Algérie Résistance
Dr. Kim Scipes : «Le capitalisme
est littéralement
en train de tuer la
vie sur la planète»
Mohsen Abdelmoumen
Dr. Kim
Scipes. DR.
Mercredi 13 septembre 2017
English version here Mohsen
Abdelmoumen : Votre livre
Building Global Labor Solidarity in a
Time of Accelerating Globalization
est un manifeste pour l’unification du
mouvement syndical à travers le monde.
Selon vous, cette idée est-elle une
exigence dans la résistance face à
l’offensive ultralibérale ? L’idée d’un
front syndical mondial est-elle
réalisable ?
Dr. Kim Scipes :
Je crois que nous devons penser à
l’idée d’une organisation syndicale
mondiale. Je pense certainement que les
travailleurs devraient dialoguer
respectueusement et, peut-être plus
important, s’entendre. Un front syndical
mondial – sur le long terme – pourrait
être une bonne chose, mais il faudrait
qu’il soit construit, pas seulement
revendiqué sur l’existence des syndicats
aujourd’hui. Si nous disons qu’un front
mondial du travail est un objectif
souhaitable à long terme, quelles sont
les valeurs sur lesquelles il se
construit ? Certes, la non-oppression
des autres mouvements ouvriers est une
nécessité. Mais il y a aussi un partage
des ressources, surtout entre les plus
grands syndicats (principalement dans le
Nord global) avec ceux du Sud global.
Mais pour moi,
toute organisation syndicale doit être
construite sur la démocratie des
membres, où les membres contrôlent le
syndicat et pas seulement les leaders
officiels. Je pense que ce fut un grand
échec du mouvement ouvrier établi. Mais
je soutiens que les syndicats – et cela
est particulièrement vrai aux États-Unis
– DOIT aller au-delà de ce qu’on appelle
le «syndicalisme d’entreprise» – par
lequel ils n’agissent que pour faire
avancer les intérêts de leurs membres
dominants. Je plaide pour une
conceptualisation plus large du
syndicalisme que j’ai appelé «le
syndicalisme de la justice sociale» par
lequel le syndicat favorise les intérêts
de tous ses membres (ou du moins la
grande majorité) au travail ET dans leur
communauté, société, etc. Il est clair
que tout syndicalisme qui se limite au
lieu de travail est voué à la
disparition.
Cependant, ma
vision est plus grande que cela.
Victoria Bonnell dans son livre de
1983 : « Les racines de la rébellion :
la politique et l’organisation des
travailleurs à Saint-Pétersbourg et
Moscou, 1900-1914 », un livre sur les
travailleurs russes avant 1917, a
soutenu que les syndicats étaient
nécessaires pour protéger et promouvoir
les intérêts sur le lieu de travail, ET
qu’ils devaient représenter les intérêts
des travailleurs, de leurs familles et
de leurs communautés dans la société ;
que c’est seulement par l’organisation
que les travailleurs pourraient créer
une source de pouvoir qui pourrait
résister aux sociétés et aux
gouvernements dans la société, et que
c’était le mouvement ouvrier
(c’est-à-dire que la conceptualisation
est plus large, plus complète que le
mouvement syndical). En d’autres termes,
les travailleurs doivent créer des
organisations pour faire avancer leurs
intérêts non seulement en tant que
travailleurs, mais en tant que membres
de la société.
Maintenant,
certains pourraient dire que ça a été
essayé en Europe – nous n’avons pas eu
cela aux États-Unis, sauf peut-être il y
a longtemps dans l’IWW (travailleurs
industriels du monde) au début des
années 1900, mais cela s’est limité en
grande partie à l’Europe, et cela a
fonctionné dans la mesure où ça s’est
concentré au niveau de l’État-nation. Il
a également accepté l’existence du
capitalisme (en Europe) et de
l’impérialisme dans le monde entier.
