont dirigés
vers Manbej dont la population est dans
sa grande majorité arabe ; les Turcs,
dont le seul objectif est de les en
empêcher.
Certains
observateurs pensent que le combat
turco-kurde en terre syrienne continuera
tant que les deux parties ne se seront
pas épuisées mutuellement et que ce ne
serait pas pour déplaire à leurs alliés
et à leurs ennemis à la fois.
Justement,
aujourd’hui 31 août, le ministre turc
des Affaires européennes, Omer Celik, a
refusé avec indignation l’annonce d’une
trêve avec les milices kurdes, faite la
veille et présentée comme « non
officielle » par Washington :
« Nous
n’acceptons sous aucune circonstance…un
compromis ou un cessez-le-feu entre la
Turquie et les éléments kurdes… la
République turque est un État souverain
et légitime qui ne peut être mis sur un
pied d’égalité avec une organisation
terroriste » [2].
C’est le cas
de dire que la roue tourne et que les
oreilles bourdonnent en entendant un
représentant de la Turquie d’Erdogan
parler du droit souverain d’un pays de
se défendre contre des terroristes
sévissant depuis plus de cinq ans sur
son propre territoire et non chez le
voisin.
Un refus
prédit et expliqué hier par le Général
Élias Farhat sur Al-Mayadeen [3], rappel
des faits, carte à l’appui :
Jarablus
était occupée par les forces de Daech
lorsque l’opération « Bouclier de
l’Euphrate » à été lancée à l’aube du 24
août par les Forces armées turques à
partir de Karkamiche [4]. Le
retrait de Daech vers Al-Bab était
organisé et il semble qu’il y ait eu
coordination avec les Renseignements
turcs, notamment parce que tout s’est
déroulé sans combat, alors que Daech
nous a habitués à sa folie meurtrière.
Tous les médias régionaux en ont été
témoins.
Par
conséquent, aujourd’hui Al-Bab est le
plus grand fief de Daech au nord-est
d’Alep ; Manbej et certains villages au
nord du fleuve Sajour -lequel prend sa
source en Turquie dans la région de
Gaziantap et se jette dans l’Euphrate en
Syrie à moins de 20 Kms de Manbej- étant
toujours aux mains des Kurdes. Autrement
dit, à l’ouest de l’Euphrate, ligne
rouge inlassablement dessinée par la
Turquie et à propos de laquelle Joe
Biden, vice-président des USA, en visite
à Ankara la semaine dernière, avait
clairement dit que les forces kurdes
devaient retraverser l'Euphrate vers
l'est, faute de quoi elles perdraient le
soutien des États-Unis. C’es donc une
situation qui risque d’obliger les
forces turques à entrer dans Manbej et
ces villages à l’Ouest de L’Euphrate,
[dont les populations ont été
suffisamment maltraités par les Kurdes,
soit dit en passant], ce qui signifie
qu’elles s’aventureront dangereusement
vers le sud sans savoir d’où viendront
les coups.
Il est
hautement improbable que les Kurdes se
retirent vers l’est de l’Euphrate. Tout
ce qui s’est passé est « un changement
de nom » [Encore un !] Là où se
trouvaient les FDS [Forces Démocratiques
Syriennes] et les YPG [Unités
de protection du peuple], on parle
désormais de « Conseils militaires » :
le Conseil militaire de Manbej, le
Conseil militaire de Jarablus, etc.
Ceux qui
racontent, comme dans le New York
Times, que le Pentagone soutient les
FDS tandis que la CIA soutient l’ASL, se
font des illusions. La décision de
l’Administration américaine est « une »
et il n’est pas impossible qu’elle
consiste à éreinter les deux camps,
lesquels se sont télescopés avant
l’heure, sa priorité du moment étant la
compétition apparente dans la lutte
contre Daech, lequel est tranquille à
Al-Bab et avance dans les villages
voisins. D’où un vrai problème, car il
n’est pas question que l’Armée syrienne
et les Russes volent la victoire sur
Daech aux USA, rappelez-vous leur dépit
manifeste lors de la libération de
Palmyre.
Si cette
trêve entre les « Conseils militaires »
des Kurdes et, finalement, la prétendue
Armée Syrienne Libre [ASL] était
confirmée, ce serait une défaite
cinglante pour la Turquie qui aurait été
obligée d’accepter que les Kurdes
contrôlent le nord de la Syrie, le long
de sa frontière. C’est pourquoi, je n’y
crois pas, conclut le Général Farhat.
Ici, nous
rappelons que la prétendue ASL qui a
remplacé Daech à Jarablus, sous la
bannière turque et sans combat, regroupe
un minimum de trois factions
terroristes : Faylak al-Rahman, Liwa’
al-sultan Mourad, Liwa’ Nour el-dine al-zenki ;
trois factions acquises à Erdogan et
bras armés des Frères Musulmans. Les
joyeux drilles de la dernière faction
citée s’étant filmés, hilares, en
égorgeant l’enfant palestinien de douze
ans, Abdallah Issa, à Alep, en compagnie
du fameux photographe qui nous a ensuite
gratifié de la photo de l’enfant Oumran
ensanglanté et poussiéreux ; les
propagandistes de l’AFP ayant
sans doute jugé que l’effet pleureur
anti-syrien de la photo de l’enfant
Aylan s’était estompé [5].
