Monde
Russie, Chine, Iran...
et la victoire de Vienne
Nasser Kandil
Lundi 1er juillet 2019
La rencontre des États signataires
restés dans l’« Accord sur le nucléaire
iranien » [France, Royaume-Uni,
Allemagne, Russie, Chine et l’Iran],
attendue depuis le retrait des
États-Unis le 8 mai 2018, a finalement
eu lieu à Vienne hier, 28 juin, sur fond
d’une double menace :
-
La
menace américaine dirigée contre
quiconque commercerait avec l'Iran,
résumée par la déclaration de Brian Hook, l'envoyé spécial des
États-Unis pour l'Iran, signifiant
aux Européens : « Vous devez
choisir entre Washington et
Téhéran ».
-
La
menace iranienne d’une sortie
imminente de l'accord, exprimée par
les déclarations sur la patience
épuisée des Iraniens et leur refus
de continuer à respecter
unilatéralement ses clauses depuis
plus d’une année; période jugée
largement suffisante pour que les
signataires restés dans l’accord
prouvent le sérieux de leur
partenariat.
Le résultat
de la rencontre de Vienne a été
l'annonce de l'activation immédiate du
mécanisme européen INSTEX [1], lequel
vise à contourner les sanctions des
États-Unis et constitue une alternative
au SWIFT, mécanisme grâce auquel l'Iran
avait pu éviter les sanctions
américaines, avant qu’il ne passe sous
le contrôle des États-Unis après leur
retrait de l'accord.
Brièvement,
INSTEX [Instrument in Support of Trade
Exchanges] est un outil basé sur l’Euro
qui permet à l’Iran de vendre son
pétrole à l’Europe, laquelle rembourse
au marché européen le prix des
marchandises que l’Iran -en tant que
gouvernement et entreprises- lui aura
acheté ; le solde de ces transactions,
évalué tous les trois à six mois,
pouvant faire l’objet d’un crédit
bancaire [2].
Bien qu’au
départ, ce mécanisme concernait
uniquement les produits alimentaires et
médicaux vendus par des entreprises
européennes, l'Iran l’a accepté à
condition que le mécanisme soit
effectivement activé, vu qu’il pourra
bénéficier d'une trésorerie en Euros au
cas où le total de ses exportations en
pétrole ne couvrirait pas les sommes
dues pour ses importations en
marchandises européennes ; ce dernier
point étant finalement le plus
important.
Les
négociations entre l’Iran et l’Europe ne
portaient pas sur le mécanisme de
l’INSTEX, mais sur la quantité de
pétrole que les Européens achèteraient.
En effet, alors que l’Iran insistait sur
une quantité égale à celle précédant les
sanctions et le retrait des États-Unis
de l’accord, les Européens proposaient
presque la moitié de cette quantité en
affirmant que ce n’était qu’un début
susceptible d’évolution. Les
négociations se sont arrêtées à ce
stade : l’Iran demandant à l’Europe de
lui garantir l’achat d’environ 500 000
barils par jour, l’Europe lui proposant
environ 250 000 barils par jour. Et
l’entretien téléphonique entre le
président français et le président
iranien avant cette rencontre à Vienne
[le 25 juin 2019] a réaffirmé ce
différend sur la quantité, sans remettre
en cause l’accord sur le principe du
mécanisme de compensation proposé.
Mais la
surprise des Européens, réunis à Vienne,
est venue de la Chine qui a annoncé son
intention de rejoindre l’INSTEX, pour
couvrir le paiement de ses achats de
pétrole iranien, et qui a donc affirmé
sa volonté de reprendre ses achats
suspendus deux mois plus tôt. Une
reprise qui porte sur 650 000 barils par
jour, correspondant à près d’un tiers
des ventes quotidiennes de pétrole
iranien.
De leur côté,
les Russes ont annoncé qu’ils seront
partenaires de l’INSTEX, bien qu’ils
aient déjà monté des sociétés offshore,
protégées par un décret présidentiel
contre les sanctions, pour acheter puis
revendre du pétrole iranien à titre de
contribution à la protection de l'accord
[vu qu’ils ne son pas acheteurs ; Ndt].
La Russie, la
Chine et l'Iran, lesquels sont allés
dans la confrontation jusqu’au bord du
précipice, ont donc réussi à amener
l’Europe à reconnaître qu’il est de son
intérêt que l’accord se maintienne car,
dans le cas contraire, Washington
n’offre pas d’alternative et ne dispose
pas de feuille de route susceptible
d’empêcher l’Iran d’acquérir l’arme
nucléaire ; ce que Washington ne
conteste pas.
Autrement
dit, le non maintien de l’accord
signifie pousser l'Iran à faire le
nécessaire afin de s’installer sur le
siège des détenteurs d'armes nucléaires,
même s'il ne procède pas à leur
fabrication se contentant d’atteindre le
niveau nécessaire en la matière. Cela
signifie aussi, pousser le marché
financier à s’enflammer sans posséder de
recette pour éteindre l’incendie.
En revanche,
du fait que l’Europe offre la
plate-forme de l’INSTEX, l’important
n’est plus le volume des transactions
européennes, l’important est que
l’Europe y soit présente, vu que tout ce
que les entreprises européennes
hésiteront à vendre à l’Iran, la Chine
lui vendra l’équivalent de sa propre
production.
Une victoire
russo-sino-iranienne qui apparaîtra plus
nettement dans les prochains jours,
lorsque les ministres des Affaires
étrangères se rencontreront à Vienne et
mettront les points sur les « i » quant
au sauvetage effectif de l’accord sur le
nucléaire iranien, conformément à la
déclaration du vice-ministre russe des
Affaires étrangères, M. Sergei Ryabkov.
Nasser
Kandil
29/06/2019
Traduit de
l’arabe par Mouna Alno-Nakhal
Source :
Al-Binaa
http://www.al-binaa.com/archives/article/214981
Notes :
[1] [Le
mécanisme INSTEX visant à contourner les
sanctions US contre l’Iran est désormais
opérationnel]
[2]
[L’INSTEX:
le nouvel instrument européen pour
maintenir les transactions commerciales
avec l’Iran]
Nasser Kandil est
un homme politique libanais, ex-député
et rédacteur en chef du quotidien Al-Binaa
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