Cisjordanie
occupée
Une population attaquée de toutes parts
mais qui ne fléchit pas
Mireille Rumeau
Octobre 2017,
récolte des olives à Brukin (Salfit),
contre la colonie sioniste Bruchin.
Les fortes femmes de Palestine et leurs
complices de l’ISM
Dimanche 29 octobre 2017
J’étais en Cisjordanie occupée en
octobre 2015, il y a deux ans.
L’atmosphère était à l’effervescence du
déclenchement de ce que les Occidentaux
ont appelé « l’Intifada des Couteaux »,
et que les Palestiniens nommaient «
Intifada Al-Aqsa ». Les funérailles des
martyrs drainaient des milliers de
Palestiniens que la perte de ces jeunes
gens déchirait mais qui soutenaient
leurs actions sans réserve. Les
Palestiniens avaient le sentiment qu’ils
vivaient une nouvelle forme de
résistance, peut-être plus désespérée
que les autres, mais qu’ils
reconnaissaient comme étant bien de la
résistance.
J’y suis revenue en septembre/octobre
cette année, et il m’a semblé que
l’ambiance était toute autre. La
perspective de la réconciliation entre
le Fatah et le Hamas était dans toutes
les discussions, avec le mélange
habituel d’espoir et de fatalisme
qu’inspirent aux Palestiniens toutes les
soi-disant initiatives de paix avec
Israël ou de réconciliation
inter-palestinienne. Il faut dire qu’ils
sont un peu échaudés… La Mecque 2007,
Déclaration de Sanaa 2008, Le Caire
2011, Accord du Caire 2012, Doha 2012,
Gaza et le Caire 2014… La seule
constante de ces périodes, c’est que la
population en attente suspend ses
actions de résistance et est de fait
plus vulnérable aux attaques de
l’occupant. Le désir de réconciliation
est très puissant car non seulement les
dissensions internes freinent ou
empêchent des prises de décision
importantes au niveau national mais
elles déchirent les familles. Les
Palestiniens veulent récupérer toute
leur force de décision et reprochent à
l’Autorité palestinienne, entre autres,
son refus d’organiser des élections
depuis 2006. On comprend la raison de
ces réticences… Les derniers sondages
montrent que si des élections
parlementaires avaient lieu en ce mois
d’octobre, les résultats seraient une
victoire nette, voire écrasante du Hamas
en Cisjordanie occupée et à Gaza.
Exactement comme en 2006. Et l’on ne
peut s’empêcher de fustiger, une fois de
plus, les manœuvres israéliennes et
l’ingérence étrangère qui ont soutenu
voire dicté à Mahmoud Abbas les
magouilles qui ont empêché que le parti
élu mette en place sa politique, et
l’ont isolé à Gaza pour mieux organiser
le blocus total de la bande et les
attaques meurtrières israéliennes contre
ses deux millions d’habitants. 11 ans de
tragédies, de crimes contre l’humanité
et de barbarie pour en arriver au même
point, dans les urnes.
Sur le terrain, le régime sioniste
construit à marche forcée, des chantiers
sont ouverts partout, les colonies se
rapprochent de plus en plus des villages
palestiniens dont elles volent les noms
: Brukin a donné Brucheen, Kafr Kaddum a
donné Qaddoumim, pour ne citer que ces
deux exemples. Les villageois vivent
dans le bruit et la poussière des
chantiers des envahisseurs et voient se
rétrécir inexorablement leur espace
agricole vital. Il y a maintenant près
de 700.000 colons sionistes en
Cisjordanie occupée, Jérusalem-Est
comprise. Lorsque je suis allée en
Palestine pour la première fois, en
2003, on comptait environ 200.000 colons
en Cisjordanie occupée, et le chiffre
nous effarait… Le régime sioniste vise
le million d’ici 2020, et on ne voit pas
ce qui pourrait l’empêcher de
l’atteindre.
