Dossier
Dan Gertler se lance dans le social au
profit des «couches vulnérables» pour
faire diversion (VI)
Mohsen Abdelmoumen
La
motivation des démarches de Gertler ne
trompe personne en RDC. D. R
Jeudi 20 février 2014
Un député britannique à la tête du
groupe parlementaire chargé de la région
des Grands Lacs, Eric Joyce, dénonçait
fin 2011 un manque à gagner de 5,5
milliards de dollars pour la République
démocratique du Congo suite à la vente à
moindre coût d’actifs miniers. Des
membres du gouvernement de la RDC, en
particulier le président actuel, Joseph
Kabila, ont vendu d’importants biens
miniers à des prix dérisoires à diverses
sociétés fictives étrangères installées
pour la plupart aux îles Vierges
britanniques. Ces sociétés-écrans les
ont ensuite revendus à des sociétés
minières internationales, parfois cotées
à Londres, engrangeant au passage
d’importantes plus-values. Parmi les
acheteurs, on retrouve le géant mondial
du négoce de matières premières Glencore,
qui grignote des parts vers l’amont et
la production minière, à travers Xstrata
mais également en direct. Selon le
rapport du député britannique, une bonne
partie de ces sociétés appartiennent
plus ou moins directement ou sont liées
à l’homme d’affaires israélien Dan
Gertler. La multinationale de Gertler a,
ces dernières années, développé
plusieurs joint-ventures avec des
sociétés locales. Elle possède entre
autres 50% de Samref Congo, elle-même
actionnaire à 80% de la mine de Mutanda,
et 50% de Kansuki Investments,
propriétaire à 75% de la mine de Kansuki.
Les 20% restants de Mutanda et les 25%
de Kansuki appartenant avant la vente à
la Gécamines. Quand le 28 mars 2011, la
Gécamines, fortement endettée, décide de
vendre ces deux mines, elle ne passe pas
par un système d’appel d’offres, mais
les cède discrètement à des sociétés
basées aux îles Vierges britanniques,
Rowny Assets (Mutanda) et Biko Invest (Kansuki),
toutes deux liées à Dan Gertler.
Celui-ci avait déjà vendu sa société
Nikanor à une filiale de Glencore,
Katanga Mining, en 2006. Son nom
apparaît dans d’autres affaires liées
aux ressources du sous-sol congolais,
notamment derrière les sociétés
immatriculées aux îles Vierges
intermédiaires sur le permis de Kolwezi
retiré à First Quantum sans indemnités
avant sa revente, en septembre 2010, aux
Kazakhs d’Eurasian Natural Resources
Corporation (ENRC) pour 175 millions de
dollars. Les Canadiens affirment avoir
investi, en pure perte, 450 millions de
dollars sur un gisement estimé à un
million de tonnes de cuivre et 400 000
tonnes de cobalt. Un processus qui ne
manque pas d’évoquer le cas de Tullow
Oil et Heritage Oil, qui se sont vu
retirer leurs droits sur deux blocs
pétroliers du lac Albert par la suite
attribués à deux sociétés inconnues,
Caprikat et Foxwhelp, immatriculées
également aux îles Vierges. Citons
également la Emerald Star Enterprises,
toujours de Gertler, autre société
enregistrée aux îles Vierges
britanniques, constituée quelques
semaines seulement avant qu’elle
n’acquière, auprès de la société minière
d’État de la RDC, le projet minier SMMK
pour 15 millions de dollars, et qui a
été vendue quelques semaines plus tard à
ENRC pour 75 millions de dollars.
Eric Joyce a fait la déclaration
suivante : «J’invite maintenant le
gouvernement du Royaume-Uni à mener une
enquête publique approfondie sur ces
opérations. Il lui incombe d’obtenir la
divulgation de la structure de propriété
complète de ces sociétés fictives, de
savoir pourquoi aucun processus
d’adjudication n’a été mis en œuvre dans
le cadre de la vente de biens de l’Etat
congolais et pourquoi le gouvernement de
la RDC brade des biens miniers à des
sociétés fictives qui ne semblent pas
posséder les ressources financières
requises pour mettre en valeur ces biens
précieux. L’avenir du peuple congolais
est systématiquement dilapidé, et il est
grand temps que cela cesse.» Le 7
février 2012, après un long silence
suivi d’explications partielles, la
Gécamines a fini par publier sur son
site les contrats de cession de parts
sociales à Rowny Assets et Biko Invest.
