Libye
En Libye, l’implication croissante
des Américains
au risque de l’engrenage
Moncef Djaziri
Fin
septembre 2016, des soldats du
gouvernement national sur la ligne de
front à Syrte.
Fabio
Bucciarelli/AFP
Mercredi 7 décembre 2016
The Conversation
Une nouvelle intervention en Libye de
l’Alliance de l’Atlantique-Nord (OTAN)
n’est pas à l’ordre du jour. Il y a un
an, le
6 décembre 2015, le secrétaire général,
Jens Stoltenberg, avait déjà été
très clair à ce sujet :
« Nous sommes prêts à aider le
gouvernement libyen et l’assister
mais pas en intervenant
militairement, intervention que je
ne recommande pas ».
Au vu des conséquences de son
intervention en mars 2011, et compte
tenu des rapports de compétition accrue
entre les pays occidentaux et la Russie,
l’OTAN préfère en effet agir par le
truchement du Commandement militaire
américain pour l’Afrique (Africom),
installé en Allemagne, pour combattre
Daech, tout en apportant son appui
technique au pouvoir à Tripoli, reconnu
par les pays occidentaux. C’est bien le
choix qui a été fait, en
août 2016, et qui semble avoir
permis – au moins provisoirement – de
défaire l’État islamique à Syrte, par
ailleurs un des bastions des Kadhafistes
et de leurs alliés.
Censée venir en aide aux opposants de
Benghazi « menacés de massacre », selon
l’OTAN et les pays occidentaux,
l’opération « Unified Protector » lancée
en mars 2011 s’était vite transformée en
soutien militaire aux rebelles libyens
dans leur guerre contre le régime de
Kadhafi. Tout cela dans le cadre d’une
lecture controversée de la
résolution 1973 du 16 mars 2011 du
Conseil de sécurité de l’ONU autorisant
l’usage de « toutes les mesures
nécessaires » afin de « protéger les
civils contre les attaques des forces de
Kadhafi, en particulier en imposant une
no-fly zone ».
Nous savons, aujourd’hui, que cette
intervention a largement débordé le
cadre du mandat onusien, se transformant
en une opération de guerre contre le
régime de Tripoli. Ce fait a été reconnu
dans des rapports officiels, dont celui
de l’International Institute for
Strategic Studies de juin 2011, sans
parler de rapports plus récents.
Du côté de l’OTAN,
un soutien purement technique
La prise de contrôle de Syrte par
Daech en 2015 a été perçue comme un
tournant décisif et a amené certains
acteurs à envisager une nouvelle
intervention de l’Alliance atlantique.
Une hypothèse écartée, on l’a vu, par
son secrétaire général Jens Stoltenberg.
En revanche, en février 2016, ce dernier
s’est déclaré prêt à soutenir le
gouvernement d’accord national en Libye
en l’aidant à rebâtir son appareil de
défense en vue de combattre la présence
croissante du groupe djihadiste Daech, à
la condition expresse que les nouvelles
autorités en fassent la demande. Cette
position a été réaffirmée
lors du sommet de Varsovie de l’OTAN des
8-9 juillet 2016.
Pour l’OTAN, il n’est donc plus
question d’intervenir directement en
Libye, comme elle l’avait fait en 2011.
D’ailleurs, et à supposer que certains
pays occidentaux le veuillent, une
nouvelle opération militaire de
l’Alliance requerrait une résolution du
Conseil de sécurité de l’ONU : il ne
peut y avoir d’extension automatique à
la Libye du mandat conféré à
l’Organisation atlantique pour attaquer
Daech en Irak et en Syrie, contrairement
à ce qu’avait souhaité l’Italie. Sa
ministre de la Défense,
Roberta Pinotti, lors du sommet de
Hanovre du 25 avril 2016, avait demandé
que l’opération
antiterroriste de l’OTAN « Active
Endeavour » en Méditerranée
orientale englobe les côtes libyennes.
Dans le contexte international
actuel, une telle résolution serait
combattue par la Russie, opposée à
toute intervention militaire de
l’Alliance. Le 13 juin 2016, les
autorités russes ont déclaré qu’elles
opposeraient leur veto à toute
résolution du Conseil de sécurité qui
tendrait à autoriser une nouvelle
opération militaire de l’OTAN en Libye.
Le vice-ministre des Affaires
étrangères, Guennadi Gatilov, a été
encore plus catégorique en affirmant que
la Russie n’autoriserait « jamais » une
telle opération. Cette prise de position
contribue à expliquer le changement
d’attitude de l’OTAN, qui désormais
préfère laisser la main aux forces
spéciales américaines et britanniques,
ainsi qu’à l’Africom.
