Algérie Résistance
Pr. Peter Phillips : « Nous sommes
confrontés
à un siècle de fascisme »
Mohsen Abdelmoumen
Professor
Peter Phillips. DR.
Jeudi 30 juin 2016
English version here:https://mohsenabdelmoumen.wordpress.com/2016/06/30/pr-peter-phillips-we-face-a-century-of-fascism/
Mohsen Abdelmoumen :
Dans un de vos écrits, vous qualifiez le
XXIe siècle de siècle du fascisme.
Comment en sommes-nous arrivés là ?
Pr. Peter Phillips :
Le 11/9 a ouvert la voie à une guerre
mondiale contre le terrorisme et à
l’augmentation d’un État policier aux
États-Unis et à l’étranger. Nous sommes
confrontés à un siècle de fascisme à
moins que d’importants mouvements de
démocratie sociale n’interviennent. Le
mécanisme de la démocratie d’État et des
élections aux États-Unis et la plupart
des autres fonctions ne sont rien de
plus que du théâtre à grande échelle.
Vous évoquez la TCC (Tansnational
corporate class : classe
capitaliste transnationale) dans vos
écrits, pouvez-vous nous éclairer sur ce
concept ?
La classe dirigeante américaine est
depuis longtemps déterminée à être une
élite qui se perpétue essentiellement
elle-même et qui maintient son influence
à travers des institutions de décision
politique comme l’Association nationale
des Fabricants, la Chambre du Commerce
des États-Unis, le Conseil des Affaires,
le Business Roundtable, le Conference
Board, l’Institut américain des
Entreprises pour la Recherche de
Politique publique, le Conseil des
Relations étrangères et d’autres groupes
de politique centrés sur les affaires.
Ces associations ont longuement dominé
les décisions politiques au sein du
gouvernement des États-Unis.
Les élites du pouvoir capitaliste
existent dans le monde entier. La
mondialisation du commerce et du capital
amène les élites du monde dans des
relations de plus en plus
interconnectées, au point où les
sociologues théorisent maintenant sur le
développement d’une classe capitaliste
transnationale (TCC). Dans l’une des
œuvres d’avant-garde dans ce domaine,
The Transnational Capitalist Class(la
classe capitaliste transnationale –
2000), Leslie Sklair a fait valoir que
la mondialisation a élevé des sociétés
transnationales (TNC) à des rôles
internationaux plus influents, avec le
résultat que les États-nations sont
devenus moins importants que les accords
internationaux développés par
l’Organisation Mondiale du Commerce
(OMC) et d’autres institutions
internationales. Une classe capitaliste
transnationale a émergé de ces sociétés
multinationales, dont la loyauté et les
intérêts, tout en étant enracinés dans
leurs sociétés, étaient de plus en plus
d’envergure internationale.
Vous évoquez un gouvernement
mondial composé de 13 plus grandes
entreprises et de 161 directeurs qui
gèrent $23 910 000 000 000, et autour
duquel gravitent le G8, le G20, l’OMC,
la banque mondiale, l’OTAN et diverses
organisations telles que la Commission
Trilatérale, le Forum Économique, la
Banque des Règlements internationaux et
le groupe Bilderberg. Peut-on encore
parler d’une quelconque souveraineté des
États et de leurs peuples ? À quoi
servent les Parlements et peut-on encore
parler de démocratie ?
En 2014, nous avons décidé
d’identifier les personnes dans les
conseils d’administration des dix plus
grandes sociétés de gestion d’actifs et
des dix entreprises les plus
centralisées. En raison des
chevauchements, c’est un total de treize
entreprises qui ont collectivement 161
administrateurs dans leurs conseils
d’administration. Nous pensons que ce
groupe de 161 personnes représente le
cœur financier de la classe capitaliste
transnationale du monde. Ils gèrent
collectivement $ 23.91 billions (2014)
dans des fonds et opèrent dans presque
tous les pays du monde. Ils sont le
centre du capital financier qui alimente
le système économique mondial. Les
gouvernements occidentaux et les
organismes politiques internationaux
travaillent dans l’intérêt de ce cœur
financier pour protéger la libre
circulation des investissements du
capital partout dans le monde. Ajoutez
quelques milliers à ces 161 et vous
trouverez 100 billions $, c’est-à-dire
la moitié de la richesse dans le monde
gérée par ce petit groupe de personnes
concentrées dans la TCC.