Une
résurrection de l’ASL d’ailleurs
confirmée, il y a trois jours, par le
porte-parole de la Présidence turque,
Ibrahim Kalin, dans le quotidien
turc Sabah, où il invite
l’Administration américaine à réviser sa
politique à l’égard du PYD et à cesser
d’entretenir le mythe des YPG comme
seules forces capables de frapper Daech
en Syrie, puisque, comme prouvé à
Jarablous, l’ASL, moyennant un peu de
soutien est parfaitement capable de le
combattre et de purifier les régions
infestées tout en combattant les Forces
du régime syrien [6].
Par
conséquent, entendre des officiels turcs
déclarer par tous les canaux possibles
et imaginables que l’objectif politique
de l’opération « Bouclier de
l’Euphrate » est de garantir l’intégrité
territoriale de la Syrie, ou que la
Syrie jouerait le jeu d’Erdogan, quand
certains ne vont pas jusqu’à parler
d’alliance et de troc de ceci contre
cela, alors que le gouvernement syrien
ne s’est prononcé que pour condamner une
agression caractérisée sur la Syrie,
c’est vite aller en besogne et
méconnaître l’intelligence des
dirigeants de l’État syrien et de ses
alliés, qui ne se laissent pas piéger
aussi stupidement et ne mènent pas leur
guerre par procuration, en exploitant le
rêve des uns et le terrorisme des
autres.
D’autant plus
que l’intégrité territoriale de la Syrie
ne consiste pas à ce qu’Erdogan, « le
pilleur d’Alep », plante le drapeau de
la Turquie et des Frères Musulmans en
terre syrienne pour compenser l’échec de
son plan fondé sur leur installation au
pouvoir sur tout un arc géographique
allant de l’Afrique du Nord à la Syrie.
Et, comme
l’écrivait le Général Amine Hoteit,
ce 29 août dans le quotidien Al-Thawra
[7], la Turquie peut
toujours continuer à justifier son
agression en prétendant vouloir protéger
sa sécurité nationale menacée par le
projet d’un Kurdistan de l’Ouest. Mais
qui lui a dit que ce projet était
réalisable ou justifiable et que la
Syrie, qui a fait échouer les quatre
plans successifs de ses alliés
américano-sionistes ces dernières cinq
années, le permettra ? Ne serait-il pas
tombé dans le piège des États-Unis qui
ont joué la carte kurde pour le mettre
au pas ?
Autant de
questions, autant de supputations. Ce
qui est certain pour les Syriens
patriotes, y compris les Kurdes -à
propos desquels nous mettons au défi les
médias étrangers de nous signaler une
seule déclaration officielle et même une
émission de la Télévision nationale qui
en parlent autrement qu’en termes de
« nos frères kurdes »- il n’y a pas de
Kurdistan syrien. Il y a des Kurdes
syriens ou des Syriens kurdes, peu
importe. Des Syriens ont trahi, certains
sont kurdes, d’autres ne le sont pas.
Nous y reviendrons…
Pour le
moment, nous conclurons cette revue de
presse par ces paroles du secrétaire de
l’Assemblée nationale syrienne, M.
Khaled Abboud [8] que nous
venons d’entendre et qui tombent fort à
propos :
«
Cela fait cinq ans et demi que nous
sommes confrontés à tous les déchets de
ce monde, des déchets qualifiés de
révolutionnaires par tous les agresseurs
de notre patrie syrienne. Une agression
dans laquelle les Turcs se sont enfoncés
jusqu’aux oreilles. Et voilà que
certaines personnes de leur élite
s’adressent à nous en tentant de
désinfecter leurs comportements et les
propos qu’ils ont tenus. La scène est
pourtant claire et nous devons la fixer
pour l’Histoire si nous voulons que l’on
comprenne ce qui se passe. Erdogan est
actuellement confronté à quelques
milices des membres kurdes de notre
famille syrienne, recrutés, formés et
soutenus par ses alliés. Ce sont les
alliés d’Erdogan qui les ont entraînés
dans l’agression de la patrie syrienne
et de la dislocation de la Syrie. Mais,
Erdogan utilise qui ? La prétendue ASL !
Face à qui ? Face à nos frères kurdes !
Ne l’oublions pas ».
Par Mouna
Alno-Nakhal
31/08/2016
Sources :
[1]http://www.al-binaa.com/?article=135645
[2]http://www.europe1.fr/international/la-turquie-naccepte-pas-de-cessez-le-feu-avec-les-kurdes-en-syrie-2834233
[3]https://www.youtube.com/watch?v=QcY1nr2nmh8
[4]https://francais.rt.com/international/25404-armee-turque-coalition-antijihadiste-lancent
[5]http://m.leparisien.fr/international/syrie-la-face-obscure-du-photographe-qui-a-immortalise-omrane-19-08-2016-6054071.php#xtor=AD-1481423553&nli=p
[6]http://alwatan.sy/archives/68453
[7]http://thawra.sy/_kuttab_a.asp?FileName=42986196120160829003753
[8]https://www.facebook.com/Khald.Aboud/videos/1395987497083129/
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