Mais si on analyse si le capitalisme
peut répondre aux besoins des
travailleurs du monde entier, il est
clair qu’il ne peut pas. Point barre. Il
ne peut même pas atteindre l’objectif de
fournir des emplois – n’importe quel
travail, pas seulement des «bons»
emplois – au niveau national. Faut-il
étaler les taux de chômage actuels? En
même temps, la collaboration avec
l’impérialisme sous quelque forme que ce
soit n’est pas seulement répréhensible
et une trahison des valeurs que le
travail dit qu’il favorise et soutient –
de sorte qu’il se trahit lui-même – mais
cela sape, sabote et vainc les luttes
ouvrières dans les pays soi-disant
développés. Aucune organisation ne peut
soutenir l’impérialisme et prétendre se
battre pour la libération.
Et je n’ai même pas
mentionné le changement climatique
mondial et la destruction de
l’environnement.
Il est clair pour
moi que les travailleurs (et leurs
alliés et partisans) doivent penser «à
l’extérieur de la boîte» pour tenter de
comprendre quels sont les programmes et
les projets qui favorisent les meilleurs
intérêts des travailleurs, pas dans un
pays ou même le nord global, mais à
travers le monde. Nous devons pouvoir
dire : «Sœurs et frères – c’est notre
meilleure réflexion sur les problèmes
vraiment importants auxquels sont
confrontés les travailleurs ici et
partout dans le monde. Nous vous avons
donné le meilleur. Quel est à votre avis
la meilleure solution ?». Nous devons
ouvrir des discussions dans chaque
organisation syndicale, dans tous les
pays, dans toutes les régions du monde.
Vous un grand
chercheur de l’histoire du mouvement
ouvrier américain et dans d’autres pays.
Comment expliquez-vous la régression
croissante que vivent les mouvements
syndicaux aux USA et ailleurs ?
Je pense que c’est
simple : les mouvements syndicaux
partout dans le monde ont accepté les
paramètres de la pensée, des
possibilités, tels que définis par les
dirigeants d’entreprise et
gouvernementaux qui acceptent la
continuité du capitalisme. Ils n’ont
aucune vision avant-gardiste. Je pense
que c’est désastreux.
Et je veux dire que
je ne suis pas arrivé à cette conclusion
parce que j’ai lu Marx, Gorz ou autre :
pendant des années, j’ai été ouvrier
d’usine, un imprimeur mettant de l’encre
sur du papier, puis j’ai enseigné à
l’école secondaire, ensuite, j’ai
travaillé dans des bureaux pour les
entreprises, y compris les sociétés de
conseil en gestion et les banques
d’investissement : j’ai été dans le
ventre de la bête. Pour mieux comprendre
tout cela, je suis retourné à
l’université, obtenant mon doctorat à
l’âge de 52 ans. J’ai également servi
dans le corps des Marines des États-Unis
de 1969 à 1973, heureusement, je n’ai
jamais été envoyé au Vietnam, mais je
suis passé de celui qui pensait que la
guerre était nécessaire pour changer
complètement d’avis et rejeter le corps
des Marines et l’impérialisme US pendant
mon service actif.
Donc, mes
expériences, mes lectures et mes
réflexions sur mes expériences provenant
d’une perspective globale me disent
qu’il n’y a pas de solutions nationales,
il n’y a que des solutions mondiales. Et
cela signifie que nous devons rejeter
presque toute la réflexion à ce jour qui
ne comprend pas la nécessité de cela.
La
délocalisation industrielle, l’émergence
des métiers de service, des start-up et
autres phénomènes propres au capitalisme
n’ont-ils pas contribué à la disparition
du travail productif tel qu’on le
connaît, à la précarité de l’emploi, et
à la disparition d’un encadrement
révolutionnaire des forces du travail ?