La TCC représente les intérêts de
plusieurs centaines de milliers de
millionnaires et de milliardaires qui
comprennent les personnes les plus
riches dans le top du un pour cent de la
hiérarchie de la richesse du monde.
Ironiquement, cette accumulation extrême
du capital concentré en haut crée un
problème continu pour la TCC qui doit
parcourir le monde pour de nouvelles
opportunités d’investissement qui
produiront des retours adéquats (de 7 à
10%). La guerre est un outil pour le
capital sur-accumulé. Une guerre
permanente contre le terrorisme offre
une occasion unique au TCC de réaliser
des capitaux d’emprunt avec profit aux
gouvernements pour des actions
militaires et de participer aux efforts
de reconstruction rendus nécessaires par
la guerre. La perception des impôts sur
les revenus des travailleurs pour
financer la guerre permanente a pour
résultat une pression croissante vers
des mesures gouvernementales d’austérité
néolibérales, ce qui appauvrit encore
plus les 99% et transfère davantage de
richesse au 1% mondial.
Les États sont dépendant du capital
pour la continuation et étroitement liés
pour la protection des élites du TCC.
Les mouvements de la démocratie et
diverses mobilisations réactionnaires
populistes sont toujours une menace pour
la TCC. Les gouvernements et les
éléments de l’État profond manœuvrent
continuellement pour protéger le capital
centralisé. Dans la boîte à outils des
forces de sécurité de l’État profond il
y a les surprises d’Octobre (ndlr :
théorie de la « surprise d’Octobre »),
la propagande médiatique, la diffamation
et les assassinats réels, les
contre-insurrections mercenaires, le
financement des groupes d’opposition et
le sabotage.
L’un des visages du fascisme
n’est-il pas représenté par le Bohemian
Club ?
Le Bohemian Club est avant tout un
lieu où les élites se rassemblent et se
congratulent les unes les autres. Une
personne sur cinq est un fonctionnaire
d’entreprise ou public très important.
Le Club, comme beaucoup de clubs privés
masculins, sert à construire un
consensus parmi les élites. Les membres
TCC des clubs tirent des enseignements
sur les besoins politiques de leurs
groupes politiques mondiaux comme le SFR
(Council on Foreign Relations), la
Commission Trilatérale, Davos, le G7, le
G20, etc.
À quoi servent des élections
pour désigner un président alors que le
pouvoir est entre les mains de la TCC et
de ses groupes d’influence opaques ?
À pas grand-chose. Les présidents et
dirigeants individuels du monde entier
savent que s’ils s’écartent trop de
l’agenda capitaliste mondial, ils
peuvent être éliminés. Le coup d’État de
la CIA en 1963 a préparé le terrain pour
étendre les capacités de l’État profond
et celles-ci ont été reconstruites et
ont été massivement élargies par la
conspiration du 11/9.
L’élection du futur président
des USA, que ce soit Hillary Clinton ou
Donald Trump, est-elle un évènement
politique majeur ou juste une
représentation théâtrale ?
Un théâtre sur une grande échelle.
D’après vos écrits, la TCC et
ses groupes d’influence qui ont remplacé
les États gèrent les cartels
internationaux de la drogue en extrayant
8 000 tonnes d’opium par an dans les
zones de guerre américaines et en
blanchissant $500 milliards dans les
banques transnationales dont la moitié
est aux USA. La TCC est-elle dans la
gestion de la criminalité sous ses
différentes formes, y compris le
terrorisme ?
Non, la TCC tire avantage de ces
crimes et à l’occasion peut participer,
mais surtout le commerce de la drogue se
fait par des éléments criminels avec
l’approbation secrète et l’assistance
des États-Unis et de l’empire militaire
de l’OTAN et des groupes de sécurité de
l’État profond comme la CIA et la NSA.
La nécessité pour la TCC et
ses groupes d’influence d’avoir des
guerres permanentes n’est-elle pas
vitale ? Sommes-nous dans la thèse de
Lénine « L’impérialisme stade suprême du
capitalisme »?
Lénine a écrit dans une ère du
pouvoir de l’État capitaliste et de
l’impérialisme colonial. La
mondialisation a porté le capital
centralisé à un niveau mondial de
contrôle avec des intérêts qui dépassent
les priorités de l’État et des
entreprises. La gestion de la
concentration de la richesse crée et
augmente le problème du surplus du
capital nécessitant des opportunités
d’investissement avec des rentabilités.
