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Quand les relations russo-turques
déjouent les pronostics
Mikhail Gamandiy-Egorov

© REUTERS/
Sergei Karpukhin
Mardi 31 janvier 2017
Source:
Sputnik
Certains avaient annoncé que les
relations russo-turques auraient du mal
à se remettre de la crise de
novembre-décembre 2015, prédisant même,
un gel des relations entre les deux pays
de plusieurs années. Pourtant, six mois
plus tard, leurs relations économiques
et diplomatiques sont à nouveau
excellentes.
Déception pour certains, joie pour
d'autres, les relations turco-russes
reviennent au beau fixe après une crise
de près de six mois. La normalisation
annoncée par les présidents Poutine et
Erdogan lors de leur rencontre à
Saint-Pétersbourg en août dernier, après
que la Turquie a présenté officiellement
ses excuses pour avoir abattu un
chasseur russe Su-24, semble désormais
repasser au stade supérieur, celui du
partenariat stratégique.
La Russie n'a pas encore levé toutes les
mesures d'embargo vis-à-vis de la
Turquie, mais la plupart des
responsables et experts, russes comme
turcs, s'accordent à dire que ce n'est
qu'une question de temps. Pour rappel,
la Russie a déjà levé depuis plusieurs
mois les restrictions sur les vols
charters touristiques à destination de
la Turquie, ce qui a immédiatement
redonné le sourire aux hôteliers turcs,
qui faisaient face à une grave crise
depuis la détérioration des relations
entre les deux pays. Désormais, la
Turquie refait partie des destinations
favorites des touristes russes et les
Turcs viennent d'annoncer qu'ils étaient
prêts à recevoir près de 5 millions de
touristes en provenance de Russie en
2017, tout en leur proposant des
conditions très attractives.
Pour rappel, ils étaient plus de quatre
millions de Russes à avoir visité la
Turquie, aussi bien en 2014 qu'en 2015,
plaçant les russes à la deuxième place
en termes de nombre de touristes juste
derrière les Allemands, mais à la
première place pour les dépenses: les
Russes sont en effet trois fois plus
prodigues que les touristes allemands.
Aux dernières nouvelles, le taux de
réservation actuel de voyages à
destination de la Turquie par les
touristes russes est 4 à 5 fois
supérieur qu'à la même période de
l'année dernière (au pic de la crise des
relations bilatérales). La Turquie,
sixième destination touristique
mondiale, redeviendra donc
vraisemblablement la destination
étrangère principale pour les vacanciers
russes, avec en prime le meilleur
rapport qualité/prix.
L'autre secteur fort important pour les
turcs est celui du BTP. Les entreprises
turques, dont plusieurs font partie des
meilleures au niveau mondial, attendent
la levée totale des restrictions pour
relancer de nouveaux projets sur le sol
russe. Il faut se souvenir que la Russie
était de loin le principal débouché des
entreprises turques, qui en étaient de
plus les leaders absolus avec près de
20 % de parts de marché. Les principaux
acteurs du secteur avaient conservé
leurs contrats signés avant la crise,
mais ne pouvaient prétendre à obtenir de
nouveaux marchés à cause des sanctions
prises par le gouvernement russe. Des
restrictions qui vraisemblablement ne
devraient plus durer très longtemps.
L'agroalimentaire, autre source
importante de revenus pour la balance
commerciale turque, attend lui aussi une
envolée. Depuis quelques mois, la Russie
a levé l'embargo sur un certain nombre
de fruits et légumes turcs, mais
plusieurs autres, dont les tomates,
restent toujours interdits d'entrée. Là
aussi, on s'attend à une amélioration,
tout en sachant que le gouvernement
russe a annoncé devoir tenir compte des
intérêts des producteurs nationaux, qui
ont profité de la crise pour accroître
leur présence sur ce marché. Néanmoins,
tout porte à croire que l'embellie entre
les deux pays permettra à la Turquie de
reprendre des parts de marché dans des
secteurs où elle était précédemment bien
placée. Une situation qui contraste avec
celle des exportateurs de l'UE qui,
vraisemblablement, ont perdu leurs
positions pour longtemps.
D'un autre côté, la Russie prévoit
également de renforcer ses positions sur
le marché turc, qui est majeur pour elle
dans plusieurs domaines. En effet, la
Turquie est le second marché étranger
pour le gaz russe. Lukoil, le géant
pétrolier russe, y possède aussi
d'importants intérêts, notamment
plusieurs centaines de stations essence.
En outre, Sberbank, la principale banque
russe, détient DenizBank, qui fait
partie du Top 5 des principales
institutions bancaires turques.
Enfin, les deux pays ont relancé deux
autres projets stratégiques: il s'agit
bien évidemment du projet de gazoduc
TurkStream, qui va acheminer le gaz
russe en Turquie à travers la mer Noire,
ainsi que de la centrale nucléaire d'Akkuyu,
sur les bords de la mer Méditerranée,
dans la province de Mersin. Dans le cas
du gazoduc TurkStream, les travaux
devraient débuter cette année, avec
entre autres pour objectif de cesser le
transit gazier via l'Ukraine d'ici 2019.
Quant à la centrale nucléaire d'Akkuyu,
le premier bloc devrait être
opérationnel d'ici 2020, pour une
centrale pleinement opérationnelle en
2023. Le projet sera réalisé par
l'Agence fédérale russe de l'énergie
atomique (Rosatom).
Il convient aussi de souligner qu'en
plus de la réactivation du partenariat
stratégique dans la sphère
économico-commerciale, avec pour
objectif annoncé des deux côtés
d'arriver à 100 milliards de dollars
d'échanges annuels à l'horizon
2020-2023, on assiste en ce moment même
à un dialogue politique sans précédent.
En effet, jamais la Russie et la Turquie
n'ont autant coordonné leurs positions
pour tenter de résoudre les problèmes
régionaux, comme c'est actuellement le
cas dans le dossier syrien. Peu de gens
auraient cru que la Russie et la
Turquie, qui ont depuis plusieurs années
adopté des approches très différentes
vis-à-vis du conflit syrien, auraient pu
mettre ensemble en place une trêve, qui
est globalement respectée dans le pays.
Une trêve qui ne concerne pas les
groupes terroristes de Daech, d'Al-Qaida
et tous ceux qui ont refusé de se
joindre audit cessez-le-feu.
Mieux encore, un mécanisme tripartite de
contrôle du cessez-le-feu doit désormais
être mis en place sous la houlette des
trois pays garants de cet accord: la
Russie, la Turquie et l'Iran. Enfin, qui
aurait aussi pu imaginer que la Russie
et la Turquie (qui est encore membre de
l'Otan) iraient jusqu'à mener des
opérations militaires conjointes? C'est
pourtant le cas des aviations russes et
turques qui mènent actuellement des
raids contre les positions de Daech dans
le nord de la Syrie. Le meilleur est
probablement à venir, et ce malgré
l'opposition d'acteurs extérieurs
hostiles au rapprochement russo-turc.
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Tous droits réservés.
Publié
le 1er février 2017 avec l'aimable autorisation de l'auteur.
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