Délocalisation
industrielle, préjudice aux
travailleurs, etc. Aucun doute, mais
nous devons nous demander POURQUOI cela
a-t-il été fait ? Il y a deux raisons
étroitement liées. (1) La reprise des
pays industrialisés pendant la Seconde
Guerre mondiale les a mis en concurrence
avec les États-Unis, puis une
concurrence supplémentaire de sociétés a
émergé dans des pays en développement
comme le Brésil, la Corée du Sud,
Taiwan, etc. Ainsi, les sociétés
américaines de production à forte
intensité de main-d’œuvre se sont
délocalisées à des endroits où les
travailleurs étaient payés presque rien
et maintenus sous contrôle par leurs
gouvernements respectifs, comme au
Mexique et en Chine. Dans le même temps,
lorsque les entreprises à gros capital
ont acheté de nouveaux équipements,
elles ont acquis du matériel qui
utilisait de moins en moins de
travailleurs. Cela a permis aux
États-Unis – et c’est arrivé dans
d’autres pays – de pouvoir rivaliser
avec de nouveaux concurrents. Mais (2),
les grandes entreprises ont senti
qu’elles devaient briser le mouvement
syndical, et elles essayaient de le
faire depuis les années 1940. La
tragédie est que le mouvement ouvrier
américain – celui que je connais le plus
– n’a rien fait pour relever ces défis ;
ils n’ont aucune vision, aucune
détermination, etc.
Vous parlez du
«cadre révolutionnaire» pour les forces
de travail, mais je ne sais pas de quoi
vous parlez, surtout aux États-Unis. La
plupart des syndicats américains n’ont
même pas d’encadrement social-démocrate,
et bien moins encore, quel que soit le
nom qu’on lui donne.
AFL-CIO’s
Secret War against Developing Country
Workers, ce livre est à la fois une
histoire du mouvement ouvrier à travers
le monde et une analyse profonde et
pertinente du mouvement ouvrier US dans
sa spécificité. Le concept
« impérialisme du travail » a
spécialement retenu mon attention,
pouvez-vous expliquer ce concept à
notre lectorat ?
Fondamentalement,
«l’impérialisme du travail» est l’effort
d’une organisation syndicale – dans ce
cas, l’AFL-CIO (ndlr : American
Federation of Labor – Congress of
Industrial Organizations) – pour dominer
et contrôler les mouvements ouvriers
dans d’autres pays, en particulier dans
les pays dits en développement. Ils
utilisent le mot «solidarité», j’utilise
le mot «sabotage». Comme je l’ai
expliqué dans mon livre, l’AFL-CIO a
aidé à renverser des gouvernements
démocratiquement élus, comme au
Guatemala en 1954; au Brésil en 1964; et
au Chili en 1973. Ils ont également
soutenu des dictateurs dans des pays
tels que l’Indonésie, les Philippines,
la Corée du Sud, l’Afrique du Sud (une
dictature blanche) – ainsi que des
dictateurs après les coups d’État
mentionnés ci-dessus – et ont soutenu
les problèmes occasionnés aux
gouvernements progressistes en
République Dominicaine, en Guyane, au
Nicaragua, au Venezuela. Dites-moi
comment ces activités aident les
organisations syndicales dans ces pays ?
Aux Philippines, à la fin des années
1980, la plus grande filiale de leur
allié dans ce pays, a travaillé avec un
escadron de la mort – je n’exagère pas,
ceci est documenté grâce à ma recherche
personnelle sur le terrain – contre la
filiale progressiste du Kilusang Mayo
Uno Labor Centre (Centrale syndicale du
1er Mai).
Maintenant,
l’AFL-CIO s’est beaucoup amélioré et a
été utile dans quelques cas limités
depuis 1995. Mais ils sont encore
affiliés à la National Endowment for
Democracy (la NED), une organisation
réactionnaire gouvernementale, financée
par le gouvernement et qui opère à
l’échelle mondiale. En outre, plus de 90
% du travail international de l’AFL-CIO
est financé par le gouvernement des
États-Unis, ce qui était vrai sous Obama
et Bush.