La Guerre offre juste une telle occasion
d’investir un capital excédentaire.
D’un côté on a ce que vous
décrivez dans vos écrits, à savoir la
TCC, les cercles opaques, le
gouvernement mondial, regroupant des
individus ne dépassant pas 0.0001% de la
population mondiale, et de l’autre côté,
on a une grande majorité non encadrée,
non structurée. La lutte contre cette
élite mondiale n’est-elle pas perdue
d’avance ?
L’élite mondiale de la TCC a toujours
peur des mouvements démocratiques de
masse qui pourraient perturber la
croissance continue du capital dans le
monde. Notre travail en tant que
militants politiques est d’encourager et
de soutenir les mouvements démocratiques
partout où ils émergent.
Peut-on parler de false flag
sur fond d’élections présidentielles
dans le cas de la tuerie d’Orlando,
sachant que le tueur appartenait à
l’entreprise de sécurité G4S depuis 2007
et que l’on évoque aussi le fait qu’il
avait des liens avec la CIA ?
Le meurtrier de masse d’Orlando, Omar
Mateen, a travaillé pour G4S, l’un des
plus importants employeurs de la
sécurité privée dans le monde. G4S a
quelque 625.000 employés sur les cinq
continents dans plus de 120 pays. En
tant que société de sécurité privée, il
fournit des services autant pour les
gouvernements que pour les entreprises.
Certains de ses contractants bien connus
sont avec le gouvernement britannique,
les États-Unis, Israël, l’Australie et
beaucoup plus. GS4 offre une gamme de
services dans les domaines des prisons,
du maintien de l’ordre et dans la
sécurité des installations importantes.
Dans le secteur des entreprises, il a
travaillé avec des sociétés bien connues
telles que Chrysler, Amtrak, Apple, et
la Bank of America.
À ce stade, tout ce que nous savons
est que le FBI a essayé de recruter et
de piéger Mateen il y a trois ans et ça
n’a pas marché. Donc, nous ne pouvons
pas dire que ses meurtres étaient une
opération de faux drapeau. La preuve
n’est pas encore là.
Allons-nous vers la
privatisation des secteurs stratégiques
tels que la Défense, le Renseignement et
la Sécurité ?
Oui.
Project Censored
comme média alternatif et progressiste,
et qui est dans une vision antagonique
des médias de domination capitaliste ou
médias de masse, est-il en pointe dans
le combat contre l’ordre mondial ?
Nous le souhaitons mais non, beaucoup
d’autres groupes sont impliqués dans le
monde entier. Notre principal objectif
est la construction de l’instruction
critique globale des médias parmi les
jeunes dans le monde pour contester les
relations publiques et les messages de
propagande à l’intérieur des entreprises
médiatiques. L’industrie des relations
publiques de propagande (PRP) a connu
une croissance phénoménale depuis 2001
après plusieurs années de consolidation
régulière. Il y a trois méga sociétés
PRP cotées en bourse. Dans l’ordre de
grandeur, les entreprises sont
Omnicom, WPP et
Interpublic Group. Ensemble, ces
entreprises emploient 214 000 personnes
dans plus de 170 pays collectant chaque
année quelque 35 milliards de revenus.
Non seulement ces entreprises contrôlent
une énorme quantité de richesse, mais
elles possèdent un réseau de connexions
dans les puissantes institutions
internationales avec des liens directs
vers les médias d’entreprise, les
gouvernements, les sociétés
multinationales et les organismes
mondiaux d’élaboration des politiques.
La consolidation des médias
d’entreprise a été l’occasion pour les
entreprises de relations publiques
d’émerger comme orchestrateurs de
l’information mondiale et des nouvelles.
Les nouvelles des médias d’entreprise
prennent une position secondaire de plus
en plus dépendante des entreprises PRP
et des communiqués de presse du
gouvernement. Le monde d’aujourd’hui est
confronté à un empire médiatique
militaro-industriel PRP si puissant et
complexe que la vérité est la plupart du
temps absente ou rapportée dans des
segments déconnectés avec peu de
contexte historique. Le résultat donne
des nouvelles gérées par le gouvernement
et les sociétés PRP, souvent
verrouillées, y compris à la fois la
libération des histoires spécifiques
destinées à renforcer le soutien du
public, ainsi que la non-couverture
délibérée de nouvelles qui risquent de
compromettre les objectifs du
capitalisme. Il a été estimé il y a
treize ans que jusqu’à 80 % de toutes
les histoires de nouvelles dans les
médias d’entreprise étaient sourcées ou
directement sous l’influence des
sociétés PRP. La pénétration des PRP
dans les médias d’entreprise ne peut
qu’être encore plus grande aujourd’hui.