L’OTAN est donc parvenue à la
conclusion qu’une intervention directe
en Libye n’était pas souhaitable mais
qu’en revanche, et conformément à l’a href="http://www.nato.int/cps/fr/natohq/topics_132756.htm">initiative
de renforcement des capacités de défense
et des capacités de sécurité (DCB),
lancée en 2014, elle pourrait apporter
son soutien technique au gouvernement de
Tripoli reconnu par l’ONU. Lors de sa
rencontre du 17 juin 2016 avec le
ministre libyen des Affaires étrangères
de Tripoli, Mohamed Taha Siala, le
secrétaire général de l’Alliance, Jens
Stoltenberg, a indiqué à son
interlocuteur qu’il trouvait
« encourageants » les progrès accomplis
par le gouvernement d’accord national
(GAN) sous la direction du premier
ministre Fayez Al-Sarraj et l’a assuré
du soutien de l’OTAN à l’égard du
processus de dialogue politique qui se
déroule sous l’égide de l’ONU.
L’Africom aux
avant-postes
TTout se passe donc comme si en Libye
l’OTAN avait délégué à l’Africom
les tâches militaires et de soutien
logistique au gouvernement et aux forces
pro-gouvernementales de Tripoli dans
leur guerre contre Daech à Syrte. Créé
en 2007 (suite aux attentats du
11 septembre 2001), l’Africom est conçu
par les autorités américaines comme une
organisation devant servir les intérêts
économiques, sécuritaires et
géostratégiques des États-Unis en
Afrique. Ce commandement vise à
renforcer les capacités techniques et
militaires des États de la région afin
de leur assurer une stabilité et une
efficacité garantes des intérêts
américains dans la région. La promotion
du développement et de la démocratie et
la lutte contre le terrorisme
constituent les axes principaux de l’Africom
en Libye.
Des
soldats américains d’Africom à
l’entraînement avec des militaires
espagnols en 2015.
US
Army
Africa/Flickr,
CC BY
En visite le 24 août 2016 au quartier
général de l’icom à Stuttgart, le
premier ministre libyen Fayez al-Sarraj
a exprimé le souhait du gouvernement
d’accord national (GAN) de voir les
États-Unis et l’Africom contribuer au
« renforcement des capacités militaires
libyennes, notamment via la formation de
militaires et le partage
d’informations. »
De De leur côté, l’émissaire américain
en Libye, Jonathan Winer, et le
commandant des forces américaines en
Afrique, le général Thomas Waldhauser,
ont réitéré leur soutien aux efforts du
gouvernement d’accord national (GAN)
pour chasser les djihadistes de Syrte.
De fait, dans le cadre de l’opération
« Odyssey Lightning », et à la
demande de Fayez al-Sarraj, le
commandement militaire américain en
Afrique a reconnu avoir effectué, depuis
le 1er août 2016, plus de 550
frappes aériennes contre l’État
islamique à Syrte, fournissant un appui
déterminant aux forces
pro-gouvernementales (Al-Bunyan Al-Marsous).
Si victoire il y a sur Daech à Syrte
– et il semble aujourd’hui que ce soit
le cas –, les forces présidentielles de
Fayez al-Sarraj, issues essentiellement
de Misrata, le devront à l’appui
militaire décisif de l’Africom et au
soutien logistique et de renseignement
des forces spéciales américaines et
britanniques se trouvant sur le sol
libyen – le
rôle de la France se limitant à leur
fournir du renseignement. C’est dire
que la victoire contre Daech à Syrte,
remportée avec le soutien déterminant
des forces américaines, risque de
fragiliser le pouvoir à Tripoli qui
apparaîtra dépendant et tributaire de l’Africom.
La nécessité d’une
large coalition
Par ailleurs, et dans la mesure où
l’armée libyenne du maréchal Haftar
active à l’Est – de
plus en plus soutenue militairement et
diplomatiquement par la Russie –
continue à être marginalisée par les
puissances occidentales, même si de ce
point de vue les choses évoluent, la
percée de Syrte pourrait bien n’être
qu’une victoire à la Pyrrhus. Car elle
risque d’aggraver le discrédit américain
en Libye sans réellement résoudre le
problème que constitue Daech.
De fait, elle pourrait avoir pour
effet pervers la dissémination des
militants de cette organisation aussi
bien dans le reste de la Libye que dans
les pays limitrophes, avec pour
conséquence une plus grande implication
de l’Africom et une fragilisation accrue
du pouvoir internationalement reconnu. À
moins que l’arrivée du nouveau Président
américain Donald Trump aux affaires
n’entraîne une remise en cause de ce
processus d’implication croissante des
forces américaines sur le terrain en
Libye.
Dans tous les cas, la lutte contre
Daech en Libye doit concerner non
seulement le pouvoir internationalement
reconnu de Tripoli, les États-Unis et
les pays européens, mais aussi impliquer
nécessairement la Russie, l’Égypte ainsi
que le pouvoir rival installé à Benghazi
(Est) – y compris l’Armée nationale
libyenne et son chef le Maréchal Khalifa
Haftar. D’autant plus que les membres de
Daech pourraient bien trouver rapidement
de nouveaux soutiens et créer un nouveau
foyer de fixation plus à l’est du pays.
Moncef Djaziri
Enseignant-chercheur in Libyan politics,
University of Lausanne
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