Et ils n’ont jamais
donné – en plus de 100 ans – un compte
rendu honnête de leurs opérations à
l’étranger à leurs membres affiliés.
Ainsi, ces opérations se font derrière
le dos et sans être connues de la
plupart des syndicalistes aux
États-Unis, elles sont faites à l’insu
de la plupart des dirigeants syndicaux.
Pourtant, ils agissent au nom des
travailleurs américains. Et le Centre de
Solidarité AFL-CIO opère dans plus de 60
pays à travers le monde : pourquoi 60,
pourquoi CES 60 et à quelle fin ? Ils ne
l’ont jamais dit.
Le truc à propos de
l’impérialisme du travail est que,
évidemment, il porte préjudice aux
travailleurs qui sont contrôlés, mais
cela nuit également à ceux qui exercent
le contrôle dans le pays. Si nous
voulons changer le monde, nous avons
besoin des travailleurs du monde entier
pour créer, s’unir et agir sur cette
vision plus large. Mais si les
travailleurs du pays impérialiste
n’adoptent pas ceux des pays en
développement comme «alliés», comme
«frères et sœurs», et s’ils ne
travaillent pas ensemble de manière
respectueuse et égale, alors ils ne
peuvent pas retirer la botte qui est sur
leur propre cou.
Vous êtes un
éminent sociologue. En plus de vos
activités académiques à l’université,
vous êtes membre de plusieurs
organisations telles que les mouvements
du travail, les mouvements sociaux, et
les sections de sociologie mondiale et
transnationale de l’Association
américaine de sociologie et
membre élu du Comité de Recherche 44 de
2006 à 2010. Pouvez-vous nous parler des
missions de cet organisme RC44 ?
Je ne sais pas si
je suis « éminent », même si je suis
prolifique. Outre trois livres, vous
n’avez pas mentionné mon premier, qui
est intitulé «KMU: Construire un
véritable syndicalisme aux Philippines,
1980-1994» (Quezon City: New Day
Publishers, 1996), j’ai publié quelque
chose comme 11 articles évalués par des
pairs, plus de 200 articles pour les
revues spécialisées, les organes
touchant le grand public et les
syndicats, comme certains sites Web. Si
quelqu’un est intéressé, vous pouvez
voir ma liste de publications – avec des
liens vers la plupart des articles – à
cette adresse :
https://faculty.pnw.edu/kim-scipes/publications/#2 .
RC 44 (Comité de
recherche 44) de l’Association
internationale de sociologie est composé
de sociologues qui étudient le travail à
travers le monde. Il n’a pas vraiment de
«mission» ou de «missions», mais nous
sommes un réseau de chercheurs qui
partageons nos écrits et pensons au
comité de recherche, et nous nous
réunissons tous les deux ans et quatre
ans lors de réunions internationales.
Nous essayons de nous soutenir
mutuellement pour faire progresser la
qualité de notre recherche et encourager
l’étude des organisations syndicales à
travers le monde. Nous pensons que les
travailleurs et leurs organisations sont
importants.
Ne pensez-vous
pas que face à l’offensive
ultralibérale, la combattivité des
organisations syndicales à travers le
monde s’amenuise, voire disparaît peu à
peu ? Comment l’expliquez-vous ?
Si vous parlez des
syndicats établis qui se battent,
surtout dans le Nord global, je n’en
vois pas grand-chose. Il pourrait y en
avoir un peu ici, un peu là-bas, mais il
semble que cela se situe spécifiquement
dans des circonstances particulières,
dans les endroits où les militants
peuvent mobiliser des membres pour
demander à leurs syndicats de se battre.
Ce n’est pas systématique, ni déterminé.