La vente de Mutanda lui a rapporté 120
millions de dollars et celle de Kansuki
17 millions de dollars. Selon E. Joyce,
sur la vente de ses parts dans ces deux
seules mines, la Gécamines (donc le
gouvernement congolais, actionnaire à
100%) a perdu 920 millions de dollars.
La Gécamines cherche actuellement 631
millions pour relancer son
développement. Selon son directeur
général Ahmed Kalej Nkand, la
Development Bank of Southern Africa et
l’Agence française de développement
pourraient financer cet investissement.
La fondation Gertler Family
Sur son site, la fondation Gertler
Family déclare «s’engager à pourvoir aux
besoins des couches vulnérables de la
population congolaise. Dans toute la
République démocratique du Congo, les
projets de santé, d’éducation,
d’infrastructure, culturels, d’aide
d’urgence et bien d’autres contribuent à
changer des vies et à développer des
communautés pour un avenir meilleur»
(sic). Ainsi, après s’être
scandaleusement enrichi de la façon que
l’on sait, et grâce à ses relations
d’affaires avec Joseph Kabila, Dan
Gertler se découvre sur le tard une âme
de bienfaiteur. La «Gertler Family» a
lancé, entre autres, un projet de
développement agricole en juin 2013 dans
la commune de Maluku, située à une
soixantaine de kilomètres de Kinshasa.
Coût : 12 000 000 de dollars. En janvier
2012, le même organisme avait amorcé des
actions sociales à Mont-Ngafula, une
banlieue de la capitale, pour un montant
de 49 000 de dollars. Beaucoup
s’interrogent sur cette démonstration de
générosité. Malgré sa puissance
financière, Dan Gertler semble conscient
de son image peu reluisante, aussi
multiplie-t-il les communications aux
relents «humanistes» qui peinent à
convaincre. Pierre Deboutte, président
de la fondation Gertler Family a indiqué
que le projet agricole était piloté par
Kitoko Food. Selon lui, l’objectif
poursuivi consiste non seulement à
promouvoir l’autosuffisance alimentaire
dans la capitale mais aussi de générer
des emplois pour la population
riveraine.
Dans sa première phase, le projet est
aménagé sur un espace de 100 hectares,
dans le village de Mabasa, pour la
culture du maïs, de pomme de terre, de
tomate et de l’aubergine. Dans sa
seconde phase, le projet vise à cultiver
600 hectares de terres et à construire
une école de formation des agriculteurs.
L’objectif final, selon Max Muland, le
directeur général adjoint de Kitoko
Food, est d’inonder le marché de
Kinshasa et ses environs en produits
alimentaires de base. Notons que la
plupart des semences seront importées
d’Israël, des Pays-Bas et d’Afrique du
Sud. Ce n’est pas la première fois que
la fondation Gertler fait une sortie
médiatique pour annoncer des actions à
caractère «social». En janvier 2012, une
dépêche de l’Agence congolaise de presse
annonçait avec enthousiasme que la
population de Mont-Ngafula saluait les
actions de la Fondation Gertler pour
l’amélioration des infrastructures
hospitalières du centre hospitalier
Monkole situé dans le quartier Mazamba
de cette municipalité. On apprenait que
cet organisme aurait consenti un don de
49 000 de dollars pour l’achèvement de
certaines infrastructures hospitalières.
Sauf que la motivation de ces démarches
ne trompe personne en RDC. Critiqué par
les médias internationaux dans le rôle
qu’il joue dans le pillage des
ressources minérales du Congo, Dan
Gertler se lance dans le social pour
faire diversion.
Mohsen Abdelmoumen
Fin
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