Avec une mention particulière, dans la
tragédie, pour les populations
palestiniennes bédouines, des dizaines
de milliers d’individus, dont le régime
sioniste prépare le transfert forcé vers
des quartiers avec maisonnettes aux
toits de tuile rouge où il est
inimaginable qu’elles puissent continuer
à mener leur mode de vie, ni même à
survivre. Il s’agit en particulier de la
communauté Jahalin, dans le gouvernorat
de Jérusalem, et de toutes les tribus de
la Vallée du Jourdain, à al-Hamra et al-Farizyia.
Le nettoyage ethnique est programmé,
avéré, organisé. On peut ergoter sur les
termes, et préférer à génocide ethnocide
ou sociocide, c’est presque indécent
devant la réalité d’un nettoyage
ethnique qui ne se cache plus, devant la
disparition programmée d’une population
autochtone au bénéfice d’une population
coloniale venue d’ailleurs.
La violence des colons est connue, en
particulier dans cette période capitale
de récolte des olives 12% de l’économie
palestinienne, et elle s’exerce en toute
impunité, voire avec l’aide de l’armée
d’occupation. Des hordes de brutes
détruisent les oliviers, volent les
olives sur les arbres, braquent la
récolte quand elle est déjà dans les
sacs, surgissent dans les oliveraies à
cheval, traversent les villages en
voiture en brandissant des armes et en
hurlant, et mettent tout en œuvre pour
terroriser les familles et les empêcher
d’aller sur leurs terres. Sans parler de
l’armée d’occupation qui donne des
autorisations de 3 jours quand il
faudrait 7 semaines pour faire une
récolte complète, dans beaucoup de cas.
Quand le régime sioniste prend la
décision extrêmement rare de démanteler
un avant-poste colonial (toutes les
colonies commencent par 3 caravanes ou
mobil-home installés sur les terres d’un
village palestinien), il octroie des
compensations aux quelques individus qui
l’occupaient pour les calmer. Les colons
sont à l’évidence l’avant-garde sur le
terrain du projet sioniste d’occupation
de toute la Palestine, et c’est à ce
titre qu’ils bénéficient d’autant de
soutien, de protection, d’aide
matérielle et d’infrastructure.
A Al-Khalil/Hébron, les 900 colons qui
vivent au cœur de la ville, protégés par
2 à 3000 soldats, au milieu de 200.000
Palestiniens, ont obtenu l’autorisation
d’avoir leur propre municipalité, avec
toutes les prérogatives de gestion des
personnes et des services qui vont avec.
Certainement pour les consoler de
l’inscription de la ville sur la « liste
du Patrimoine mondial en péril », par
l’Unesco, le 2 juillet dernier.
L’armée d’occupation poursuit
inlassablement ces tentatives de
chantage sur les jeunes palestiniens
pour les forcer à donner des
informations. Mohammed, 23 ans, que nous
rencontrons à Hares, village proche de
Salfit, nous raconte le harcèlement dont
lui et sa famille font l’objet de la
part du Capitaine Atta, connu dans tout
le secteur pour ces manœuvres
d’intimidation. Le père de Mohammed,
vieil homme handicapé, a été convoqué
dans la base militaire d’Ha’ela, à
Qalqiliya, bousculé, frappé, éjecté de
son fauteuil roulant ; sa sœur a été
soupçonnée d’envisager de mener une
attaque au couteau, et Mohammed menacé
de ne plus jamais retrouver d’emploi.
Après d’innombrables appels
téléphoniques, le capitaine Atta lui a
donné rendez-vous. Il est jeune, une
trentaine d’année, il a dit avoir deux
enfants et s’est montré très amical. «
Donne-moi des informations sur les gens
d’Hares, sur ce qu’on dit à la Mosquée,
et tu auras tout ce que tu veux : l’Iphone
8, des soins dans un hôpital israélien
pour ton père, un voyage à la mer et des
rencontres avec des filles en Israël,
» etc. Mais Mohammed n’est pas dupe, il
sait que sa vie sera bien plus dure s’il
accepte le sale marché. Il nous dit : «
Avant de le rencontrer, je pensais
que c’était forcément un homme
intelligent et j’étais impressionné.