Beaucoup ont peur de se battre et sont
prêts à collaborer pour tenter de
survivre. Le problème est que ce qui
représente un syndicat qui ne veut pas
lutter, c’est de nombreux membres qui se
disent « Je peux collaborer et ne pas
avoir à payer les cotisations
syndicales ! »
Vous pouvez voir
plus de ces luttes dans le Sud global,
mais les conditions sont tellement
pires. Le KMU des Philippines lutte
depuis 37 ans, mais quelle autre option,
autre que la reddition, ont-ils ? Il y a
des syndicats qui se battent dans des
pays tels que le Brésil, l’Afrique du
Sud et en Inde, et des travailleurs qui
se battent en Chine, au Vietnam, pour
créer de véritables syndicats. C’est en
fait plus important que cela : les
travailleurs veulent avoir le pouvoir de
contrôler leurs vies. Et les
travailleurs du monde entier tentent de
créer des syndicats qui les aideront à
vivre la vie qu’ils recherchent. Leurs
situations sont difficiles, sans aucun
doute. Mais les gens continuent
d’essayer, les gens veulent une vie
meilleure et prennent souvent des
risques énormes pour créer des
organisations qui vont faire avancer
leurs intérêts.
Nous avons besoin
de syndicats, ils sont importants. Mais
ils doivent développer une vision qui
aborde les vrais problèmes des
travailleurs réels du monde entier. Et
cette vision, j’insiste, doit être
fondée sur les principes d’égalité et de
solidarité. Et cela signifie que nous ne
pouvons pas nous limiter au capitalisme,
parce que le capitalisme ne peut pas
fournir une bonne existence, mais
beaucoup moins d’emplois pour la plupart
des gens. Le capitalisme est
littéralement en train de tuer la vie
sur la planète. Il ne peut pas être
réformé, il doit être remplacé. Mais
pour ce faire, nous devons ne pas avoir
peur de regarder, de penser, de
discuter, d’organiser en dehors des
limites du capitalisme. Si nous nous
limitons aux possibilités sous le
capitalisme, nous sommes foutus. (Je
suis poli : j’ai besoin d’un mot avec la
compréhension nécessaire de la violence
qui est faite et qui continuera à être
faite contre les travailleurs).
Mais cela signifie
aussi que nous devons rejeter le
consumérisme qui nous a été poussé dans
la gorge par le capitalisme – c’est plus
que juste des rapports de production. Je
viens de passer deux mois cet été à
enseigner dans une université à Ho Chi
Minh-Ville, au Vietnam. Et il y a
beaucoup de nouvelles constructions, en
particulier des immeubles
d’appartements, partout dans la ville.
Mais lorsque vous regardez les
représentations visuelles qui
accompagnent beaucoup d’entre elles,
vous voyez la Lexus, les BMW, les plus
fines liqueurs, les parfums les plus
chers, toute cette merde capitaliste à
l’échelle mondiale qu’on nous fourre
dans la gorge chaque fois que nous
voyageons à l’international.
La réalité est que,
d’abord, la plupart des Américains ne
vivent pas à ce niveau de consommation,
et que le monde ne peut pas supporter
que chacun vive à ce niveau de la norme
dans laquelle vivent beaucoup
d’Américains – nous aurions besoin de 5
autres planètes Terre – et, bien sûr, la
plupart des gens ne peuvent pas vivre
selon cette norme de consommation
élitiste. Nous devons la rejeter !
Nous devons arriver
à comprendre comment vivre à un niveau
où chaque personne de la planète peut
avoir une bonne vie. Cela ne peut pas
inclure pourchasser les bourgeois.
D’après vous, si
le capitalisme vit au rythme des crises
et que cela est dans sa nature même, les
mouvements syndicaux à travers le monde
ne vivent-ils pas aussi une crise à
l’image du capitalisme ?
La réalité est que
le capitalisme domine une grande partie
du monde. Les gens doivent faire
attention, apprendre ce qui se passe
réellement et arriver à comprendre avec
les amis, les camarades de travail, les
associés, les amoureux, tous ceux qui
peuvent se réunir, ce qu’ils veulent
faire pour créer un monde pour nous
tous, puis étendre leurs connexions à
travers leur pays, leur région, leur
continent, leur globe et se battre pour
ce monde meilleur.