Les médias alternatifs
sont-ils des outils de lutte efficaces
face au gouvernement mondial et à son
immense force de frappe ?
Oui, les médias indépendants et les
médias d’instruction critique sont notre
espoir pour la démocratie.
Interview réalisée par Mohsen
Abdelmoumen
Qui est le Professeur Peter
Phillips ?
Peter Phillips est un intellectuel
américain, professeur de sociologie à la
Sonoma State University et Président de
la Fondation pour la Liberté des Médias
et du Project Censored depuis 15 ans. Il
enseigne la Censure des Médias, la
Sociologie Investigatrice, la Sociologie
du Pouvoir, la Sociologie des
Conspirations, la Sociologie Politique
et la Sociologie des Médias. Peter
Phillips a publié quatorze éditions de
Censored : Media Democracy in Action
chez Seven Stories Press. Aussi chez
Seven Stories Press : Impeach the
President: The Case Against Bush and
Cheney (2006) et Project Censored Guide
to Independent Media and Activism
(2003). En 2009, le Pr. Phillips a reçu
le Prix Dallas Smythe de l’Union pour
les Communication Démocratiques. Le
Dallas Smythe est un prix national
accordé aux chercheurs et aux activistes
qui, à travers leurs recherches et/ou
leur production, ont apporté des
contributions significatives à l’étude
et à la pratique de la communication
démocratique. Peter Phillips a aussi
remporté le Prix Firecracker Alternative
Book en 1997.
Peter Phillips écrit des éditoriaux
pour les médias indépendants dans tout
le pays et a publié des dizaines de
publications dans des journaux et des
sites web dont : Z magazine, Free
Inquiry, Counterpunch, Common Dreams,
Buzzflash,Dissident Voice, Social
Policy, et Briarpatch. Il aborde
fréquemment la censure des médias et
diverses questions sociopolitiques dans
des émissions de radio et de télévision
telles que : Talk of the Nation, Air
America, Talk America, World Radio
Network, Flashpoints, et le Jim
Hightower Show.
Peter Phillips a réalisé de
nombreuses études investigatrices qui
sont disponibles sur Project Censored,
dont : Private Military Companies in
Service to the Transnational Capitalist
Class (Les sociétés militaires privées
au service de la classe capitaliste
transnationale) ; Law Enforcement
Related Deaths in the US: “Justified
Homicides” and the Impacts on Families
(Application de la Loi relative aux
décès aux États-Unis : les « homicides
justifiés » et les impacts sur les
familles) ; Financial Core of the
Transnational Corporate Class (Le
cœur financier de la classe d’entreprise
transnationale) ; The Global
Dominance Group: 9/11 Pre-Warnings &
Election Irregularities in Contex
(Le groupe de dominance mondiale : les
pré-avertissements du 11/9 et les
Irrégularités électorales dans le
contexte) ;A Study of Bias in the
Associated Press (Une étude portant
sur la partialité dans l’Associated
Press) ; Practices in Health Care
and Disability Insurance (Pratiques
en matière de soins de santé et
d’assurance-invalidité) ; US
Electromagnetic Weapons and Human Rights
(Armes électromagnétiques
américaines et droits de l’homme) ;
Building a Public Ivy: Diversity at
Three California State Universities
(Construire une Ivy – [ndlr : relatif à
l’Ivy League = universités privées
prestigieuses]- publique: la diversité
dans trois universités de l’État de
Californie) ; et The Left
Progressive Media: Inside the Propaganda
Model (Les médias de la gauche
progressiste : à l’intérieur du modèle
de la propagande).
Sa thèse de doctorat en 1994 était
intitulée : A Relative Advantage:
Sociology of the San Francisco Bohemian
Club (Un avantage relatif: la
Sociologie du San Francisco Bohemian
Club), Université de Californie, Davis.
Published in English in American
Herald Tribune, June 29, 2016:http://ahtribune.com/politics/1026-peter-phillips.html
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