Mais quand je l’ai vu, j’ai vu un loser.
Il était comme un sans abri qui mendiait
pour dormir chez moi. »
Le Capitaine Atta s’installe aux
checkpoints, dans une jeep, avec son
ordinateur. Les soldats qui contrôlent
les papiers d’identité des Palestiniens
lui amènent ceux des jeunes, dont il
prend note avant qu’ils soient restitués
à leurs titulaires. Quelques temps
après, le harcèlement commence.
C’est aussi une manière de quadriller
toute la population palestinienne.
Le jeune Mohammed et sa famille ont tous
changé de numéro de portable et ont
demandé la protection de l’Autorité
palestinienne, en vain.
L’AP ne constitue d’ailleurs aucune
protection ni rempart contre la
brutalité de l’administration coloniale,
au contraire, il est bien connu et
revendiqué qu’elle collabore. Elle vient
entre autres de voter une loi contre la
cybercriminalité, et poursuit tout
auteur de critique de sa politique sur
les réseaux sociaux. Notre ami Issa Amro
vient d’en faire les frais, avec 4 jours
d’arrestation pour avoir critiqué une
mesure prise par l’AP à l’encontre d’un
professeur qui avait émis une
observation sur la politique d’Abbas et
avait été arrêté pour ces faits. Issa
est sorti de prison après paiement d’une
caution, il est en attente de son
procès. Il en a un autre en cours, par
les autorités d’occupation cette fois,
avec 15 chefs d’accusation !
Dans le village d’Urif,
Munir al-Nuri , 53 ans, et sa
famille ont été attaqués en avril
dernier par une horde de colons. Blessé
d’un coup de couteau au pied, il ne peut
toujours pas marcher et encore moins
travailler sa terre. Il a demandé une
aide financière au représentant de l’AP
du secteur, qui lui a répondu : « Non
mais tu as vu où tu as construit ta
maison ? » Il a rétorqué que sa
maison est construite sur son terrain,
et que c’est la colonie qui descend la
colline et se rapproche !
Colons masqués à Urif le jour où Munir
al-Nuri a été attaqué, sous la
protection des soldats
(Crédit photo IMEU).
Les tentatives de
normalisation font partie des pressions
que subit la population palestinienne.
La dernière en date a eu lieu début
octobre, une « Marche pour la Paix » de
femmes israéliennes et palestiniennes de
48 qui a provoqué l’indignation de
nombre de Palestiniens, le mot «
occupation » ayant été soigneusement
gommé dans tout le processus
d’organisation et de lancement de la
publicité.
J’ai rencontré l’animateur d’un centre
communautaire qui est chargé de
l’organisation de séances de
skate-board, financées par une ONG
étrangère, pour les jeunes d’un camp de
réfugiés à Naplouse. Après tout pourquoi
pas, en effet, proposer à des jeunes des
sports qu’ils ne connaissent pas et dont
l’exercice n’est pas très onéreux, si
cela peut les détendre et leur changer
les idées quelques heures par semaine.
Eh bien pas du tout, le projet n’est pas
de les détendre et de leur proposer un
sport que tant d’autres jeunes
pratiquent dans le monde entier et
qu’ils voient à la télévision. Le but
est « de les occuper pour réduire
l’influence des adultes qui les poussent
vers des partis ou des mouvements
politiques. » !!!
En effet, les adultes résistent contre
la normalisation et l’oubli de leurs
revendications fondamentales. Et les
enfants continuent d’être, dès le plus
jeune âge, minutieusement informés de
leur histoire. Peut-être est-ce parce
que la population sent les pressions
terribles qui s’exercent sur elle pour
qu’elle abandonne la bataille que tous
les matins, dans les écoles publiques,
dans toute la Cisjordanie occupée, à 8h
moins le quart, les enfants entonnent de
vibrants « Biladi » dans la cour de
l’école. « Les vieux mourront et les
jeunes oublieront, » avait dit Ben
Gourion. C’était très mal connaître les
Palestiniens.