Un grand défi, bien
sûr ! Mais si nous ne le faisons pas,
qui va le faire pour nous ? Je dirai une
chose avec certitude : les «grands de ce
monde», les élites et leurs laquais, ne
le feront pas pour nous. Notre avenir
est entre nos mains : est-ce que nous
agissons ou est-ce que nous nous
contentons de retourner dormir ?
Mais je vais vous
dire une autre chose : je me concentre
de plus en plus sur le changement
climatique mondial et l’environnement.
Une chose qui devient claire : si nous
ne faisons pas de changements majeurs –
et je parle de changements MAJEURS –
d’ici 2030, selon la meilleure prévision
scientifique d’aujourd’hui, nous verrons
le début de l’extermination des humains,
des animaux et de la plupart des plantes
au tournant du siècle (cela signifie
l’année 2100). Que cela se produise
réellement ne peut pas encore être
déterminé, mais si les tendances
actuelles se poursuivent, cela semble
presque certain à ce stade.
Dans vos travaux
et vos recherches, vous faites des
propositions concrètes qui se basent
souvent sur une étude approfondie des
mouvements syndicaux. Quelle est selon
vous la leçon majeure à retenir du long
combat du mouvement ouvrier contre la
nuit capitaliste ?
Je pense que la
principale leçon à tirer est que les
travailleurs ne sont pas des saints. Il
y a des gens merveilleux parmi nous, et
il y en a certains, dirons-nous, qui ne
le sont pas. Mais lorsque de bonnes
personnes s’unissent, obtiennent des
informations précises et ensuite
décident d’agir, elles peuvent déplacer
des montagnes.
Je vais vous donner
un exemple personnel : j’étais aux
Philippines en janvier et début février
1986. Marcos était le dictateur, et il a
appelé une élection «anticipée» pour que
les États-Unis lui foutent la paix. La
rumeur dans la rue était qu’il allait
réinstaurer la loi martiale lors de sa
réélection. J’avais parcouru une grande
partie du pays, et j’étais en train de
visiter les travailleurs et les leaders
ouvriers littéralement en première ligne
de la résistance anti-Marcos. Nous avons
eu beaucoup de discussions au cours de
mon séjour là-bas. Aucune de ces
personnes avec lesquelles j’ai parlé,
pas une seule, n’a eu l’espoir réel de
se débarrasser de Marcos dans un avenir
prévisible ; leur objectif était de
mobiliser autant de résistance que
possible, pour le ralentir, pour se
construire au cours des années à venir
afin de se débarrasser de lui. Je suis
parti le 5 février, heureux de sortir de
ce chaudron bouillant. Les gens ont
voté, les travailleurs électoraux sont
allés au devant des journalistes et ont
détaillé la fraude et la tromperie
qu’ils avaient connues, les dirigeants
de l’Église catholique – beaucoup qui
avaient soutenu Marcos auparavant – ont
appelé leurs fidèles dans les rues, les
gens ont répondu, les militaires se sont
divisés, les gens ont soutenu les
«renégats», et les États-Unis ont dit à
Marcos qu’il devait partir et lui ont
offert asile à Hawaï, Ferdinand Marcos a
quitté les Philippines le 25 février
1986, 20 jours après mon départ.
Personne avec qui j’avais parlé n’avait
même rêvé que cela pouvait arriver, et
encore moins que cela arriverait.
Maintenant, il faut
comprendre que ce n’était pas sorti de
nulle part, comme beaucoup de personnes
l’ont affirmé. Cela a été construit sur
des années et des années d’organisation
politique par la gauche. Organisé dans
les bidonvilles, les écoles, les
syndicats, parmi les organisations
ecclésiastiques, etc. Ça n’est pas
«juste arrivé».
Ce potentiel me
donne de l’espoir. La question est :
pouvons-nous mobiliser?
