Libye
La crise libyenne et
le « bal des hypocrites »
Moncef Djaziri
Mardi 12 décembre 2017
L’observateur de la
scène internationale qui regarde ce qui
se passe autour de la crise libyenne,
laquelle dure depuis 2011 lorsque l’Otan
et les puissances occidentales ont
décidé de mettre fin au pouvoir de
Kadhafi détruisant ainsi l’Etat libyen,
ne peut s’empêcher de se dire qu’il
s’agit bien d’un « bal des hypocrites ».
Pour peu que l’on soit intègre et
soucieux de la vérité, tout un chacun
sait et connaît la réalité : la Libye
traverse une phase vitale de son
histoire et cela nécessite d’urgence une
solution forte permettant de restaurer
la sécurité et le bien-être de la
population. Tout le reste n’est que
gesticulation et faux semblant. Pour ne
pas dire hypocrisie.
« Le bal des hypocrites », c’est celui
de ceux qui font semblant de croire et
font accroire l’idée que l’Accord de
Skhirat de 2015 est encore valable.
Chacun sait que dans sa conception et le
mode d’organisation des pouvoirs qu’il
propose, cet Accord n’a aucune chance
d’être appliqué. Les tentatives de
l’amender ont hélas échoué en raison de
ceux qui ne veulent pas que la Libye
sorte de la crise. Cet Accord n’offre
aucune issue. Depuis deux ans, il n’a
fait qu’aggraver la crise.
Les autorités égyptiennes, comme la
Ligue des Etats arabes ainsi que les
pays occidentaux, de même que les pays
voisins de la Libye, continuent à faire
accroire que l’Accord en question a une
quelconque utilité alors qu’ils savent
pertinemment et au fond d’eux-mêmes
qu’il est caduque et qu’il faut passer à
autre chose. L’actuel représentant
spécial de l’Onu en Libye le sait
parfaitement mais n’ose pas le déclarer.
D’ailleurs son plan de sortie de crise,
esquissé en septembre 2017 n’est-il pas
l’aveu déguisé qu’il faut passer à autre
chose ? Là aussi Ghassan Salamé n’a ni
le courage politique ni la franchise de
le dire clairement. Et comment peut-il
le faire alors qu’il est convaincu
d’être l’homme de la situation tout en
feignant d’en maîtriser les ressorts
infiniment plus complexes.
« Le bal des hypocrites » c’est celui de
la diplomatie russe qui joue son propre
jeu et n’arrête pas d’affirmer et de
réaffirmer que rien ne peut se faire en
dehors de l’Accord politique alors que
les Russes pensent profondément le
contraire. C’est aussi le « bal » des
russes qui n’arrêtent pas de déclarer
qu’ils ne veulent pas intervenir dans
les affaires libyennes alors qu’il n’ont
fait que cela depuis 2011 et bien
entendu bien avant. Ils continuent à
parler de solution politique alors que
les acteurs libyens sont profondément
divisés.
« Le bal des hypocrites », c’est celui
de ceux qui font croire que des
élections parlementaires et
présidentielles sont possibles et
peuvent avoir lieu dans une année et que
ces élections permettront à la Libye de
sortir de la crise. Les Américains comme
les Russes, de même que les Allemands et
les Français, pour ne pas parler des
Italiens, tous croient et font croire
que c’est la solution miracle alors
qu’ils sont convaincus du contraire. Ils
savent mais ne le disent pas qu’il est
impossible d’organiser des élections
dignes de ce nom dans un temps aussi
court. Ils savent aussi que pour
organiser des élections, il faut une loi
électorale et celle-ci sera très
difficile à élaborer et à édicter. Ils
savent aussi que pour élire un parlement
et un président, il faut déjà une
constitution. Or le projet de
constitution est toujours en chantier et
il est très peu vraisemblable qu’il y
ait un accord entre les parties sur le
type de régime politique. Et à supposer
qu’il y ait accord, il n’est pas certain
que les Libyens voteront favorablement
pour le projet de constitution.
« Le bal des hypocrites » c’est
d’organiser des séminaires de trois
jours dans des grands hôtels de Tunis et
d’y convier des maires de municipalités
libyennes pour leur faire entériner une
déclaration qui souligne la nécessité de
la décentralisation, vieux serpent de
mer que la Libye traîne depuis des
dizaines d’années et que les quelques
spécialistes connaissent bien. Et on
parle de décentralisation alors que les
tendances fédéralistes à l’Est de la
Libye s’affirment toujours d’avantage.
Pendant que les uns et les autres
« danses » et organisent des « bals
masqués » pour occulter la réalité et
pendant que « le Centre pour un dialogue
humanitaire » s’efforce de faire
dialoguer les parties en organisant des
séjours touristiques confortables et
faisant miroiter aux maires des aides
financières, le peuple libyen souffre et
sombre jour après jour dans la misère.
Le chef de la mission de l’Onu n’a-t-il
pas reconnu très récemment que 20% de la
population libyenne a besoin d’aide
humanitaire ?
Il est temps que cesse ce « bal des
hypocrites » et auquel participent les
quelques élites libyennes dont ils
tirent profit, et que l’on dise la
vérité aux Libyens : ils ne pourront
sortir de la crise profonde dans
laquelle les a plongés l’intervention
étrangère de 2011 que moyennant une
phase de stabilisation. Celle-ci
nécessite un retour à un Etat pourvu de
moyens de contraintes nécessaires afin
de redonner à ce pays un pouvoir et une
autorité sans lesquels tout projet
électoral est voué à l’échec. La
première des urgences c’est de restaurer
le pouvoir de l’Etat et de ses capacités
d’instaurer le contrôle sur les
ressources du pays. Ceci permettra
également de mettre fin à l’anarchie
actuelle qui, comme chacun le sait,
affaiblit les plus faibles et permet aux
quelques « seigneurs de la guerre » de
s’enrichir encore davantage.
Moncef Djaziri
Spécialiste de la Libye
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