Des enfants qui sont les cibles
privilégiés des soldats : scrutés,
filmés, photographiés, pour pouvoir être
plus facilement détenus, arrêtés,
emprisonnés, brutalisés. Dans chaque
cohorte de soldats qui vient réprimer
une manifestation, il y a maintenant,
outre ceux qui portent les armes, un
soldat muni d’une caméra et un autre
muni d’un appareil de photo (photo
Dounia ci-dessous). Vendredi dernier,
dans la nuit, l’armée d’occupation a
raflé 17 enfants à Al-Khalil. Il y a
actuellement au moins 300 enfants entre
12 et 16 ans dans les geôles
israéliennes.
Les prisonniers
restent une préoccupation centrale de la
population. Les visages de Georges
Ibrahim Abdallah et maintenant de Salah
Hamouri figurent en bonne place sur les
posters appelant à la libération de tous
les prisonniers.
Ce qui est de plus en plus flagrant,
c’est que les colons sionistes de
Cisjordanie occupée peuvent vivre toute
leur vie sans jamais voir ni rencontrer
un Palestinien. C’est déjà le cas de
ceux qui occupent la Palestine 48, et on
peut le comprendre à cause de
l’éloignement géographique. En
Cisjordanie occupée, où le territoire
est si restreint, cette aberration
monstrueuse est encore plus choquante et
ne peut prendre corps que grâce au
réseau routier réservé aux colons et au
mur, qui permettent d’éviter ou de
masquer toute présence palestinienne, et
à l’expansion des grands blocs de
colonies, Ariel (et autres) entre
Naplouse et Ramallah, qui coupera
bientôt le nord de la Cisjordanie en
deux, et Maale Adumim (et autres) au
niveau de Jérusalem, qui séparera
bientôt la partie sud de la Cisjordanie
du reste. Avec quelques checkpoints
stratégiquement placés pour pouvoir
boucler tout le territoire occupé en 5
minutes, ce qui est déjà le cas.
Pris en tenailles entre une occupation
israélienne brutale, barbare, voire
sadique, une autorité palestinienne qui
pratique la coopération sécuritaire avec
l’ennemi avec un zèle criminel et des
gouvernements occidentaux qui les
poussent par tous les moyens à la
normalisation, les Palestiniens
continuent, avec énergie et courage, à
vivre leur vie, à se ménager des moments
de bonheur intimes, familiaux et
collectifs, à porter haut les
fondamentaux de leur lutte de
libération. Les fermiers qui, en ce
moment, profitent de l’accès à leurs
oliveraies pour tailler les arbres, le
disent avec fierté : ils le font pour la
récolte de l’année prochaine. Parce
qu’ils seront là l’an prochain, et les
années suivantes, colonies sionistes ou
pas.
Younes Arar, un ami de Beit Ommar,
résume très bien la situation :
« Il était une fois en Palestine.
Nous avons été occupés par les Romains,
les Babyloniens, les Perses, les
Byzantins, les Croisés, les Ottomans et
les Britanniques, ils font tous partie
de notre passé, et aujourd’hui nous
sommes sous l’occupation israélienne qui
fera partie de l’histoire plus tôt que
vous ne le pensez… Mes amis,
l’oppression et la tyrannie ne durent
jamais éternellement. Il était une fois
en Palestine… l’occupation israélienne !
»
Soutien inconditionnel à la
résistance du peuple palestinien pour
son auto-détermination et son
indépendance nationale, pour la
libération de la terre arabe de la mer
au Jourdain, pour le droit des réfugiés
à revenir chez eux et pour la libération
de tous les résistants emprisonnés, avec
une pensée particulière pour Salah
Hamouri et Georges Ibrahim Abdallah !
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