La spécificité
de la lutte dans chaque pays dans le
monde n’est-elle pas un handicap à la
construction d’un front ouvrier
mondial ?
Nous devons
construire à partir des conditions
auxquelles nous sommes confrontés. C’est
aussi simple que ça. Mais nous pouvons
voyager, nous pouvons nous rencontrer,
nous pouvons parler de nos valeurs, de
ce que nous aimerions voir. Il existe de
nombreux chemins pour nous amener à
l’endroit où nous voulons être. Si nous
sommes déterminés à atteindre notre
destination, celle qui «fonctionne»
vraiment pour les gens, nous y
arriverons. Mais nous devons commencer
le voyage maintenant.
Quel est votre
regard sur les dernières élections
présidentielles américaines ? Comment
analysez-vous la sociologie de ces
élections avec la dualité entre
l’Amérique rurale qui a voté pour Trump
dont le slogan est « American first » et
l’Amérique urbaine qui a voté pour
Hillary Clinton ?
Personnellement,
cela me rend malade de parler de cette
dernière élection. Hillary Clinton peut
être qualifiée de criminelle de guerre.
Elle est supporter de Wall
Street. C’était une candidate
épouvantable, après Obama qui avait peu
fait ou rien pour la plupart des gens,
et elle a dit que nous continuerions à
faire ce qu’avait fait Obama. Elle n’a
pas inspiré les gens, elle n’avait rien
à offrir. Elle n’avait non plus aucune
idée de ce que beaucoup d’Américains
traversent. Selon certaines recherches
que j’ai faites et que je me prépare à
soumettre pour publication, ceux qui
sont économiquement dans les 20 %
inférieurs de notre population ont
seulement vu leurs revenus diminuer en
termes absolus depuis 1973 ; ceux des 21e
aux 40e percentiles ont vu
leurs revenus augmenter de moins de 10 %
sur une période de 40 ans (1973-2013) ;
et ceux des 41e aux 60e
ont vu leurs revenus augmenter de plus
de 28 % sur 40 ans. En d’autres termes,
les 60 % de notre population ont perdu
leur revenu ou ont vu leurs revenus
augmenter de moins de 1 % par année au
cours de cette période. Elle n’a pas
abordé cela.
Bernie Sanders a
abordé la situation des gens, et il a
obtenu un formidable soutien. Cependant,
les gens de Clinton dans le Comité
national démocratique ont trompé le jeu
afin qu’il ne puisse pas gagner, et il
n’a pas gagné.
Cela laisse Trump.
Je pense que tout ce que vous avez
entendu de mauvais au sujet de Trump est
vrai. Mais ce qu’il a fait avec succès,
c’est reconnaître la souffrance qui a eu
lieu au cours des 40 dernières années,
et il a affirmé qu’il «résoudrait» ce
problème. Il ne peut pas – c’est un
problème structurel, non cyclique, et
qui ne peut être corrigé. Mais il a
convaincu les gens qui étaient blessés,
et blessés sérieusement, qu’il était de
leur côté, qu’il avait des solutions,
qu’il résoudrait leurs problèmes. Je
pense que le lapin de Pâques aurait été
un meilleur choix. Mais au sein de notre
système électoral limité et
antidémocratique aux États-Unis, assez
de gens pensaient qu’il pourrait
résoudre leurs problèmes et ils ont voté
pour lui. Et les Américains et les
autres personnes dans le monde devront
traiter avec cet homme terriblement
inadéquat pour les quatre prochaines
années, et huit si nous ne faisons pas
attention.
Mais où était
l’AFL-CIO ? Pas de plan, pas de vision,
choisissez simplement un autre démocrate
d’entreprise. J’ai vu des sondages qui
suggèrent que la majorité des électeurs
syndicaux n’ont pas accepté cela. De
toute évidence, nous avons besoin d’un
nouveau type de mouvement syndical aux
États-Unis.
Votre parcours
de militant contre le racisme s’est
forgé lors de votre incorporation dans
le corps des Marines des USA. Le racisme
que vous avez combattu en tant que
militaire existe-t-il toujours dans
l’armée américaine ?
Je ne doute pas que
le racisme existe toujours dans l’armée
américaine, mais je n’en ai aucune
expérience directe. Je sais que des
vétérans d’Irak et d’Afghanistan ont
projeté un racisme extrême sur les gens
de ces sociétés. À certains égards,
l’armée a mieux traité le racisme
intra-organisation que d’autres parties
de la société américaine. Rappelez-vous
ceci, cependant : leur mission n’est pas
un changement social ou une vie
meilleure pour les gens, c’est tuer et
détruire l’«ennemi», tel que défini par
les leaders gouvernementaux et les
médias traditionnels. Ils ne veulent pas
que le racisme soit une façon
d’accomplir leur mission.
Interview
réalisée par Mohsen Abdelmoumen
Qui est le Dr.
Kim Scipes ?
Le Dr. Kim Scipes
est professeur agrégé de sociologie à
Purdue University Northwest, campus
régional de l’Université de Purdue, à
Westville dans l’Indiana. Il est membre
de l’Association américaine
sociologique, avec adhésion aux
mouvements du travail, comportements
collectifs et mouvements sociaux, et aux
sections de sociologie mondiale et
transnationale. De plus, il est membre
de longue date du RC 44, le Comité de
recherche sur le travail, de
l’Association internationale de
sociologie, et a été élu et nommé au
conseil d’administration de RC 44 de
2006 à 10. Dr. Scipes est membre du
Syndicat national des écrivains et
militant de longue date dans le
mouvement ouvrier américain.
Dr. Scipes écrit
depuis 1984 sur les questions liées au
travail, même s’il a également écrit sur
un certain nombre de problèmes
connexes. Ses 200 articles ont été
publiés aux États-Unis et dans 14 autres
pays – en version papier et sur
Internet. Son écriture va des écrits
théoriques à la description / analyse
jusqu’aux articles d’opinion dans les
journaux locaux.
Il a voyagé dans le
monde entier et a fait des recherches
aux Philippines, au Venezuela et en
Afrique du Sud. Il a beaucoup voyagé en
Europe de l’Ouest, en particulier en
Angleterre, en Belgique, aux Pays-Bas et
en Allemagne.
Dr. Scipes a une
maîtrise en études de développement de
l’Institut d’études sociales de La Haye,
des Pays-Bas (1991) et un doctorat en
sociologie de l’Université de l’Illinois
à Chicago (2003).
Il a publié trois
livres : KMU:
Building Genuine Trade Unionism in the
Philippines, 1980-1994 (New Day
Publishers, 1996) (KMU:
Construire un véritable syndicalisme aux
Philippines, 1980-1994 [New Day
Publishers, 1996]) ;
AFL-CIO’s Secret War against
Developing Country Workers: Solidarity
or Sabotage? (Lexington Books, 2010)
(La guerre secrète de l’AFL-CIO contre
les travailleurs des pays en
développement: la solidarité ou le
sabotage? [Lexington Books, 2010]) ;
Building Global Labor Solidarity
in a Time of Accelerating Globalization
(Chicago: Haymarket Books, 2016)
(Construire la solidarité mondiale du
travail à l’ère de l’accélération de la
mondialisation [Chicago: Haymarket
Books, 2016]).
Pour une liste de
ses publications organisées par sujet et
liées chaque fois que possible à des
versions en ligne, rendez-vous sur :
https://faculty.pnw.edu/kim-scipes/publications/#August18
Published in
English in American Herald Tribune,
September 12, 2017:
https://ahtribune.com/economy/1891-dr-kim-scipes-%E2%80%9Ccapitalism-is-literally-killing-life-on-the-planet%E2%80%9D.html
Reçu de l'auteur pour
publication
Le sommaire de Mohsen Abdelmoumen
Le
dossier Monde
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